L’éditorial du 10 décembre 2012 de Gideon Rachman, journaliste au Financial Times, met en lumière le problème posé par l’utilisation des drones, qui brouille la distinction entre ce qui relève d’un acte de guerre et ce qui relève d’un pur assassinat. Tandis que l’on apprenait, le 2 janvier, le décès du mollah Nazir - un influent chef de guerre pakistanais, tué dans une série de tirs de drones américains ayant fait une dizaine de morts dans la zone tribale du Waziristan au Pakistan - il est intéressant de s’interroger sur les risques de dérives posés par ces engins.
- Gideon RACHMAN, « FT column:America’s covert drone war is out of control », Financial Times, December 10, 2012
What is worse? Locking somebody up for
years, without trial, while you try to find proof he is a terrorist? Or killing
somebody whose name you don’t even know because his pattern of behaviour
suggests to you that he is a terrorist? The first strategy, internment without
trial at the Guantánamo Bay prison camp, was a signature policy of the George
W. Bush administration. The use of drone strikes to kill suspected terrorists
has become a trademark of the Obama administration. Yet while Guantánamo
attracted worldwide condemnation, the use of drones is much less discussed.
Édito de
Gideon Rachman, journaliste au Financial
Times (10 décembre 2012)
Qu'est-ce qui est pire ? Maintenir quelqu'un en
détention pendant plusieurs années en attendant d'être en mesure d'établir la
preuve qu'il est un terroriste ? Ou bien tuer quelqu'un dont vous ne connaissez
même pas le nom, parce que son comportement suggère qu'il pourrait être un
terroriste ? La première stratégie se traduit par l'incarcération sans jugement
de suspects sur la base de Guantánamo. C'est le symbole de l'ère Bush, et elle
suscite une condamnation unanime. La seconde aboutit à des frappes de drones
contre des terroristes présumés. C'est devenu la marque de fabrique de
l'administration Obama, et personne ne s'en soucie vraiment. Tout se passe
comme si on pardonnait à Barack Obama l'extrême brutalité de sa politique
antiterroriste pour la simple raison qu'il jouit d'une image positive. N'a-t-il
pas obtenu le prix Nobel de la paix ? Cette complaisance est peut-être en train
de prendre fin.
Le développement de ce programme secret finit par
provoquer, à juste titre, interrogations et critiques. Ancien ambassadeur de
Bush auprès de l'Otan, Kurt Volker posait récemment de bonnes questions dans le
Washington Post : « Quelle nation voulons-nous être ? Un pays tenant à
jour en permanence une liste de gens à abattre ? Un pays qui, dans des centres
d'opérations high-tech, forme des techniciens à tuer des êtres humains à
l'autre bout de la planète parce qu'une agence de renseignements a décrété
qu'ils étaient des terroristes ? » Tout cela reflète le malaise moral
ressenti par beaucoup face à cette guerre qui ressemble un peu trop à un jeu
vidéo. Certes, tuer quelqu'un à l'aide d'un drone peut paraître exagérément
facile, presque tentant, mais la dénonciation du caractère irréel et abstrait
de la méthode n'est pas très convaincante. Après tout, la plupart des pays
seraient ravis de disposer d'un tel moyen de réduire les pertes dans les rangs
de leurs forces armées. Et puis, il est tout à fait possible de faire des
victimes civiles et de perpétrer des massacres de masse par des moyens plus
conventionnels !
Guerre et assassinat
Non, l'objection la plus sérieuse qu'on puisse faire à
l'usage des drones, c'est qu'il estompe la frontière entre guerre et
assassinat. Un homme soupçonné de préparer un attentat terroriste sur le sol
américain peut être arrêté et traduit devant un tribunal. Mais s'il se trouve
dans les zones tribales du Pakistan, on peut estimer qu'il n'existe pas d'autre
moyen de le neutraliser que de le réduire en miettes. La majorité des frappes a
lieu dans des théâtres d'opérations comme l'Afghanistan ou l'Irak. Mais la CIA
a également mis en place un important programme secret d'attaques de drone au
Pakistan, au Yémen ou en Somalie. Certaines frappes visent des terroristes
reconnus, comme Anwar al-Awlaki, un islamiste radical disposant d'un passeport
américain abattu au Yémen. D'autres prennent pour cible des inconnus dont le
comportement est apparu suspect - on parle alors d'« attaques
signatures ». Les Américains soutiennent que ces dernières sont en réalité
ciblées avec précision, et qu'elles ne font qu'un nombre limité de victimes
civiles. Mais, à en croire une étude universitaire récente, entre 474 et 881
civils, parmi lesquels 200 enfants, ont été tués par des drones au Pakistan.
L'administration Obama justifie ces frappes par les
nécessités de la « guerre contre le terrorisme », mais c'est jouer
sur les mots. Car, que l'on sache, les États-Unis ne sont pas en guerre contre
le Pakistan ! D'ailleurs, le programme de frappes est secret. Il est conduit
par une agence de renseignements, non par l'armée régulière. La base légale de
ces attaques est encore plus ténue quand celles-ci ont lieu dans des pays comme
la Somalie, à des milliers de kilomètres des champs de bataille afghans.
De nombreux pays - de la Turquie à la Chine, en
passant par la Russie - affirment leur intention de se lancer à leur tour dans
une guerre contre le terrorisme. Que se passera-t-il s'ils décident de suivre
l'exemple américain et d'éliminer leurs ennemis à l'étranger à l'aide de drones
? Après tout, le coût financier de tels programmes n'est pas démesuré... Et la
technologie requise pas si difficile à maîtriser...
Sources :
AFP/Jeune Afrique
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