Le gouvernement a imposé un couvre-feu jusqu'au 5 septembre à Port-Gentil, seconde ville du pays à une centaine de kilomètres de Libreville, secouée par des violences, au cours desquelles trois femmes ont été blessées, une Polonaise, une Anglaise et une Gabonaise.
Hier soir le calme régnait dans la capitale, désertée par ses habitants et quadrillée par l'armée, a constaté l'AFP. Des incidents avaient eu lieu dans la matinée dans au moins deux quartiers populaires. Des jeunes tenaient des discours hostiles à Ali Bongo et à la France, qu'ils ont accusée d'avoir "imposé" aux Gabonais le fils Bongo.
Ali Bongo, 50 ans, a remporté l'élection à un tour du 30 août avec 141.952 voix, soit 41,73% des suffrages, devant l'ex-ministre de l'Intérieur André Mba Obame (25,88%), et Pierre Mamboundou (25,22%), un indépendant, a déclaré le ministre de l'Intérieur, Jean-François Ndongou. La participation est estimée à 44.29%.
Ali Bongo, qui succède à son père, mort début juin après 41 ans de pouvoir, a promis d'être "le président de tous les Gabonais (...) sans exclusive", peu après l'annonce de sa victoire, contestée par ses deux principaux rivaux qui s'étaient eux-mêmes proclamés vainqueurs depuis plusieurs jours.
"C'est un coup d'Etat électoral. Je ne reconnais pas les résultats de l'élection. C'est moi qui (l')ai gagnée", a affirmé M. Mba Obame dans un entretien téléphonique avec l'AFP.
Après la proclamation du résultat, des opposants à Bongo ont incendié le consulat général de France à Port-Gentil. Dans la soirée des soldats français du 6e Bataillon d'infanterie de marine avait pris position devant le bâtiment.
Des installations du groupe pétrolier français Total et du groupe franco-américain Schlumberger y ont aussi été attaquées, faisant, selon le secrétaire d'Etat français à la Coopération, Alain Joyandet, "a priori deux blessées, une Gabonaise et une Anglaise". Selon Schlumberger, une employée polonaise a été "sérieusement blessée".
M. Joyandet a "appelé au calme" et recommandé aux Français de "rester chez eux". Dans des déclarations à la chaîne de télévision France-24 il a insisté sur la "neutralité" de Paris vis-à-vis des différents candidats. La France dispose d'une base militaire à Libreville, avec un millier d'hommes. Environ 10.000 ressortissants français sont établis au Gabon.
Dans la matinée, la prison de Port-Gentil avait été attaquée par des partisans de Mamboundou qui ont libéré les prisonniers. Ils ont ensuite dressé des barricades au centre-ville, d'après un correspondant de l'AFP. Selon son entourage, Pierre Mamboundou, également "en lieu sûr", a été "blessé à la tête et à l'épaule" lors de la dispersion d'une manifestation par les forces de l'ordre à Libreville.
Le ministre de l'Intérieur a cependant nié toute violence contre les leaders politiques. "Aucun militaire, aucun policier n'a frappé ou n'a tiré sur un leader politique. Aucun leader politique n'est arrêté, ils sont tous en liberté", a-t-il affirmé devant le corps diplomatique réuni dans un grand hôtel de la capitale.
Ali Bongo a prononcé un discours où il s'est engagé, "dans la continuité (à) apporter des changements nécessaires" en matière de développement, finances publiques et justice, dans ce pays pétrolier d'environ 1,5 million d'habitants, aux richesses très inégalement réparties.
Face à ces événements, le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a exprimé "sa préoccupation à la suite des informations faisant état d'incidents dans certaines régions du pays et appelé à la retenue". De leur côté, les Etats-Unis ont appelé "les partis et les citoyens gabonais à réagir pacifiquement aux résultats" et à respecter le processus démocratique.
Source : AFP


POINT DE PRESSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET EUROPEENNES, BERNARD KOUCHNER (Paris, 3 septembre 2009)

Q - Que savez-vous de la situation, actuellement ?
R - Je sais que les résultats ne sont pas consolidés, et qu'ils seront publiés dans deux ou trois jours. Néanmoins, je sais que l'annonce des résultats provisoires a provoqué des troubles au Gabon et, en particulier, des troubles autour de notre chancellerie, plus précisément autour d'un bâtiment appartenant à la Chancellerie qui a été incendiée. Je sais aussi que les groupes Total et Schlumberger ont été attaqués et qu'il a fallu extraire des gens - ce que les troupes gabonaises ont fait. Je sais donc que la situation est tendue.
C'est la première fois depuis une quarantaine d'années que des élections de ce type, avec autant de candidats, sont organisées, mais ce n'est pas une excuse. Nous condamnons très fermement ces atteintes à l'ordre public. Et nous sommes prêts à aider les ressortissants français s'il en était besoin. Pour le moment, ce n'est pas nécessaire. Toutes les mesures sont prises pour que nos ressortissants soient protégés.
Q - Un plan d'évacuation est-il prévu ?
R - Les plans d'évacuation sont prévus depuis longtemps. Les centres de regroupement également, mais rien n'a été mis sous tension pour le moment. Les mesures de regroupement - et tout le monde le sait là-bas - ont été prises depuis longtemps. Les plans d'évacuation aussi.
Q - Avez-vous été surpris par la réaction des Gabonais à ces élections ?
R - On nous le disait depuis quelques jours. Nous avons été surpris parce que, encore une fois, je crois que les élections se sont déroulées de bonne manière, il n'y a pas eu d'incidents majeurs.
On nous a dit qu'il y avait des tanks au coin des rues, mais il n'y en avait pas et il n'y en a d'ailleurs toujours pas à ma connaissance. On nous a dit aussi que les forces étaient en alerte et ensuite, la tension montant, on nous disait en même temps que les négociations avaient lieu entre les divers protagonistes, en tout cas entre les trois candidats qui sont arrivés en tête.
J'espère que tout cela se poursuit et que la raison l'emportera. Jusque-là, le processus s'était bien déroulé et dans un délai, vous le savez, qui était proche du délai constitutionnel, à 10 jours près, avec une femme très décidée qui assurait la présidence en l'absence d'un président élu. J'espère que cela continuera.
Q - L'opposition accuse la France d'avoir placé le fils de Bongo au pouvoir contre l'avis des Gabonais.
R - C'est trop facile, "qui veut noyer son chien l'accuse de la rage", n'est ce pas ? La France n'a pas eu de candidat, elle n'a défendu personne et elle n'est pas intervenue ; jamais, jamais, jamais ! Nous avons respecté complètement la neutralité nécessaire, c'est un pays souverain. Il faut que les électeurs, les élections en Afrique se déroulent normalement, comme dans tous les pays du monde, avec des candidats et avec un contrôle démocratique des observateurs ; c'est ce qui s'est passé.
Q - Pensez-vous que les conditions d'élections d'Ali Bongo sont satisfaisantes ?
R - Il n'est pas encore élu. Nous n'avons pas encore vraiment les résultats. Jusqu'à présent, nous trouvions et nous étions très heureux que nos amis gabonais se fussent bien débrouillés.
Q - Etes-vous optimiste sur la suite des événements ?
R - Je préfère être optimiste, et je le suis. Les partis nous disent - parce que nous avons évidemment des coups de téléphone, nous en recevons beaucoup - que ce sont des éléments qui ont échappé aux contrôles, qui ont été furieux, etc. et que cela ne se reproduira pas. J'espère que c'est vrai.
En tout cas, nous sommes très attentifs à la protection de nos ressortissants. Vous pouvez compter sur nous ! Mais pour le reste, c'est aux Gabonais de continuer dans le sens qui avait été indiqué, c'est-à-dire des élections démocratiques qui se déroulent bien. Maintenant, nous ne sommes pas ceux qui dirigeons la police ou les forces de l'ordre gabonaises.
Q - Avez-vous l'impression qu'il y a un sentiment anti-français qui est en progression ?
R - Honnêtement, non. En dehors de l'incident qu'on a voulu souligner et quelques cris contre le président de la République - qui étaient des cris, vous le savez, qui sont partis d'un périmètre étroitement surveillé, de la part de personnes qui étaient d'ailleurs invitées. Donc, ce n'était pas très sérieux. C'était offensant mais pas très sérieux.
En dehors de cela, il n'y a pas eu de tensions spéciales, de menaces contre les Français, pas du tout. C'est un pays qui a l'habitude de travailler avec les Français.
Q - Est-ce que les Français ont été invités à se regrouper sur la base de militaire ?
R - Non. Ils n'ont été invités à rien du tout. Vous m'avez posé la question sur les plans d'évacuation, ils sont prévus, bien sûr, mais les Français n'ont pas été appelés à se regrouper.
Q - A partir de quel moment est-ce qu'on évacue ? Où est le curseur ?
R - Laissez les diplomates et les agents des services de sécurité qui sont là-bas en décider. Mais ils en décident avec la population française, avec des gens qui sont habitués, avec lesquels on s'est beaucoup concertés, pas spécialement au Gabon mais dans tous les pays où, parfois, c'est nécessaire.
Q - Est-ce que le Gabon pourrait être une nouvelle Côte d'Ivoire comme il y a trois ou quatre ans ?
R - J'espère bien que non. Et j'espère bien aussi qu'en Côte d'Ivoire, les choses s'arrangeront un jour.
Non, je ne le crois pas. C'est un sursaut et ce sont des énervements et des déceptions que je comprends bien. Elles se manifestent alors qu'elles ne s'étaient jamais manifestées dans ces circonstances car les élections n'avaient pas été aussi ouvertes. Alors, espérons que c'est la rançon d'un certain succès. Espérons !
Q - En 1993, la France était intervenue après l'élection d'Omar Bongo. Est-ce que cela pourrait être encore envisageable aujourd'hui ?
R - Non, cela n'est pas envisageable, sauf pour protéger nos ressortissants. Il n'y a ni candidature, ni protection, ni - comme on dit - ingérence. Et, dans ma bouche, l'ingérence est souvent nécessaire mais à titre préventif, jamais à titre punitif. Ce n'est pas du tout le style ni les décisions politiques qui ont été adoptées. Nous reconsidérons nos accords de défense partout et les bases sont renégociées, en particulier d'ailleurs à Libreville.
Q - Est-ce que la France est actuellement en relation avec les trois candidats ?
R - La France reçoit des coups de téléphone, comme je vous l'ai dit, des trois candidats et même d'autres personnes. J'espère qu'ils s'arrangeront comme cela s'est toujours fait au Gabon.
Q - On est actuellement sans nouvelles d'André Mba Obame et de Pierre Mamboundou ?
R - Ce n'est pas le cas des autorités françaises sur place. Aux dernières nouvelles, il n'a pas été blessé. Enfin, il a peut-être été blessé mais par balles.
Q - Le Gabon appartient à l'Union africaine et à la CEEAC. Est-ce que vous souhaitez que ces organisations sous-régionales jouent un rôle dans le retour à la paix dans ce pays ?
R - Mais non ! Laissez-les ! L'Union africaine elle-même et les organisations régionales ont joué un rôle, et très bien, au moment de la mort du président Bongo et, ensuite, pour l'organisation et l'idée même que l'on avait de l'organisation des élections ; c'est leur affaire. Mais, là, il s'agit d'une besogne élémentaire de police après des résultats. Vous n'allez pas envoyer des forces régionales parce qu'il y a eu un incident ! Cet incident est regrettable, la France le condamne fermement, mais enfin n'en faisons pas un signe général de tensions ou de rébellion ! Non, ce n'est pas cela.
Source : France-Diplomatie