16 décembre 2015

ACTU : Dans les affaires jointes concernant Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière et la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan, la CIJ conclut que le Nicaragua a violé la souveraineté territoriale et les droits de navigation du Costa Rica

Catherine MAIA

Dans le cadre de l'affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), la Cour conclut que le Nicaragua a violé la souveraineté territoriale et les droits de navigation du Costa Rica ainsi que les dispositions de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires qu’elle a rendue le 8 mars 2011, mais que, en procédant au dragage du fleuve San Juan, il n’a manqué à aucune obligation de nature procédurale ou de fond lui incombant au titre du droit de l’environnement.

Dans le cadre de l'affaire relative à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), la Cour conclut que le Costa Rica a manqué à son obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement concernant la construction de la route 1856, mais qu’il n’a méconnu aucune obligation de fond lui incombant au titre du droit de l’environnement.

A l’annonce de cet arrêt de la CIJ qui vient trancher un différend empoisonnant les relations entre les deux voisins depuis des années, le président du Costa Rica, Luis Guillermo Solis, s’est dit satisfait, tout en espérant que cette décision ouvrira un horizon de dialogue entre les deux pays. De son côté, le Nicaragua a fait savoir qu'il respectera le verdict par la voix de son ministre adjoint aux Affaires étrangères, Cesar Vega.

* * *

La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu le 16 décembre 2015 son arrêt dans les affaires jointes relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica).

Dans son arrêt, lequel est définitif, sans appel et obligatoire pour les Parties, la Cour
1) Dit, par quatorze voix contre deux, que le Costa Rica a souveraineté sur le «territoire litigieux», tel que défini par la Cour aux paragraphes 69-70 de l’arrêt; 
2) Dit, à l’unanimité, que, en creusant trois caños et en établissant une présence militaire sur le territoire costa-ricien, le Nicaragua a violé la souveraineté territoriale du Costa Rica; 
3) Dit, à l’unanimité, que, en creusant deux caños en 2013 et en établissant une présence militaire sur le territoire litigieux, le Nicaragua a violé les obligations auxquelles il était tenu en vertu de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 8 mars 2011; 
4) Dit, à l’unanimité, que, pour les motifs exposés aux paragraphes 135-136 de l’arrêt, le Nicaragua a violé les droits de navigation sur le fleuve San Juan qui ont été conférés au Costa Rica par le traité de limites de 1858; 
5) a) Dit, à l’unanimité, que le Nicaragua a l’obligation d’indemniser le Costa Rica à raison des dommages matériels qu’il lui a causés par les activités illicites auxquelles il s’est livré sur le territoire costa-ricien; 
b) Décide, à l’unanimité, que, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet dans un délai de 12 mois à compter de la date du présent arrêt, elle procédera, à la demande de l’une des Parties, au règlement de la question de l’indemnisation due au Costa Rica, et réserve à cet effet la suite de la procédure en l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; 
c) Rejette, par douze voix contre quatre, la demande du Costa Rica tendant à ce que le Nicaragua soit condamné à payer certains frais de procédure; 
6) Dit, à l’unanimité, que le Costa Rica, en omettant d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement en ce qui concerne la construction de la route 1856, a violé l’obligation qui lui incombait au titre du droit international général; 
7) Rejette, par treize voix contre trois, le surplus des conclusions soumises par les Parties.

Historique de la procédure

La Cour rappelle que, par requête déposée au Greffe de la Cour le 18 novembre 2010, la République du Costa Rica a introduit une instance contre la République du Nicaragua (ci-après dénommée l’«affaire Costa Rica c. Nicaragua»), lui faisant grief d’avoir envahi et occupé un territoire costa-ricien et d’y avoir construit un chenal, ainsi que d’avoir exécuté un certain nombre de travaux (de dragage du fleuve San Juan, notamment) en violation de ses obligations internationales. Le Costa Rica a également présenté, le même jour, une demande en indication de mesures conservatoires. Par ordonnance du 8 mars 2011, la Cour a indiqué des mesures conservatoires à l’attention de chacune des Parties. Par requête déposée au Greffe le 22 décembre 2011, le Nicaragua a introduit contre le Costa Rica une instance (ci-après dénommée l’«affaire Nicaragua c. Costa Rica») à raison du manquement allégué, de la part du Costa Rica, aux obligations de nature procédurale et de fond lui incombant en ce qui concerne la construction de la route 1856 Juan Rafael Mora Porras (ci-après, la «route») le long du fleuve San Juan. Par deux ordonnances distinctes datées du 17 avril 2013, la Cour a joint les instances dans les affaires Costa Rica c. Nicaragua et Nicaragua c. Costa Rica. Par ordonnance du 22 novembre 2013 en l’affaire Costa Rica c. Nicaragua, elle a réaffirmé les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 8 mars 2011 et en a indiqué de nouvelles à l’attention des deux Parties.

Des audiences publiques ont été tenues du 14 avril 2015 au 1er mai 2015 dans les instances
jointes.


Raisonnement de la Cour

1. Compétence de la Cour

La Cour relève que, dans chacune des deux affaires, le demandeur invoque, comme bases de compétence, l’article XXXI du Pacte de Bogotá et les déclarations par lesquelles les Parties ont reconnu sa compétence obligatoire conformément aux paragraphes 2 et 5 de l’article 36 du Statut, compétence qui n’a été contestée par le défendeur ni dans l’une ni dans l’autre de ces deux affaires. Elle considère qu’elle a compétence pour connaître des deux différends.

2. Contexte géographique et historique et genèse des différends

La Cour présente ensuite un bref aperçu du contexte géographique et historique et de la genèse des différends. Elle explique que le fleuve San Juan, qui coule depuis le lac Nicaragua jusqu’à la mer des Caraïbes, bifurque en un point appelé «Delta Colorado» pour donner naissance, d’une part, au San Juan inférieur et, d’autre part, au fleuve Colorado (voir croquis n° 1 annexé au communiqué de presse du 16 décembre 2015). Le territoire situé entre le fleuve Colorado et le cours inférieur du San Juan est communément désigné Isla Calero et englobe une région plus petite appelée Isla Portillos. Dans la partie septentrionale de celle-ci se trouve la lagune de Harbor Head. Il existe deux zones humides d’importance internationale dans cette région : la Humedal Caribe Noreste au Costa Rica et le Refugio de Vida Silvestre Río San Juan au Nicaragua.

La Cour rappelle que les Parties ont, en 1858, conclu un traité de limites (ci-après, le «Traité de 1858») fixant le tracé de la frontière. Elle fait ensuite brièvement état de la sentence arbitrale rendue en 1888 par le président des Etats-Unis d’Amérique, Grover Cleveland, qui a confirmé la validité du traité de 1858 et réglé d’autres «points d’interprétation douteuse», ainsi que l’établissement en 1896 de commissions de démarcation nationales et les sentences rendues par le général Edward Porter Alexander pendant le processus de démarcation. Elle indique que certaines divergences de vues opposant les Parties concernant les droits de navigation conférés par le Traité de 1858 au Costa Rica ont été réglées dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2009 en l’affaire du Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua).

La Cour relève que, le 18 octobre 2010, le Nicaragua a entrepris le dragage du fleuve San Juan, afin d’en améliorer la navigabilité, et effectué des travaux dans la partie septentrionale d’Isla Portillos. A cet égard, le Costa Rica soutient que le Nicaragua a artificiellement percé un chenal (ou «caño») sur le territoire costa-ricien, à Isla Portillos entre le fleuve San Juan et la lagune de Harbor Head ; le Nicaragua affirme s’être borné à dégager un caño existant sur son territoire. Le Nicaragua a, par ailleurs, déployé certaines formations militaires et d’autres agents dans cette même zone. En décembre 2010, le Costa Rica a amorcé des travaux en vue de la construction sur son territoire de la route, qui longe une partie de sa frontière avec le Nicaragua et suit le cours du fleuve San Juan sur 108,2 km (voir croquis n° 2 annexé au communiqué de presse du 16 décembre 2015). Le 21 février 2011, le Costa Rica a pris un décret par lequel était déclaré l’état d’urgence dans la région frontalière, ce qui, soutient-il, le dispensait de l’obligation de mener une évaluation de l’impact sur l’environnement avant de construire la route.

3. Questions en litige en l’affaire Costa Rica c. Nicaragua

A. Souveraineté sur le territoire litigieux et violations alléguées de celle-ci

La Cour rappelle que, dans son ordonnance du 8 mars 2011 portant indication de mesures conservatoires, elle a défini le «territoire litigieux» comme «la partie septentrionale[d’]Isla Portillos, soit la zone humide d’environ trois kilomètres carrés comprise entre la rive droite du caño litigieux [dragué par le Nicaragua en 2010], la rive droite du fleuve San Juan lui-même jusqu’à son embouchure dans la mer des Caraïbes et la lagune de Harbor Head». Elle précise que cette définition ne traite pas spécifiquement du segment de la côte caraïbe qui s’étend entre la lagune de Harbor Head et l’embouchure du San Juan. Les Parties ne lui ayant ni l’une ni l’autre demandé de préciser le tracé de la frontière par rapport à cette côte, elle s’abstient de le faire. La Cour conclut, à la lumière de son analyse du Traité de 1858 et des sentences rendues par le président Cleveland et le général Alexander, que la souveraineté sur le territoire litigieux appartient au Costa Rica.

En parvenant à cette conclusion, la Cour souligne que, au regard du Traité de 1858, la souveraineté du Costa Rica s’étend à la rive droite du cours inférieur du San Juan jusqu’à l’embouchure de celui-ci dans la mer des Caraïbes. Elle examine puis rejette l’affirmation du Nicaragua selon laquelle le caño  litigieux correspond au «premier chenal rencontré» auquel il est fait référence dans la première sentence Alexander et, par conséquent, à la frontière entre les deux Etats. Elle considère, à cet égard, que les images aériennes et satellite fournies par le Nicaragua sont insuffisantes pour établir qu’un chenal naturel reliait le fleuve San Juan à la lagune de Harbor Head suivant le même cours que celui du caño en question et que les déclarations établies par des agents de l’Etat nicaraguayen ne sont que de peu de poids pour étayer sa revendication de souveraineté. Elle estime, par ailleurs, que les cartes présentées par les Parties n’ont qu’une valeur limitée. S’agissant des effectivités invoquées - qui, en tout état de cause, sont également d’une portée limitée -, elles ne sauraient affecter le titre de souveraineté découlant du Traité de 1858 et des sentences Cleveland et Alexander.

La Cour estime, en conséquence, que les activités menées par le Nicaragua sur le territoire litigieux depuis 2010, notamment le creusement de trois caños et l’établissement d’une présence militaire par endroits, constituaient des violations de la souveraineté territoriale du Costa Rica et que le Nicaragua est, dès lors, tenu de réparer les dommages causés par les activités illicites qu’il a exercées en territoire costa-ricien. Elle considère toutefois qu’il n’a été commis aucun «acte d’hostilité» emportant violation de l’article IX du Traité de 1858. Ayant conclu au caractère illicite des activités du Nicaragua, elle ne recherche pas si celles-ci peuvent être considérées comme ayant violé l’interdiction de la menace ou de l’emploi de la force, ni si la conduite du Nicaragua a donné lieu à une occupation militaire.

B. Allégations de violation du droit international de l’environnement
1. Obligations de nature procédurale
La Cour examine l’allégation de violation de l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement, faisant observer que le risque principal évoqué par le Costa Rica tenait à l’impact préjudiciable éventuel des activités de dragage du Nicaragua sur le débit du fleuve Colorado, lesquelles auraient également pu porter préjudice à sa zone humide. Elle est d’avis que, de portée limitée, le programme de dragage n’était pas de nature à créer un risque de dommage transfrontière important, que ce soit à l’égard du débit du fleuve Colorado ou de la zone humide du Costa Rica. En l’absence de risque de dommage transfrontière important, le Nicaragua n’avait pas l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement.

Abordant ensuite l’allégation de violation d’une obligation de notification et de consultation, la Cour en vient à la conclusion que, puisqu’il n’avait aucune obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement en l’absence de risque de dommage transfrontière important, le Nicaragua n’était pas tenu, à ce titre, d’informer ou de consulter le Costa Rica. Par ailleurs, elle n’est pas convaincue que le Nicaragua ait manqué à quelque obligation à cet égard au titre de la Convention de Ramsar (Convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau, signée à Ramsar (Iran) le 2 février 1971) ou de la Convention concernant la conservation de la biodiversité et la protection des zones prioritaires de faune et de flore sauvages d’Amérique centrale.

2. Obligations de fond

S’agissant des obligations de fond, la Cour estime que le Costa Rica n’a pas établi que le programme de dragage aurait porté préjudice à sa zone humide ou entraîné une diminution importante du débit du fleuve Colorado. Elle conclut que les éléments de preuve disponibles ne montrent pas que, en s’engageant dans des activités de dragage sur le cours inférieur du fleuve San Juan, le Nicaragua a manqué à ses obligations en matière de prévention des dommages transfrontières.
C. Respect des mesures conservatoires

La Cour rappelle que, dans son ordonnance du 8 mars 2011, elle indiquait que chaque Partie devait «s’abst[enir] d’envoyer ou de maintenir sur le territoire litigieux, y compris le caño, des agents, qu’ils soient civils, de police ou de sécurité», et par ailleurs «s’abst[enir] de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont [elle était] saisie ou d’en rendre la solution plus difficile». Sur la base des faits qui sont désormais incontestés, elle conclut que, en creusant deux nouveaux caños et en établissant une présence militaire sur le territoire litigieux en 2013, le Nicaragua a manqué aux obligations qui lui incombaient au titre de cette ordonnance. Elle estime, en revanche, qu’il n’a commis aucun manquement aux obligations énoncées dans l’ordonnance du 22 novembre 2013.

D. Droits de navigation

La Cour considère comme recevable la conclusion avancée par le Costa Rica relativement à ses droits de navigation sur le fleuve San Juan. Elle observe que le Costa Rica invoque, au nombre des atteintes qui auraient été portées à ces droits, cinq incidents ainsi que la prise d’un décret par le Nicaragua en 2009. Elle relève qu’aucun des incidents spécifiquement allégués par le Costa Rica au titre de l’entrave à ses droits de navigation n’a trait à l’application de ce décret, qui, par conséquent, n’est pas examiné plus avant. Estimant que le Nicaragua n’a pas apporté de justification convaincante de la conduite de ses agents lors de deux incidents concernant la navigation sur le fleuve San Juan par des personnes habitant la rive costa-ricienne de celui-ci, elle conclut que, en raison des deux incidents en cause, le Nicaragua a violé les droits de navigation sur le fleuve San Juan que le Costa Rica tient du Traité de 1858 et qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres incidents invoqués.

E. Réparations

Abordant les mesures de réparation demandées par le Costa Rica, la Cour conclut que la constatation de ce que le Nicaragua a violé la souveraineté territoriale costa-ricienne en creusant trois caños et en établissant une présence militaire sur le territoire litigieux constitue une satisfaction appropriée au préjudice immatériel subi à ce titre. Il en va de même de la constatation de la violation des obligations découlant de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par elle le 8 mars 2011. Enfin, la constatation de la violation des droits de navigation conférés au Costa Rica constitue également une satisfaction appropriée à cet égard.

La Cour estime que le Costa Rica est fondé à recevoir indemnisation pour les dommages matériels découlant des violations commises par le Nicaragua. Elle déclare que les Parties devraient mener des négociations afin de s’entendre sur ces questions. Toutefois, si elles ne parviennent pas à un accord dans un délai de 12 mois à partir de la date du présent arrêt, la Cour déterminera, à la demande de l’une d’entre elles, le montant de l’indemnité sur la base de pièces écrites additionnelles limitées à cet objet.

La Cour rejette toutes les autres demandes de réparation formulées par le Costa Rica, ainsi que sa demande tendant à ce que le Nicaragua soit condamné à payer certains frais de procédure.

4. Questions en litige en l’affaire Nicaragua c. Costa Rica

A. Obligations de nature procédurale

S’agissant de l’allégation de violation de l’obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement, la Cour conclut que le projet de construction routière entrepris par le Costa Rica comportait un risque de dommage transfrontière important et que, en conséquence, le seuil d’application de l’obligation d’évaluer l’impact de ce projet sur l’environnement était atteint. Elle estime en outre que, dans les circonstances de l’espèce, le Costa Rica n’a pas démontré l’existence d’une urgence qui pourrait éventuellement justifier de construire la route sans entreprendre d’évaluation de l’impact sur l’environnement. Abordant la question de savoir si le Costa Rica s’est conformé à son obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement, la Cour constate que cette obligation requiert que le risque de dommage transfrontière important soit évalué ex ante. Or les études effectuées par le Costa Rica ont consisté dans une évaluation post hoc de l’impact environnemental des tronçons de route déjà construits et ne comportaient pas d’évaluation des risques de dommage à venir. La Cour conclut que le Costa Rica ne s’est pas acquitté de l’obligation qu’il avait, en vertu du droit international général, d’effectuer une évaluation de l’impact environnemental de la construction de la route.

La Cour se penche ensuite sur l’allégation de violation d’une obligation de notification et de consultation, rappelant que, si l’évaluation de l’impact sur l’environnement confirme l’existence d’un risque de dommage transfrontière important, l’Etat d’origine est tenu d’informer et de consulter l’Etat susceptible d’être affecté, lorsque cela est nécessaire aux fins de définir les mesures propres à prévenir ou réduire ce risque. En l’espèce, puisque le Costa Rica ne s’est pas acquitté de son obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement avant d’entreprendre la construction de la route, la Cour ne saurait se prononcer sur la question de savoir s’il était tenu, au titre du droit international général, d’informer et de consulter le Nicaragua. Elle constate, par ailleurs, qu’il n’est pas établi que le Costa Rica a manqué à quelque obligation de notification ou de consultation découlant du Traité de 1858 ou de la Convention de Ramsar.

B. Obligations de fond

La Cour examine ensuite les allégations concernant la violation d’obligations de fond, à commencer par celle de faire preuve de la diligence requise en vue de prévenir les dommages transfrontières importants. Elle constate que la quantité de sédiments provenant de la construction de la route et déversée dans le fleuve représente tout au plus 2% de la charge sédimentaire totale de celui-ci. Elle considère qu’une telle proportion ne permet pas de conclure à un dommage important, surtout s’il est tenu compte de la forte variabilité naturelle des charges sédimentaires du San Juan. Elle estime, par ailleurs, que le Nicaragua n’a pas démontré que l’apport sédimentaire attribuable à la construction de la route a porté une atteinte grave à la morphologie et à la navigabilité du fleuve San Juan et de son cours inférieur, ou alourdi de manière importante la tâche du Nicaragua en matière de dragage, ni que la construction de la route a porté une atteinte importante à l’écosystème du fleuve et à la qualité de ses eaux ou causé quelque autre dommage. Elle conclut que le Nicaragua n’a pas prouvé que la construction de la route lui ait causé des dommages transfrontières importants.

La Cour aborde ensuite les allégations du Nicaragua concernant le manquement par le Costa Rica à des obligations de fond énoncées par divers traités. Elle relève que le Nicaragua se contente d’alléguer la violation de ceux-ci par le Costa Rica, sans expliquer en quoi consisteraient les manquements, surtout en l’absence de preuve de dommage important à l’environnement. Elle rejette, en conséquence, ces allégations.

S’agissant de la thèse du Nicaragua selon laquelle le rejet de sédiments et la formation de deltas sédimentaires porteraient atteinte à son intégrité territoriale et à sa souveraineté sur le fleuve San Juan, la Cour estime qu’elle n’est pas convaincante, faisant observer que le Costa Rica n’a exercé aucune autorité sur le territoire nicaraguayen et n’y a mené aucune activité. Elle rejette, par conséquent, la demande du Nicaragua sur ce point.

C. Réparations

Passant ensuite aux réparations demandées par le Nicaragua, la Cour conclut que la constatation par elle d’un fait illicite consistant dans le manquement du Costa Rica à son obligation d’effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement constitue une mesure de satisfaction appropriée. Elle rejette toutes les autres demandes de réparation formulées par le Nicaragua.



Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ; MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Gevorgian, juges ; MM. Guillaume, Dugard, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

M. le juge YUSUF, vice-président, joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge OWADA joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; MM. les juges TOMKA et GREENWOOD, Mme la juge SEBUTINDE et M. le juge ad hoc DUGARD joignent à l’arrêt une déclaration commune ; M. le juge CANÇADO TRINDADE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; Mme la juge DONOGHUE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge BHANDARI joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge ROBINSON joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ; M. le juge GEVORGIAN joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc GUILLAUME joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc DUGARD joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.

***

Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé no 2015/3». Le présent communiqué de presse du 16 décembre 2015, le résumé de l’arrêt ainsi que le texte intégral de celui-ci sont disponibles sur le site internet de la CIJ (www.icj-cij.org), sous la rubrique «Affaires».




Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire