20 novembre 2012

ACTU : Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) : la CIJ dit que la Colombie a la souveraineté sur les formations maritimes en litige et trace une frontière maritime unique

Catherine MAIA 

La Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu le 19 novembre 2012 son arrêt en l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie).

Dans son arrêt, qui est définitif, sans recours et obligatoire pour les Parties, la Cour,

1) Dit, à l’unanimité, que la République de Colombie a la souveraineté sur les îles faisant partie des formations suivantes : Alburquerque, Bajo Nuevo, cayes de l’Est-Sud-Est, Quitasueño, Roncador, Serrana et Serranilla ;

2) Déclare recevable, par quatorze voix contre une, la demande formulée par la République du Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales, par laquelle celle-ci la prie de dire et juger que, «dans le cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales du Nicaragua et de la Colombie, la méthode de délimitation à retenir consiste à tracer une limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent» ; 

3) Dit, à l’unanimité, qu’elle ne peut accueillir la demande formulée par la République du
Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales ;

4) Décide, à l’unanimité, que le tracé de la frontière maritime unique délimitant le plateau continental et les zones économiques exclusives de la République du Nicaragua et de la République de Colombie suit les lignes géodésiques reliant les points dont les coordonnées sont les suivantes :

Latitude nord Longitude ouest
1. 13° 46' 35,7" 81° 29' 34,7"
2. 13° 31' 08,0" 81° 45' 59,4"
3. 13° 03' 15,8" 81° 46' 22,7"
4. 12° 50' 12,8" 81° 59' 22,6"
5. 12° 07' 28,8" 82° 07' 27,7"
6. 12° 00' 04,5" 81° 57' 57,8"

A partir du point 1, la frontière maritime se poursuit plein est le long du parallèle situé par 13° 46' 35,7" de latitude nord, jusqu’à la limite située à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale du Nicaragua. A partir du point 6, situé par 12° 00' 04,5" de latitude nord et 81° 57' 57,8" de longitude ouest sur l’enveloppe d’arcs tracée à 12 milles marins d’Alburquerque, elle suit cette enveloppe d’arcs jusqu’au point 7, de coordonnées 12° 11' 53,5" de latitude nord et 81° 38' 16,6" de longitude ouest, situé sur le parallèle passant par le point le plus méridional de l’enveloppe d’arcs tracée à 12 milles marins des cayes de l’Est-Sud-Est. Elle longe ensuite ce parallèle jusqu’au point le plus méridional de l’enveloppe d’arcs tracée à 12 milles marins des cayes de l’Est-Sud-Est, soit le point 8, situé par 12° 11' 53,5" de latitude nord et 81° 28' 29,5" de longitude ouest, puis se poursuit le long de cette enveloppe d’arcs jusqu’à son point le plus oriental, soit le point 9, situé par 12° 24' 09,3" de latitude nord et 81° 14' 43,9" de longitude ouest. A partir de ce point, elle longe le parallèle situé par 12° 24' 09,3" de latitude nord, jusqu’à la limite située à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale du Nicaragua ;

5) Décide, à l’unanimité, que, autour de Quitasueño et de Serrana, la frontière maritime unique suit une enveloppe d’arcs à une distance de 12 milles marins mesurée, dans le premier cas, à partir de QS 32 et des hauts-fonds découvrants situés dans un rayon de 12 milles marins de QS 32 et, dans le second, à partir de la caye de Serrana et des cayes avoisinantes ;

6) Rejette, à l’unanimité, la demande formulée par la République du Nicaragua dans ses
conclusions finales, par laquelle celle-ci prie la Cour de déclarer que la République de Colombie manque à ses obligations au regard du droit international en l’empêchant d’avoir accès aux ressources naturelles à l’est du 82e méridien.
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1. Souveraineté

La Cour rappelle que le différend opposant les Parties concerne la souveraineté sur des formations situées dans la mer des Caraïbes . les cayes d’Alburquerque, les cayes de l’Est Sud-Est, Roncador, Serrana, Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo, qui sont toutes découvertes à marée haute et sont donc des îles, susceptibles d’appropriation. La Cour estime toutefois que Quitasueño ne comporte qu’une seule île, minuscule, désignée QS 32, et un certain nombre de hauts-fonds découvrants (formations découvertes à marée basse et recouvertes à marée haute).

La Cour note ensuite que, aux termes du traité de règlement territorial entre la Colombie et le Nicaragua de 1928, la Colombie a la souveraineté non seulement sur les îles de San Andrés, de Providencia et de Santa Catalina, mais également sur les autres îles, îlots et récifs qui «font partie» de l’archipel de San Andrés. Aussi, pour se prononcer sur la question de la souveraineté, la Cour doit-elle d’abord établir quelles sont les formations qui constituent l’archipel de San Andrés. Elle conclut toutefois que ni le traité de 1928 ni les documents historiques n’établissent de manière concluante la composition de cet archipel.

La Cour en vient alors à l’examen des arguments et éléments de preuve autres que ceux fondés sur la composition de l’archipel aux termes du traité de 1928. Elle conclut que ni le Nicaragua ni la Colombie n’ont établi qu’ils détenaient un titre sur les formations maritimes en litige en vertu de l’uti possidetis juris (principe selon lequel, lors de leur indépendance, les nouveaux Etats héritent des territoires et des frontières des anciennes provinces coloniales), aucun élément ne venant clairement attester que les formations en question ont été attribuées aux provinces coloniales du Nicaragua ou à celles de la Colombie. La Cour s’intéresse ensuite à la question de savoir si la souveraineté peut être établie sur la base d’actes constituant une manifestation d’autorité d’un Etat sur un territoire donné (effectivités). Elle estime établi que, pendant de nombreuses décennies, la Colombie a agi de manière constante et cohérente à titre de souverain à l’égard des formations maritimes en cause. La Colombie a exercé publiquement son autorité souveraine, et aucun élément ne vient démontrer qu’elle aurait rencontré la moindre opposition de la part du Nicaragua avant 1969, date à laquelle le différend s’est cristallisé. En outre, les éléments de preuve que la Colombie a produits pour établir les actes d’administration qu’elle a accomplis à l’égard des îles sont à mettre en regard de l’absence d’éléments de preuve de la part du Nicaragua attestant qu’il aurait agi à titre de souverain. Les faits confortent donc très nettement la revendication de souveraineté de la Colombie sur les formations maritimes en litige.

La Cour note également que, même s’ils ne constituent pas des preuves de souveraineté, le comportement du Nicaragua à l’égard des formations maritimes en litige, la pratique des États tiers et les cartes tendent à conforter l’argumentation de la Colombie.

La Cour conclut que c’est la Colombie, et non le Nicaragua, qui a la souveraineté sur les îles
faisant partie d’Alburquerque, de Bajo Nuevo, des cayes de l’Est-Sud-Est, de Quitasueño, de Roncador, de Serrana et de Serranilla.

2. Recevabilité de la demande du Nicaragua tendant à la délimitation d’un plateau
continental s’étendant au-delà de 200 milles marins

La Cour rappelle que, dans sa requête et son mémoire, le Nicaragua la prie de tracer une «frontière maritime unique» entre les portions du plateau continental et les zones économiques exclusives relevant respectivement des deux Parties, suivant une ligne médiane entre leurs côtes continentales respectives. Dans sa réplique et au point I. 3) de ses conclusions finales, le Nicaragua prie la Cour de tracer une limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent, à savoir entre le plateau continental étendu du Nicaragua (qui s’étend au-delà de 200 milles marins) et le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins. Bien que cette demande soit nouvelle, cela ne la rend pas per se irrecevable ; elle se rapporte toujours à la délimitation du plateau continental, découle directement du litige opposant les Parties et ne modifie pas l’objet de celui-ci.

La Cour conclut que la demande formulée au point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua est recevable.

3. Examen de la demande du Nicaragua tendant à la délimitation d’un plateau continental s’étendant au-delà de 200 milles marins

La Cour fait observer que, dans sa jurisprudence récente, elle a déclaré que «toute prétention [d’un Etat partie à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM)] relative à des droits sur le plateau continental au-delà de 200 milles d[evait] être conforme à l’article 76 de la CNUDM et examinée par la Commission des limites du plateau continental».

Eu égard à l’objet et au but de la CNUDM, tels qu’exposés dans son préambule, le fait que la Colombie n’y soit pas partie n’exonère pas le Nicaragua des obligations qu’il tient de l’article 76 de cet instrument. La Cour fait observer que le Nicaragua n’a communiqué à la Commission que des «informations préliminaires» qui, comme l’admet ce dernier, sont loin de satisfaire aux exigences requises pour que la Commission puisse formuler ses recommandations. Aucune autre information ne lui ayant été communiquée, la Cour estime que, en la présente instance, le Nicaragua n’a pas apporté la preuve que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour chevaucher le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale. La Cour n’est donc pas en mesure de délimiter la frontière entre le plateau continental étendu revendiqué par le Nicaragua et le plateau continental de la Colombie. Elle conclut qu’elle ne peut accueillir la demande formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales. 

4. La frontière maritime

La Cour estime que, nonobstant sa décision concernant la demande formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales, il lui est toujours demandé de procéder à la délimitation de la zone située en deçà de la limite des 200 milles marins à partir de la côte nicaraguayenne, où les droits de la Colombie et du Nicaragua se chevauchent.

Elle commence donc par identifier les côtes pertinentes des Parties, à savoir celles dont les projections se chevauchent. La côte pertinente du Nicaragua est l’intégralité de sa côte, à l’exception du court segment situé à proximité de Punta de Perlas. La côte pertinente de la Colombie est l’intégralité des côtes de ses îles, à l’exception de Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo. La Cour s’intéresse ensuite à l’étendue de la zone maritime pertinente dans laquelle les droits potentiels des Parties se chevauchent. Cette zone s’étend à 200 milles marins à l’est de la côte nicaraguayenne. Au nord et au sud, les limites de la zone pertinente ont été déterminées de manière à ne pas empiéter sur l’une quelconque des frontières existantes ou à ne pas pénétrer dans un secteur où les intérêts d’Etats tiers pourraient être affectés (voir croquis n° 7 : La zone maritime pertinente, telle qu’identifiée par la Cour).

Afin d’effectuer la délimitation, la Cour suit la méthode en trois étapes qu’elle a déjà utilisée.

Premièrement, la Cour choisit des points de base et construit une ligne médiane provisoire entre la côte nicaraguayenne et les côtes occidentales des îles colombiennes pertinentes, qui font face à la côte nicaraguayenne (voir croquis n° 8 : Construction de la ligne médiane provisoire).

Deuxièmement, la Cour examine les circonstances pertinentes qui pourraient appeler un
ajustement ou un déplacement de la ligne médiane provisoire afin de parvenir à un résultat équitable. Elle note que la disparité importante entre la côte pertinente de la Colombie et celle du Nicaragua (le rapport étant de 1 à 8,2), ainsi que la nécessité d’éviter que la ligne de délimitation n’ait pour effet d’amputer l’une ou l’autre des Parties des espaces maritimes correspondant à ses projections côtières, sont des circonstances pertinentes. La Cour relève que, si les considérations légitimes en matière de sécurité devront être gardées à l’esprit lorsqu’il s’agira de déterminer si la ligne médiane provisoire doit être ajustée ou déplacée, le comportement des Parties, les questions relatives à l’accès aux ressources naturelles et les délimitations déjà opérées dans la région ne sont pas des circonstances pertinentes en la présente espèce.

Ayant ainsi identifié les circonstances pertinentes applicables en l’affaire, la Cour procède au déplacement de la ligne médiane provisoire. A cet égard, elle opère une distinction entre, d’une part, la partie de la zone pertinente qui est comprise entre la masse continentale nicaraguayenne et les côtes occidentales des cayes Alburquerque, de San Andrés, de Providencia et de Santa Catalina, là où elles se font face et, d’autre part, la partie située à l’est de ces îles, qui met en jeu des rapports plus complexes. Dans la première partie de la zone pertinente, située à l’ouest, les circonstances pertinentes appellent un déplacement de la ligne médiane provisoire vers l’est. A cette fin, la Cour estime que les points de base situés sur les îles nicaraguayennes et colombiennes, respectivement, doivent se voir conférer une valeur différente, à savoir une valeur unitaire pour chacun des points de base colombiens et une valeur triple pour chacun des points de base nicaraguayens. La ligne pondérée ainsi construite a une forme incurvée et présente de nombreux points d’inflexion (voir croquis no 9 : Construction de la ligne pondérée). La Cour réduit donc le nombre de points d’inflexion et les relie par des lignes géodésiques (voir croquis no 10 : Ligne pondérée simplifiée).

La Cour estime cependant que cette ligne n’aboutirait pas à un résultat équitable si elle était prolongée au nord et au sud, en ce que, là encore, elle attribuerait à la Colombie une part bien plus importante de la zone pertinente que celle attribuée au Nicaragua alors que la longueur de la côte nicaraguayenne est plus de huit fois supérieure à celle de la côte colombienne. Cette ligne priverait en outre le Nicaragua des espaces situés à l’est des principales îles colombiennes dans lesquels se projette sa côte continentale.

De l’avis de la Cour, un résultat équitable est obtenu en prolongeant la ligne frontière le long des parallèles jusqu’à la limite des 200 milles marins mesurés à partir de la côte du Nicaragua. Au nord, cette ligne longe le parallèle passant par le point le plus septentrional de la limite extérieure de la mer territoriale tracée à 12 milles marins de Roncador. Au sud, la frontière maritime suit tout d’abord la limite extérieure de la mer territoriale tracée à 12 milles marins des cayes d’Alburquerque et de l’Est-Sud-Est, puis le parallèle à partir du point le plus oriental de la mer territoriale des cayes de l’Est-Sud-Est. Pour éviter que Quitasueño et Serrana ne se retrouvent, dans ces conditions, du côté nicaraguayen de la ligne, la frontière maritime tracée autour de chacune de ces formations suit la limite extérieure de leur mer territoriale de 12 milles marins (voir croquis no 11 : Tracé de la frontière maritime).

Troisièmement, la Cour note que la ligne frontière a pour effet de partager la zone pertinente entre les Parties selon un rapport d’environ 1 à 3,44 en faveur du Nicaragua, alors que le rapport entre les côtes pertinentes est d’environ 1 à 8,2. La question est donc de savoir si, dans les circonstances propres à la présente affaire, cette disproportion est telle qu’elle aboutirait à un résultat inéquitable. La Cour conclut que, compte tenu de l’ensemble des circonstances entourant la présente affaire, le résultat obtenu par la délimitation maritime n’entraîne pas de disproportion donnant lieu à un résultat inéquitable.

5. Déclaration demandée par le Nicaragua

Outre sa demande concernant la fixation d’une frontière maritime, le Nicaragua a prié la Cour, dans ses conclusions finales, de dire et juger que «la Colombie manqu[ait] à ses obligations au regard du droit international en [l’]empêchant de quelque façon que ce soit … d’avoir accès à ses ressources naturelles à l’est du 82e méridien et d’en disposer».

La Cour fait observer que cette demande du Nicaragua est présentée dans le cadre d’une instance concernant une frontière maritime qui n’a jamais été tracée auparavant. Le présent arrêt a pour effet de fixer la frontière maritime entre les deux Parties, le Nicaragua et la Colombie, dans l’ensemble de la zone pertinente. A cet égard, la Cour relève que son arrêt attribue à la Colombie une partie des espaces maritimes à l’égard desquels le Nicaragua demande une déclaration concernant l’accès aux ressources naturelles. Dans ces conditions, elle estime que la demande du Nicaragua sur ce point n’est pas fondée.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Tomka, président ; M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, Sebutinde, juges ; MM. Mensah, Cot, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier. M. le juge OWADA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge ABRAHAM joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge KEITH joint une déclaration à l’arrêt ; Mme la juge XUE joint une déclaration à l’arrêt ; Mme la juge DONOGHUE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges ad hoc MENSAH et COT joignent une déclaration à l’arrêt.

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Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé no 2012/5». Le présent communiqué de presse, le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci sont disponibles sur le site internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».
Note : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents officiels.

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Source : Communiqué de presse de la CIJ No 2012/33, 19 novembre 2012


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