Le Président syrien, Bachar Al-Assad, a confirmé dans une interview à la télévision russe du 12 septembre que la Syrie allait placer sous contrôle international son arsenal chimique et envoyer des documents à l'ONU pour signer un accord. Peu après, l'Organisation déclarait avoir reçu la demande d'adhésion de la Syrie à la Convention sur l'interdiction des armes chimiques de 1993. "Il y a quelques heures, nous avons reçu un document d'adhésion de la part du Gouvernement syrien concernant la Convention sur les armes chimiques et nous l'étudions ; il est en cours de traduction", a déclaré un porte-parole de l'ONU, Farhan Haq.
La Syrie n'appliquera la proposition russe de supervision internationale de ses armes chimiques qu'à la condition que les Etats-Unis cessent d'aider les rebelles et de menacer le régime en place, a également prévenu le Président Assad dans cette interview : "C'est un processus bilatéral. Quand nous verrons que les Etats-Unis veulent effectivement la stabilité dans la région, qu'ils cesseront de menacer et de chercher à attaquer, et de livrer des armes aux terroristes, alors nous considérerons que nous pouvons mener les processus jusqu'au bout et qu'il seront acceptables pour la Syrie".
Les propos du Président syrien coïncident avec la révélation par le Washington Post que les Etats-Unis ont commencé à fournir des armes et des équipements techniques aux rebelles syriens.
Le début de règlement diplomatique de la question des armes chimiques éloigne un peu plus la perspective de frappes internationales contre le régime de Damas. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a souligné le 12 septembre que ce règlement rend inutile toute frappe sur le pays :"Nous partons du principe que le règlement de ce problème rend toute frappe sur la Syrie inutile. Nous sommes convaincus que nos partenaires américains préfèrent largement une solution pacifique à ce problème", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse à Genève.
Bachar Al-Assad a cependant nié l'influence des menaces américaines dans sa décision de mettre son arsenal chimique sous supervision internationale : "La Syrie place ses armes chimiques sous contrôle international à cause de la Russie. Les menaces des Etats-Unis n'ont pas influé sur cette décision",
a-t-il déclaré.
Toujours lors de cette interview, M. Assad a annoncé qu'il commencerait à transmettre des informations sur son arsenal chimique un mois après son adhésion, la "procédure standard", selon lui.
Le Président syrien s'exprimait au micro de la télévision publique russe Rossia 24, alors que des discussions cruciales ont eu lieu le 12 septembre, à Genève, entre les Etats-Unis et la Russie sur le dossier syrien. Rossia 24 n'a pas donné davantage de détails sur le contenu de cette interview, se contentant d'indiquer qu'elle serait diffusée "prochainement".
Ces discussions font suite à la réunion, le 11 septembre, des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (Etats-Unis, France, Russie, Chine, Royaume-Uni), lesquels ont discuté, sans aboutir, d'un projet de résolution français prévoyant le démantèlement de l'arsenal chimique de Damas, assorti d'une menace de frappe militaire en cas de revirement du régime syrien.
La France avait déclaré être prête à modifier, dans certaines limites, son projet de résolution, mais entend, de même que les Etats-Unis, maintenir l'option militaire sur la table comme moyen de pression sur le régime du Président Bachar Al-Assad.
Quant aux négociations entre Russes et Américains sur le dossier syrien, celles-ci ne passent pas uniquement par la voie diplomatique. Moscou veut aussi en appeler à l'opinion publique. Dans une tribune publiée le12 septembre dans le New York Times, le Président russe, Vladimir Poutine, expose sa vision du conflit syrien : contrairement à ses homologues américains et français, il tient les rebelles pour responsables de l'attaque chimique du 21 août.
Intitulé "A Plea for Caution From Russia" (le Russie plaide pour la prudence), ce plaidoyer est intervenu quelques heures avant la rencontre cruciale entre les ministres des affaires étrangères russe et américain à Genève autour du plan russe de démantèlement de l'arsenal chimique syrien.
M. Poutine met en garde par ailleurs sur la "nouvelle vague de terrorisme" que ne manquerait pas de provoquer, selon lui, une intervention militaire en Syrie, tout en déstabilisant le Moyen-Orient ainsi que le nord de l'Afrique et en compliquant le "problème nucléaire iranien" et le conflit israélo-palestinien. Il insiste sur le fait que des groupuscules terroristes constituent l'opposition syrienne, armés de l'extérieur par des réseaux proches d'Al-Qaida.
Mais le Président russe va plus loin, niant la responsabilité du régime de Bachar Al-Assad dans l'attaque chimique du 21 août qui a fait plusieurs centaines de victimes près de Damas. Alors que Paris et Washington sont convaincus de la responsabilité du régime, Moscou soutient son allié syrien, qui a jusque-là toujours démenti les accusations occidentales. Il accuse, au contraire, les rebelles d'avoir fomenté l'attaque : "Il y a toutes les raisons de croire que [le gaz toxique] a été utilisé non pas par l'armée syrienne, mais par les forces d'opposition, pour provoquer une intervention de leurs puissants soutiens étrangers, qui se seraient mis du même côté que les fondamentalistes", écrit Vladimir Poutine."Les rapports selon lesquels les rebelles sont en train de préparer une nouvelle attaque – cette fois contre Israël – ne peuvent plus être ignorés", ajoute-t-il.
Cette question centrale de la responsabilité des attaques du 21 août a trouvé un nouvel écho le 11 septembre, date à laquelle le rapport des inspecteurs de l'ONU missionnés sur place fin août pour enquêter a être remis, constatant des crimes de la part des deux camps.
Sources : AFP/Reuters/Le Monde
Vladimir V. PUTIN, « A
Plea for Caution From Russia. What Putin Has to Say to Americans About Syria »,
The New York Times, September 11, 2013
Recent events surrounding Syria have prompted me to speak directly to
the American people and their political leaders. It is important to do so at a
time of insufficient communication between our societies.
Relations between us have passed through different stages. We stood
against each other during the cold war. But we were also allies once, and
defeated the Nazis together. The universal international organization — the
United Nations — was then established to prevent such devastation from ever
happening again.
The United Nations’ founders understood that
decisions affecting war and peace should happen only by consensus, and with
America’s consent the veto by Security Council permanent members was enshrined
in the United Nations Charter. The profound wisdom of this has underpinned the
stability of international relations for decades.
No one wants the United Nations to suffer the
fate of the League of Nations, which collapsed because it lacked real leverage.
This is possible if influential countries bypass the United Nations and take
military action without Security Council authorization.
The potential strike by the United States
against Syria, despite strong opposition from many countries and major
political and religious leaders, including the pope, will result in more
innocent victims and escalation, potentially spreading the conflict far beyond
Syria’s borders. A strike would increase violence and unleash a new wave of
terrorism. It could undermine multilateral efforts to resolve the Iranian
nuclear problem and the Israeli-Palestinian conflict and further destabilize
the Middle East and North Africa. It could throw the entire system of
international law and order out of balance.
Syria is not witnessing a battle for democracy,
but an armed conflict between government and opposition in a multireligious
country. There are few champions of democracy in Syria. But there are more than enough Qaeda fighters
and extremists of all stripes battling the government. The United States State
Department has designated Al Nusra Front and the Islamic State of Iraq and the
Levant, fighting with the opposition, as terrorist organizations. This internal
conflict, fueled by foreign weapons supplied to the opposition, is one of the
bloodiest in the world.
Mercenaries from Arab countries fighting there,
and hundreds of militants from Western countries and even Russia, are an issue
of our deep concern. Might they not return to our countries with experience
acquired in Syria? After all, after fighting in Libya, extremists moved on to
Mali. This threatens us all.
From the outset, Russia has advocated peaceful dialogue enabling
Syrians to develop a compromise plan for their own future. We are not
protecting the Syrian government, but international law. We need to use the
United Nations Security Council and believe that preserving law and order in
today’s complex and turbulent world is one of the few ways to keep
international relations from sliding into chaos. The law is still the law, and
we must follow it whether we like it or not. Under current international law,
force is permitted only in self-defense or by the decision of the Security
Council. Anything else is unacceptable under the United Nations Charter and
would constitute an act of aggression.
No one doubts that poison gas was used in
Syria. But there is every reason to believe it was used not by the Syrian Army,
but by opposition forces, to provoke intervention by their powerful foreign
patrons, who would be siding with the fundamentalists. Reports that militants
are preparing another attack — this time against Israel — cannot be ignored.
It is alarming that military intervention in
internal conflicts in foreign countries has become commonplace for the United
States. Is it in America’s long-term interest? I doubt it. Millions around the
world increasingly see America not as a model of democracy but as relying
solely on brute force, cobbling coalitions together under the slogan “you’re
either with us or against us.”
But force has proved ineffective and pointless.
Afghanistan is reeling, and no one can say what will happen after international
forces withdraw. Libya is divided into tribes and clans. In Iraq the civil war
continues, with dozens killed each day. In the United States, many draw an
analogy between Iraq and Syria, and ask why their government would want to
repeat recent mistakes.
No matter how targeted the strikes or how
sophisticated the weapons, civilian casualties are inevitable, including the
elderly and children, whom the strikes are meant to protect.
The world reacts by asking: if you cannot count
on international law, then you must find other ways to ensure your security.
Thus a growing number of countries seek to acquire weapons of mass destruction.
This is logical: if you have the bomb, no one will touch you. We are left with
talk of the need to strengthen nonproliferation, when in reality this is being
eroded.
We must stop using the language of force and
return to the path of civilized diplomatic and political settlement.
A new opportunity to avoid military action has
emerged in the past few days. The United States, Russia and all members of the
international community must take advantage of the Syrian government’s
willingness to place its chemical arsenal under international control for
subsequent destruction. Judging by the statements of President Obama, the United States sees this as an alternative to military action.
I welcome the president’s interest in
continuing the dialogue with Russia on Syria. We must work together to keep
this hope alive, as we agreed to at the Group of 8 meeting in Lough Erne in Northern
Ireland in June, and steer the discussion back toward negotiations.
If we can avoid force against Syria, this will
improve the atmosphere in international affairs and strengthen mutual trust. It
will be our shared success and open the door to cooperation on other critical
issues.
My working and personal relationship with
President Obama is marked by growing trust. I appreciate this. I carefully
studied his address to the nation on Tuesday. And I would rather disagree with
a case he made on American exceptionalism, stating that the United States’
policy is “what makes America different. It’s what makes us exceptional.” It is
extremely dangerous to encourage people to see themselves as exceptional,
whatever the motivation. There are big countries and small countries, rich and
poor, those with long democratic traditions and those still finding their way
to democracy. Their policies differ, too. We are all different, but when we ask
for the Lord’s blessings, we must not forget that God created us equal.
« Le désarmement chimique de la Syrie, "un cas unique dansl'histoire moderne" », Propos de Jean-Pascal Zanders recueillis par
Rodolphe Baron, Le Monde, 12 septembre 2013
Jean-Pascal Zanders, directeur de l'ONG The
Trench et ancien chargé de recherche à l'Institut d'études de sécurité de l'Union
européenne (Iesue), est un spécialiste belge des questions d'armement, de
désarmement et de prolifération des armes chimiques.
Dans le cadre d'une résolution du Conseil de
sécurité, l'arsenal chimique syrien pourrait être placé sous surveillance
internationale. Il s'agirait ensuite de le détruire. Comment procéder ?
C'est une question à
laquelle on ne peut pas répondre aujourd'hui. Tout est unique dans ce cas, et
cela aussi bien d'un point de vue technique que dans l'histoire moderne. Nous
n'avons jamais détruit d'armes chimiques dans un pays en état de guerre. Il va falloir procéder par phases. La première
sera un inventaire complet de ce que les Syriens possèdent, puis peut-être une
déclaration d'adhésion à la Convention sur l'interdiction des armes chimiques
(CIAC) de 1993. Le problème, c'est de savoir exactement ce qu'il y a dans cet
arsenal. Ensuite, il faudra regrouper les agents chimiques dans un nombre réduit de lieux.
Pourrait-on détruire ces agents chimiques
ailleurs qu'en Syrie ?
Si on pouvait transporter les armes hors du pays,
cela serait plus rapide. Mais, dans le cas de la Syrie, il vaut mieux ne pas
considérer cette option, parce que tous les pays voisins ont ratifié la
Convention. Son article 1 leur interdit de "transférer,
directement ou indirectement" des armes "à qui que ce soit".
Transporter des agents
chimiques à travers le pays va aussi poser beaucoup de problèmes de sécurité parce le
gouvernement syrien ne contrôle pas tout son territoire. C'est également
dangereux d'un point de vue logistique, du fait de la possibilité d'attaques pendant
le transport et de la toxicité des produits. On pourrait utiliser des incinérateurs industriels mobiles comme en
possèdent le Japon, les Etats-Unis
ou l'Allemagne.
Cela permettrait de déplacer au minimum les agents chimiques que l'on aura
regroupés.
Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a
évoqué 1 000 tonnes de matériel chimique. Sous quelle forme se trouve-t-il
?
Ce sera un aspect
important de l'inventaire. Selon la manière dont l'agent chimique est conservé,
sa destruction peut prendre plus de temps. Dans le cas syrien, c'est
probablement sous forme liquide, et non dans les armes qui servent à les envoyer, ce qui rend la destruction plus rapide. On ne peut
pas en être totalement certain aujourd'hui, mais j'ai l'impression que la plus
grande partie est conservée dans des conteneurs. Il y a des indices selon
lesquels la Syrie ne maîtrise pas la technologie pour conserver le gaz sarin, qui se décompose en quelques jours
selon son niveau de pureté.
L'étape suivante consiste
à rendre l'agent chimique moins dangereux avant de
l'incinérer à haute température et en s'assurant qu'il n'y a pas de rejets de
particules. C'est la méthode la plus simple, la plus utilisée.
Quant au chiffre de
1 000 tonnes, c'est seulement une estimation. D'après mes informations,
les Syriens ont un niveau de production et de technologie plus avancé de les
Irakiens [on estimait les stocks irakiens sous le
régime de Saddam Hussein à 600 tonnes].
Qui va superviser les opérations ?
Si la Syrie adhère à la
Convention, c'est l'Organisation d'interdiction des armes chimiques qui va superviser la destruction. Les inspecteurs doivent certifier que la destruction avance selon les prévisions,
mais c'est le pays même qui est responsable de la destruction des stocks.
Combien de temps peut durer la destruction complète de
l'arsenal syrien ?
Quand on voit les
difficultés qui sont apparues en Libye
[lors de la destruction, à partir de 2004, d'une partie du stock d'armes chimiques du
colonel Kadhafi], où l'on a rencontré des problèmes techniques et
logistiques pour la destruction d'environ 25 ou 26 tonnes de gaz moutarde, on
se rend compte que cela est très incertain. Peut-être trois ans pour la seule
phase de destruction. Le temps de l'opération dépendra principalement du nombre
d'incinérateurs que l'on compte déployer. Dans l'hypothèse où l'on utilise des
systèmes mobiles, bien sûr.
PLUS DE 80 % DES AGENTS
CHIMIQUES MONDIAUX DETRUITS EN 16 ANS
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