Cet « équilibre des pouvoirs » entre l’Est et l’Ouest a disparu depuis lors. La menace du terrorisme n’est plus uniquement militaire, et les États ne sont plus confrontés à des quartiers généraux mais à un réseau de cellules qui opèrent à l’échelle mondiale, y compris dans les pays mêmes qu’elles cherchent à attaquer (1). Pour aborder, analyser et traiter cette menace, l’Union européenne (UE) a donc dû, premièrement, mettre au point un nouvel éventail de « règles », deuxièmement, adapter les mécanismes traditionnels de défense de manière à optimiser leur efficacité.
Certes, la coopération entre les États européens enta matière de lutte contre le terrorisme a commencé bien avant les attentats du 11 septembre 2001, du 11 mars 2004, ou de juillet 2005. Dès les années 1970, diverses mesures ont été prises à l’échelle européenne afin de lutter contre le terrorisme séparatiste ou idéologique qui sévissait alors dans divers États européens. L’une des initiatives les plus connues de cette époque est la collaboration informelle des ministres des Affaires intérieures et de la Justice au sein du groupe TREVI (2), incorporé dans le Traité de Maastricht au début des années 1990.
Ce traité offre un cadre institutionnel aux multiples formes de coopération intergouvernementale qui se sont développées pendant les années 1970 et 1980 dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures (JAI). Ensuite, le rapport de Lisbonne du juin 1992 (3) a mentionné l’extension de l’intégrisme religieux qui menace la sécurité européenne . La volonté d’approfondir la coopération et de parvenir à un espace de liberté, de sécurité et de justice a été exprimée dans le Traité d’Amsterdam et lors du Conseil extraordinaire de Tampere d’octobre 1999, consacré à la construction de cet espace. Face à une menace globale donc, il est nécessaire d’appréhender les aspects fondamentaux du contre-terrorisme au niveau européen. En effet, suite aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, du 11 mars 2004 à Madrid et de juillet 2005 à Londres, la mobilisation de l’UE a été rapidement réactivée sur un nombre considérable de dossiers concernant la sécurité intérieure des pays membres .
Dix jours après les attentats du 11 septembre, le Conseil européen adoptait un « plan d'action » en matière de lutte antiterroriste. Ce plan a été actualisé lors d'une réunion extraordinaire des ministres de l'Intérieur qui s'est déroulée après les attentats de mars 2004 à Madrid. Dans le domaine des Affaires intérieures, les mesures prises à cette occasion sont censées construire un cadre juridique pour fonder les actions antiterroristes au niveau européen (6), notamment :
- L’adoption d’un certain nombre de mesures législatives dans le domaine de la lutte anti-terroriste : la plus spectaculaire a été l’adoption de la décision-cadre du 13 juin 2002 (7) créant le mandat d’arrêt européen, qui a révolutionné la pratique en matière d’extradition au sein de l’UE, en rendant celle-ci quasiment automatique.
- Une autre mesure importante, a été l’adoption d’une autre décision-cadre du 13 juin 2002 sur la lutte contre le terrorisme, qui permet d’harmoniser la définition du terrorisme au sein de l’UE, levant ainsi une entrave fréquente à la coopération judiciaire, le renforcement des organismes communautaires dans le domaine de la Justice et des Affaires intérieures. L’Europol, dont le mandat comprenait déjà la lutte contre le terrorisme, a créé en son sein une Task Forceréunissant des spécialistes de la lutte anti-terroriste (8).
- L’unité Eurojust , qui est composée d'un membre national par pays de l'Union, ayant qualité de procureur, de juge ou d'officier de police, a été créée par une décision du Conseil du 28 février 2002. Selon cette décision, Eurojust est chargée de « promouvoir et améliorer la coordination des enquêtes et des poursuites entre les autorités compétentes des États membres ; améliorer la coopération entre ces autorités en facilitant notamment la mise en œuvre de l'entraide judiciaire internationale ; soutenir les autorités nationales pour renforcer l'efficacité de leurs enquêtes et de leurs poursuites ».
- Le développement de la coopération avec les États-Unis a conduit à la négociation entre ceux-ci et l’UE d’accords concernant, d’une part, l’extradition et l’entraide judiciaire en matière pénale (accords signés le 25 juin 2003) (10), d’autre part, le transfert des données personnelles des voyageurs du transport aérien (accords signés le 28 mai 2004) (11).
- L’adoption, le 12 décembre 2003, de la « stratégie européenne de sécurité », préparée par M. Javier Solana, Haut Représentant pour la PESC. Ce document, véritable « livre blanc » de la sécurité en Europe, fait le point sur l’état des menaces auxquelles l’Europe est confrontée, en insistant plus particulièrement sur la menace terroriste.
- L’adoption par le Conseil européen, le 25 mars 2004, d’une Déclaration sur la lutte contre le terrorisme, confirmée lors du Conseil des 17 et 18 juin 2004 .
Avec cette nouvelle donne, l’UE a vu son champ d’action élargi pour englober d’autres domaines jugés prioritaires afin de sécuriser l’espace communautaire.
Les décisions prises après le 11 mars 2004 pour l’adoption par anticipation de la clause de solidarité contre le terrorisme inscrite dans le projet de Constitution et pour la nomination d’un coordinateur de la lutte contre le terrorisme, chargé notamment de rendre des rapports sur la mise en œuvre par les États membres des mesures législatives prises dans le cadre de l’Union européenne, constituent en ce sens des exemples significatifs. Reste à savoir quel rôle peut jouer la lutte contre le terrorisme dans la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union et dans ses relations internationales au sens large du terme ?
Dès le lendemain du 11 septembre 2001, l'UE s'est engagée à lutter contre le terrorisme à l'échelle mondiale et à combattre les causes de terrorisme, et notamment les problèmes politiques, économiques et sociaux des pays méditerranéens et du Proche-Orient, qui forment le terreau du fondamentalisme Islamiste.
La coopération en matière de lutte contre le terrorisme sera utilisée, en effet, comme étalon dans la définition des relations de l'UE avec les pays tiers. Étant donné que la menace terroriste internationale actuelle ne se limite pas au territoire de l'UE, mais touche de nombreuses régions du monde, il sera vital de coopérer avec les pays tiers prioritaires - notamment en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est - et de leur apporter une assistance.
Dans cette optique, la stratégie européenne contre le terrorisme adopté en 2005 reste une référence primordiale dans ce domaine .
D'une manière générale, au travers des opérations militaires et civiles de gestion des crises dans le cadre de la PESD, l'UE contribue à la sécurisation de l'environnement, ce qui se répercute sur les facteurs de radicalisation violente dans les pays tiers. A titre d'exemples, citons l'opération menée à Aceh (2006) ou les missions de soutien à la police locale, soit à Rafah (Gaza), soit en Afghanistan.
La réponse de l’Europe consiste aussi à renforcer le consensus international contre le terrorisme dans le cadre des Nations Unies, mais aussi avec les partenaires non européens, par exemple les États-Unis ou les pays du Sud de la Méditerranée. L'UE met en œuvre des projets destinés à aider les pays tiers à s'attaquer aux facteurs susceptibles de faciliter la radicalisation et le recrutement de terroristes (partenariat euro-méditerranéen, Balkans occidentaux, coopération avec l'Algérie et le Maroc), ce qui explique que la coopération en matière de lutte contre le terrorisme est intégrée dans les accords externes de l'Union, notamment dans les plans d’action établis dans le cadre de la politique de voisinage.
Si l'ensemble de ces mesures marque le début d'une prise de conscience collective (15) quant à la nouvelle menace, et si l’on peut considérer que l’action européenne dans le cadre de sa politique antiterroriste est originale et multidimensionnelle, des doutes subsistent cependant au sujet des obstacles liés à la coordination, d’où l’interrogation de certains auteurs sur la place de cette politique au sein à la fois des pays de l’Union et dans les instances européennes.
Tout d’abord, il convient de se pencher sur l’institutionnalisation trans-piliers de cette politique : avec trois piliers où, depuis le Traité de Maastricht, trois méthodes de prise de décision distinctes coexistent, la dispersion due à l’appréhension de ce phénomène s’ajoute à la diversité inhérente à la notion mentionnée ci-dessus.
De ce fait, un très grand nombre de mesures antiterroristes relèvent évidemment de la coopération judiciaire et policière en matière pénale, c’est-à-dire du troisième pilier (16). Cependant, les aspects extérieurs comme la transposition des obligations internationales émanent du deuxième pilier. Par contre, d’autres mesures antiterroristes sont liées à des compétences communautaires, telles que la sécurité des transports ou la lutte contre le financement des actes terroristes. Ceci implique que les multiples aspects des politiques antiterroristes sont discutés au sein de divers groupes de travail et comités de hauts fonctionnaires, chacun suivant ses propres procédures institutionnelles.
Ainsi, malgré le grand nombre d’acteurs au niveau européen, les politiques antiterroristes européennes sont restées majoritairement une prérogative nationale, gérées par des méthodes intergouvernementales au niveau européen.
En tout état de cause, et au-delà de ces progrès en matière de coopération antiterroriste, il nous semble urgent de savoir quelle est la part de cette nouvelle menace dans le développement d’une politique étrangère et de sécurité commune en Europe, plus particulièrement après l’intervention américaine en Afghanistan et en Irak.



(1) « La lutte contre le terrorisme international : aspects de défense », Rapport de l’Assemblée de l’Union de l’Europe Occidentale, 14 juin 2005, p. 3.
(2) Ce groupe a été établi par le Conseil en 1975, à Rome. Il s’est choisi cette appellation en référence à la fontaine romaine, mais l’acronyme retenu précise également ses domaines d’action : « Terrorisme, Radicalisme, Extrémisme et Violence Internationale ».
(3) Conseil européen de Lisbonne, 26-27 juin 1992, disponible sur le site : http://europa.eu.int.
(4) E. LANNON, La politique méditerranéenne de l’Union européenne, thèse de doctorat de l’Université des Rennes I, 2002, p. 262.
(5) « La lutte contre le terrorisme international : aspects de défense », op. cit., p. 5.
(6) « L’Union européenne : un engagement multidimensionnel contre le terrorisme », in La défense contre le terrorisme : une priorité du ministère de la défense, Délégation à l’information et à la communication de la défense, 2005, p. 28.
(7) Journal officiel de la Communauté Européenne 2002, L164.
(8) Cette Force a vu le jour en 2001, a été dissoute en 2003, puis a été réactivée en 2004. Son rôle était d’établir un fichier de travail sur le terrorisme islamique en ayant comme base les contributions des États membres censés alimenter ce fichier afin de générer un réel partage des informations essentielles dans la lutte contre le terrorisme.
(9) C. CAMUS, La guerre contre le terrorisme: dérives sécuritaires et dilemme démocratique, Éditions du Felin, 2007, p. 101.
(10) Décision du Conseil européen, n°2003/516.
(11) Malgré de sérieuses hésitations européennes, les deux camps se sont mis d’accord en mai 2004 pour se communiquer les bases de données de noms de voyageurs – Passenger Name Records ou PNR – lors de voyages internationaux. Des accords sur la sécurité du transport de conteneurs ont été conclus en septembre 2004, permettant entre autres une coopération douanière plus étendue et une vérification plus facile des cargos de conteneurs par les officiels américains dans les ports européens. La création d’équipes communes d’enquête, qui pourront opérer aux États-Unis et en Europe, a été programmée. Un dialogue sur la sécurité des frontières et des transports aux implications variées contribue à rapprocher les deux camps sur les questions de données biométriques et de policiers du ciel. Une importante coopération juridique et bancaire a été mise en place pour lutter contre le financement du terrorisme.
(12) « La lutte contre le terrorisme international : aspects de défense », op. cit., p. 7.
(13) Les accords de coopération passés entre l’Union européenne et ses partenaires contiennent de façon systématique des dispositions pour faciliter les échanges d’informations et la bonne application des conventions internationales. Voir : « Les stratégies de réponse aux nouvelles menaces », disponible sur : http://www.diplomatie.gouv.fr/europe.
(14) Conseil de l’Union européenne, « Stratégie de l'Union européenne visant à lutter contre le terrorisme », Justice et affaires intérieures, Bruxelles, 1 décembre 2005.
(15) « La PESD n’a pas un rôle crucial à jouer dans la lutte contre le terrorisme », Bulletin Quotidien Europe, N°8913, 22 mars 2005, p. 6.
(16) P. BERTHELET, « L’’impact des événements du 11 septembre sur la création de l’espace de liberté, de sécurité, et de justice. Partie 2 », Cultures & Conflits, n°46, 2002, http://www.conflits.org/index799.html.