I. CONSTATATIONS
Regard critique sur les relations euro-arabes
L’Europe, et plus largement le monde occidental, a une grande part de responsabilité dans la situation qui prévalait – et qui prévaut –dans les pays arabes.
Alors que la création du Service européen pour l’action extérieure actuellement dirigé par Catherine Ashton devait avoir pour objectif de générer une véritable culture diplomatique européenne, s’affranchissant des politiques étrangères nationales pour poursuivre les intérêts stratégiques de l’UE, la politique étrangère semble demeurer la prérogative nationale par excellence pour les chefs d’Etats européens. L’UE a fait l’erreur de permettre par le passé la consolidation de relations privilégiées entre l’Italie et la Libye, ou encore entre la France et la Tunisie. Ce sont ces relations intergouvernementales fortes qui limitent aujourd’hui le poids diplomatique de l’UE et ont donc une part importante de responsabilité dans le manque de réactivité de l’UE face aux révoltes arabes.
Mais, au-delà de son manque de crédibilité, l’UE a également commis de nombreuses erreurs dans son approche de la région :
  • En ce qui concerne le rôle de l’UE dans la démocratisation du monde arabe, celle-ci est de plus en plus accusée de pratiquer la politique du « double poids, double mesure ». En effet, l’article 2 des accords d’association prévoit une conditionnalité de respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux. Pourtant, dans les faits, l’UE a contribué à maintenir certains régimes autoritaires au pouvoir alors qu’elle fait preuve de nettement moins de complaisance vis-à-vis du régime syrien, par exemple, qui a d’ailleurs refusé de signer l’accord d’association. De manière plus générale, l’UE peut être blâmée pour le manque de transparence de sa politique dans la région méditerranéenne.
  • La Politique européenne de voisinage a été conçue comme un instrument de partenariat économique servant les intérêts de l’Union européenne, et destiné à construire un cordon sécuritaire autour de l’Europe souvent au détriment des peuples.
  • La récente Union pour la Méditerranée (UPM) est très peu populaire dans le monde arabe. L’initiative, comme le processus de Barcelone qui l’avait précédée, y est perçue comme un moyen pour l’Union européenne d’imposer Israël dans une région dont cet Etat s’exclut lui-même par sa rhétorique et ses actions politiques. L’UPM ayant échoué à inspirer la confiance des peuples auxquels elle s’impose, le dialogue euro-arabe devrait être relancé.
  • L’Union Européenne n’a pas accordé d’appui à la société civile réelle ni aux opposants aux régimes dictatoriaux, alors qu’elle a contribué à créer une classe d’entrepreneurs de la société civile, en bonne intelligence avec les régimes en place, chargée de capter les fonds occidentaux tout en donnant une image positive de leur pays respectif. La réelle société civile arabe a donc perdu confiance dans les institutions européennes qui n’ont jamais soutenu ses actions.
  • De manière générale, l’UE peut être blâmée pour le manque de transparence de sa politique dans la région méditerranéenne, ainsi que pour la lourdeur et la complexité de ses structures bureaucratiques.
Mauvaise grille de lecture
L’Europe a, jusqu’ici, interprété la démocratie dans le monde arabe comme étant un risque, et cela parce qu’elle lit les développements sociopolitiques dans ces pays à travers trois prismes négatifs : l’islamisme, l’instabilité et l’insécurité pour Israël.
Par ailleurs, l’UE ne pouvait avoir de vision correcte de la réalité puisqu’elle a trop longtemps et trop exclusivement entretenu des liens avec la frange entrepreneuriale de la société civile ou avec la frange la plus occidentalisée de la société. Or, ces milieux sont souvent ignorants des réalités auxquelles la majorité de la population est confrontée. A cela, s’ajoute le fait que cette frange de la société civile avait pour principal objectif d’être la vitrine des régimes dans les grandes réunions internationales.
La société civile réelle, quant à elle, a été marginalisée parce qu’elle ne rentrait pas dans les cases prédéfinies par les puissances étrangères et leurs diplomaties ; un élément de plus qui plaide en faveur d’une meilleure formation linguistique et culturelle des représentants de l’UE ou des Etats membres à ces pays.
Les institutions européennes sont aujourd’hui dépassées. Leur compréhension des évènements est fondée sur l’ancien paradigme de l’exception arabe qui excuse l’absence de démocratie et la présence de régimes autocratiques par des arguments culturalistes et sur la nécessité de soutenir des régimes « stables » comme rempart à une immigration massive et au terrorisme. En découle une hésitation dans les positions à prendre, alors qu'on attendrait de l’UE un soutien résolu aux mouvements démocratiques en cours. L’Europe, porte-drapeau des valeurs démocratiques dans ses discours et déclarations, se trouve face à ses contradictions : la volonté des peuples arabes ne semble pas au centre de ses préoccupations.
Mouvements démocratiques et conflit israélo-palestinien
L’éclatement des revendications démocratiques partout dans le monde arabe a des retombées sur le conflit israélo-palestinien qu’on ne peut pas négliger, et la réconciliation entre le Fatah et Hamas, le 4 mai dernier au Caire, n’est qu’une première étape dans ce vaste processus.
Le peuple palestinien ne voit dans l’attitude de l’UE qu’une attitude de double poids, double mesure. Les Palestiniens assistent à des révoltes populaires qui aboutissent et qui sont soudain reconnues par la communauté internationale alors qu’eux luttent depuis des années sans que leurs revendications ne soient écoutées. Les violations des droits de l’Homme par Israël restent systématiquement impunies.
De plus, le Liban et la Palestine, anciens bastions de la démocratie dans le monde arabe, se retrouvent tous deux dans une situation instable et divisée. L’UE y a sa part de responsabilité puisqu’après avoir poussé les Palestiniens à mener des élections démocratiques en 2006, ils n’en ont pas reconnu les résultats, contribuant ainsi à la division actuelle du leadership palestinien. Ce constat semble indiquer la nécessité de mettre en place et de développer des garde-fous dans le processus démocratique pour empêcher la domination totale d’un parti sur les autres et ainsi sécuriser la démocratie et sa reconnaissance internationale.
Enfin, l’éclatement des ces mouvements démocratiques dans le monde arabe fait peur à Israël. La raison officielle est la peur que la transition profite aux partis islamistes. Mais une autre crainte d’Israël est qu’elle ne pourra plus invoquer l’argument qu’elle représente la seule démocratie au Moyen-Orient. De plus, il y a un risque pour l’Etat hébreu que le nouveau régime égyptien remette en cause sa politique étrangère vis-à-vis d’Israël, politique perçue comme humiliante par la population.

II. PROPOSITIONS
Ayant fait ces constatations, il est possible d’en tirer certaines conclusions et donc d’émettre quelques propositions pour le futur de nos relations avec le monde arabe et méditerranéen.
Redéfinition de la politique européenne vis-à-vis du monde arabe
Au-delà des grandes déclarations, c’est à travers des changements concrets et courageux dans sa politique étrangère que l’UE gagnera en crédibilité dans le monde arabe et méditerranéen et pourra se positionner comme un acteur politique de poids capable de soutenir les aspirations démocratiques des peuples tout en défendant ses intérêts stratégiques dans la région.
Le package proposé au Sud n’était jusqu’à présent pas harmonieux. Il est nécessaire de calculer les conséquences de nos choix dans une optique de long terme. Avec les évènements en cours dans le monde arabe, l’Union européenne ne peut faire l’impasse sur une redéfinition précise et concertée de ses intérêts dans la région tout en développant une meilleure compréhension des situations de nos voisins méditerranéens. L’UE doit donc prendre son temps pour repenser entièrement sa politique de voisinage, afin de l’adapter à son voisinage sud.
En outre, le développement de la bureaucratie n’a jamais été une réponse adaptée. Il est nécessaire de repenser la bureaucratie et les représentations de l’UE dans le monde arabe – et le reste du monde – en termes de qualité et non de quantité.
Par ailleurs, l’action du Parlement européen et des parlement nationaux dans la politique étrangère devrait être promue afin d’éviter de reproduire les dérives du passé.
Enfin, comme nous l’avons constaté, l’UPM est très peu populaire dans le monde arabe. Elle est aujourd’hui moribonde et n’a jamais permis d’atteindre les objectifs formulés. Une solution proposée serait de relancer le dialogue euro-arabe.
Aide au processus de transition démocratique
La période de transition est capitale. C’est aujourd’hui que se forgent les racines des régimes démocratiques de demain. Les délais impartis semblent néanmoins beaucoup trop courts pour qu’un réel débat démocratique ait lieu. La démocratie sans le pluralisme n’ayant pas de valeur, il faut cesser de présenter les élections comme un but en soi. Il est essentiel de permettre préalablement à toutes les voix de se faire entendre.
L’UE et ses Etats membres doivent se focaliser sur deux choses pour l’instant : écouter et s’informer d’une part, et aider au développement d’outils permettant la mise en place d’espaces de débat de l’autre. Deux attitudes de l’Europe mettent cela en danger :
- la tendance à vouloir sécuriser dès maintenant ses relations économiques et commerciales avec ces pays ;
- la tentation de dicter les règles du jeu démocratique, afin d’en exclure les forces qui ne correspondent pas à ses attentes.
Malgré ses craintes de l’Islam politique et des impacts de ces révoltes sur la stabilité de la région, l’UE se doit d’accepter les incertitudes causées par cette phase de transition dans le monde arabe. Il n’est donc pas question de soutenir un parti ou l’autre, mais bien de sécuriser les conditions d’une bonne transition dans la région. L’UE se doit de juger correctement les limites de son intervention afin de ne pas être accusée d’ingérence.
De plus, la communauté internationale doit se souvenir que les instances au pouvoir ne sont pas encore des instances élues. Négocier l’avenir de nos relations avec ces dernières revient à ne pas prendre en considération la voix des peuples. La question de la dette a par exemple déjà été évoquée par le gouvernement tunisien assurant la transition. Mais certains rappellent qu’une grande partie de cette dette est odieuse, et n’a donc jamais profité au peuple tunisien. Autre exemple : en Tunisie, un congrès est prévu à Carthage entre le gouvernement de transition et des représentants de la communauté internationale. Ceux qui s’y rendront risquent d’être mal considérés par ceux qui ont mené la révolution.
Dans une période de transition, censée jeter les bases constitutionnelles des futures démocraties, nos parlements, nationaux et européens, ont par ailleurs un rôle à jouer, un savoir-faire à partager.
Soutien à la société civile arabe
Les sociétés civiles européennes ont de tout temps gardé des contacts avec les sociétés civiles arabes. Pour les aborder, il serait judicieux que les institutions européennes, et celles des Etats membres, utilisent ce lien existant de société civile à société civile.
Dans ce cadre, le Parlement européen comme les Parlements nationaux peuvent également servir de garde-fous en demandant une transparence sur le type d’organisations de la société civile soutenues par la Commission ou les gouvernements nationaux.

© Mode de citation : Mohammed SOLIMANI, « L’impact de la démocratisation du monde arabe sur l’action extérieure européenne », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 9 mai 2011