Dans cet avis, la Cour, à l’unanimité, dit qu’elle est compétente pour répondre à la demande d’avis consultatif soumise par l’Assemblée générale des Nations Unies et, par neuf voix contre cinq, décide de donner suite à cette demande.
Elle répond ensuite à la demande de la façon suivante :
«3) Par dix voix contre quatre, Est d’avis que la déclaration d’indépendance du Kosovo adoptée le 17 février 2008 n’a pas violé le droit international».
Au terme du raisonnement résumé ci-après, la Cour conclut «que l’adoption de la déclaration d’indépendance du 17 février 2008 n’a violé ni le droit international général, ni la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, ni le cadre constitutionnel (adopté au nom de la MINUK par le représentant spécial du Secrétaire général)», et que, «(e)n conséquence, l’adoption de ladite déclaration n’a violé aucune règle applicable du droit international».
L’avis consultatif se divise en cinq parties : (I) compétence et pouvoir discrétionnaire, (II) portée et sens de la question posée, (III) contexte factuel, (IV) question de la conformité de la déclaration d’indépendance au droit international, et (V) conclusion générale.

I) COMPÉTENCE ET POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE
La Cour rappelle que, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’avis consultatif, elle doit d’abord déterminer si elle a compétence pour donner l’avis demandé et, dans l’affirmative, examiner s’il existe une quelconque raison pour elle, sur la base de son appréciation discrétionnaire, de refuser d’exercer une telle compétence en l’espèce.
Elle commence donc par rechercher si elle a compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale le 8 octobre 2008. Se référant en particulier aux articles 10, 11, paragraphe 2, et 12 de la Charte des Nations Unies, la Cour relève que l’Assemblée générale «peut discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre de la … Charte ou se rapportant aux pouvoirs et fonctions de l’un quelconque des organes prévus dans la … Charte», que «la Charte confère expressément compétence à l’Assemblée générale pour discuter «toutes questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales dont elle aura été saisie par l’une quelconque des Nations Unies…» et pour faire des recommandations». La Cour relève encore que la requête pour avis consultatif ne contrevient pas aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 12 de la Charte qui interdisent à l’Assemblée générale de faire des recommandations sur un différend ou une situation à l’égard desquels le Conseil de sécurité remplit les fonctions qui lui sont attribuées par la Charte. La Cour constate ensuite que la question posée par l’Assemblée générale «est assurément une question juridique» au sens de l’article 96 de la Charte et de l’article 65 de son Statut, et conclut de ce qui précède qu’elle a compétence pour donner un avis consultatif en réponse à la demande de l’Assemblée générale. Elle précise, ce faisant, que le fait «qu’une question revête des aspects politiques ne suffit pas à lui ôter son caractère juridique» et indique également que, «pour trancher le point ⎯ qui touche à sa compétence ⎯ de savoir si la question qui lui est posée est d’ordre juridique, elle ne doit tenir compte ni de la nature politique des motifs qui pourraient avoir inspiré la demande, ni des conséquences politiques que pourrait avoir son avis».
La Cour observe ensuite que le fait qu’elle ait compétence «ne signifie pas, cependant, qu’elle soit tenue de l’exercer», soulignant que le pouvoir discrétionnaire, qui lui est reconnu au titre de l’article 65 de son Statut, de répondre ou non à une demande d’avis consultatif, «vise à protéger l’intégrité de (s)a fonction judiciaire et sa nature en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies».
Après avoir rappelé que «sa réponse à une demande d’avis consultatif «constitue (sa) participation … à l’action de l’Organisation et, en principe, … ne devrait pas être refusée»», la Cour indique qu’elle «doit s’assurer de l’opportunité d’exercer sa fonction judiciaire en l’espèce» et qu’elle a donc «examiné attentivement si, à la lumière de sa jurisprudence, il existait des raisons décisives pour refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale». Elle estime en premier lieu que les motifs qui ont inspiré la demande d’avis consultatif «ne sont pas pertinents au regard de l’exercice … de son pouvoir discrétionnaire». Elle relève en deuxième lieu qu’elle ne saurait retenir l’argument avancé par certains participants à la procédure selon lequel la résolution 63/3 (dans laquelle l’Assemblée générale a formulé sa demande d’avis consultatif à la Cour) n’indiquait pas «à quelles fins l’Assemblée générale avait besoin de l’avis de la Cour, ni si cet avis aurait un effet juridique utile». La Cour rappelle qu’elle «a toujours considéré que ce n’était pas à elle, mais à l’organe demandant l’avis, qu’il appartenait de déterminer si celui-ci était nécessaire au bon exercice des fonctions de cet organe». Elle ne retient pas davantage, en troisième lieu, l’argument de certains participants selon lequel elle devrait refuser de répondre au motif que son avis risquerait d’avoir des conséquences politiques négatives.
La Cour examine ensuite une question qu’elle juge «importante», celle de savoir si elle «devrait refuser de répondre à la question qui lui a été posée, au motif que la demande d’avis consultatif émane de l’Assemblée générale et non du Conseil de sécurité». Elle note que «(s)’il est vrai que la demande … porte sur un aspect d’une situation que le Conseil de sécurité a qualifiée de menace pour la paix et la sécurité internationales et qui, à ce titre, reste inscrite à son ordre du jour, cela ne signifie pas pour autant que l’Assemblée générale ne puisse légitimement s’intéresser à cette question». Elle rappelle que «le fait que la déclaration d’indépendance ait été jusqu’ici examinée uniquement par le Conseil de sécurité et que cet organe soit celui qui a pris des mesures relatives à la situation au Kosovo ne constitue pas pour la Cour une raison décisive de refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale». Elle ajoute par ailleurs que «le fait que la Cour doive nécessairement, pour répondre à la question de l’Assemblée générale, interpréter et appliquer les dispositions de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, ne constitue pas, selon elle, une raison décisive de ne pas donner suite à la demande qui lui est adressée». Elle observe à cet égard que, bien que la responsabilité d’interpréter et d’appliquer une décision de l’un des organes politiques de l’Organisation des Nations Unies incombe en premier lieu à l’organe en question, la Cour, en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, «a elle aussi été souvent amenée à interpréter de telles décisions et à en examiner les effets juridiques», et qu’elle l’a déjà fait, tant dans l’exercice de sa compétence consultative que dans l’exercice de sa compétence contentieuse. La Cour estime donc qu’elle peut répondre à la demande de l’Assemblée générale «sans porter atteinte à l’intégrité de sa fonction judiciaire».
Elle précise ensuite que, selon elle, la «véritable question» est plutôt celle de savoir si elle devrait s’abstenir de répondre à la question de l’Assemblée générale à moins d’avoir été invitée à le faire par le Conseil de sécurité, qui est, ainsi que le rappelle la Cour, à la fois l’organe dont émane la résolution 1244 et l’organe auquel incombe la responsabilité d’interpréter et d’appliquer ladite résolution. La Cour relève que, «(l)orsque, comme en l’espèce, la réponse à une question peut légitimement intéresser l’Assemblée générale, le fait qu’elle puisse avoir en partie trait à une décision du Conseil de sécurité ne suffit pas à justifier un refus de (sa part) de donner son avis à l’Assemblée générale».
La Cour conclut qu’en conséquence de ce qui précède «il n’existe pas de raison décisive de refuser d’exercer sa compétence à l’égard de la … demande» dont elle est saisie.

II) PORTÉE ET SENS DE LA QUESTION POSÉE
La Cour note que l’Assemblée générale lui a demandé si la déclaration d’indépendance du Kosovo adoptée le 17 février 2008 était «conforme au droit international» : il s’agit donc de savoir si le droit international applicable interdisait ou non cette déclaration d’indépendance. La Cour ajoute que, si elle conclut que le droit international interdisait cette dernière, elle devrait alors répondre à la question posée en disant que cette déclaration d’indépendance n’était pas conforme au droit international. La Cour souligne que la tâche qui lui incombe consiste dès lors à déterminer si ladite déclaration a été adoptée en violation ou non du droit international. Elle précise qu’elle «n’est pas tenue, par la question qui lui est posée, de prendre parti sur le point de savoir si le droit international conférait au Kosovo un droit positif de déclarer unilatéralement son indépendance, ni, a fortiori, sur le point de savoir si le droit international confère en général à des entités situées à l’intérieur d’un Etat existant le droit de s’en séparer unilatéralement».

III) CONTEXTE FACTUEL
La Cour poursuit son raisonnement en soulignant que la déclaration d’indépendance du Kosovo adoptée le 17 février 2008 «doit être appréciée dans le contexte factuel qui a conduit à son adoption». Elle présente succinctement les caractéristiques pertinentes du régime que le Conseil de sécurité a mis en place pour assurer l’administration intérimaire du Kosovo, par la voie de sa résolution 1244 (1999) et des règlements promulgués en vertu de celle-ci par la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK). Elle expose ensuite brièvement les faits survenus dans le cadre du processus dit «de détermination du statut final» pendant les années qui ont précédé l’adoption de la déclaration d’indépendance, avant d’examiner les événements du 17 février 2008.

IV) QUESTION DE LA CONFORMITÉ DE LA DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE AU DROIT INTERNATIONAL
Dans cette quatrième partie, la Cour examine au fond la demande présentée par l’Assemblée générale. Elle rappelle que celle-ci l’a priée de se prononcer sur la conformité au «droit international» de la déclaration d’indépendance du 17 février 2008.
La Cour se penche tout d’abord sur certaines questions relatives à la licéité des déclarations d’indépendance en droit international général, au regard duquel la question posée doit être examinée et la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, interprétée et appliquée. Elle relève notamment qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle, «le droit international, en matière d’autodétermination, a évolué pour donner naissance à un droit à l’indépendance au bénéfice des peuples des territoires non autonomes et de ceux qui étaient soumis à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères» et qu’un «très grand nombre de nouveaux Etats sont nés par suite de l’exercice de ce droit». La Cour note qu’il est toutefois également arrivé que des déclarations d’indépendance soient faites en dehors de ce contexte et que «(l)a pratique des Etats dans ces derniers cas ne révèle pas l’apparition, en droit international, d’une nouvelle règle interdisant que de telles déclarations soient faites».
La Cour observe que plusieurs participants à la procédure ont soutenu qu’une interdiction des déclarations unilatérales d’indépendance était implicitement contenue dans le principe de l’intégrité territoriale. Elle «rappelle que (ce) principe … constitue un élément important de l’ordre juridique international et qu’il est consacré par la Charte des Nations Unies, en particulier au paragraphe 4 de l’article 2», aux termes duquel «(l)es Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies».
La Cour ajoute que, dans sa résolution 2625 (XXV), intitulée «Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies», qui reflète le droit international coutumier (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 101-103, par. 191-193), l’Assemblée générale a réaffirmé «(l)e principe que les Etats s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force … contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat». Cette résolution met ensuite à la charge des Etats différentes obligations leur imposant de ne pas violer l’intégrité territoriale d’autres Etats souverains, poursuit la Cour, qui souligne que, dans le même ordre d’idées, l’acte final de la conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe du 1er août 1975 (la conférence d’Helsinki) prévoit que «(l)es Etats participants respectent l’intégrité territoriale de chacun des autres Etats participants» (article IV). Partant, la Cour estime que «(l)a portée du principe de l’intégrité territoriale est … limitée à la sphère des relations interétatiques».
Après avoir rappelé que plusieurs participants avaient invoqué des résolutions par lesquelles le Conseil de sécurité avait condamné certaines déclarations d’indépendance (voir, notamment, les résolutions 216 (1965) et 217 (1965) du Conseil de sécurité concernant la Rhodésie du Sud, la résolution 541 (1983) du Conseil de sécurité concernant le nord de Chypre et la résolution 787 (1992) du Conseil de sécurité concernant la Republika Srpska), la Cour «relève cependant que, dans chacun de ces cas, le Conseil de sécurité s’(était) prononcé sur la situation telle qu’elle se présentait concrètement lorsque les déclarations d’indépendance (avaient) été faites ; l’illicéité de ces déclarations découlait donc non de leur caractère unilatéral, mais du fait que celles-ci allaient ou seraient allées de pair avec un recours illicite à la force ou avec d’autres violations graves de normes de droit international général, en particulier de nature impérative (jus cogens)». Or, poursuit la Cour, «dans le cas du Kosovo, le Conseil de sécurité n’a jamais pris une telle position». Selon la Cour, «le caractère exceptionnel des résolutions susmentionnées semble confirmer qu’aucune interdiction générale des déclarations unilatérales d’indépendance ne saurait être déduite de la pratique du Conseil de sécurité».
Se penchant sur les arguments présentés par un certain nombre de participants quant à la portée du droit à l’autodétermination ou à l’existence d’un droit de «sécession-remède», la Cour estime que les controverses sur ces points «se rapportent en réalité à la question du droit de se séparer d’un Etat». La Cour rappelle que «cette question sort du cadre de celle qui a été posée par l’Assemblée générale, et (que) presque tous les participants en conviennent». Elle précise que, pour répondre à la question posée, il lui suffit «de déterminer si la déclaration d’indépendance a violé le droit international général ou la lex specialis créée par la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité».
La Cour conclut que le droit international général ne comporte aucune interdiction applicable aux déclarations d’indépendance et qu’en conséquence la déclaration d’indépendance du 17 février 2008 n’a pas violé le droit international général.
La Cour s’attache ensuite à examiner la pertinence juridique de la résolution 1244 du Conseil de sécurité, adoptée le 10 juin 1999, aux fins de déterminer si celle-ci crée, en droit international, des règles spéciales ⎯ et, partant, des obligations qui en découlent ⎯ applicables aux questions que soulève la demande d’avis et ayant une incidence sur la licéité de la déclaration d’indépendance du 17 février 2008.
La Cour note tout d’abord que la résolution 1244 (1999) a été expressément adoptée par le Conseil de sécurité au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, et qu’elle impose donc clairement des obligations juridiques internationales. La Cour relève «qu’aucun des participants n’a contesté que (cette) résolution …, qui concerne spécifiquement la situation au Kosovo, fasse partie du droit pertinent au regard de la … situation (examinée)».
La Cour se réfère ensuite aux règlements de la MINUK, y compris le règlement no 2001/9 par lequel a été promulgué le cadre constitutionnel pour une administration autonome provisoire, qui définissait les responsabilités liées à l’administration du Kosovo incombant respectivement au représentant spécial du Secrétaire général et aux institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo. Elle fait observer que ces règlements sont adoptés par le représentant spécial du Secrétaire général en vertu des pouvoirs qui lui sont dévolus par la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité et donc, en dernière analyse, par la Charte des Nations Unies. Elle poursuit en observant que «(l)e cadre constitutionnel tient sa force obligatoire du caractère contraignant de la résolution 1244 (1999) et, partant, du droit international» et que, «(e)n ce sens, il revêt donc un caractère juridique international».
La Cour ajoute également que «ce cadre constitutionnel constitue, en même temps, l’un des rouages de l’ordre juridique spécifique, créé en vertu de la résolution 1244 (1999), applicable seulement au Kosovo et destiné à réglementer, pendant la période intérimaire instituée par cette résolution, des questions qui relèvent habituellement du droit interne plutôt que du droit international» ; le «cadre constitutionnel s’est donc intégré dans l’ensemble de normes adopté aux fins de l’administration du Kosovo pendant la période intérimaire». Les institutions créées en vertu de ce cadre étaient habilitées par celui-ci à prendre des décisions produisant leurs effets au sein de cet ensemble de normes, poursuit la Cour, qui note qu’«en particulier, l’Assemblée du Kosovo était habilitée à adopter des textes ayant force de loi dans cet ordre juridique, sous réserve de l’autorité prépondérante du représentant spécial du Secrétaire général».
La Cour constate que «ni la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité ni le cadre constitutionnel ne contiennent de clause d’extinction ou n’ont été abrogés (et qu’)ils constituaient par conséquent le droit international applicable à la situation qui existait au Kosovo le 17 février 2008». Elle conclut de ce qui précède «que la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité et le cadre constitutionnel font partie du droit international qu’il convient de considérer pour répondre à la question posée par l’Assemblée générale».
Après avoir procédé à l’interprétation de la résolution 1244 (1999) elle-même, la Cour conclut que «l’objet et le but de (celle-ci) étaient d’établir un régime juridique temporaire de caractère exceptionnel qui s’est substitué, sauf lorsqu’il l’a expressément conservé, à l’ordre juridique serbe et visait à stabiliser le Kosovo et que ce régime était censé s’appliquer à titre transitoire».
La Cour examine ensuite la question de savoir si la résolution 1244 (1999), ou les mesures adoptées en vertu de celle-ci, ont eu pour effet de créer un interdiction spécifique de toute déclaration d’indépendance, interdiction qui serait applicable à ceux qui ont adopté la déclaration d’indépendance du 17 février 2008. Pour répondre à cette question, la Cour doit commencer par déterminer précisément de qui émane cette déclaration.
Dans la partie de son avis consultatif consacrée à l’identité des auteurs de la déclaration d’indépendance, la Cour recherche si la déclaration d’indépendance du 17 février 2008 a constitué un acte de l’«Assemblée du Kosovo» en tant qu’institution provisoire d’administration autonome établie conformément au cadre constitutionnel, ou si ceux qui ont adopté cette déclaration ont agi en une autre qualité. Sur ce point, la Cour est amenée à conclure que «la déclaration d’indépendance … n’est pas le fait de l’Assemblée du Kosovo en tant qu’institution provisoire d’administration autonome agissant dans les limites du cadre constitutionnel, mais est celui de personnes ayant agi de concert en leur qualité de représentants du peuple du Kosovo, en dehors du cadre de l’administration intérimaire».
La Cour se penche ensuite sur la question, débattue pendant la procédure, dela violation éventuelle, par les auteurs de la déclaration d’indépendance, de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité. Après avoir passé en revue les thèses soutenues par les participants à la procédure sur ce point, la Cour procède à une lecture attentive de la résolution 1244 (1999) pour déterminer si ce texte interdisait aux auteurs de la déclaration du 17 février 2008 de proclamer l’indépendance du Kosovo vis-à-vis de la République de Serbie. Elle fait d’abord observer que cette résolution ne contient aucune disposition concernant le statut final du Kosovo ou les conditions auxquelles ce statut doit satisfaire. A cet égard, la Cour relève que, au vu de la pratique suivie à l’époque par le Conseil de sécurité, «lorsque celui-ci décidait de fixer des conditions restrictives quant au statut permanent d’un territoire, ces conditions étaient précisées dans la résolution pertinente». La Cour note que «(l)e libellé de la résolution 1244 (1999) montre … que le Conseil de sécurité ne s’est pas réservé le règlement définitif de la situation au Kosovo, et (qu’)il est resté silencieux sur les conditions du statut final». Elle constate que la résolution 1244 (1999) «n’excluait donc pas l’adoption de la déclaration d’indépendance du 17 février 2008, ces deux textes étant de nature différente : contrairement à la résolution 1244 (1999), la déclaration d’indépendance constitue une tentative de déterminer définitivement le statut du Kosovo».
Passant à l’examen de la question des destinataires de la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, la Cour rappelle que, lorsqu’elle interprète des résolutions du Conseil, elle doit identifier, «au cas par cas, compte tenu de toutes les circonstances pertinentes, les destinataires à l’égard desquels (celui-ci) a voulu créer des obligations juridiques contraignantes». Elle note «qu’il est arrivé que le Conseil de sécurité formule certaines exigences à l’intention d’acteurs autres que les Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies et les organisations intergouvernementales», plus particulièrement, en l’occurrence, à l’intention des dirigeants albanais du Kosovo, mais précise qu’aucune référence à ces dirigeants ou à d’autres acteurs, nonobstant celle, relativement générale, à «tous les intéressés» (paragraphe 14), ne se retrouve dans le texte de la résolution 1244 (1999). La Cour estime dès lors ne pouvoir retenir l’argument selon lequel la résolution 1244 (1999) contiendrait une interdiction, liant les auteurs de la déclaration d’indépendance, de faire une telle déclaration. Elle ajoute que «pareille interdiction ne peut non plus être inférée du texte de la résolution, lu dans son contexte et à la lumière de son objet et de son but» et que «le libellé de la résolution 1244 (1999) … est, au mieux, ambigu» sur la question de savoir si celle-ci créé une telle interdiction. La Cour souligne que l’objet et le but de la résolution consistaient «à mettre en place une administration intérimaire au Kosovo, sans prendre aucune décision définitive quant aux questions relatives au statut final». S’il est précisé à l’alinéa c) du paragraphe 11 de la résolution 1244 (1999) que les «principales responsabilités de la présence internationale civile seront … (d’o)rganiser et superviser la mise en place d’institutions provisoires pour une auto-administration autonome et démocratique en attendant un règlement politique» (les soulignements sont de la Cour), la Cour souligne néanmoins que l’expression «règlement politique», souvent reprise au cours de la procédure, «ne change rien à sa conclusion» selon laquelle la résolution 1244 ne contient aucune interdiction, liant les auteurs de la déclaration d’indépendance, de faire une telle déclaration. La Cour explique que cette expression s’inscrit dans le cadre d’une énumération des responsabilités incombant à la présence civile internationale, à savoir le représentant spécial du Secrétaire général pour le Kosovo et la MINUK, et à personne d’autre ; et la Cour d’ajouter que l’expression «règlement politique» peut s’interpréter de diverses manières, comme en témoignent les vues divergentes qui ont été exposées devant elle sur ce point. Selon la Cour, cette partie de la résolution 1244 (1999) «ne peut donc pas être interprétée comme comportant une interdiction de déclarer l’indépendance applicable en particulier aux auteurs de la déclaration du 17 février 2008».
La Cour conclut dès lors que la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité ne faisait pas obstacle à ce que les auteurs de la déclaration du 17 février 2008 proclament l’indépendance du Kosovo vis-à-vis de la République de Serbie et que, «partant, la déclaration d’indépendance n’a pas violé la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité».
Enfin, sur la question de savoir si la déclaration d’indépendance du 17 février 2008 a violé le cadre constitutionnel établi sous les auspices de la MINUK, comme l’ont soutenu plusieurs des Etats qui ont participé à la procédure, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu, plus haut dans son avis consultatif, «que (cette) déclaration d’indépendance … n’émanait pas des institutions provisoires d’administration autonome, et qu’il ne s’agissait pas non plus d’un acte destiné à prendre effet, ou ayant effectivement pris effet, dans le cadre de l’ordre juridique au sein duquel celles-ci agissaient». La Cour précise qu’en conséquence «les auteurs de la déclaration d’indépendance n’étaient pas liés par le cadre qui visait à régir, en définissant leurs pouvoirs et responsabilités, la conduite des institutions provisoires d’administration autonome», et conclut que «la déclaration d’indépendance n’a pas violé le cadre constitutionnel».

V) CONCLUSION GÉNÉRALE
Pour clore l’exposé de ses motifs, la Cour résume comme suit l’ensemble de ses conclusions :
«La Cour a conclu ci-dessus que l’adoption de la déclaration d’indépendance du 17 février 2008 n’a violé ni le droit international général, ni la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité, ni le cadre constitutionnel. En conséquence, l’adoption de ladite déclaration n’a violé aucune règle applicable du droit international».

Composition de la Cour
La Cour était composée comme suit : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président ; MM. Koroma, Al-Khasawneh, Buergenthal, Simma, Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, juges ; M. Couvreur, greffier.
M. le juge Tomka, vice-président, a joint une déclaration à l’avis consultatif ; M. le juge Koroma a joint à l’avis consultatif l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge Simma a joint une déclaration à l’avis consultatif ; MM. les juges Keith et Sepúlveda-Amor joignent à l’avis consultatif les exposés de leur opinion individuelle ; MM. les juges Bennouna et Skotnikov joignent à l’avis consultatif les exposés de leur opinion dissidente ; MM. les juges Cançado Trindade et Yusuf joignent à l’avis consultatif les exposés de leur opinion individuelle.
Source : communiqué de presse de la CIJ du 22 juillet 2010