Le traitement des données, incluant le croisement des fichiers, a débuté le 20 juillet dans 70 centres annoncés opérationnels dès la fin du mois. Dix-sept seulement l’étaient, selon l’ONUCI. Les listes électorales provisoires n’ont pas pu être publiées le 15 septembre comme prévu, ce qui a relancé de sempiternelles polémiques sur la volonté de tous les acteurs politiques d’aller à ces élections. Pourtant, la campagne est largement engagée, certaines candidatures déposées, les postulants devant le faire entre le 29 août et le 16 octobre, et le décret réduisant à un mois le délai entre la publication des listes provisoires et des listes définitives a été signé.
La Commission électorale indépendante (CEI), contrôlée par l’opposition, ce qui est une « première » sur le continent africain, argue parfois du manque de moyens financiers pour expliquer les retards pris dans le processus électoral. Elle est relayée par la presse d’opposition et parfois, de façon plus surprenante, par certains milieux diplomatiques qui n’ignorent rien des contraintes financières que doit respecter l’Etat dans le cadre de la recherche du point d’achèvement de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE), accordée à la Côte d’Ivoire à la fin du mois mars 2009. Le Conseil de sécurité de l’ONU, réuni le 29 septembre, a exprimé sa préoccupation devant ces retards, rappelant que les acteurs politiques ivoiriens se doivent de respecter le calendrier et la date du 29 novembre pour la tenue du scrutin présidentiel.
Les dernières opérations du processus électoral
L’identification et l’enrôlement étant terminés, la liste électorale provisoire, établie par la SAGEM et l’Institut national de la statistique (INS), a été remise par la CEI au Premier ministre le 1er octobre après le croisement des données. Cette opération a ramené à environ 6,3 millions le nombre de personnes enrôlés. Les fichiers seront mis en ligne sur Internet et des copies seront remises aux partis politiques, avant leur impression et affichage par bureau de vote. Un mois est prévu pour résoudre l’ensemble des contentieux permettant d’établir les listes définitives et les principaux partis mobilisent leurs structures fédérales et locales pour tirer au mieux leur épingle du jeu. La distribution des cartes d’électeurs et des cartes d’identité promet d’être compliquée car les citoyens ne se sont pas toujours enrôlés dans les bureaux les plus proches de leur domicile.
Les choses avancent en matière de démobilisation, désarmement et sécurisation des élections,. Selon les rapports du Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire (Pnrrc), les taux de réalisation oscillent entre 52% et 75% vers la mi-septembre dans les zones CNO (Centre, Nord, Ouest).
Initié le 5 mai, le déploiement des 8000 gendarmes et policiers des brigades mixtes du Centre de commandement intégré (CCI) se poursuit. Ces brigades doivent assurer avec les Forces dites impartiales de l’ONUCI (environ 7000 hommes) et Licorne (ramenée à 900 hommes), la sécurisation des élections. Cela a commencé par la sécurisation des 70 centres de coordination des données, les 415 CEI locales, autant de tâches définies lors d’une rencontre, le 30 juin, entre le Président de la CEI, Mambé Beugré, et le ministre de la Défense, Amani N’Guessan, et leurs collaborateurs. Le regroupement des 5000 éléments des Forces nouvelles, ancienne rébellion, s’effectue dans les quatre camps de Bouaké, Korhogo, Man et Séguéla, aménagés dans le courant du mois de juillet.
Les questions militaires comme l’harmonisation des grades, les quotas d’éléments des Forces nouvelles dans la nouvelle armée, ou l’actualisation du plan de déploiement des 8000 éléments du CCI, ont été de nouveau traitées lors d’une importante réunion de travail autour du Premier ministre Guillaume Soro, le 31 juillet. Huit jours auparavant, le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire,Y.J. Choi, avait exprimé à New-York de sérieuses réserves sur l’avancement du processus. Une rencontre entre les généraux Mangou (FDS) et Bakayoko (FAFN), à Yamoussoukro, le 4 septembre, au siège du CCI, avait pour but de relancer le déploiement des brigades mixtes.
La passation des pouvoirs, le 26 mai dernier, entre les commandants des dix zones militaires et les nouveaux préfets devient effective. Après l’administration judiciaire, l’achèvement de l’installation des administrations fiscale et douanière indispensables au rétablissement de l’unicité des caisses de l’Etat est en vue, scellant la réunification réelle et définitive du pays.
Le Comité d’évaluation et d’accompagnement (CEA) s’est réuni, pour la septième fois, le 9 août, à Ouagadougou, élargi à l’organe consultatif international qui inclut la CEDEAO, les institutions financières internationales et des bailleurs de fonds. Quelques jours auparavant, le 5 août, le chef de l’Etat avait fait le point avec le Président de la CEI assurant, comme venait de le faire le Premier ministre, qu’il fallait tout mettre en œuvre pour respecter la date du 29 novembre.
Les évolutions dans l’environnement diplomatique
Le 21 ème rapport du secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon sur la situation en Côte d’Ivoire, rendu public le 7 juillet, a été discuté au Conseil de sécurité le 23 juillet. A cette occasion, le représentant du secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire, Young-Jin Choi, avait précisé qu’au vu des évolutions constatées en septembre, il faudrait développer de nouvelles options dans le cadre de la prochaine réunion du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire prévue au mois d’octobre. Tout en se félicitant d’avancées historiques dans le processus avec la fin de l’identification, il avait alors précisé que certaines difficultés devaient être résolues avant les élections. Il s’agissait du transfert effectif de l’autorité des Commandants de zones aux Préfets, de la centralisation de la trésorerie d’Etat, de l’identification des profils des éléments des Forces nouvelles reversés dans la vie civile ou intégrés dans l’armée, la gendarmerie et la police avec les conséquences financières qui en découlaient.
Adoptée à l’unanimité le 30 juillet, la résolution 1890 du Conseil de sécurité souligne que les acteurs politiques ivoiriens sont tenus de respecter le calendrier fixant au 29 novembre 2009 le scrutin présidentiel. Le mandat de l’ONUCI a été prorogé de six mois, jusqu’au 31 janvier 2010. Les 900 éléments de la force française Licorne resteront donc sur place jusqu’à cette date. Leur départ signifiera la fin de la présence militaire française permanente en Côte d’Ivoire et les clauses de l’accord de défense signé en 1960 seront caduques. L’ambassadeur de France auprès de l’ONU, Jean-Maurice Ripert, auteur du projet de résolution adoptée le 30 juillet, est intervenu après le vote pour rappeler avec insistance l’exigence de voir l’élection se tenir le 29 novembre, ajoutant que si tel n’était pas le cas, les responsabilités des uns et des autres seraient clairement établies et que le Conseil de sécurité en tirerait toutes les conséquences. Nul doute que l’appel à garder la mesure lancé à la France, le 23 juillet, par son homologue ivoirien, Alcide Djédjé, avait agacé le diplomate français.
Cela a clos une vaine polémique née des propos peu amènes du président Nicolas Sarkozy sur le manque de fiabilité des autorités ivoiriennes et les promesses fallacieuses d’élections, propos tenus à Libreville, le 16 juin, lors des obsèques du président gabonais Omar Bongo Ondimba, qui avaient même irrité Alphonse Djédjé Mady, directeur de campagne de Konan Bédié.
Les efforts déployés par le nouvel ambassadeur de France à Abidjan, M. Jean-Marc Simon, pour apaiser les tensions perceptibles en juin et juillet derniers, seront peut être mieux compris par la nouvelle cellule africaine de l’Elysée qui a vu sa direction, jusque là franchement hostile au chef d’Etat ivoirien, changée à la fin du mois d’août. Monsieur André Parant, ancien ambassadeur de France au Liban, succède désormais à Bruno Joubert, nouvel ambassadeur de France au Maroc. A l’issue de la réunion du Conseil de sécurité du 29 septembre, le ministre français de la Coopération, Alain Joyandet, a exprimé son choix de faire une dernière fois confiance à la Côte d’Ivoire dans cette ultime ligne droite conduisant à l’élection.
Ignorant ces quelques nuages passagers avec Paris qui ont conduit le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, à ajourner sa visite à Abidjan, le président Gbagbo s’est attaché à conforter sa diplomatie dans la sous-région. En réunissant, le 11 juillet, à Yamoussoukro, un sommet extraordinaire des chefs d’Etat des pays membres du Conseil de l’Entente (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Niger, Togo), à l’exception du président Tandja tout à son coup de force institutionnel au Niger et qui s’était fait représenter, il a ouvert cette structure au Mali. La présence du président Amadou Toumani Touré, à titre d’observateur, est un signe politique qui préfigure le développement d’une réelle dynamique économique régionale.
La visite d’Etat du Président du Burkina Faso, Blaise Compaoré, du 15 au 18 septembre, a scellé cette bonne entente régionale fondée sur une évaluation lucide des rapports de force. Elle donne moins de prise à certains calculs politiques et diplomatiques élaborés hors du continent africain. Blaise Compaoré avait foulé à plusieurs reprises le sol ivoirien depuis 2007, mais il l’avait fait en tant que médiateur de la crise ivoirienne. C’était donc son premier déplacement officiel en tant que chef de l’Etat du Burkina Faso depuis l’élection de Laurent Gbagbo en octobre 2000 à la tête de la Côte d’Ivoire. Cette visite s’inscrivait dans le cadre de l’application du Traité d’amitié et de coopération signé, en juillet 2008, entre les deux Etats à Ouagadougou, où le Président ivoirien s’était rendu du 27 au 29.
Suivant un Conseil de gouvernement conjoint, un premier Conseil des ministres conjoint présidé par les deux chefs d’Etat a, en particulier, traité des questions de défense et de sécurité dont on sait l’importance pour la tenue des prochaines élections. La remise symbolique des clés de la capitale ivoirienne, Yamoussoukro, au président du Burkina Faso, la visite de ce dernier dans les terres d’origine du président Gbagbo, son adresse à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, les entretiens avec les responsables de la Commission électorale et les dirigeants de l’opposition, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, ont jalonné cette visite initiée le jour même où avait été annoncé le report de la publication des listes électorales provisoires.
Les deux présidents ont insisté sur la nécessité d’éviter toute précipitation dans l’organisation du scrutin prévu le 29 novembre, ce qui laisse la porte ouverte à un léger report pour des raisons techniques. Le président ivoirien a rappelé, le 25 septembre, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies qu’il n’y avait plus d’obstacle politique à la tenue du scrutin. Le séjour d’une semaine du président Gbagbo à New-York a été positif au plan politique et diplomatique avec notamment la participation, le 22 septembre, au déjeuner de travail des chefs d’Etat africains à l’invitation du président des Etats-Unis Barack Obama, ce qui est une première, et une rencontre avec le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon. Clin d’œil à la famille politique dont il est issu lorsqu’il présidait le Front populaire ivoirien (FPI), il est intervenu à une réunion de l’Internationale socialiste consacrée à la crise économique et au sommet du G20.
Réuni le 29 septembre pour l’examen de la situation en Côte d’Ivoire, le Conseil de sécurité de l’ONU maintient la pression pour le respect de l’agenda électoral et doit de nouveau se réunir le 15 octobre prochain.
Carnet de campagne
Sur le terrain, la campagne a bel et bien été engagée pour conquérir la présidence et il ne fait aucun doute pour les principaux acteurs que s’il y a un report du scrutin du 29 novembre, il ne sera que d’ordre technique. L’attitude du médiateur Blaise Compaoré et de certains responsables onusiens après l’ajournement de la publication des listes électorales provisoires conforte ce sentiment, même si certains nostalgiques de la crise veulent en faire incomber la seule responsabilité politique au chef de l’Etat ivoirien. Ce dernier, très bien placé selon une enquête sérieuse de l’institut TNS Sofres, n’a aucun intérêt à retarder artificiellement l’échéance électorale, d’autant que les citoyens ivoiriens, « fatigués » par cette longue crise politico-militaire, sont impatients de voter. Encore faut-il que ne ce vote ne soit pas contesté en raison de sa mauvaise organisation.
Face au président sortant Laurent Gbagbo, les deux challengers de l’opposition, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara, sillonnent le pays depuis des mois, ce que le FPI avait fait dès 2008. L’ancien président Bédié après avoir notamment visité de février à mai le Sud-Ouest, le Centre et le Nord/Est du pays, a séjourné en Europe du 3 juillet au 5 août. Présent à l’Unesco, le 7 juillet, à la remise du Prix Houphouët-Boigny au président brésilien Lula da Silva, il a été reçu peu après, à Londres, par le Parti conservateur britannique, avant de retrouver à Paris son allié mais néanmoins concurrent du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), Alassane Ouattara. Interviews à RFI et France 24, conférence de presse et rencontre avec la communauté ivoirienne de France et d’Europe, le 1er août, ont complété le programme politique de ce séjour à l’étranger.
En septembre, il a repris ses meetings et tournées en commençant par Abobo, commune populaire la plus peuplée du district d’Abidjan, et en parcourant les régions abbê et attié , plutôt favorables au président Gbagbo (Alépé, Anyama, Azaguié, Agboville, Akoupé, Afféry, Agou, notamment, pour finir par Adzopé).
A l’occasion de chacune de ces multiples étapes, le président du PDCI-RDA est resté fidèle à un discours très agressif contre le Front populaire ivoirien (FPI), le président sortant et le gouvernement où son parti occupe néanmoins de nombreux portefeuilles. Il fait preuve d’une étonnante amnésie en dénonçant les abus et la corruption qui avaient pourtant conduit les institutions financières internationales à cesser toute coopération avec la Côte d’Ivoire lorsqu’il la dirigeait. A 75 ans accomplis, il continue de considérer qu’il reste le président légitime de la Côte d’Ivoire et que les dix dernières années sont une parenthèse virtuelle que son retour dans l’arène va bientôt refermer. Il continue, bien sûr, de bénéficier d’un solide ancrage au Centre du pays et parmi les populations baoulés disséminées dans le pays, mais l’électorat traditionnel du PDCI s’est effrité.
Un courant, que l’on pourrait qualifier de centriste et républicain, a rejoint la mouvance présidentielle, refusant les alliances officielles du PDCI avec les forces politiques issues de la rébellion. Ce courant est essentiellement animé par Laurent Dona Fologo, ancien secrétaire général du PDCI, dont le Rassemblement pour la paix, le progrès et le partage (RPP) a tenu son premier congrès du 4 au 6 septembre. Pour sa part, Madame Danièle Boni Claverie, ancienne ministre du PDCI, anime l’Union pour la république et la démocratie (URD). Le RPP et l’URD font partie du Congrès national de la résistance pour la démocratie (CNRD) qui fait campagne pour Laurent Gbagbo.
De son côté, Alassane Ouattara, entré plus tard en campagne, a mis les bouchées doubles. Après la région des Lacs (Toumodi, la capitale Yamoussoukro et Didiévi), il s’est montré très offensif, à la fin du mois de juin, lors de sa tournée dans la vallée du Bandama. Saluant l’indispensable combat des Forces nouvelles issues de la rébellion, il s’est attiré les foudres verbales du chef d’Etat-major des Forces armées, le général Philippe Mangou, pour avoir qualifié, lors de son meeting à Béoumi de « stupide », « barbare » ou « honteux » certains actes de l’armée ivoirienne alors en lutte contre les rebelles. Il a quitté la région par un meeting central à Bouaké, ancienne capitale de la rébellion, qui lui a réservé un vibrant accueil.
Quelques semaines plus tard, en juillet, c’est dans l’Est du pays (le Moyen Comoé et le Zanzan) qu’il a poursuivi sa campagne axée sur le thème « solutions pour la Côte d’Ivoire », enchaînant aussitôt par le Centre Ouest. Il a dû suspendre cette tournée, initiée par le Haut Sassandra et sa capitale Daloa, dans la région du Fromager, victime d’un accès palustre, le 3 août, à Gagnoa, ville natale du président Gbagbo. Il a donc ajourné sa visite dans le Sud Bandama. Il s’est ressourcé à Paris, comme son frère ennemi Konan Bédié, passant notamment à l’Elysée en fin de journée, le 1 er septembre, pour retrouver le président Sarkozy auquel le lie une vieille amitié datant de son mariage parisien de 1991. Il a repris son périple par la commune d’Oumé le 10 septembre, continuant par Lakota et Divo où la majorité présidentielle est traditionnellement majoritaire.
Après le Sud Bandama, c’est la région de la Marahoué (Sinfra, Zuenoula, Bouaflé) que le Président du Rassemblement des républicains (RDR) a sillonnée à partir de la mi-septembre, concluant cette étape par ses habituelles conférences de presse. Il a bouclé le mois de septembre par une tournée dans le N’Zi Comoé qu’il a nommé « Bédié land ». Il a, en effet, tenu meeting à Daoukro, fief de Konan Bédié, longuement rencontré à cette occasion, et à Bongouanou, fief du président du FPI, Pascal Affi N’Guessan, avant de poursuivre vers Bocanda et Priko.
Tout au long de ses nombreuses étapes à l’intérieur du pays, le candidat du RDR n’a pas épargné le pouvoir en place, bien que son parti et ses principaux bras droits, dont son directeur de campagne,Amadou Gon Coulibaly, participent au gouvernement. Mais il a surtout mis l’accent sur ce qu’il a appelé des solutions pour la relance économique du pays. Estimant à 10 000 milliards de francs CFA sur un mandat de cinq ans le prix de cette relance, il a chiffré, à chaque étape, les investissements par département et par secteur (310 milliards pour Bouaké, 81 pour M’Bahiakro, 551 pour Daloa et le Haut Sassandra, 247 pour Divo, 85 pour Sinfra, 66 pour Daoukro, 95 pour Bongouanou, 44 pour Bocanda, etc, etc…).
Pour concrétiser de telles promesses, il n’a pas cessé de faire référence à son métier de « banquier », qui « sait où trouver l’argent car c’est son travail », à ses compétences de « professionnel de l’économie » et à son « expérience de cent vingt pays » qu’il a gérés lorsqu’il était en poste au Fonds monétaire international (FMI). Les résultats de l’enquête qualitative de la Sofres démentent cruellement cette confiance en soi puisque seulement 36% de l’échantillon des 2000 personnes interrogées le jugent « compétent ». Il est placé en troisième position (loin derrière Laurent Gbagbo et même devancé par Konan Bédié) parmi les futurs candidats à la présidentielle les plus capables de redresser l’économie du pays.
Pour sa part, le Président sortant, qui ne s’est pas encore officiellement porté candidat, mais a déjà été investi par son parti d’origine, le FPI, peaufine son livre de campagne et ses propositions. Il prépare une équipe de campagne prenant en compte à la fois la dimension géopolitique traditionnelle et la modernité du jeu politique dont il a été porteur avec la création, il y a bientôt trente ans, du FPI. Ce n’est qu’après le 16 octobre, date limite du dépôt des candidatures, qu’il entrera dans l’arène électorale et répondra aux critiques musclées de ses deux principaux opposants.
Comme tout président en exercice, il a sillonné le pays, en visite d’Etat, particulièrement, ces deux dernières années, le Nord et l’Ouest qui ont été exclusivement contrôlés pendant plus de cinq ans par la rébellion. La tournée de juin dans la région des Montagnes, le Bafing et le Denguélé a scellé la réconciliation avec les populations de l’Ouest attachées au défunt chef d’Etat Robert Guéï dont les funérailles devaient se dérouler le 2 octobre à Kabakouma, son village natal.
C’est Malik Issa Coulibaly qui a succédé à Madame Sarata Ottro, décédée en avril, au poste de directeur adjoint du cabinet du chef de l’Etat. Appelé à jouer un rôle éminent dans la future campagne, aux côtés d’autres hauts cadres des différentes composantes de la majorité présidentielle, dont le FPI, il est le petit-fils de l’ancien patriarche de Korhogo, Gon Coulibaly, et le parent direct du directeur de campagne d’Alassane Ouattara, Amadou Gon Coulibaly. D’Odienné à Bondoukou, en passant par Korhogo, le président ivoirien a multiplié les gestes susceptibles de réduire l’influence du candidat du RDR.
Dans son adresse à la Nation, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le 7 août, il a mis en avant l’unité retrouvée, associant le Premier ministre Guillaume Soro, dans le règlement des problèmes politiques qui faisaient obstacle au retour de la paix. La marge de manœuvre de ce dernier est d’autant plus réduite que son désir d’avenir politique le contraint à une neutralité bienveillante à l’égard du chef de l’Etat afin d’apparaître comme le partenaire du retour à la paix
Rassembleur face à l’accroissement de l’extrême pauvreté pendant les sept années de crise, le président a aussi insisté sur les potentialités minières du pays non encore exploitées et la nécessité, sans abandonner les cultures d’exportation, de privilégier l’agriculture vivrière, notamment le riz, et sa transformation.
Comme l’a montré l’enquête de la Sofres, dont certaines conclusions ont été rendues publiques dans la presse ivoirienne le 24 juillet, l’emploi, les soins médicaux, la lutte contre la pauvreté, l’état des routes et la scolarisation sont les priorités retenues par la majorité des Ivoiriens. Les concurrents du Président sortant peuvent trouver là matière à faire campagne. Mais cette étude montre également que les personnes interrogées n’attribuent pas la responsabilité de la situation à l’actuel premier magistrat qu’il place largement en tête avec 43% des intentions de vote devant H.K. Bédié (29%) et A. Ouattara (28%). Dans l’hypothèse d’un second tour, le Président Gbngbo l’emporte, quel que soit son adversaire.
Depuis des mois, la campagne électorale bat son plein dans tout le pays et l’accord de bonne conduite signé entre tous les partis, en avril 2008, lors de la visite du secrétaire général de l’ONU, est respecté. Les candidats ne se privent pas de tenir librement meetings dans les fiefs de leurs concurrents, ce qui n’est pas si courant en Afrique. Ce retour à la normalité politique va de pair avec une amélioration des grands équilibres macro-économiques, même si l’Etat ivoirien est pris en étau entre les contraintes imposées par les institutions de Bretton-Woods et les engagements financiers spécifiques au processus de sortie de crise.
Du point de décision au point d’achèvement de l’initiative PPTE
Après son éligibilité à l’initiative PPTE à la fin du mois de mars 2009 et la négociation positive des dettes publiques bilatérales au Club de Paris en mai, la Côte d’Ivoire vient de bénéficier, le 28 septembre, d’une annulation de 20% du stock de ses créances privées contractées auprès du Club de Londres au 31 décembre 2008, soit 268 milliards de FCFA sur 1380 (2,1 milliards d’euros). L’accord prévoit un allégement des 80% restant de la dette sur une période de 23 ans dont 6 ans de différé. Cela devrait faciliter l’exécution de son programme économique et financier conclu avec la Banque mondiale et le FMI. La mise en œuvre effective de réformes économiques et sociales permettant d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE devrait conditionner une réduction plus conséquente de la dette extérieure de la Côte d’Ivoire, « temporairement » allégée de 6 700 milliards de francs CFA (10,22 milliards d’euros) par le point de décision. A noter également un effacement d’une partie de la dette bilatérale avec les Etats-Unis.
Une mission conjointe du FMI, de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement (BAD) a évalué, du 2 au 17 septembre, l’accomplissement du programme conclu, il y a six mois, entre le gouvernement ivoirien et les institutions financières internationales. Le taux de croissance prévu à 3,5% devrait être atteint en 2009 avec une inflation contenue à 3%. L’exécution du budget 2009 a été jugée satisfaisante, mais l’apurement de la dette intérieure, estimée selon les fournisseurs de l’Etat à 270 milliards de francs CFA, prend du retard.
La production de cacao est passée d’1,3 million de tonnes à un million en 2009 et sa qualité est médiocre, ce qui explique un cours supérieur à 2000 livres sterling la tonne à Londres à la fin du mois de septembre. Les planteurs se tournent vers l’hévéas, plus rémunérateur, pour échapper aux désordres de la filière café cacao dont la réforme est encore à l’étude. Mais les objectifs de cette réforme recherchés par les autorités ivoiriennes (simplification des structures, réduction de la fiscalité, meilleure rémunération des producteurs) sont partagés par les institutions de Bretton-Woods qui avaient poussé, il y a plus de dix ans, à une libéralisation dont les modalités se sont avérées catastrophiques. Nuisant à l’équilibre budgétaire, les recettes pétrolières ont été décevantes et le déficit de la Société ivoirienne de raffinage (SIR) est très important (60 milliards FCFA).
C’est du bon avancement des réformes structurelles de l’économie du pays que dépend l’obtention du point d’achèvement de l’initiative PPTE. Cela permettra à la Côte d’Ivoire, passée l’élection présidentielle, de repartir sur des bases financières solides, nécessaires au plein accomplissement d’une stratégie de développement régional dont les outils sont en cours d’élaboration (extension du port d’Abidjan, infrastructures autoroutières, projets énergétiques, notamment)
Pour conclure
Trente mois après la conclusion de l’accord politique de Ouagadougou, une mobilisation humaine et financière peu commune a permis de mener à bien les opérations d’identification et d’enrôlement dans un pays dont les divisions semblaient insurmontables pour la plupart des observateurs.
Il a fallu beaucoup de volontarisme depuis la tenue des audiences foraines jusqu’à l’établissement des listes électorales pour résoudre par consensus de tous ceux qui vivent en terre ivoirienne la question de « l’identité » des populations, présentée comme la cause première de la crise politico-militaire qui a déchiré la Côte d’Ivoire.
Conformément à la Constitution, c’est dans un pays réunifié où toutes les administrations auront été redéployées que se tiendront les élections. Il reviendra aux nouveaux pouvoirs exécutif et législatif élus d’achever la tâche de la formation d’une armée nouvelle, et, sur la base de finances publiques redressées après sept ans de crise, d’engager une lutte résolue contre la pauvreté que cette crise a gravement accentuée.
Enfin, la Côte d’Ivoire a reconquis son rang diplomatique tant sur le continent africain que dans le reste du monde. L’étude déjà mentionnée de la Sofres a révélé que seulement 13 % des Ivoiriens interrogés considéraient les rapports avec la France comme une priorité. C’est sans doute le signe tangible d’un nouvel état d’esprit qui peut permettre d’établir entre les deux pays de nouveaux rapports politiques et économiques plus conformes aux exigences démocratiques d’un monde moderne.