La République argentine a consolidé son organisation politique et constitutionnelle en 1853. Sa Constitution nationale (ci-après CN) prévoyait déjà l’obligation d’établir des relations internationales de paix et de commerce avec d’autres puissances étrangères, par le biais de traités qui soient en accord avec les principes de droit public exprimés dans son texte (article 27 CN).
Il est établi
que la Constitution nationale, les lois de la nation et les traités
internationaux forment la Loi suprême de l’État (article 31 CN). Néanmoins, il
y a un doute quant à la hiérarchie normative de ces différents éléments. S’il
s’agit d’un ordre taxatif, l’ordre
juridique est celui qu’on vient de décrire, c’est-à-dire : Constitution, loi
et traité (dualisme juridique). En revanche, s’il s’agit d’un ordre énonciatif maintenant la suprématie constitutionnelle,
mais ne fixant pas une position déterminée entre la loi et le traité, l’ordre
serait inversé : d’abord le traité (ordre international) et après la loi
(ordre interne), conformément à l’existence d’un monisme qui établit la
primauté du droit international au-dessus du droit local. Dès lors : quel
est le critère à suivre ?
Une réponse
fondée sur le principe romain in claris non fit interpretatio nous mènerait
à accepter la première des solutions, vu que la norme est claire et qu’elle
précise une progression décroissante. Cependant, il est important de remarquer
que quand un État signe et ratifie un traité, cet État contracte
un engagement international dont il devra s’acquitter,
ne pouvant à cet égard alléger son droit interne, sous peine de ne pas
respecter le principe de bonne foi (pacta sunt servanda) qui doit
caractériser les relations entre les États. Ceci est dû à la nature
contractuelle du traité, par opposition à celle de la normative interne, tout à
fait unilatérale. Donc, affirmer de manière absolue une position dualiste (la loi
au-dessus du traité) ne s’avère pas la solution la plus adéquate. Peut-être le
monisme alors ?
La Cour Suprême
de Justice de la Nation (ci-après CSJN), agissant dans son rôle de Cour constitutionnelle,
en sa qualité de dernier interprète de la Constitution argentine, a maintenu
une position dualiste, proclamant qu’en cas de conflit entre les normes du
droit international et celles du droit interne, les dernières étaient
prioritaires. Comme seule exception, le Haut Tribunal a affirmé qu’en cas de guerre,
les normes internationales étaient au-dessus des normes internes, parce qu’il
s’agissait justement d’une situation exceptionnelle ; mais en temps de
paix, situation habituelle et normale, le critère était celui inverse. Ainsi,
peut-on observer qu’on est devant une exception qui n’a fait que confirmer la
règle, étant donné que, même avec des exceptions, la CSJN a proclamé la
validité du dualisme (affaire Merck
Química Argentina (S.A.) c. el Gobierno de la Nación, 1948). Cette position
a été soutenue jusqu’aux années 1990 où la jurisprudence de la CSJN a commencé
à s’orienter vers la prééminence du droit international (affaire Ekmekdjian, Miguel A. c. Sofovich, Gerardo y
otros, 1992).
Suivant ce dernier
critère, en 1994, année où a eu lieu la dernière réforme de la Constitution nationale,
l’Assemblée constituante a décidé de résoudre de manière définitive l’ancienne
polémique droit international-droit interne. Dans ce but, la Constituante a
établi la primauté du premier sur le second, octroyant aux traités
internationaux une position hiérarchique supérieure aux lois (article 75 alinéa
22 CN).
En conséquence,
aujourd’hui il n’y a aucun doute sur la position des traités dans la pyramide
juridique argentine, dès lors qu’ils sont ratifiés. Mais la réforme de 1994 ne
s’est pas limitée à cela ; elle est allée au-delà de cet aspect, puisqu’il
y a aussi certains instruments du droit international des droits de l’Homme
(ci-après DIDH) qui ont également une valeur constitutionnelle (article 75
alinéa 22 CN). On parle ici plutôt d’instruments, vu qu’il ne s’agit pas
seulement de traités, mais aussi de deux déclarations et d’un protocole.
Ces derniers, bien
qu’au même niveau que la Constitution nationale ne font pas partie de son
texte, mais ne dérogent à aucun de ses articles, et doivent être interprétés
comme complémentaires aux droits et garanties constitutionnelles.
Par le biais
d’une procédure particulière, le pouvoir législatif peut augmenter le nombre lesdits
instruments et en ajouter d’autres au degré constitutionnel, la seule condition
étant qu’il s’agisse d’instruments du DIDH (article 75 alinéa 22 CN). Cette
circonstance s’est produite en deux occasions.
Les instruments
du DIDH qui, actuellement, ont une position hiérarchique constitutionnelle sont
les suivants : la Déclaration américaine
des droits et devoirs de l’Homme, la Déclaration universelle des droits de l’Homme,
la Convention américaine relative aux droits de l’Homme, le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et son Protocole facultatif, la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la
Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes, la Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et la Convention relative
aux droits de l’enfant.
Ces onze
instruments ont une valeur constitutionnelle depuis 1994. Puis, et conformément
à un mécanisme parlementaire spécifique, ont ensuite été élevé à la position
hiérarchique constitutionnelle : la
Convention interaméricaine sur la disparition
forcée des personnes, en 1997, et la Convention sur l’imprescriptibilité
des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, en 2003. A présent, il y a donc au
total treize instruments entrant dans cette catégorie.
Selon ce schéma,
on pourrait affirmer que, depuis la dernière réforme constitutionnelle, la
République argentine a adopté une position moniste atténuée. En effet, même si
la Constitution nationale consacre la suprématie des traités internationaux sur
le droit interne, elle demeure toujours (en tant que norme interne) au sommet
de l’ordre juridique, mais – et c’est une nouveauté – elle doit le partager avec
des instruments internationaux qui ne peuvent qu’appartenir au DIDH.
En conclusion, le
DIDH a été placé au même niveau que la Constitution nationale, ce qui assure
que les droits humains internationalement consacrés ne pourront être méprisés
par des mesures voulant imposer le droit interne sur le droit international. Si
cela se produisait quand même, il n’y aurait pas seulement un manquement aux
normes internationales et engagement corrélatif de la responsabilité étatique,
mais ladite mesure pourra être considérée aussi comme inconstitutionnelle.
Mode de
citation : Juan H. GARCÍA ZEBALLOS, « La position des droits de l’Homme dans la
Constitution nationale argentine », Multipol - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 3 décembre 2012
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