3 décembre 2012

ANALYSE : La position des droits de l’Homme dans la Constitution nationale argentine

Juan H. GARCÍA ZEBALLOS 

La République argentine a consolidé son organisation politique et constitutionnelle en 1853. Sa Constitution nationale (ci-après CN) prévoyait déjà l’obligation d’établir des relations internationales de paix et de commerce avec d’autres puissances étrangères, par le biais de traités qui soient en accord avec les principes de droit public exprimés dans son texte (article 27 CN).

Puisque l’on est en présence d’un État fédéral (article 1 CN), les provinces argentines (des entités autonomes) ont délégué au Gouvernement national la conduite des relations extérieures (article 75 alinéas 22 et 24 ; article 99 alinéas 7 et 11 CN). En conséquence, les traités ratifiés par l’Argentine sont obligatoires pour celles-ci.

Il est établi que la Constitution nationale, les lois de la nation et les traités internationaux forment la Loi suprême de l’État (article 31 CN). Néanmoins, il y a un doute quant à la hiérarchie normative de ces différents éléments. S’il s’agit d’un ordre taxatif, l’ordre juridique est celui qu’on vient de décrire, c’est-à-dire : Constitution, loi et traité (dualisme juridique). En revanche, s’il s’agit d’un ordre énonciatif maintenant la suprématie constitutionnelle, mais ne fixant pas une position déterminée entre la loi et le traité, l’ordre serait inversé : d’abord le traité (ordre international) et après la loi (ordre interne), conformément à l’existence d’un monisme qui établit la primauté du droit international au-dessus du droit local. Dès lors : quel est le critère à suivre ?

Une réponse fondée sur le principe romain in claris non fit interpretatio nous mènerait à accepter la première des solutions, vu que la norme est claire et qu’elle précise une progression décroissante. Cependant, il est important de remarquer que quand un État signe et ratifie un traité, cet État contracte un engagement international dont il devra s’acquitter, ne pouvant à cet égard alléger son droit interne, sous peine de ne pas respecter le principe de bonne foi (pacta sunt servanda) qui doit caractériser les relations entre les États. Ceci est dû à la nature contractuelle du traité, par opposition à celle de la normative interne, tout à fait unilatérale. Donc, affirmer de manière absolue une position dualiste (la loi au-dessus du traité) ne s’avère pas la solution la plus adéquate. Peut-être le monisme alors ?

La Cour Suprême de Justice de la Nation (ci-après CSJN), agissant dans son rôle de Cour constitutionnelle, en sa qualité de dernier interprète de la Constitution argentine, a maintenu une position dualiste, proclamant qu’en cas de conflit entre les normes du droit international et celles du droit interne, les dernières étaient prioritaires. Comme seule exception, le Haut Tribunal a affirmé qu’en cas de guerre, les normes internationales étaient au-dessus des normes internes, parce qu’il s’agissait justement d’une situation exceptionnelle ; mais en temps de paix, situation habituelle et normale, le critère était celui inverse. Ainsi, peut-on observer qu’on est devant une exception qui n’a fait que confirmer la règle, étant donné que, même avec des exceptions, la CSJN a proclamé la validité du dualisme (affaire Merck Química Argentina (S.A.) c. el Gobierno de la Nación, 1948). Cette position a été soutenue jusqu’aux années 1990 où la jurisprudence de la CSJN a commencé à s’orienter vers la prééminence du droit international (affaire Ekmekdjian, Miguel A. c. Sofovich, Gerardo y otros, 1992).

Suivant ce dernier critère, en 1994, année où a eu lieu la dernière réforme de la Constitution nationale, l’Assemblée constituante a décidé de résoudre de manière définitive l’ancienne polémique droit international-droit interne. Dans ce but, la Constituante a établi la primauté du premier sur le second, octroyant aux traités internationaux une position hiérarchique supérieure aux lois (article 75 alinéa 22 CN).

En conséquence, aujourd’hui il n’y a aucun doute sur la position des traités dans la pyramide juridique argentine, dès lors qu’ils sont ratifiés. Mais la réforme de 1994 ne s’est pas limitée à cela ; elle est allée au-delà de cet aspect, puisqu’il y a aussi certains instruments du droit international des droits de l’Homme (ci-après DIDH) qui ont également une valeur constitutionnelle (article 75 alinéa 22 CN). On parle ici plutôt d’instruments, vu qu’il ne s’agit pas seulement de traités, mais aussi de deux déclarations et d’un protocole.

Ces derniers, bien qu’au même niveau que la Constitution nationale ne font pas partie de son texte, mais ne dérogent à aucun de ses articles, et doivent être interprétés comme complémentaires aux droits et garanties constitutionnelles.

Par le biais d’une procédure particulière, le pouvoir législatif peut augmenter le nombre lesdits instruments et en ajouter d’autres au degré constitutionnel, la seule condition étant qu’il s’agisse d’instruments du DIDH (article 75 alinéa 22 CN). Cette circonstance s’est produite en deux occasions.

Les instruments du DIDH qui, actuellement, ont une position hiérarchique constitutionnelle sont les suivants : la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’Homme, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Convention américaine relative aux droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et son Protocole facultatif, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention relative aux droits de l’enfant.

Ces onze instruments ont une valeur constitutionnelle depuis 1994. Puis, et conformément à un mécanisme parlementaire spécifique, ont ensuite été élevé à la position hiérarchique constitutionnelle : la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes, en 1997, et la Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, en 2003. A présent, il y a donc au total treize instruments entrant dans cette catégorie.

Selon ce schéma, on pourrait affirmer que, depuis la dernière réforme constitutionnelle, la République argentine a adopté une position moniste atténuée. En effet, même si la Constitution nationale consacre la suprématie des traités internationaux sur le droit interne, elle demeure toujours (en tant que norme interne) au sommet de l’ordre juridique, mais – et c’est une nouveauté – elle doit le partager avec des instruments internationaux qui ne peuvent qu’appartenir au DIDH.

En conclusion, le DIDH a été placé au même niveau que la Constitution nationale, ce qui assure que les droits humains internationalement consacrés ne pourront être méprisés par des mesures voulant imposer le droit interne sur le droit international. Si cela se produisait quand même, il n’y aurait pas seulement un manquement aux normes internationales et engagement corrélatif de la responsabilité étatique, mais ladite mesure pourra être considérée aussi comme inconstitutionnelle.


Mode de citation : Juan H. GARCÍA ZEBALLOS, « La position des droits de l’Homme dans la Constitution nationale argentine », Multipol - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 3 décembre 2012

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