Mais l’Union soviétique avait aussi laissé un legs difficile à l’Azerbaïdjan qui s’était retrouvé confronté à un conflit avec l’Arménie sur le Haut-Karabagh, le berceau historique de l’héritage culturel azerbaïdjanais. A l’époque, l’Azerbaïdjan, affaibli par l’effondrement de son économie et par son instabilité interne, faisait l’objet de luttes géopolitiques pour le contrôle des énormes réserves de ressources naturelles que son sous-sol renfermait. Alors que l’Arménie, soutenue notamment par certains éléments de l’armée soviétique disloqués dans la région, a occupé 20% du territoire de l’Azerbaïdjan, plus d’un million de personnes sont devenues réfugiées ou déplacées à l’intérieur de leur pays et attendent toujours de retourner dans leur foyer.
En avril 1993, après l’occupation de la région de Kelbadjar par les forces militaires arméniennes qui ont attaqué à partir du territoire de l’Arménie, il ne faisait aucun doute qu’il s’agissait d’une guerre d’agression sans qu’elle soit déclarée. Cela a entraîné la réaction du Conseil de sécurité de l’ONU, avec une condamnation explicite mais sans aucune mesure contraignante, ce qui en a considérablement réduit sa portée pratique.
Le soutien le plus ferme est alors venu de la Turquie, qui a décidé de fermer ses frontières pour protester contre l’agression et la violation de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. La fermeture des frontières est donc une mesure de rétorsion contre la politique d’agression d’Erevan. Autrement dit, il s’agit d’un acte légal pris en réponse à un acte illégal. Il faut souligner que la violation de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan est non seulement politiquement et juridiquement condamnable, mais elle constitue aussi un « crime contre la paix », ce qui engage la responsabilité des auteurs de cette agression.
L’Azerbaïdjan manifeste sa détermination à régler ce conflit par voie de négociations, sur la base des principes du droit international public. Il appelle aussi la communauté internationale à prendre une position ferme face à une telle situation inacceptable. Mais devant l’immobilisme de la communauté internationale, le maintien de la fermeture des frontières turques est le seul moyen de pression supplémentaire sur l’Arménie, qui campe sur sa position maximaliste et qui n’a pas tendance à rechercher de compromis. L’Azerbaïdjan compte sur cette stratégie d’exclusion de l’Arménie de tous les projets régionaux qui pourrait, à terme, obliger les autorités arméniennes à mitiger leur position et à adopter un comportement responsable à l’égard de son peuple et de ses voisins. Toutefois, les derniers développements ne laissent rien présager de bon dans le processus de paix. Au lieu de faire pression sur l’Arménie, pour qu’elle se conforme aux principes du droit international en mettant fin à l’occupation des territoires de l’Azerbaïdjan, la communauté internationale contribue, au contraire, à la consolidation de cette situation.
L’Azerbaïdjan a suggéré avec insistance que les deux négociations soit menées dans un seul processus et que, dans le règlement du conflit du Haut-Karabagh, les progrès soient conditionnés au rapprochement entre la Turquie et l’Arménie. Tout en se fiant aux promesses des autorités turques, ce pays insiste sur le fait que l’ouverture des frontières avant la fin de l’occupation serait une erreur. Lors de l’ouverture des frontières, la coopération régionale devrait suivre le retrait des troupes arméniennes des territoires occupés, ce qui devrait en retour faciliter la définition du statut du Haut-Karabagh, à savoir une large autonomie respectueuse du principe de l’intégrité territoriale.
Mais en attendant, pour Bakou, il est inimaginable de coopérer avec un pays qui occupe 20% de son territoire. Il est ainsi mécontent de la signature de l’accord, le 10 novembre 2009, à l’Université de Zurich, entre la Turquie et l’Arménie permettant, d’un côté, d’établir des relations diplomatiques et, de l’autre, d’ouvrir la frontière et ceci pour plusieurs raisons :
  • tout d’abord, la communauté internationale déploie de grands efforts pour obtenir l’ouverture des frontières entre la Turquie et l’Arménie, sans agir sur les causes qui ont conduit à la fermeture ;
  • ensuite, la communauté internationale ferme les yeux sur l’occupation de 20% du territoire de l’Azerbaïdjan par les forces armées arméniennes en insistant sur la disjonction des deux prosessus, c’est-à-dire l’ouverture des frontières et le retrait des territoires occupés ;
  • enfin, cette situation a un effet négatif sur le règlement du conflit dans la mesure où la position arménienne se trouve davantage renforcée autour de la table des négociations.
Les pourparlers à Chisinau, capitale de la Moldova, le 8 octobre 2009, entre les présidents azerbaïdjanais et arméniens, se sont achevés sur un ton plutôt négatif. La presse azérie a affirmé des signes de durcissement de la position de l’Arménie, qui a décidé de revenir sur des points sur lesquels les parties s’étaient pourtant mises d’accord il y a deux ans. Les officiels azéris avaient, à juste titre, prévenu que l’Arménie n’aurait sans doute pas tendance à rechercher des compromis pour solutionner le problème. De ce point de vue, l’opinion publique et la position officielle insistent sur l’idée selon laquelle le règlement du conflit du Haut-Karabagh est indissociable de l’ouverture des frontières.
Le ministère des Affaires étrangères a publié, immédiatement après la signature de l’accord, une déclaration qui souligne que « la normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie avant le retrait des forces arméniennes des territoires azerbaïdjanais est en contradiction directe avec les interêts de l’Azerbaïdjan ».
Ce qui inquiète l’opinion publique azérie, c’est la mauvaise tournure que risque de prendre cette situation, l’ouverture de la frontière remettant en cause la stabilité dans la région au fur et à mesure que le processus de paix s’enlise. Dans ce cas, la reprise des hostilités pourrait devenir inéluctable. Il faut souligner aussi qu’une telle situation pourrait, au passage, mettre fin aux projets énergétiques européens, notamment celui de « Nabucco » qui serait alimenté principalement par l’Azerbaïdjan et les pays d’Asie centrale. L’Azerbaïdjan est non seulement un pays de transit pour diversifier les sources d’approvisionnement en gaz de l’Union européenne, mais aussi un fournisseur important. L’avenir du gazoduc dépend en grande partie de sa future politique énergétique.
Force est de constater qu’une nouvelle configuration régionale peut apparaître, remettant en cause des projets européens, si l’ouverture des frontières ne s’accompagne pas du retrait des forces arméniennes des territoires occupés. Aussi, il revient à la communauté internationale de s’engager fermement, en parallèle avec le processus de normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie, dans le règlement du conflit du Haut-Karabagh pour favoriser la recherche d’une solution pacifique.