Il ne faut pas oublier qu’il y a peu encore, la Chine était un système totalitaire. Par ailleurs, la découverte très progressive par la Chine, de la liberté ainsi que du décalage existant avec l’Occident, n’implique pas que les Chinois renoncent à leur sentiment national.
En Occident, l’opinion croit généralement qu’un Chinois ne peut être que pro-chine populaire et anti-occidental ou bien pro-occidental et anti-chine populaire, ne conservant dans ce dernier cas qu’un patrimoine culturel exotique et bienvenu.
L’Occident ne comprend pas non plus que les Chinois puissent regarder le passé maoïste du pays avec fierté et admiration, en dépit de la violence et des errements du régime. Mais il ne faut pas oublier que la Chine a été un empire solide doté d’une civilisation grandiose jusqu’à ce que la conjonction de nombreux facteurs (déclin des qualités de gestionnaire et d’administrateur de l’empire, accroissement démographique, famines, impact de l’ouverture forcée de la Chine imposée par l’Occident, défaite essuyée face au Japon en 1895, perte de confiance du peuple en ses élites et en l’empire, arrêt du mouvement de réforme impulsé par les élites chinoises, poids des sociétés secrètes minant l’empire) provoque son effondrement en 1911, ouvrant la voie au dépeçage et à l’humiliation par les puissances occidentales mais aussi par le Japon impérial.
S’en suivent alors une première révolution républicaine qui échoue en 1919, tandis que les idéologies nationalistes et communistes s’emparent progressivement de la Chine. D’abord alliés contre les seigneurs de la guerre faisant régner le chaos, nationalistes et communistes s’affrontent jusqu’à ce que l’invasion japonaise de 1937 les contraignent à s’unir contre l’empire. Ce front uni durera jusqu’en 1945, date à laquelle la fin de la Seconde Guerre mondiale laissera libre cours à la résurrection du conflit entre nationalistes et communistes.
Ce n’est qu’après trois années d’une guerre civile (1945-1949) que la Chine renaîtra sous une forme politique communiste à l’instigation de Mao. C’est Mao qui a redonné à la Chine sa souveraineté, son indépendance et son rayonnement. Même si l’on ne peut faire abstraction de la brutalité du maoïsme et de l’ensemble de ces crimes, il faut bien garder à l’esprit le symbole d’émancipation-résurrection que représente Mao pour les Chinois.
L’Occident doit se décentrer et comprendre que ce n’est parce qu’il est un pôle d’attraction et de fascination planétaire que les États nations exogènes vont pour autant renier les voies qu’ils ont adoptées.
De nombreux Chinois se montrent à la fois séduis et déçus par l’Occident. Ceux venus vivre en Occident, goûtent à un certain mode de vie, et ne manquent pas, naturellement, de le comparer avec ce qu’ils ont connu en Chine. Mais cela n’efface pas la fierté d’appartenir à la nation chinoise ainsi qu’à un ensemble civilisationnel particulier.
Les mentalités des chinois changeront progressivement, à mesure qu’ils découvriront et apprendront à connaître l’étranger, notamment le monde occidental. Cela ne signifie pas que la Chine se tournera subitement vers la démocratie constitutionnelle et les Droits de l’Homme, ce qui n’est pas encore à l’ordre du jour.
Cependant, une telle ouverture vers « un peu » de démocratisation sera sans doute une des conditions de la pérennité du pays (dans son intégrité territoriale, sa marche vers la puissance…), mais les gouvernants sont conscients qu’elle ne peut se faire sans progressivité au risque de voir le pays imploser sous le faix des revendications de toutes sortes.
De la même manière qu’il y a une voie entre l’islamophobie crâne et l’islamophilie béate, il est possible de regarder la Chine sans être ni sinophobe ni sinobéat.