Au-delà du caractère inhabituel et curieux d’une telle démarche en droit du contentieux international, qui se rapproche plus de la logique de l'amicus curiaeque de l’intervention au sens classique du terme, il convient de préciser que ce n’est pas la première fois que la représentante spéciale de l'ONU pour les enfants et les conflits armés intervient en ce sens. Elle l’avait déjà fait à d’autres occasions, notamment dans une lettre du 5 mai 2010 adressée aux autorités canadiennes et américaines dans laquelle elle demandait la libération d’Omar Khadr. Dans une autre lettre datée du 10 août 2010, elle préconisait des négociations bilatérales entre le Canada et les Etats-Unis, en vue de trouver une solution mutuellement convenable, conformément au droit international applicable aux enfants en situation de conflits armés.
Omar Khadr est un jeune canadien âgé de 24 ans qui fait l’objet d’une procédure devant la Commission militaire mise en place par les Etats-Unis à Guantanamo (Cuba), afin de juger les auteurs des attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New-York. Il est inculpé, entre autres, pour le meurtre d’un militaire Américain en Afghanistan suite à un lancé de grenade, ainsi que pour son soutien présumé aux terroristes d’Al Qaeda. Il avait 15 ans au moment des faits.
Il est cependant difficile de mesurer l’incidence réelle d’une telle initiative dont le but est la libération d’Omar Khadr (I), compte tenu de l’incertitude inhérente à toute procédure judiciaire et du caractère particulièrement sensible de l’affaire, malgré un contexte juridique et factuel globalement favorable (II). L’inaction du Canada (III), de même que la transaction réalisée finalement par les parties sur la peine en sont des illustrations (IV).

I- Une initiative visant la libération d’Omar Khadr, enfant-soldat
1- La teneur de la lettre adressée par l’ONU
Dans sa nouvelle lettre à la Commission militaire américaine de Guantanamo, Mme Radhika Coomaraswamy invite les Etats-Unis à faire respecter le droit international qui régit le sort des enfants-soldats en ne condamnant pas à la prison Omar Khadr, qui n'avait que 15 ans au moment des faits qui lui sont reprochés. De son point de vue, « À tous égards, Omar est l'exemple type d'un enfant-soldat, recruté par des groupes sans scrupule pour combattre, à la demande d'adultes, dans des conflits qu'ils comprennent à peine ». Par ailleurs, a-t-elle ajouté, sa cause est une source « de profonde inquiétude pour tous ceux d'entre nous dans la communauté internationale qui travaillent au dossier des enfants et des conflits armés ».
2- L’objet de l’intervention : la libération d’Omar Khadr
On l’aura compris, l’objet de l’intervention de la représentante de l’ONU est double. Il s’agit d’abord d’inciter le Canada et les Etats-Unis, et incidemment la Commission militaire de Guantanamo, à respecter la lettre et l’esprit du droit international applicable aux enfants en période de conflits armés, conformément à leurs engagements internationaux. En vertu de ce droit, les enfants-soldats sont des victimes des conflits armés et ne sauraient, à ce titre, encourir une peine d’emprisonnement. Il s’agit ensuite de faire reconnaître à Omar Khadr le statut protecteur d’enfant-soldat compte tenu de son âge au moment des faits. Le but ultime de cette intervention est donc la libération d’Omar Khadr.

II- Un cadre juridique international globalement propice
1. Le droit international applicable
Il est vrai que le droit international applicable, notamment la Convention de New-York de 1989 relative aux droits de l’enfant, accorde un régime juridique particulier aux enfants de moins de 18 ans. La peine de mort ne leur est pas applicable, de même que la perpétuité réelle.
Le Protocole facultatif n°1 concernant l’implication des enfants dans les conflits armés fixe l’âge de l’enrôlement à 18 ans, tout en interdisant la peine de prison pour les enfants-soldats, tel qu’il ressort des articles 6 et 7 de ce texte (1).
L’analyse comparée des deux textes, aboutit bel et bien à la conclusion qu’un enfant-soldat, donc âgé de moins de 18 ans, ne saurait encourir une peine d’emprisonnement. Reste à savoir si ce droit pourrait s’appliquer en l’espèce.
2. L’opposabilité de ce droit aux Etats-Unis et au Canada
Le régime juridique favorable issu de ce dispositif est opposable aux deux Etats. Certes, les Etats-Unis ne sont pas partie à cette Convention de New-York entrée en vigueur le 2 septembre 1990, laquelle ne saurait dès lors leur être opposable. En revanche, ils ont bien ratifié le Protocole facultatif n°1 le 23 décembre 2002, tout en précisant qu’ils « ne contractent aucune obligation au regard de la Convention relative aux droits de l'enfant en devenant partie au Protocole » (2). Cette réserve a peu d’importance ici, car elle ne remet pas en cause l’opposabilité du Protocole facultatif à leur égard. De son côté, le Canada a ratifié les deux textes. Elle l’a fait en juillet 2000 pour ce qui est du Protocole facultatif n°1. La question de l’efficacité du droit international applicable aux enfants en situation de conflit ne pose donc pas de difficulté particulière ici. Tel n’est pas le cas du statut juridique du principal intéressé.
3. La question du statut juridique d’Omar Khadr
Le seul bémol pourrait venir du statut juridique d’Omar Khadr. En effet, si du point de vue des textes internationaux cités, ce jeune Canadien est bel et bien un enfant-soldat compte tenu de son âge au moment des faits, 15 ans, les autorités américaines ont un avis différent sur la question. Pour Washington, en effet, et contrairement à la position canadienne, Omar Khadr, bien que âgé de 15 ans au moment des faits, n’est pas un enfant-soldat mais un criminel de guerre soutenant le terrorisme, qui devrait être jugé comme tout autre criminel de guerre. Par conséquent, il ne saurait bénéficier du dispositif juridique favorable de la Convention de Genève et de son protocole facultatif n°1.

III- L’inaction du gouvernement canadien : un choix politique compréhensible mais critiquable
1. Un choix politique compréhensible
Les différentes interventions de la représentante spéciale de l'ONU pour les enfants et les conflits armés n’ont jusqu’à présent eu aucun effet sur le gouvernement canadien. Ottawa ne semble, en effet, pas disposé à intervenir auprès des autorités judiciaires américaines pour demander la libération ou le rapatriement d’Omar Khadr, du moins tant que la procédure judiciaire actuelle est en cours. « Cette question concerne M. Khadr et le gouvernement des États-Unis», soutient le gouvernement canadien par la voix de Lawrence Cannon, ministre des affaires étrangères. Il est conforté dans cette position par le fait que « M. Khadr se reconnaît coupable de meurtre en contravention avec le droit international humanitaire, de tentative de meurtre en contravention avec ce droit, de conspiration, de soutien matériel au terrorisme et d'espionnage.
D'après certains médias, M. Khadr s'est aussi reconnu coupable d'être membre d'Al-Qaïda, d'avoir placé des bombes en bordure des routes et de s'en être pris sciemment à des victimes civiles ».
Cette volonté très nette des autorités canadiennes de ne pas interférer dans une procédure judiciaire d’exception se déroulant sur une base militaire américaine située à l’étranger (Cuba), procédure au cœur de laquelle se trouve la question ultra-sensible du terrorisme international, elle-même mêlée d’enjeux de sécurité intérieure et/ou de politique extérieure américaine est compréhensible. Une telle attitude, qui respecte la souveraineté judiciaire américaine, est de nature à consolider les liens entre les deux voisins nord-américains autour de leur solidarité traditionnelle dans la lutte contre le terrorisme international.
2. Un choix politique critiquable
On aurait néanmoins pu s’attendre à une meilleure prise en compte de la situation particulière du jeune Omar Khadr, conformément au droit international pertinent. S’il est âgé de 24 ans aujourd’hui, on devrait se souvenir que Omar Khadr, qui a été enrôlé par les Talibans à l’âge de 13 où 14 ans sur recommandation de son père, n’avait que 15 ans au moment des faits. De ce point de vue et malgré la gravité des actes dont il est inculpé, il relève des dispositions favorables de la Convention de New-York sur les enfants et son Protocole facultatif n°1 sur les enfants-soldats.
On peut également regretter que le gouvernement canadien n’ait pas tenu compte de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans le cadre de la même affaire. En effet, la Cour suprême a constaté que le gouvernement fédéral avait violé et continue de violer les droits d’Omar Khadr eu égard aux conditions de son arrestation et de sa détention, et du fait de son transfèrement à la base militaire américaine de Guantanamo. Dans cette affaire, où étaient précisément en cause des actes de torture perpétrés lors d’interrogatoires auxquels ont assisté des agents canadiens, en l’absence des avocats d’Omar Khadr, la Cour suprême a statué que « compte tenu de la conduite de responsables canadiens lors d'interrogatoires menés en 2003 et 2004, telle qu'elle est établie par la preuve, le Canada a activement participé à un processus contraire aux obligations internationales qui lui incombent en matière de droits de la personne et a contribué à la détention continue de l'intimé, de telle sorte qu'il a porté atteinte à son droit à la liberté et à la sécurité de la personne que lui garantit l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, et ce, de manière incompatible avec les principes de justice fondamentale ».
Contrairement cependant à la Cour d’appel fédérale et à la Cour fédérale d’Ottawa, elle n’a pas exigé du gouvernement canadien le rapatriement du jeune prisonnier, au nom du principe de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire et parce que les questions de relations internationales relèvent de l’Exécutif. Il appartenait donc aux autorités gouvernementales de choisir le type de réparation approprié, sachant qu’en tout état de cause, l’efficacité d’une éventuelle ordonnance de rapatriement aurait été tributaire du bon vouloir des Etats-Unis. Limitée par son champ de compétence, la Haute juridiction n’en recommande pas moins, certes à demi-mots, le rapatriement d’Omar Khadr, suggérant au gouvernement canadien une négociation en ce sens avec les autorités américaines. Le gouvernement canadien n’a cependant pas suivi le juge suprême, ne laissant que très peu d’options aux principaux protagonistes de l’affaire.

IV- La transaction judiciaire sur la peine : le triomphe du droit international ou de l’opportunisme ?
1- Les termes de la transaction
L’inaction du Canada n’a laissé d’autre choix aux avocats du détenu que de négocier une transaction avec la Cour martiale américaine. Aux termes de cette transaction, Omar Khadr plaiderait coupable en échange d’une peine réduite à purger sur demande dans un pénitencier canadien, avec l’accord du gouvernement canadien. Il n’est donc pas surprenant, malgré les apparences, que Omar Khadr, détenu à la prison militaire de Guantanamo depuis 2002 et qui a contesté pendant huit ans les faits qui lui étaient reprochés, ait plaidé coupable le 25 octobre 2010 pour les cinq accusations de crime de guerre portées contre lui par la justice militaire américaine, dont celles de meurtre, de complot et de soutien au terrorisme.
2- Le triomphe relatif du droit international
Cette issue semble prendre en compte la lettre et l’esprit du Protocole facultatif n°1 à la Convention de New-York, qui aménage un régime de faveur aux enfants-soldats, considérés comme des « victimes » des conflits armés. De criminel de guerre à enfant-soldat victime, le statut procédural d’Omar Khadr semble ainsi avoir évolué au fil des débats. Il y a là un retournement extraordinaire de situation qui pourrait trouver justification dans le triomphe du droit international pertinent qui, on le sait, est opposable aux Etats-Unis. De ce point de vue, l’intervention de la représentante spéciale de l'ONU pour les enfants et les conflits armés n’aura pas été veine, même si le Canada n’a joué aucun rôle dans la signature de la transaction.
L’évolution de la situation judiciaire d’Omar Khadr pourrait également être justifiée par l’opportunisme des deux parties principales. Tactiquement en effet, la manœuvre est parfaite pour Omar Khadr qui, une fois transféré au Canada, bénéficiera sans doute d’un dispositif de réinsertion sociale, tel que le prévoient les articles 6 et 7 du Protocole n°1 à la Convention de New-York.
Le président Obama, quant à lui, voit l’une de ses promesses de campagne se réaliser petit à petit, à savoir la fermeture de du pénitencier de Guantanamo, dont l’ouverture sous son prédécesseur Georges W. Bush avait suscité les plus vives controverses, au même titre que la nature et la compétence de la Commission militaire chargée de juger les prisonniers qui y sont incarcérés.
Il n’est pas certain, en revanche, que le Canada, appelé gérer les suites d’une éventuelle condamnation conformément à ses engagements au titre du Protocole facultatif n° 1, verra d’un très bon œil le retour sur son territoire d’un terroriste autoproclamé, malgré l’émoi qu’a suscité la situation personnelle d’Omar khadr dans la population. Son attitude durant cette affaire en atteste.


(1) Texte signé en mai 2000 et entré en vigueur le 12 février 2002 (http://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-11-b&chapter=4&lang=fr&clang=_fr). L’autre Protocole facultatif à la Convention de Genève, concerne la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants est entré en vigueur le 18 janvier 2002.
(2) Voir les réserves des Etats-Unis au Protocole facultatif n°1, http://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-11-b&chapter=4&lang=fr&clang=_fr.