« Je souhaite qu'on dépose les armes », a déclaré Laurent Gbagbo au Golf Hôtel, lundi 11 avril dans l'après-midi, peu après son arrestation à la résidence de Cocody en fin de matinée, avec son épouse Simone Gbagbo et d'autres proches. Alassane Ouattara a tenu a peu près le même langage le soir même dans une brève allocution télévisée.
« J’en appelle donc à tous mes compatriotes qui seraient gagnés par un sentiment de vengeance, à s’abstenir de tout acte de représailles ou de violence. (...) Aux jeunes, transformés en miliciens, ils doivent comprendre que leur combat n’a plus de sens aujourd’hui. Je leur demande de déposer les armes dès à présent », a déclaré le président élu. Mais il n'est pas sûr que les deux leaders aient vraiment été entendus par tous leurs soldats et miliciens.
Abidjan est ainsi livrée aux pillages généralisés depuis le début de semaine, dans presque tous les quartiers. Et les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI) de Ouattara ne sont pas les dernières à y participer. Des témoins affirment que certains de leurs soldats pillent exclusivement les biens des familles appartenant à des ethnies réputées favorables à Gbagbo...
Pis, des affrontements sporadiques entre d'un côté FDS non ralliées et miliciens, et de l'autre, FRCI, ont continué après l'arrestation de Gbagbo dans certains quartiers comme le Plateau. Il n'est pas exclu que Ouattara puisse se trouver confronté, à peine installé, à une opposition armée (même embryonnaire) en plein cœur de la capitale économique. Les habitants ne s'y sont pas trompés et les scènes de liesse populaire dans les quartiers pro-Ouattara sont plutôt rares. D'autant que le deuil frappe la plupart des familles et que de nombreux cadavres jonchent encore les rues.
L'arrestation de Laurent Gbagbo pourrait ainsi ne pas être l'objectif le plus difficile à atteindre pour le camp Ouattara. Gagner la guerre pourrait s'avérer une tâche plus aisée que gagner la paix. Laurent Gbagbo n'a pas encore reconnu la légitimité de son rival, et quand bien même le ferait-il, ne serait-ce pas sous la contrainte ?
Pour les miliciens – la plupart étant des jeunes patriotes armés par Charles Blé Goudé – l'engagement de la France en soutien aux FRCI pourrait également constituer une raison supplémentaire de ne pas déposer les armes. La polémique bat son plein : les Casques bleus et les soldats français de la force Licorne ont-ils forcé le portail de la résidence présidentielle et ont-ils ouvert la voie terrestre aux FRCI pour la capture du président sortant, après avoir effectué des frappes aériennes ?
L'ONU et Paris démentent catégoriquement. Une chose est sûre : l'histoire retiendra que sans les forces internationales, sans les Français, Laurent Gbagbo n'aurait peut-être jamais été capturé. Et cette certitude fragilise d'entrée de jeu le pouvoir d'Alassane Ouattara. « Nous sommes en face d'un coup d'État organisé par l'armée française », a commenté mardi matin sur RFI Pascal Affi N'Guessan, le président du Front populaire ivoirien (FPI, parti de Laurent Gbagbo). Il n'a pas souhaité confirmer ou infirmer s'il était réfugié au 43e Bima (Bataillon d'infanterie de marine) de Port-Bouët...
Dans cette situation, que peut faire le nouveau président ? Outre favoriser la réconciliation en mettant sur pied une commission ad-hoc, comme il l'a annoncé dans son discours lundi 11 avril au soir, il doit rapidement remettre les fonctionnaires au travail en les payant. La sécurisation et la normalisation de la capitale économique dépendra d'abord de la rapidité de la réouverture des banques et de la régularisation des arriérés de salaire des policiers.
Autre question : comment les ex-FDS et les FRCI vont-ils désormais travailler ensemble ? L'avenir de l'armée et de la gendarmerie anciennement fidèles au président sortant, même si leurs commandants sont venus faire allégeance à Alassane Ouattara, n'est pas le moindre des défis qui se posent au nouveau président. Quant à la « procédure judiciaire à l'encontre de Monsieur Laurent Gbagbo, de son épouse et de ses collaborateurs », annoncée par Ouattara, elle pourrait aussi freiner la difficile et nécessaire réconciliation de la Côte d'Ivoire.
Source : Jeune Afrique