En droit international, le problème palestinien revient à la question du droit des peuples à l'indépendance et à la souveraineté nationale (1), droit qui renvoie à la détermination par un peuple de sa propre forme de gouvernement et de son rattachement éventuel à l’État de son choix. Ce droit est un principe intangible du droit international public et tous les acteurs de ce droit doivent le respecter et le promouvoir. En ce sens, en novembre 1974, l'Assemblée générale des Nations Unies a réaffirmé ce droit dans sa résolution 3236 et ajouté que sa réalisation permettrait de résoudre le problème de la Palestine. En votant pour l'adhésion de la Palestine à l'Organisation des nations unies pour la Science, l'éducation et la culture (Unesco), une agence spécialisée de l'ONU, certains pourraient affirmer que les États ont tout simplement respecté leurs engagements internationaux à ne pas violer ce droit et à le promouvoir.
Sur un autre plan juridique, la Palestine ne dispose cependant pas des éléments constitutifs d'un État et, de ce point de vue, son adhésion à l’Unesco le 31 octobre 2011 comme un État membre à part entière pose la question de la naissance de fait d'un État palestinien sur la scène internationale, alors que le conflit entre les antagonistes n'est pas résolu.
La légitimité de cette naissance interpelle, au sens où aucune organisation ne peut créer un État, elle même étant une pure création des volontés étatiques. Ce sont les États qui créent l'organisation internationale et qui la dotent d’une personnalité juridique pour la réalisation d'une action déterminée. En même temps, si une organisation internationale est composée d'États souverains, il est difficilement concevable de donner un attribut autre qu'étatique à la Palestine suite à cette adhésion. C'est la raison pour laquelle la reconnaissance à l'Unesco de la Palestine ne peut que rester symbolique. De plus, la portée symbolique de cette naissance d'un nouvel Etat est accentuée par la réaction divergente de la communauté internationale, Israël et les États Unis ayant décidé de suspendre leurs contributions financières à l'organisation pour manifester leur refus d'accepter cette adhésion avec ses implications.
L'analyse de cette portée plus symbolique que diplomatique de l'adhésion de la Palestine à l'Unesco dans un premier temps (I) permettra de se pencher ensuite sur l'une de ses plus importantes implications qui est la fin de l’hégémonie américaine au sein des instances internationales (II).

I. LA PORTEE SYMBOLIQUE DE LA NAISSANCE D'UN ÉTAT PALESTINIEN
La Palestine a certes franchi un pas vers son acceptation en tant qu’Etat à part entière avec son adhésion à l'une des organisations spécialisées de l'ONU. Mais cette adhésion intervient pendant que la demande des autorités palestiniennes à l'ONU d'une reconnaissance étatique va être examinée dans les prochains jours par le Conseil de sécurité où le veto américain est attendu.
L'adhésion à l'Unesco ne résoudra sans doute pas le problème du territoire palestinien. Son impact reste mitigé puisque les États Unis et Israël la rejettent et y voient même un acte unilatéral pouvant enfreindre le processus de paix palestino-israélien. Ce processus, déjà largement entaché dès 2000 (2) laissait la résolution du conflit dans l'impasse. Malgré son caractère symbolique, cette reconnaissance propulse la Palestine sur la carte mondiale, car elle peut avoir certains de ses bâtiments classés au patrimoine mondial de l'Unesco, d'une part, et d'autre part, elle peut se voir ouvrir les portes de plusieurs autres organisations internationales, ce qui renforce son poids d’État souverain dans la sphère internationale. L'on peut affirmer plus que jamais qu'il existe une nation palestinienne dotée d'une identité culturelle.
Face aux fréquents blocages des négociations, la réaction de la Palestine qui est de solliciter le plébiscite de la communauté internationale déplace le conflit qui l'oppose à Israël sans cependant le résoudre. Elle place le conflit sur le plan diplomatique, le respect du droit international ne comptant presque plus, au sens où elle utilise unilatéralement une prérogative qui l'amène en même temps à ne pas respecter l'accord international conclu à Oslo. De son côté, Israël réagit aussi par une violente violation de cet accord, notamment en reprenant sa colonisation à Jérusalem-Est.
Voici donc deux entités du droit international qui bafouent le droit. Or, le droit international comporte des normes juridiques émanant de la coutume ou des accords internationaux (3) qui s'imposent aux États parties pour le cas des normes provenant des accords et à tous les États pour la coutume générale. Les États sont tenus de respecter ces règles sous peine d'engager leur responsabilité. Toutefois, la difficulté réside dans la mise en œuvre de cette responsabilité internationale des États qui violent le droit international.
La Cour internationale justice est l'instance créée pour exercer ce rôle, son action est complétée depuis la dernière décennie par les juridictions pénales internationales pour les situations de guerre. Mais la CIJ, ainsi que les juridictions pénales, restent limitées par l'absence de définition du crime d'agression, qui pour le cas palestino-israélien semble constitué. Sans aller jusqu'à rechercher si le crime d'agression est reconnu par les textes internationaux, le fait qu'Israël n'est pas partie au Traité de Rome et que la Palestine n'est pas un État, la compétence des juridictions ne peut s'exercer à leur égard, les plaçant dans une zone d'impunité lorsqu'ils violent le droit international. Or, la communauté internationale a le devoir, notamment à travers l'ONU, créée pour maintenir la paix dans le monde, de trouver des solutions juridiques face à ces violations impunies des normes internationales et des valeurs de l'humanité toute entière.
Depuis sa création, l'ONU et ce n'est un secret pour personne, est sous le joug des États-Unis. En plus de leur siège de membre permanent au Conseil de sécurité, ils sont les plus gros financiers de l'organisation et exercent un contrôle ferme sur ses décisions de sorte à l'utiliser pour satisfaire leurs intérêts. Les États Unis sont ainsi arrivés à réduire l'ONU en simple instrument de leur diplomatie (4).
La guerre diplomatique entamée par l'adhésion de la Palestine à l'Unesco, même si elle ne l'emporte pas, a sans doute touché de près l’hégémonie américaine dans les instances des Nations Unies.

II. LE RECUL DE L'AUTORITE AMERICAINE SUR LA SCENE DIPLOMATIQUE INTERNATIONALE
La première remarque résultant du vote massif des États en faveur de l'adhésion de la Palestine à l'une des principales agences spécialisées de l'ONU est le poids faible de l'influence des États-Unis sur les autres États dans les instances internationales. Les États-Unis, comme première puissance mondiale, porteurs et promoteurs des valeurs occidentales, se trouvent face à une situation contraire aux valeurs qu'ils disent défendre.
Le retrait des Américains du budget de l'Unesco n'est pas une première. Sans doute l'organisation fera face à ce manque financier et ne cessera pas de fonctionner ni d'exister.
De 1984 à 2003, les États-Unis avaient quittés l'Unesco la jugeant à l'époque trop tiers-mondiste. Ils y sont revenus arguant leur volonté de partager les valeurs de l'organisation et de les promouvoir à travers le monde.
Il faut dire aussi que, très tôt, l'Unesco a servi de tribune pour les pays économiquement moins avancés. En 1956, ce sont les pays d'Asie, notamment l'Inde et les pays de l'Amérique latine, qui ont revendiqué une place digne dans cette instance afin de permettre un égal partage des postes du personnel entre les différentes nationalités et que les programmes de l'organisation se centrent sur leurs besoins spécifiques.
Cette dominance du tiers monde à l’Uneso s'est poursuivie avec l'arrivée des États d'Afrique nouvellement indépendants à partir de 1960. Étant majoritaires, ils peuvent imposer leurs choix, puisque les votes ne tiennent pas compte du poids économique des États. C'est dire à quel point l’Unesco a déjà pu, par le passé, incarné l'espoir et que ce n'est donc pas surprenant que l'avancée dans la situation Palestine y soit déclenchée.
La partialité de la diplomatie américaine dans ce dossier, marquée par sa réaction de suspendre sa contribution financière montre qu'il y a une difficulté pour les États-Unis à instrumentaliser cette agence spécialisée des Nations Unies. Dans cette guerre diplomatique engagée, les Palestiniens recherchent la multilatéralité afin d'impliquer plusieurs États dans leur cause et aussi d'obtenir officiellement leur soutien. Dans cette démarche, la Palestine vise à briser le lien unilatéral qui existe de fait entre elle et les États-Unis, ces derniers étant le médiateur entre elle et Israël. L'hégémonie américaine se trouve fragilisée ici, puisque la Palestine est parvenue à isoler la première puissance mondiale dans les relations diplomatiques internationales.
L’Unesco s'est montrée, par sa nature, relativement indifférente à la toute puissance américaine dès sa création. Cependant, il y a une difficulté à exporter cette nature vers les autres organisations, telles que la Banque mondiale ou l'OTAN. Certes, les domaines de ces agences ne correspondant pas à celui de l'Unesco qui, a priori, ne prend pas de décisions politiques. Mais les réticences de l'Unesco reflètent fidèlement les positions des États du monde, et ces positions devraient pouvoir éclater au sein des autres organisations dans l'idéal démocratique. Le monde gagnerait en densité démocratique si les reformes longtemps souhaitées du Conseil de sécurité de l'ONU (visant à ouvrir les sièges permanents avec droit de veto aux pays d'Afrique et d'Asie ou à accroître le rôle de l'Assemblée générale où siègent tous les Etats membres) finissaient par être appliquées.
Les décisions internationales ne devraient plus être orientées unilatéralement par les États-Unis et leurs alliés mais par la volonté de la communauté internationale. Elles obtiendraient ainsi la légitimité nécessaire pour être acceptées par tous et c’est l’ensemble du droit international qui serait alors mieux respecté.


(1) Ce droit, habituellement dénommé droit des peuples à l'autodétermination, est consacré par l'article 1 §2 de la Charte de l'ONU.
(2) La deuxième « Intifada » visant les civils et militaires israéliens fut très violente.
(3) Article 2 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités.
(4) Pour de plus amples développements sur les rapports entre l'ONU et les Etats-Unis, voir Alexandra NOVOSSELOFF, «Les Etats-Unis et les Nations Unies », Annuaire français de relations internationales, 2001, vol. 47, pp. 648-666 et du même auteur Les États-Unis et l'ONU dans l'après-guerre froide, Paris, Documentation Française, 2001.