Jean-Baptiste HARELIMANA
I. AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA MINURCA
Le déploiement de la Mission des Nations Unies en République
Centrafricaine (MINURCA), décidé le 27 mars 1998 par le Conseil de sécurité,
fait suite à trois mutineries en huit mois au sein des Forces Armées
Centrafricaines (FACA).
Les accords de Bangui, signés le 25 janvier 1997, prévoient
la création d’une mission interafricaine de surveillance des accords de Bangui
(MISAB) et d’un comité international de suivi (CIS) de l’ONU. La MISAB,
comprenant des soldats des pays médiateurs et appuyée par la France, est
installée le 12 février et un nouveau gouvernement d’action pour la défense de
la démocratie auquel participe toute la classe politique est formé. Des
accrochages entre mutins et MISAB ont lieu en mars, en mai et en juin 1997,
risquant de compromettre les accords de Bangui. L’ONU a mis en place une
Mission des Nations Unies en République centrafricaine (MINURCA) composée de
1400 hommes avec pour mission, d’assurer le respect des accords signés entre
les différentes parties.
Les mesures opérationnelles dont relevait la MINURCA
participaient de l’extension de la notion de diplomatie préventive. Elles sont
très exceptionnelles et essentiellement relatives aux nouveaux conflits dans le
but d’éviter l’embrasement et l’implication d’autres pays ou régions
périphériques dans un conflit existant. L’opération n’est donc pas déployée
pour maintenir la paix mais pour prévenir des menaces imminentes. Dans l’histoire
de l’ONU, il n’existe que deux exemples avérés de déploiement à titre
préventif. Ce furent les cas de la Force de Déploiement Préventif des Nations
Unies (FORDEPRENU) et de la Mission des Nations Unies en République
Centrafricaine (MINURCA).
Les tensions n’ont pas manqué de s’extérioriser violemment
avec la tentative de putsch conduite par des forces de l’opposition qui ont
voulu prendre d’assaut la résidence du Chef de l’État. Les forces loyalistes,
ayant probablement profité pour s’améliorer d’un soutien international à la
reconstruction du pays, ont pu garder le contrôle de la situation, soutenues
par un contingent libyen venu spécialement pour la « bonne cause ». Il faut
rappeler que l’ambassadeur libyen avait été assassiné le 20 août 2000, par un groupe armé à Bangui.
Ces forces loyalistes ont procédé à une « chasse aux sorcières » dont le bilan
reste difficile à établir. Du coup, ces événements servent de prétexte au
pouvoir pour développer un redoutable arsenal de répression, visant principalement
les populations du quartier sud de Bangui, appartenant à l’ethnie Yakoma[5].
Les Nations Unies ont immédiatement été à pied d’œuvre,
grâce à la veille assurée dans le pays avec le BONUCA (Bureau des Nations Unies
pour la consolidation de la paix en Centrafrique) et au siège à New York, pour
entamer des négociations, d’où l’intérêt des missions de consolidation et de
reconstruction de la paix.
Malgré l'intervention de la communauté internationale
(MINURCA), le 15 mars 2003, le général François Bozizé réussit un nouveau coup
d'État et renversa le président Patassé. Une élection présidentielle a eu lieu
après plusieurs reports le 13 mars 2005. Cette élection présidentielle de 2005
a conforté le pouvoir du président Bozizé, comme en témoigne la réintégration
de la RCA par l’Union africaine dans ses rangs et le retour des bailleurs de
fonds. Malgré son triomphe électoral, Bozizé a connu un début de mandat
difficile, marqué par une série d’accrochages dans le nord du pays entre des
groupes armés et les FACA.
La persistance de troubles et de tensions socio-politiques
et les difficultés à concilier les fractions, qui marquent la composition
sociale du pays, avec les valeurs et les pratiques démocratiques, donnent, d’un
autre côté, une image qui semble cependant remettre massivement en question la
sortie définitive du pays d’une dynamique conflictuelle.
II. ET PUIS LA MINURCAT/EUFOR TCHAD/RCA EST VENUE
En août 2006, le Conseil de sécurité des Nations unies
adoptait la résolution 1706 qui décidait de la « mise en place d’une présence
multidisciplinaire comprenant des spécialistes des affaires politiques, du
personnel humanitaire et militaire et des officiers de liaison de la police
civile affectés dans des lieux critiques au Tchad, y compris dans les camps de
personnes déplacées et de réfugiés ».
Face à la triple hostilité des gouvernements tchadien,
soudanais et libyen, qui refusaient toute présence militaire internationale
dans cette partie du Tchad, le gouvernement français a finalement avancé l’idée
d’un déploiement à l’est du Tchad, d’une force européenne, dont l’ossature
serait principalement française. Cet argument a convaincu Idriss Deby qui a
approuvé l’envoi de cette force en septembre[6]. Avec la création de l’EUFOR TCHAD/RCA, un
mythe mourait, celui de l’impossibilité de la paix au Tchad et en RCA. Cette
force est venue à l’existence au moment où la RCA l’attendait aussi[7].
En effet, l’Union européenne, acteur humanitaire de longue
date, a développé plus récemment des capacités militaires permettant de se
présenter comme un acteur crédible et efficace dans la gestion de crises. Cette
double identité – humanitaire et militaire – offre l’opportunité d’une réponse
complémentaire aux situations de crises complexes. Cependant, elle représente
également un défi : celui d’éviter la confusion dans l’élaboration et la mise
en œuvre de ces deux instruments dont les objectifs et principes d’engagement
diffèrent fondamentalement. Les tendances visant, d’une part, à politiser
l’aide humanitaire et, d’autre part, à la militariser, affectent la légitimité
et la sécurité des acteurs humanitaires, tout en offrant peu de garanties d’une
action plus efficace.
L'adoption de la résolution par l'UE d’envoyer EUFOR
TCHAD/RCA, s’inscrit dans la politique
européenne de sécurité et de défense (PESD). Celle-ci consiste, entre autres, à
protéger les larges frontières de l'Union européenne. Le 15 mars 2008 marque le
début de l'opération sur le terrain. Celle-ci a atteint sa pleine capacité le
15 septembre 2008. Près de 3 400 soldats provenant de 19 différents États de
l'Union ont été présents sur le terrain.
Bien qu’ayant été limitée dans le temps et en dépit de la
modestie des objectifs poursuivis, ses résultats sont cependant diversement
appréciés. Probants pour les uns, ils sont insuffisants pour les autres[8]. Si
d’aucuns tendent à y voir un succès éclatant du
troisième acte de la politique de défense européenne en Afrique[9],
d’autres s’empressent cependant de souligner les difficultés longtemps
prévisibles. Ces difficultés sont, pour certaines, d’ordre conjoncturel,
d’autres, plus sérieuses, structurelles et liées aux options retenues dans son
mandat.
L’issue favorable de la crise aurait permis de juger sa
réussite. Or, le nombre des victimes de la crise tchadienne et centrafricaine
n’a cessé de croître. Un rapport de l’ONG Oxfam en a fait un bilan assez mitigé
: « Le concept de la mission, qui doit être salué dans la mesure où il prévoit
de renforcer les capacités de l’État en formant une force de police et de
gendarmerie tchadienne, est néanmoins inefficace quand il tente de procurer une
protection immédiate aux civils – un aspect qui aurait dû être pris en compte
par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le mandat actuel ne comprend
aucun déploiement immédiat d’unités de police formées des Nations Unies, une
police armée internationale destinée à faire appliquer la loi »[10].
Le caractère particulièrement préoccupant de la situation
des droits de l’homme au Tchad, au Darfour et en RCA, avec la superposition de
plusieurs conflits armés et crises humanitaires a été signalé par plusieurs
organes des Nations Unies et organisations non gouvernementales.
Si véritablement la MINURCAT/EUFOR a été conçue comme
une mission humanitaire, comme le
laissent suggérer ses bases légales, alors son efficacité doit être recherchée
d’abord sur le plan humanitaire.
L’Union ne disposant pas de capacités militaires propres,
elle demeure éminemment dépendante des compétences militaires des États membres
contributeurs. L’une des principales difficultés de l’action de l’Union en
Afrique a été liée à la division entre piliers : le problème de la coordination
de l’action du premier pilier (programmes communautaires d’aide au
développement, Fonds européen de développement (FED, programmes d’aide
humanitaire) et celle du deuxième pilier (PESC, PESD) a empêché toute approche
réellement multidimensionnelle des questions de sécurité africaines[11]. En
faisant, l’analyse que la crise à l’est du Tchad est essentiellement
humanitaire, la communauté internationale a fait l’impasse sur les causes
politiques des problèmes. Ce faisant, elle s’est condamnée d’avance à voir la
portée de son action limitée à une simple sécurisation des réfugiés et des
personnes déplacées, laissant le soin aux acteurs tchadiens de résoudre une
crise politique qui perdure justement en raison des blocages entretenus par
eux.
Même dans cette approche humanitaire, le mandat opérationnel
de la MINURCAT/EUFOR ne leur a pas permis de résorber le banditisme, les
conflits communautaires et la violence interethnique instrumentalisés par les
acteurs tchadiens. Dans un rapport datant de mai 2008, le HCR remarquait
notamment que « tandis que la MINURCAT et l’EUFOR se déploient à l’est du
Tchad, le nombre d’incidents de sécurité impliquant des travailleurs
humanitaires n’a cessé de croître depuis fin 2007 et début 2008 ». Dans le même
ordre d’idée, ni l’EUFOR, ni la section policière de la MINURCAT n’ont pu
empêcher les incursions et attaques transfrontalières, ainsi que les
recrutements des combattants et les trafics d’armes.
S’agissant du grand banditisme, le rôle de l’EUFOR se limite
à une présence dissuasive, elle n’a aucun pouvoir juridique pour arrêter les
personnes suspectes, action qui relève de la seule compétence des autorités
tchadiennes.
Au-delà de cette carence opérationnelle, le retard pris dans
le déploiement du personnel administratif de la MINURCAT a eu des effets sur la
formation des policiers tchadiens du Détachement Intégré de Sécurité (DIS)[12]
chargés de sécuriser les camps des réfugiés. La formation des 850 éléments du
DIS devant être déployés effectivement sur le terrain n’a été atteint qu’à la
fin du mois de février 2009, soit un an après sa création. La philosophie même
de cette force (une force entraînée par l’ONU mais placée sous commandement
d’un officier nommé par la présidence tchadienne) reste sujette à caution car
pouvant donner lieu à une instrumentalisation.
Le fait que la résolution 1778 mettant sur pied la
MINURCAT/EUFOR n’ait pas comporté un mandat politique qui aurait permis de «
raisonner » la raison d’État, a augmenté le scepticisme quant à leur
l’efficacité. Le ministre des Affaires étrangères françaises opine dans ce sens : « Le ministre
indique qu’en dépit des succès à mettre à son crédit et soulignés récemment par
un rapport de l’ONG Oxfam, l’EUFOR n’a pas pu faire preuve de toute l’efficacité
attendue en raison de l’absence de solution politique durable et du retard
observé dans le déploiement au Darfour de la force hybride Union africaine et
Nations unies »[13].
De plus, la volonté française d’inscrire davantage sa
politique africaine dans des cadres multilatéraux avait poussé les Européens à
soupçonner la France d’utiliser l’Europe pour mener sa politique
africaine. C’est notamment ce qu’avaient
exprimé les Autrichiens, et c’est l’une des raisons qui avait provoqué
l’abstention allemande. Les États critiques pensaient qu’il s’agissait d’un
masque pour une politique de puissance, une sorte de Françafrique revivifiée
sous les apparences d’une Eurafrique nouvelle génération. La tendance actuelle
semble montrer que la Mission servirait bien les desseins géopolitiques de la
France, mais dans le sens inverse, pour se retirer d’une opération humanitaire
de bonne renommée. Beaucoup ont trouvé suspect le rôle de la France dans la mise sur pied de
l’EUFOR en raison de son engagement aux côtés de Déby.
La volonté de plusieurs pays de contrôler les ressources
pétrolières du Tchad ajoute aussi une couche supplémentaire à l’instabilité.
Pour Philippe Vasset, le rédacteur en chef de la lettre spécialisée Africa
Energy Intelligence, le pétrole joue un rôle important dans le conflit entre
le gouvernement d'Idriss Deby et les
rebelles qui désirent leur part du gâteau. Le pays produit présentement entre
150 000 et 160 000 barils par jour et il compte sur des réserves d’environ 1,5
milliard de barils bruts. Selon plusieurs experts, le sol est sous-exploré et
sous-exploité.
Malgré ces efforts, la paix est loin d'être assurée.
D'ailleurs, plusieurs diplomates estiment que tant que le conflit au Darfour se
poursuivra et que les relations entre le Tchad et le Soudan resteront
instables, il y a peu de chance que les réfugiés de la zone de conflit
retournent vers leurs terres respectives. Pour toutes ces raisons, les
tentatives de règlement politique qui se sont succédé depuis plus d’un an se soldent
par un échec. La diplomatie a été balayée par les dynamiques de guerre. Toutes
autres incantations politico-diplomatiques ne seront d’aucune efficacité tant
qu’une véritable stratégie de dissuasion crédible n’est pas mise en œuvre et
qu’une réflexion approfondie ne sera pas menée autour des sources locales des
problèmes.
III. RÉSOLUTION 1861 : UN ENFANT HANDICAPÉ D’UN SI GRAND
AMOUR
Dans sa résolution 1861, rédigée par la France et adoptée à
l'unanimité, le Conseil de sécurité,
autorise le déploiement d'une composante militaire de la MINURCAT qui succédera
à l’Eufor à la fin du mandat de celle-ci, tant au Tchad qu’en République centrafricaine.
Enfantée douloureusement dans un contexte particulièrement
défavorable, La MINURCAT porte les stigmates des temps des malheurs de
l’Afrique. Le contexte de crise internationale d’enfantement se ressent à
travers les propos du sous-secrétaire qui dirige le Département des opérations
de maintien de la paix, Alain Le Roy qui ne cesse de répéter que les Nations
Unies sont engagées sur tellement de fronts à la fois qu’il leur serait
difficile de prendre en charge une nouvelle mission. L’avertissement ne saurait
être plus cristallin. Le maintien de la paix est poussé dans ses
retranchements, avec le risque de l’échec possible de certaines des missions
les plus périlleuses de l’ONU au Darfour, en RDC, et demain au Tchad ou en
Somalie. Nous sommes souvent incapables de trouver les ressources dont nous
avons besoin, et nous nous débattons avec des mandats de plus en plus
complexes, musclés, dans des environnements souvent hostiles[14].
Le rapport du Center on International Cooperation (CIC)[15]
ne dit pas autre chose : « 2008 a été la pire année pour le maintien de la paix
depuis plus d’une décennie. C'est "l'entreprise du maintien de la paix
tout entière" qui est "au bord du gouffre » Les chercheurs estiment
en outre que la crise financière menace de réduire les ressources allouées.
L’action de l’ONU en matière de prévention et de résolution des conflits ne
pouvait pas ne pas être affectée par les changements profonds et spectaculaires
qui ont marqué l’année. Et il faut espérer que les États-Unis renoncent à
utiliser l’arme financière pour imposer leur approche globale du fonctionnement
de l’ONU et, au-delà, du système des Nations Unies. Un fossé s'est aussi creusé
entre les pays occidentaux, qui décident des missions de paix et les financent,
et les pays africains ou asiatiques, dont les soldats exécutent les tâches les
plus dangereuses. Réaffirmant ses résolutions précédentes, notamment 1778
(2007), 1834 (2008), 1325 (2000) et 1820 (2008) sur les femmes, la paix et la
sécurité, 1502 (2003) sur la protection du personnel humanitaire et du
personnel des Nations Unies et 1674 (2006) sur la protection des civils en
période de conflit armé, et sa résolution 1612 (2005), sur les enfants dans les
conflits armés, la résolution 1861 du Conseil de sécurité appelle toutes les
parties concernées à faire en sorte que la protection des réfugiés, des personnes déplacées et des
populations civiles en danger soit effective.
Nous nous rendons compte maintenant qu’il n’y a pas de magie
et que des pays comme le Tchad et la RCA qui ont mis plus de 30 ans à se détruire ne peuvent se
reconstruire en 25 semaines ou en 25 mois. Les événements qui continuent
de contraindre la population à
l’hécatombe et à l’abjection de la misère sont traversés par des tempêtes de haine
violentes qui tirent souvent leurs assises belligènes dans la mobilisation
perverse et calculatrice de l’identité qui est devenu le « noyau patrimonial
commun » de la région.
D’après les informations que l’experte indépendante Mónica
Pinto a recueillies dans sa mission au Tchad du 7 au 17 octobre 2004, « le Tchad est un pays où l’identité nationale
passe après l’identité ethnique ou même clanique. Les dichotomies y sont à
l’ordre du jour, notamment nordistes/sudistes, musulmans/chrétiens, nomades/sédentaires,
Arabes/Africains. Toutefois, ces différences, parfois très irréelles, ne sont
pas insurmontables. Le problème est que personne ne s’investit pour essayer
d’améliorer la situation. Au contraire, les différences à l’intérieur de la
société tchadienne sont manipulées afin d’approfondir les tensions entre les
différents groupes »[16]. Même si elle ne constate pas de politique délibérée
de violation systématique des droits de l’homme au Tchad, l’actualité y est un
panorama de souffrances, de cortège de violences et de personnes déplacées.
Quant à la RCA, elle se caractérise aujourd’hui avant tout
par sa fragilité. Cette fragilité est particulièrement critique dans les
institutions de l’État et les processus politiques. Cette situation est la conséquence
d’un conflit multidimensionnel qui dure depuis plusieurs décennies marquées par
le syndrome de la dépendance, comme le montrent les crises militaires et
politiques survenues de 1996 à 2003. Le gouvernement peine à restaurer les
fonctions administratives, économiques et sociales essentielles afin de
répondre aux besoins les plus urgents de la population. L’autorité de l’État
est concentrée dans la capitale et ses environs ainsi que dans quelques villes.
Si ce diagnostic est alarmant, le
véritable enjeu est de parvenir à une thérapeutique adéquate. Ainsi, à
l’enthousiasme naïf de sortie du tunnel transitionnel succède le sombre
diagnostic sur le processus de paix
centrafricain en matière d’intégration de l’armée, de gouvernance économique et
de justice transitionnelle[17].
On peut comprendre que les États membres du Conseil de
sécurité ne veulent pas agir dans la précipitation et souhaitent s’engager pour
une opération viable, auquel cas, le Secrétaire général de l'ONU va avoir un
rôle déterminant[18]. On semble rester dans le discours principiel et compter
sur le recours aux bons offices de la Mission pour aider les gouvernements et
les parties prenantes à s’attaquer aux causes sous-jacentes de l’insécurité
dans l’est du Tchad afin d’assurer le retour librement consenti des réfugiés et
des déplacés dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Rien n’est moins
sûr, tant la situation est complexe, les acteurs nombreux, les intérêts
multiples, les haines empilées sous l’effet du malheur et de son exploitation
politique. Il est vrai que les précédents échecs alimentent le scepticisme. La
méfiance réciproque croissante entre
Khartoum et Ndjamena incite au doute[19]. Le règlement du conflit se présente
comme une équation à variables multiples. En toile de fond, N’Ndjamena fut
ravagée par une guerre civile qui détruit tout à la fin des années 1970, et le
pays reste aujourd’hui, malgré ses ressources en pétrole, l'un des plus pauvres
et des plus instables au monde.
IV. LE BALISAGE DES CHEMINS D’EFFICACITÉ DE LA MINURCAT
Si la MINURCAT ne peut pas produire des miracles sur le
terrain, elle n’est pas pour autant une mission de plus pour la région. Comme
cela a été souligné plus haut, la paix est un acquis progressif. En effet, on
voit clairement les liens qui existent entre la pauvreté et la
mal-administration, d’une part, et l’insécurité et les conflits, d’autre part.
Ces liens sont en fait tellement forts qu’il est souvent difficile de dire si
la pauvreté et la mal-administration sont la cause de l’insécurité et des
conflits ou si elles en sont les conséquences. Quoi qu’il en soit, chacun de
ces maux se nourrit de l’autre dans un cercle vicieux vraiment infernal dont
bien des pays, comme le Tchad, n’arrivent pas à se libérer. Une lecture
complètement désenchantée de la MINURCAT
serait irresponsable et
insatisfaisante. Une recherche des voies
d’efficacité s’impose qui s’oriente dans une double voie : du côté
international d’une part et du côté interne d’autre part.
Le dialogue constitue sans aucun doute un moyen privilégié
d'aplanir le chemin menant à la paix au Tchad qui se nourrira, s’entretiendra
et se fortifiera avec la mise en œuvre. Il se peut donc qu’on n’en ait pas
encore visité tous les contours. Des issues existent sûrement, promesses de
pratiques démocratiques dont la noble finalité n’autorise aucun abandon, même
si le constat est douloureux. L’organisation d’une conférence régionale entre
les principaux acteurs concernés (populations locales, chefs coutumiers,
gouvernement tchadien et ses opposants, communauté internationale) doit être
une nécessité immédiate. La communauté internationale doit travailler avec les
autorités tchadiennes pour l’organisation de cette conférence destinée à
débattre sur toutes les sources des problèmes et définir un cadre consensuel
pour leur règlement. Cette conférence devrait être pensée comme une composante
à part entière des cadres existants de résolution de la crise tchadienne
(plateforme politique du 13 aout 2007, accords de Syrte). L’application véritable
de l’accord du 13 août ainsi que la réactualisation du processus de Syrte
devraient être une nécessité pour que cette conférence puisse se tenir dans un
climat apaisé. À l’heure ou nous écrivons ces lignes, les incertitudes pèsent
lourdement sur la transition de la MINURCAT/EUFOR à la MINURCAT/ONU. Elles nous
placent au cœur des paradoxes dont les misions de maintien de la paix ne sont
pas avares. Le maintien de la paix comporte plusieurs aspects :
peacemaking[20], peaceenforcement[21], peacekeeping[22] et peacebuilding[23].
Les pratiques de maintien de la paix[24] visent à rendre effectif l’idéal des
valeurs incarnées par la Charte. Elles permettent d’entreprendre la
reconstruction d’États en faillite ou en crise, présentant un danger pour la
sécurité internationale. Le réajustement opéré dans ces opérations de maintien
de la paix a été impuissant à relever les défis majeurs que continue à poser la
« construction de la paix ».
Aujourd’hui, peut-être, la vraie question est-elle
celle-ci : comment, pour reprendre l’expression de Dworkin, prendre la reforme
du maintien de la paix « au sérieux »[25] ? Si les élections peuvent être
présentées comme un préalable à tout passage solide vers la paix, elles ne
constituent pas en elles-mêmes un mécanisme de résolution des conflits armés.
Elles permettent au moins la désignation
d’interlocuteurs et d’acteurs politiques à légitimité complète. Les élections
conçues sans doute trop à la mode occidentale, donc parfois prématurées, et
surtout à des coûts prohibitifs, doivent s’appuyer sur les forces endogènes de
changements durables. Dans les pays où
le multipartisme tend souvent à recouper les
divisions ethniques préexistants
l’instauration des élections peut fonctionner comme l’accélérateur des
particules ravivant les antagonismes
anciens qui ne sont qu’imparfaitement dépassés dans le cadre de l’«
État-Nation importé ».
CONCLUSION
Pour rompre le cycle infernal de l’État fragile, il s’agit
de faciliter la réflexion sur les conditions politiques de l’établissement de
la paix et d’une lutte efficace contre la pauvreté, et donc aussi de contribuer
au renforcement de contre-pouvoirs locaux existants ou naissants. Dans ce
contexte, la consolidation de la paix est un projet complexe, à long terme, qui
implique des décisions fondamentales sur la façon de re-fabriquer le noyau dur
du contrat social. Considéré comme une preuve-test à assurer avec succès des missions de
maintien de la paix et la sécurité dans la zone de sa compétence, le Darfour a
étalé les limites de la capacité d’intervention de l’UA, dont on a pu mesurer à
cette occasion la modicité de ses ressources et sa dépendance dans ce domaine à
l’égard des Nations Unies et des pays développés. La MINURCAT reste un acteur
important sur le terrain et aura, certainement, à court terme, un rôle
indispensable à jouer pour protéger le processus de paix et de démocratisation.
Pour que la MINURCAT joue ce rôle de manière crédible, il
est important qu’elle contrôle les appuis externes/internes que reçoivent les
groupes armés dans la région et développe une stratégie adéquate pour combattre
le trafic d’armes transfrontalier. Elle devra s’investir dans une communication
beaucoup plus claire et efficace sur son mandat, ses objectifs, son
fonctionnement et ses actions et disposer d’effectifs bien formés, entraînés,
équipés et encadrés.
Mode de citation : Jean-Baptiste HARELIMANA, « La missiondes Nations Unies en République centrafricaine et au Tchad : tarissement ourenouveau ? », MULTIPOL - Réseau d’analyse et d’information sur l’actualité
internationale, mars 2009.
[1] Les équipes humanitaires des Nations Unies et des
organisations non gouvernementales (ONG) ont dû changer trente et une fois
l’implantation de leurs camps afin d’échapper aux violences de la crise du
Darfour, ce qui n’a pas empêché plusieurs de leurs agents d’être arrêtés par la
police soudanaise et battus à coups de crosse, le 19 janvier, à Nyala. Douze
travailleurs humanitaires ont été tués au cours de massacres, et cinq autres
ont disparu.
[2] Le problème des déplacements internes est un des défis
les plus graves et les plus urgents auxquels fait face la communauté
internationale. Les Nations Unies évaluent les déplacements internes à plus de
25 millions de personnes, soit près du double du nombre mondial des réfugiés.
Le pays les plus touché est le Soudan qui compte pas moins de quatre millions
d’habitants déracinés. Depuis qu’il a
été nommé au poste de représentant du Secrétaire général, en juillet 1992, M
Francis Deng, ambassadeur et ancien
ministre du Soudan, a tenté d’élaborer un cadre normatif.
[3] Pour une
présentation plus détaillée du mandat et de la composition de l’EUFOR/MINURCAT
voir le rapport de International Crisis Group, Tchad : vers un nouveau cadre de
résolution de la crise, International Crisis Group, Rapport Afrique n°144, 24
septembre 2008.
[4] La pensée sociale a longtemps affirmé l’importance qu’il
y a de jeter le bébé avec l’eau du bain afin d’être tout à fait sûr de ne pas
se salir les mains. Cette pensée nous semble ici inacceptable.
[5] E. BERMAN, La République Centrafricaine : une étude de
cas sur les armes légères et les conflits, Coprint, Genève, 2006.
[6] Letter S/2007/540 du 11 septembre 2007. Deby se sentait
plus à l’aise avec une force au sein de laquelle l’allié français serait
prédominant.
[7] Le dirigeant tchadien a rendu visite le 10 novembre à
son homologue centrafricain, qui s'était déclaré favorable à l’Eufor, car
celle-ci aurait pour effet de « gêner » les rebelles a-t-il expliqué quelques
jours plus tard (AFP, 20 novembre 2007). Les deux hommes ont rendu publique une
déclaration commune affirmant que le mandat de la force européenne n’avait pas
vocation à être renouvelé.
[8] Mission non-accomplie : les populations civiles
demeurent en danger à l’est du Tchad, Document d’information Oxfam, septembre
2008.
[9] Après le champ
d’expérimentation traditionnel de la PESD, jusque là situé dans les Balkans
(Althéa), l’Union européenne a déployé, en RDC, l’Artémis avec l’Allemagne come
Nation-cadre. Lancée en 2003, l’opération Artémis a permis d’interrompre des
massacres à Bunia, une ville du nord-est du pays et d’assurer dans l’urgence un
intérim avant un renforcement de la MONUC.
[10] Mission non-accomplie : les populations civiles
demeurent en danger à l’Est du Tchad, op. cit.
[11] Dans cette veine, il faut souligner le caractère plus
intégré des missions élargies confiées aux OMP. C’est ainsi que les activités
des institutions spécialisées de l’ONU, tant dans le domaine économique que
dans le champ humanitaire, sont désormais placées sous l’autorité du
Représentant spécial du Secrétaire général. Au Burundi, comme en Côte-d’Ivoire
ou en République démocratique du Congo, ce dernier est flanqué de deux
adjoints, en charge respectivement du secteur politique (sécurité, élections)
et économique (et humanitaire).
[12] Le Détachement Intégré de Sécurité (DIS) est une force
de protection humanitaire spécialement formée par la MINURCAT pour les
réfugiés, déplacés internes ainsi que les organisations humanitaires sur le
terrain.
[13] Réunion du Conseil de sécurité sur la situation au
Tchad, en République Centrafricaine et dans la sous-région (New York, 24
septembre 2008), point de presse, déclaration du porte-parole
http://www.ambafrance-uk.org/Point-de-presse-quotidien-du-Porte,11211.html.
[14] Voir P. BOLOPION
« L’ONU s’inquiète des risques d’échec de ses opérations de maintien de
la paix », Le Monde, 25 février 2009
[15] Le CIC est hébergé par la New York University.
[16] Voir E/CN.4/2005/121, Situation des droits de l’homme
au Tchad, rapport établi par l’experte indépendante, Mónica Pinto.
[17] La RCA est confrontée à la difficulté de mettre en
place une réponse judiciaire la plus adéquate possible aux massacres successifs,
un défi que cherche aujourd’hui également à relever la Cour pénale
internationale.
[18] Le nouveau Secrétaire général de l’ONU, quelle que soit
sa volonté de donner la primauté à la réforme de l’institution, ne peut donc
échapper aux contraintes politiques de la fonction qui résultent pour une
grande part des compétences qui lui sont reconnues par la Charte, dont celle
d’«attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire qui, à son
avis, pourrait mettre en danger le maintien de la paix et de la sécurité
internationales» (article 99).
[19] Le président tchadien, Idriss Déby, qui visitait l’est
du pays le 27 février, a accusé le
Soudan de vouloir « plonger le Tchad dans une guerre civile ». Il a déclaré que
« les ennemis du Tchad, précisément le gouvernement fantoche de Khartoum, ont
tout mis en œuvre, y compris les moyens financiers, des centaines de milliards
de dollars, pour détruire notre pays (…). Désormais (…) nous userons de notre
droit de poursuite ». http://www.operationspaix.net/-MINURCAT.
[20] Cette opération concourt, au début d’un conflit, à la
désamorcer au moyen d’actions diplomatiques et à travers la médiation.
[21] L’unité d’imposition
de la paix intervient au cours des conflits interétatiques ou internes.
Composée de forces armes qui peuvent recourir à l’usage de la force, elle a
pour mission d’imposer la paix aux belligérants.
[22] L’unité de maintien de la paix stricto sensu vise à
contrôler et à maintenir le cessez-le-feu. Autrement dit, elle s’attache à
prévenir la reprise du conflit et à rétablir la paix. Cette opération exige le
consentement des parties belligérantes et rejette tout usage de la force armée,
sauf en cas de légitime défense.
[23] L’Unité de consolidation de la paix a une action de
nature diplomatique postérieure aux conflits. Elle doit renforcer la paix pour
éviter la reprise des hostilités, notamment en établissant les infrastructures
civiles, en renforcer l’Etat de droit et
le respect des droits de l’homme.
[24] La notion de « maintien de la paix » est difficile à
définir. En effet, d’une part, la Charte s’y réfère au sens abstrait du terme ;
d’autre part, ses modalités de mise en œuvre ne sont pas précisées. Selon Dag
Hammarskjöld, les opérations de maintien de la paix relèvent du « Chapitre VI et
demi » de la Charte, se situant entre les méthodes traditionnelles de règlement
pacifique des différends (Chapitre VI de la Charte) et des mesures plus
énergiques comme l’embargo ou l’intervention militaire (Chapitre VII).
[25] R. DWORKIN, Taking rights seriously, Cambridge, Harvard
University Press, 1977. Cette réforme est un vieux serpent de mer qui n’a
jamais trouvé de concrétisation. Le décalage de plus en plus flagrant entre le
monde de 1945 et celui de 2009 la rend pourtant plus que jamais nécessaire pour
éviter la contestation permanente de la légitimité du système.
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire