15 mars 2009

ANALYSE : La mission des Nations Unies en République Centrafricaine et au Tchad : tarrissement ou renouveau ?


Jean-Baptiste HARELIMANA

La protection des personnes déplacées s’avère souvent difficile, parfois même compromise du fait que l’État lui-même participe à la persécution de ses propres ressortissants, ou bien qu’il n’a pas plus d’institutions ou de contrôle effectif sur une partie du territoire afin de leur assurer une protection élémentaire. De surcroît, l’ampleur de la crise  ou du conflit peut être telle que les organismes humanitaires ne sont plus en mesure d’exercer seuls les activités humanitaires. Il ne s’agit plus d’hypothèses abstraites, mais de cas réels dans lesquels sont plongés un grand nombre de personnes déplacées et qui nécessitent des mesures de protection vigoureuses. Le Tchad, la RCA et le Soudan constituent des cas réel d’école, s’il en est besoin[1]. Face à de telles circonstances et poussée par l’impératif humanitaire, la communauté internationale déploie depuis le mois de février 2008, la MINURCAT/EUFOR destinée à sécuriser l'Est du Tchad, aux confins du Darfour, ventre mou d'une Afrique centrale très mouvante et au Nord de la Centrafrique. C’est le 27 septembre 2007 que fut officiellement adoptée la résolution 1778 du Conseil de sécurité qui porte la MINURCAT sur les fonds baptismaux.

La nouvelle MINURCAT, destinée à restaurer les conditions de sécurité nécessaires au retour volontaire et durable des réfugiés et personnes déplacées[2] et à promouvoir les droits de l’homme et l’Etat de droit, doit se déployer à partir du 15 mars 2009 à l’Est du Tchad et au Nord de la Centrafrique, région des trois frontières à cheval entre le Tchad, la République Centrafricaine et le Soudan[1]. Cette présence de la mission  de l’ONU prendra ainsi la forme d’une opération militaro-humanitaire, en remplacement de la MINURCAT/EUFOR[3]. S’il faut évidemment se féliciter des avancées de la MINURCAT plutôt que de condamner ses imperfections[4], il est néanmoins utile de cerner les  difficultés qui pèsent sur son activité et sur son devenir et, plus généralement, sur l’avenir de ce type de  mission. L’évaluation pourra  alors contribuer à un rajustement focal au sujet de ses objectifs.


I. AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA MINURCA

Le déploiement de la Mission des Nations Unies en République Centrafricaine (MINURCA), décidé le 27 mars 1998 par le Conseil de sécurité, fait suite à trois mutineries en huit mois au sein des Forces Armées Centrafricaines (FACA).

Les accords de Bangui, signés le 25 janvier 1997, prévoient la création d’une mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui (MISAB) et d’un comité international de suivi (CIS) de l’ONU. La MISAB, comprenant des soldats des pays médiateurs et appuyée par la France, est installée le 12 février et un nouveau gouvernement d’action pour la défense de la démocratie auquel participe toute la classe politique est formé. Des accrochages entre mutins et MISAB ont lieu en mars, en mai et en juin 1997, risquant de compromettre les accords de Bangui. L’ONU a mis en place une Mission des Nations Unies en République centrafricaine (MINURCA) composée de 1400 hommes avec pour mission, d’assurer le respect des accords signés entre les différentes parties.

Les mesures opérationnelles dont relevait la MINURCA participaient de l’extension de la notion de diplomatie préventive. Elles sont très exceptionnelles et essentiellement relatives aux nouveaux conflits dans le but d’éviter l’embrasement et l’implication d’autres pays ou régions périphériques dans un conflit existant. L’opération n’est donc pas déployée pour maintenir la paix mais pour prévenir des menaces imminentes. Dans l’histoire de l’ONU, il n’existe que deux exemples avérés de déploiement à titre préventif. Ce furent les cas de la Force de Déploiement Préventif des Nations Unies (FORDEPRENU) et de la Mission des Nations Unies en République Centrafricaine (MINURCA).

Les tensions n’ont pas manqué de s’extérioriser violemment avec la tentative de putsch conduite par des forces de l’opposition qui ont voulu prendre d’assaut la résidence du Chef de l’État. Les forces loyalistes, ayant probablement profité pour s’améliorer d’un soutien international à la reconstruction du pays, ont pu garder le contrôle de la situation, soutenues par un contingent libyen venu spécialement pour la « bonne cause ». Il faut rappeler que l’ambassadeur libyen avait été assassiné  le 20 août 2000, par un groupe armé à Bangui. Ces forces loyalistes ont procédé à une « chasse aux sorcières » dont le bilan reste difficile à établir. Du coup, ces événements servent de prétexte au pouvoir pour développer un redoutable arsenal de répression, visant principalement les populations du quartier sud de Bangui, appartenant à l’ethnie Yakoma[5].

Les Nations Unies ont immédiatement été à pied d’œuvre, grâce à la veille assurée dans le pays avec le BONUCA (Bureau des Nations Unies pour la consolidation de la paix en Centrafrique) et au siège à New York, pour entamer des négociations, d’où l’intérêt des missions de consolidation et de reconstruction de la paix.

Malgré l'intervention de la communauté internationale (MINURCA), le 15 mars 2003, le général François Bozizé réussit un nouveau coup d'État et renversa le président Patassé. Une élection présidentielle a eu lieu après plusieurs reports le 13 mars 2005. Cette élection présidentielle de 2005 a conforté le pouvoir du président Bozizé, comme en témoigne la réintégration de la RCA par l’Union africaine dans ses rangs et le retour des bailleurs de fonds. Malgré son triomphe électoral, Bozizé a connu un début de mandat difficile, marqué par une série d’accrochages dans le nord du pays entre des groupes armés et les FACA.

La persistance de troubles et de tensions socio-politiques et les difficultés à concilier les fractions, qui marquent la composition sociale du pays, avec les valeurs et les pratiques démocratiques, donnent, d’un autre côté, une image qui semble cependant remettre massivement en question la sortie définitive du pays d’une dynamique conflictuelle.

II. ET PUIS LA MINURCAT/EUFOR TCHAD/RCA EST VENUE


En août 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies adoptait la résolution 1706 qui décidait de la « mise en place d’une présence multidisciplinaire comprenant des spécialistes des affaires politiques, du personnel humanitaire et militaire et des officiers de liaison de la police civile affectés dans des lieux critiques au Tchad, y compris dans les camps de personnes déplacées et de réfugiés ».

Face à la triple hostilité des gouvernements tchadien, soudanais et libyen, qui refusaient toute présence militaire internationale dans cette partie du Tchad, le gouvernement français a finalement avancé l’idée d’un déploiement à l’est du Tchad, d’une force européenne, dont l’ossature serait principalement française. Cet argument a convaincu Idriss Deby qui a approuvé l’envoi de cette force en septembre[6].  Avec la création de l’EUFOR TCHAD/RCA, un mythe mourait, celui de l’impossibilité de la paix au Tchad et en RCA. Cette force est venue à l’existence au moment où la RCA l’attendait aussi[7].

En effet, l’Union européenne, acteur humanitaire de longue date, a développé plus récemment des capacités militaires permettant de se présenter comme un acteur crédible et efficace dans la gestion de crises. Cette double identité – humanitaire et militaire – offre l’opportunité d’une réponse complémentaire aux situations de crises complexes. Cependant, elle représente également un défi : celui d’éviter la confusion dans l’élaboration et la mise en œuvre de ces deux instruments dont les objectifs et principes d’engagement diffèrent fondamentalement. Les tendances visant, d’une part, à politiser l’aide humanitaire et, d’autre part, à la militariser, affectent la légitimité et la sécurité des acteurs humanitaires, tout en offrant peu de garanties d’une action plus efficace.

L'adoption de la résolution par l'UE d’envoyer EUFOR TCHAD/RCA,  s’inscrit dans la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Celle-ci consiste, entre autres, à protéger les larges frontières de l'Union européenne. Le 15 mars 2008 marque le début de l'opération sur le terrain. Celle-ci a atteint sa pleine capacité le 15 septembre 2008. Près de 3 400 soldats provenant de 19 différents États de l'Union ont été présents sur le terrain.

Bien qu’ayant été limitée dans le temps et en dépit de la modestie des objectifs poursuivis, ses résultats sont cependant diversement appréciés. Probants pour les uns, ils sont insuffisants pour les autres[8]. Si d’aucuns tendent à y voir un succès éclatant du  troisième acte de la politique de défense européenne en Afrique[9], d’autres s’empressent cependant de souligner les difficultés longtemps prévisibles. Ces difficultés sont, pour certaines, d’ordre conjoncturel, d’autres, plus sérieuses, structurelles et liées aux options retenues dans son mandat.

L’issue favorable de la crise aurait permis de juger sa réussite. Or, le nombre des victimes de la crise tchadienne et centrafricaine n’a cessé de croître. Un rapport de l’ONG Oxfam en a fait un bilan assez mitigé : « Le concept de la mission, qui doit être salué dans la mesure où il prévoit de renforcer les capacités de l’État en formant une force de police et de gendarmerie tchadienne, est néanmoins inefficace quand il tente de procurer une protection immédiate aux civils – un aspect qui aurait dû être pris en compte par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le mandat actuel ne comprend aucun déploiement immédiat d’unités de police formées des Nations Unies, une police armée internationale destinée à faire appliquer la loi »[10].

Le caractère particulièrement préoccupant de la situation des droits de l’homme au Tchad, au Darfour et en RCA, avec la superposition de plusieurs conflits armés et crises humanitaires a été signalé par plusieurs organes des Nations Unies et organisations non gouvernementales.

Si véritablement la MINURCAT/EUFOR a été conçue comme une  mission humanitaire, comme le laissent suggérer ses bases légales, alors son efficacité doit être recherchée d’abord sur le plan humanitaire.

L’Union ne disposant pas de capacités militaires propres, elle demeure éminemment dépendante des compétences militaires des États membres contributeurs. L’une des principales difficultés de l’action de l’Union en Afrique a été liée à la division entre piliers : le problème de la coordination de l’action du premier pilier (programmes communautaires d’aide au développement, Fonds européen de développement (FED, programmes d’aide humanitaire) et celle du deuxième pilier (PESC, PESD) a empêché toute approche réellement multidimensionnelle des questions de sécurité africaines[11]. En faisant, l’analyse que la crise à l’est du Tchad est essentiellement humanitaire, la communauté internationale a fait l’impasse sur les causes politiques des problèmes. Ce faisant, elle s’est condamnée d’avance à voir la portée de son action limitée à une simple sécurisation des réfugiés et des personnes déplacées, laissant le soin aux acteurs tchadiens de résoudre une crise politique qui perdure justement en raison des blocages entretenus par eux.

Même dans cette approche humanitaire, le mandat opérationnel de la MINURCAT/EUFOR ne leur a pas permis de résorber le banditisme, les conflits communautaires et la violence interethnique instrumentalisés par les acteurs tchadiens. Dans un rapport datant de mai 2008, le HCR remarquait notamment que « tandis que la MINURCAT et l’EUFOR se déploient à l’est du Tchad, le nombre d’incidents de sécurité impliquant des travailleurs humanitaires n’a cessé de croître depuis fin 2007 et début 2008 ». Dans le même ordre d’idée, ni l’EUFOR, ni la section policière de la MINURCAT n’ont pu empêcher les incursions et attaques transfrontalières, ainsi que les recrutements des combattants et les trafics d’armes.

S’agissant du grand banditisme, le rôle de l’EUFOR se limite à une présence dissuasive, elle n’a aucun pouvoir juridique pour arrêter les personnes suspectes, action qui relève de la seule compétence des autorités tchadiennes.   

Au-delà de cette carence opérationnelle, le retard pris dans le déploiement du personnel administratif de la MINURCAT a eu des effets sur la formation des policiers tchadiens du Détachement Intégré de Sécurité (DIS)[12] chargés de sécuriser les camps des réfugiés. La formation des 850 éléments du DIS devant être déployés effectivement sur le terrain n’a été atteint qu’à la fin du mois de février 2009, soit un an après sa création. La philosophie même de cette force (une force entraînée par l’ONU mais placée sous commandement d’un officier nommé par la présidence tchadienne) reste sujette à caution car pouvant donner lieu à une instrumentalisation.

Le fait que la résolution 1778 mettant sur pied la MINURCAT/EUFOR n’ait pas comporté un mandat politique qui aurait permis de « raisonner » la raison d’État, a augmenté le scepticisme quant à leur l’efficacité. Le ministre des Affaires étrangères  françaises opine dans ce sens : « Le ministre indique qu’en dépit des succès à mettre à son crédit et soulignés récemment par un rapport de l’ONG Oxfam, l’EUFOR n’a pas pu faire preuve de toute l’efficacité attendue en raison de l’absence de solution politique durable et du retard observé dans le déploiement au Darfour de la force hybride Union africaine et Nations unies »[13].

De plus, la volonté française d’inscrire davantage sa politique africaine dans des cadres multilatéraux avait poussé les Européens à soupçonner la France d’utiliser l’Europe pour mener sa politique africaine.  C’est notamment ce qu’avaient exprimé les Autrichiens, et c’est l’une des raisons qui avait provoqué l’abstention allemande. Les États critiques pensaient qu’il s’agissait d’un masque pour une politique de puissance, une sorte de Françafrique revivifiée sous les apparences d’une Eurafrique nouvelle génération. La tendance actuelle semble montrer que la Mission servirait bien les desseins géopolitiques de la France, mais dans le sens inverse, pour se retirer d’une opération humanitaire de bonne renommée. Beaucoup ont trouvé suspect le  rôle de la France dans la mise sur pied de l’EUFOR en raison de son engagement aux côtés de Déby.

La volonté de plusieurs pays de contrôler les ressources pétrolières du Tchad ajoute aussi une couche supplémentaire à l’instabilité. Pour Philippe Vasset, le rédacteur en chef de la lettre spécialisée Africa Energy Intelligence, le pétrole joue un rôle important dans le conflit entre le  gouvernement d'Idriss Deby et les rebelles qui désirent leur part du gâteau. Le pays produit présentement entre 150 000 et 160 000 barils par jour et il compte sur des réserves d’environ 1,5 milliard de barils bruts. Selon plusieurs experts, le sol est sous-exploré et sous-exploité.

Malgré ces efforts, la paix est loin d'être assurée. D'ailleurs, plusieurs diplomates estiment que tant que le conflit au Darfour se poursuivra et que les relations entre le Tchad et le Soudan resteront instables, il y a peu de chance que les réfugiés de la zone de conflit retournent vers leurs terres respectives. Pour toutes ces raisons, les tentatives de règlement politique qui se sont succédé depuis plus d’un an se soldent par un échec. La diplomatie a été balayée par les dynamiques de guerre. Toutes autres incantations politico-diplomatiques ne seront d’aucune efficacité tant qu’une véritable stratégie de dissuasion crédible n’est pas mise en œuvre et qu’une réflexion approfondie ne sera pas menée autour des sources locales des problèmes.

III. RÉSOLUTION 1861 : UN ENFANT HANDICAPÉ D’UN SI GRAND AMOUR

Dans sa résolution 1861, rédigée par la France et adoptée à l'unanimité, le Conseil  de sécurité, autorise le déploiement d'une composante militaire de la MINURCAT qui succédera à l’Eufor à la fin du mandat de celle-ci, tant au Tchad qu’en République centrafricaine.

Enfantée douloureusement dans un contexte particulièrement défavorable, La MINURCAT porte les stigmates des temps des malheurs de l’Afrique. Le contexte de crise internationale d’enfantement se ressent à travers les propos du sous-secrétaire qui dirige le Département des opérations de maintien de la paix, Alain Le Roy qui ne cesse de répéter que les Nations Unies sont engagées sur tellement de fronts à la fois qu’il leur serait difficile de prendre en charge une nouvelle mission. L’avertissement ne saurait être plus cristallin. Le maintien de la paix est poussé dans ses retranchements, avec le risque de l’échec possible de certaines des missions les plus périlleuses de l’ONU au Darfour, en RDC, et demain au Tchad ou en Somalie. Nous sommes souvent incapables de trouver les ressources dont nous avons besoin, et nous nous débattons avec des mandats de plus en plus complexes, musclés, dans des environnements souvent hostiles[14].

Le rapport du Center on International Cooperation (CIC)[15] ne dit pas autre chose : « 2008 a été la pire année pour le maintien de la paix depuis plus d’une décennie. C'est "l'entreprise du maintien de la paix tout entière" qui est "au bord du gouffre » Les chercheurs estiment en outre que la crise financière menace de réduire les ressources allouées. L’action de l’ONU en matière de prévention et de résolution des conflits ne pouvait pas ne pas être affectée par les changements profonds et spectaculaires qui ont marqué l’année. Et il faut espérer que les États-Unis renoncent à utiliser l’arme financière pour imposer leur approche globale du fonctionnement de l’ONU et, au-delà, du système des Nations Unies. Un fossé s'est aussi creusé entre les pays occidentaux, qui décident des missions de paix et les financent, et les pays africains ou asiatiques, dont les soldats exécutent les tâches les plus dangereuses. Réaffirmant ses résolutions précédentes, notamment 1778 (2007), 1834 (2008), 1325 (2000) et 1820 (2008) sur les femmes, la paix et la sécurité, 1502 (2003) sur la protection du personnel humanitaire et du personnel des Nations Unies et 1674 (2006) sur la protection des civils en période de conflit armé, et sa résolution 1612 (2005), sur les enfants dans les conflits armés, la résolution 1861 du Conseil de sécurité appelle toutes les parties concernées à faire en sorte que la protection  des réfugiés, des personnes déplacées et des populations civiles en danger soit effective.

Nous nous rendons compte maintenant qu’il n’y a pas de magie et que des pays comme le Tchad et la RCA qui ont mis  plus de 30 ans à se détruire ne peuvent se reconstruire en 25 semaines ou en 25 mois. Les événements qui continuent de  contraindre la population à l’hécatombe et à l’abjection de la misère sont traversés par des tempêtes de haine violentes qui tirent souvent leurs assises belligènes dans la mobilisation perverse et calculatrice de l’identité qui est devenu le « noyau patrimonial commun » de la région.

D’après les informations que l’experte indépendante Mónica Pinto a recueillies dans sa mission au Tchad du 7 au 17 octobre 2004, «  le Tchad est un pays où l’identité nationale passe après l’identité ethnique ou même clanique. Les dichotomies y sont à l’ordre du jour, notamment nordistes/sudistes, musulmans/chrétiens, nomades/sédentaires, Arabes/Africains. Toutefois, ces différences, parfois très irréelles, ne sont pas insurmontables. Le problème est que personne ne s’investit pour essayer d’améliorer la situation. Au contraire, les différences à l’intérieur de la société tchadienne sont manipulées afin d’approfondir les tensions entre les différents groupes »[16]. Même si elle ne constate pas de politique délibérée de violation systématique des droits de l’homme au Tchad, l’actualité y est un panorama de souffrances, de cortège de violences et de personnes déplacées.

Quant à la RCA, elle se caractérise aujourd’hui avant tout par sa fragilité. Cette fragilité est particulièrement critique dans les institutions de l’État et les processus politiques. Cette situation est la conséquence d’un conflit multidimensionnel qui dure depuis plusieurs décennies marquées par le syndrome de la dépendance, comme le montrent les crises militaires et politiques survenues de 1996 à 2003. Le gouvernement peine à restaurer les fonctions administratives, économiques et sociales essentielles afin de répondre aux besoins les plus urgents de la population. L’autorité de l’État est concentrée dans la capitale et ses environs ainsi que dans quelques villes. Si ce diagnostic  est alarmant, le véritable enjeu est de parvenir à une thérapeutique adéquate. Ainsi, à l’enthousiasme naïf de sortie du tunnel transitionnel succède le sombre diagnostic sur le  processus de paix centrafricain en matière d’intégration de l’armée, de gouvernance économique et de justice transitionnelle[17].

On peut comprendre que les États membres du Conseil de sécurité ne veulent pas agir dans la précipitation et souhaitent s’engager pour une opération viable, auquel cas, le Secrétaire général de l'ONU va avoir un rôle déterminant[18]. On semble rester dans le discours principiel et compter sur le recours aux bons offices de la Mission pour aider les gouvernements et les parties prenantes à s’attaquer aux causes sous-jacentes de l’insécurité dans l’est du Tchad afin d’assurer le retour librement consenti des réfugiés et des déplacés dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Rien n’est moins sûr, tant la situation est complexe, les acteurs nombreux, les intérêts multiples, les haines empilées sous l’effet du malheur et de son exploitation politique. Il est vrai que les précédents échecs alimentent le scepticisme. La méfiance  réciproque croissante entre Khartoum et Ndjamena incite au doute[19]. Le règlement du conflit se présente comme une équation à variables multiples. En toile de fond, N’Ndjamena fut ravagée par une guerre civile qui détruit tout à la fin des années 1970, et le pays reste aujourd’hui, malgré ses ressources en pétrole, l'un des plus pauvres et des plus instables au monde.


IV. LE BALISAGE DES CHEMINS D’EFFICACITÉ DE LA MINURCAT

Si la MINURCAT ne peut pas produire des miracles sur le terrain, elle n’est pas pour autant une mission de plus pour la région. Comme cela a été souligné plus haut, la paix est un acquis progressif. En effet, on voit clairement les liens qui existent entre la pauvreté et la mal-administration, d’une part, et l’insécurité et les conflits, d’autre part. Ces liens sont en fait tellement forts qu’il est souvent difficile de dire si la pauvreté et la mal-administration sont la cause de l’insécurité et des conflits ou si elles en sont les conséquences. Quoi qu’il en soit, chacun de ces maux se nourrit de l’autre dans un cercle vicieux vraiment infernal dont bien des pays, comme le Tchad, n’arrivent pas à se libérer. Une  lecture  complètement désenchantée de la MINURCAT  serait  irresponsable et insatisfaisante. Une recherche  des voies d’efficacité s’impose qui s’oriente dans une double voie : du côté international d’une part et du côté interne d’autre part.

Le dialogue constitue sans aucun doute un moyen privilégié d'aplanir le chemin menant à la paix au Tchad qui se nourrira, s’entretiendra et se fortifiera avec la mise en œuvre. Il se peut donc qu’on n’en ait pas encore visité tous les contours. Des issues existent sûrement, promesses de pratiques démocratiques dont la noble finalité n’autorise aucun abandon, même si le constat est douloureux. L’organisation d’une conférence régionale entre les principaux acteurs concernés (populations locales, chefs coutumiers, gouvernement tchadien et ses opposants, communauté internationale) doit être une nécessité immédiate. La communauté internationale doit travailler avec les autorités tchadiennes pour l’organisation de cette conférence destinée à débattre sur toutes les sources des problèmes et définir un cadre consensuel pour leur règlement. Cette conférence devrait être pensée comme une composante à part entière des cadres existants de résolution de la crise tchadienne (plateforme politique du 13 aout 2007, accords de Syrte). L’application véritable de l’accord du 13 août ainsi que la réactualisation du processus de Syrte devraient être une nécessité pour que cette conférence puisse se tenir dans un climat apaisé. À l’heure ou nous écrivons ces lignes, les incertitudes pèsent lourdement sur la transition de la MINURCAT/EUFOR à la MINURCAT/ONU. Elles nous placent au cœur des paradoxes dont les misions de maintien de la paix ne sont pas avares. Le maintien de la paix comporte plusieurs aspects : peacemaking[20], peaceenforcement[21], peacekeeping[22] et peacebuilding[23]. Les pratiques de maintien de la paix[24] visent à rendre effectif l’idéal des valeurs incarnées par la Charte. Elles permettent d’entreprendre la reconstruction d’États en faillite ou en crise, présentant un danger pour la sécurité internationale. Le réajustement opéré dans ces opérations de maintien de la paix a été impuissant à relever les défis majeurs que continue à poser la « construction de la paix ».

Aujourd’hui, peut-être, la vraie question est-elle celle-ci : comment, pour reprendre l’expression de Dworkin, prendre la reforme du maintien de la paix « au sérieux »[25] ? Si les élections peuvent être présentées comme un préalable à tout passage solide vers la paix, elles ne constituent pas en elles-mêmes un mécanisme de résolution des conflits armés. Elles  permettent au moins la désignation d’interlocuteurs et d’acteurs politiques à légitimité complète. Les élections conçues sans doute trop à la mode occidentale, donc parfois prématurées, et surtout à des coûts prohibitifs, doivent s’appuyer sur les forces endogènes de changements durables. Dans les pays  où le multipartisme tend souvent à recouper les  divisions ethniques préexistants  l’instauration des élections peut fonctionner comme l’accélérateur des particules ravivant les antagonismes  anciens qui ne sont qu’imparfaitement dépassés dans le cadre de l’« État-Nation importé ».

CONCLUSION

Pour rompre le cycle infernal de l’État fragile, il s’agit de faciliter la réflexion sur les conditions politiques de l’établissement de la paix et d’une lutte efficace contre la pauvreté, et donc aussi de contribuer au renforcement de contre-pouvoirs locaux existants ou naissants. Dans ce contexte, la consolidation de la paix est un projet complexe, à long terme, qui implique des décisions fondamentales sur la façon de re-fabriquer le noyau dur du contrat social. Considéré comme une preuve-test  à assurer avec succès des missions de maintien de la paix et la sécurité dans la zone de sa compétence, le Darfour a étalé les limites de la capacité d’intervention de l’UA, dont on a pu mesurer à cette occasion la modicité de ses ressources et sa dépendance dans ce domaine à l’égard des Nations Unies et des pays développés. La MINURCAT reste un acteur important sur le terrain et aura, certainement, à court terme, un rôle indispensable à jouer pour protéger le processus de paix et de démocratisation.

Pour que la MINURCAT joue ce rôle de manière crédible, il est important qu’elle contrôle les appuis externes/internes que reçoivent les groupes armés dans la région et développe une stratégie adéquate pour combattre le trafic d’armes transfrontalier. Elle devra s’investir dans une communication beaucoup plus claire et efficace sur son mandat, ses objectifs, son fonctionnement et ses actions et disposer d’effectifs bien formés, entraînés, équipés et encadrés.


Mode de citation : Jean-Baptiste HARELIMANA, « La missiondes Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad : tarissement ourenouveau ? », MULTIPOL - Réseau d’analyse et d’information sur l’actualité internationale, mars 2009.



[1] Les équipes humanitaires des Nations Unies et des organisations non gouvernementales (ONG) ont dû changer trente et une fois l’implantation de leurs camps afin d’échapper aux violences de la crise du Darfour, ce qui n’a pas empêché plusieurs de leurs agents d’être arrêtés par la police soudanaise et battus à coups de crosse, le 19 janvier, à Nyala. Douze travailleurs humanitaires ont été tués au cours de massacres, et cinq autres ont disparu.

[2] Le problème des déplacements internes est un des défis les plus graves et les plus urgents auxquels fait face la communauté internationale. Les Nations Unies évaluent les déplacements internes à plus de 25 millions de personnes, soit près du double du nombre mondial des réfugiés. Le pays les plus touché est le Soudan qui compte pas moins de quatre millions d’habitants déracinés. Depuis qu’il  a été nommé au poste de représentant du Secrétaire général, en juillet 1992, M Francis Deng, ambassadeur  et ancien ministre du Soudan, a tenté d’élaborer un cadre normatif.

[3]  Pour une présentation plus détaillée du mandat et de la composition de l’EUFOR/MINURCAT voir le rapport de International Crisis Group, Tchad : vers un nouveau cadre de résolution de la crise, International Crisis Group, Rapport Afrique n°144, 24 septembre 2008.

[4] La pensée sociale a longtemps affirmé l’importance qu’il y a de jeter le bébé avec l’eau du bain afin d’être tout à fait sûr de ne pas se salir les mains. Cette pensée nous semble ici inacceptable.

[5] E. BERMAN, La République Centrafricaine : une étude de cas sur les armes légères et les conflits, Coprint, Genève, 2006.

[6] Letter S/2007/540 du 11 septembre 2007. Deby se sentait plus à l’aise avec une force au sein de laquelle l’allié français serait prédominant.

[7] Le dirigeant tchadien a rendu visite le 10 novembre à son homologue centrafricain, qui s'était déclaré favorable à l’Eufor, car celle-ci aurait pour effet de « gêner » les rebelles a-t-il expliqué quelques jours plus tard (AFP, 20 novembre 2007). Les deux hommes ont rendu publique une déclaration commune affirmant que le mandat de la force européenne n’avait pas vocation à être renouvelé.

[8] Mission non-accomplie : les populations civiles demeurent en danger à l’est du Tchad, Document d’information Oxfam, septembre 2008.

 [9] Après le champ d’expérimentation traditionnel de la PESD, jusque là situé dans les Balkans (Althéa), l’Union européenne a déployé, en RDC, l’Artémis avec l’Allemagne come Nation-cadre. Lancée en 2003, l’opération Artémis a permis d’interrompre des massacres à Bunia, une ville du nord-est du pays et d’assurer dans l’urgence un intérim avant un renforcement de la MONUC.

[10] Mission non-accomplie : les populations civiles demeurent en danger à l’Est du Tchad, op. cit.

[11] Dans cette veine, il faut souligner le caractère plus intégré des missions élargies confiées aux OMP. C’est ainsi que les activités des institutions spécialisées de l’ONU, tant dans le domaine économique que dans le champ humanitaire, sont désormais placées sous l’autorité du Représentant spécial du Secrétaire général. Au Burundi, comme en Côte-d’Ivoire ou en République démocratique du Congo, ce dernier est flanqué de deux adjoints, en charge respectivement du secteur politique (sécurité, élections) et économique (et humanitaire).

[12] Le Détachement Intégré de Sécurité (DIS) est une force de protection humanitaire spécialement formée par la MINURCAT pour les réfugiés, déplacés internes ainsi que les organisations humanitaires sur le terrain.

[13] Réunion du Conseil de sécurité sur la situation au Tchad, en République Centrafricaine et dans la sous-région (New York, 24 septembre 2008), point de presse, déclaration du porte-parole http://www.ambafrance-uk.org/Point-de-presse-quotidien-du-Porte,11211.html.

[14] Voir P. BOLOPION  « L’ONU s’inquiète des risques d’échec de ses opérations de maintien de la paix », Le Monde, 25 février 2009

[15] Le CIC est hébergé par la New York University.

[16] Voir E/CN.4/2005/121, Situation des droits de l’homme au Tchad, rapport établi par l’experte indépendante, Mónica Pinto.

[17] La RCA est confrontée à la difficulté de mettre en place une réponse judiciaire la plus adéquate possible aux massacres successifs, un défi que cherche aujourd’hui également à relever la Cour pénale internationale.

[18] Le nouveau Secrétaire général de l’ONU, quelle que soit sa volonté de donner la primauté à la réforme de l’institution, ne peut donc échapper aux contraintes politiques de la fonction qui résultent pour une grande part des compétences qui lui sont reconnues par la Charte, dont celle d’«attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité internationales» (article 99).

[19] Le président tchadien, Idriss Déby, qui visitait l’est du pays le 27 février, a accusé  le Soudan de vouloir « plonger le Tchad dans une guerre civile ». Il a déclaré que « les ennemis du Tchad, précisément le gouvernement fantoche de Khartoum, ont tout mis en œuvre, y compris les moyens financiers, des centaines de milliards de dollars, pour détruire notre pays (…). Désormais (…) nous userons de notre droit de poursuite ». http://www.operationspaix.net/-MINURCAT.

[20] Cette opération concourt, au début d’un conflit, à la désamorcer au moyen d’actions diplomatiques et à travers la médiation.

[21] L’unité d’imposition  de la paix intervient au cours des conflits interétatiques ou internes. Composée de forces armes qui peuvent recourir à l’usage de la force, elle a pour mission d’imposer la paix aux belligérants.

[22] L’unité de maintien de la paix stricto sensu vise à contrôler et à maintenir le cessez-le-feu. Autrement dit, elle s’attache à prévenir la reprise du conflit et à rétablir la paix. Cette opération exige le consentement des parties belligérantes et rejette tout usage de la force armée, sauf en cas de  légitime défense.

[23] L’Unité de consolidation de la paix a une action de nature diplomatique postérieure aux conflits. Elle doit renforcer la paix pour éviter la reprise des hostilités, notamment en établissant les infrastructures civiles, en renforcer  l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme.

[24] La notion de « maintien de la paix » est difficile à définir. En effet, d’une part, la Charte s’y réfère au sens abstrait du terme ; d’autre part, ses modalités de mise en œuvre ne sont pas précisées. Selon Dag Hammarskjöld, les opérations de maintien de la paix relèvent du « Chapitre VI et demi » de la Charte, se situant entre les méthodes traditionnelles de règlement pacifique des différends (Chapitre VI de la Charte) et des mesures plus énergiques comme l’embargo ou l’intervention militaire (Chapitre VII).

[25] R. DWORKIN, Taking rights seriously, Cambridge, Harvard University Press, 1977. Cette réforme est un vieux serpent de mer qui n’a jamais trouvé de concrétisation. Le décalage de plus en plus flagrant entre le monde de 1945 et celui de 2009 la rend pourtant plus que jamais nécessaire pour éviter la contestation permanente de la légitimité du système.

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