23 mars 2020

REVUE : "Course aux armements ou désarmement", Recherches internationales (n°116, octobre-décembre 2019)

Nil ANDERSSON

« Plus jamais ça ! » Deux fois au cours du XXe siècle cette interjection fut entendue. Les interrogations et les constats introduisant les contributions à ce numéro de Recherches internationales évoquent, dans leurs approches respectives, combien l’alternative désarmement ou course aux armements est, avec la question climatique, la question la plus pressante aujourd’hui se posant aux peuples du monde.

« En 1945, à la suite de l’explosion des deux bombes atomiques américaines à Hiroshima puis Nagasaki les 6 et 9 août, le désarmement devient une idée dans l’air du temps dans l’opinion mondiale » (Chloé Maurel).

Qu’en est-il en 2020 ?

« Une explosion nucléaire est tout aussi probable aujourd’hui qu’elle l’était il y a cinquante ans et son impact sera beaucoup plus destructeur. En effet, chacune des 14 000 armes nucléaires actuelles est bien plus puissante que celles utilisées au Japon en 1945 et 1 800 de ces bombes sont en état d’alerte permanente » (Arielle Denis).

« Retour des armes nucléaires : l’ère du désarmement est derrière nous. Les dépenses militaires mondiales ont explosé en 2018 ». Les mécanismes mis en oeuvre pour diminuer la tension internationale pendant ces dernières décennies ont-ils échoué ? » (Daniel Durand)

« L’OTAN affiche un tableau impressionnant : en 2018, 3,2 millions de personnels militaires d’active, pour un total de près d’un milliard d’habitants (soit environ 13 % de la population mondiale), la moitié du PIB mondial, 55 % des dépenses militaires de la planète » (Jenny Raflik).

« Certains affirment que l’on vivrait dans les décennies les plus pacifiques de l’Histoire contemporaine, n’est-ce pas là, encore et toujours, un regard occidentalocentriste » (Nils Andersson).

« La crise du capitalisme globalisé, financiarisé et numérisé depuis le début de XXIe siècle a profondément changé le paysage militaire » (Yann Le Pollotec).

« Voilà vingt ans que les colonels chinois (devenus généraux) Qiao Liang et Wang Xingsui nous en ont avertis, systématisant les analyses états-uniennes en termes de soft, hard et smart power : les guerres du XXIe siècle seront des 'opérations de guerre non militaires' » (Gabriel Galice).

« La notion de course aux armements peut être sommairement définie comme toute situation voyant des acteurs politiques se considérant comme des rivaux renforcer leurs moyens matériels et humains de la violence armée, parce qu’ils entrevoient la possibilité de recourir à la force pour régler les différends qui les opposent » (Aude-Emmanuelle Fleurant, Yannick Quéau).

« En temps de paix, c’est avec beaucoup de circonspection que les scientifiques peuvent contribuer aux efforts d’armement, car le surarmement n’est un soutien à la paix que si l’on croit au vieil adage 'Si tu veux la paix, prépare la guerre'. Or, depuis deux mille ans, on a toujours eu la guerre après avoir augmenté la puissance des armes » (Jacques Bordé, Annick Suzor-Weiner).

Autant d’entrées qui soulignent combien, dans ce début chaotique du XXIe siècle, il est important que les opinions publiques, déstabilisées par les désordres du monde et de la planète, embrumées par des moyens de communication qui répandent confusion de la pensée et des valeurs, entendent l’urgence de faire prévaloir les aspirations à la paix sur la réalité de la guerre.

Nil Andersson, « De la course aux armements vers le désarmement ? »
(Présentation)

***

Disons-le d’emblée, l’autarcie choisie, frileuse et repliée ne peut proposer un horizon enviable pour aucun peuple. Les pays qui se sont retrouvés dans cette situation ne l’ont pas choisie. Elle leur a été imposée. Et les conséquences ont souvent été douloureuses pour eux. Face à la mondialisation déferlante la question n’est plus de la fuir, mais de savoir comment y faire face et s’en protéger, voire d’en tirer avantage comme certains pays ont su le faire. Il y a longtemps que nous sommes entrés dans un monde interdépendant – certes où certains étaient plus dépendants que d’autres – dont il serait vain de parier sur la fin, même lointaine. La planète s’est rétrécie. Des problèmes communs de plus en plus nombreux sont apparus et appellent, pour y faire face, à des coordinations de plus en plus étroites dans le respect des souverainetés de chacun.

C’est cette notion de souveraineté qui est au cœur de la mise en relation avec d’autres. Personne n’ose la réfuter, car alors il faudrait dans la foulée avancer ce que serait son contraire souhaitable. C’est de l’ordre de l’indicible. Qui oserait dire qu’il est favorable à une soumission, une dépendance, une obéissance, une servilité ? On l’a compris tout le monde se réclamera de la souveraineté, quitte à la décliner sous différentes acceptions.

Dans la mondialisation, il est d’usage, face à ce qu’il est convenu d’appeler la « contrainte extérieure » de se réclamer de la souveraineté. Mais celle-ci sera déclamée tantôt comme populaire, tantôt comme nationale. Comment s’y retrouver ?

La « populaire » sera souvent avancée par les forces progressistes qui verront dans la « contrainte extérieure » alléguée le prétexte de revenir sur des acquis sociaux présentés par les tenants d’un libéralisme mondialisé comme des scories rendant inaptes à s’insérer dans la concurrence internationale. Car pour les adeptes de cette mondialisation, la « contrainte extérieure », ou les « signaux des marchés » ne signifient rien d’autre qu’une contrainte interne qu’il s’agit de casser pour rendre le pays apte à s’insérer dans le marché mondial. Le prurit de la réforme – en réalité la casse des acquis sociaux – les animera de façon fébrile.

La « nationale » sera revendiquée par des secteurs de l’économie qui se sentiront fragilisés et menacés par la concurrence mondiale. C’est l’expression d’un petit ou moyen patronat qui ne sent pas apte à résister à cette concurrence qui vient de loin. Elle sera revendiquée par des couches sociales souvent attirées par un vote à droite.

Il est des circonstances, assez exceptionnelles, où ces deux approches de la souveraineté peuvent se rapprocher et bousculer les clivages politiques établis. Ce fut le cas dans la Résistance où la création du Conseil national de la résistance transcenda les deux approches qui fusionnèrent à travers le terme de patriotisme. En 2005, à l’occasion du referendum sur le Traité constitutionnel européen, le Non de gauche et le Non de droite se mêlèrent dans l’urne, chacun exprimant une acception de la souveraineté différente, pour les uns des craintes sociales, économiques et monétaires, pour les autres des préoccupations sociétales ou identitaires, mais tous deux comprenant que la structure supranationale que représentait l’Union européenne était devenue incompatible avec leur projet politique.

La construction européenne présente un cas particulier de la mondialisation. C’est un espace continental où ses formes ont été les plus accentuées et où les traités se sont empilés entraînant chaque fois des délégations de souveraineté : Acte unique, Traité de Maastricht, Pacte de stabilité, le tout repris et rassemblé dans le corset du Traité de Lisbonne et complétés et aggravés par ceux découlant de la gestion de la monnaie unique allant jusqu’à faire obligation aux parlement nationaux à faire viser par la Commission européenne les projets de budgets de chaque pays. La construction européenne est ainsi devenue le laboratoire de la mondialisation, sa forme la plus avancée et ne peut être considérée comme potentiellement lui être porteuse de résistance. Car elle en réunit tous les ingrédients : marché unique, libre circulation des marchandises, des capitaux et des travailleurs dans un espace où les écarts de salaires s’échelonnent de 1 à 9 et où les normes sociales, fiscales et environnementales sont différentes. Dans un tel espace ce qui s’échange ce ne sont pas des marchandises mais les conditions contextuelles dans lesquelles elles sont produites. Il est vain alors de parler de concurrence libre et non faussée. Les dérives délétères de la mondialisation y ont été multipliées rendant problématiques les conditions de l’exercice de la souveraineté dans cet ensemble européen. On comprend ainsi pourquoi prétendre construire l’Europe pour s’opposer à la mondialisation relève de l’escroquerie.

On ajoutera que tous ces traités, empilés et gravés dans le marbre puisqu’il faudrait un accord unanime pour les modifier, n’ont pour principale fonction que de permettre aux bourgeoisies conservatrices du continent de prendre une assurance tous risques contre les aléas de la démocratie et du balancier politique en intimant à tout « déviant » la nécessité de rentrer dans le « cercle de la raison ». Jean-Claude Juncker a su résumer cette situation en annonçant au Grecs en 2015 qu’« il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens déjà ratifiés » et nous a ainsi annoncé la nature du verrouillage mis en place. La question est alors de savoir si les délégations de souveraineté consenties doivent servir de plafond de verre contre la démocratie ou au contraire, si cette Union européenne renforcée doit devenir permissive, voire accompagnatrice des changements espérés par les pays-membres.

Bien sûr, il est vain de prétendre co-construire avec d’autres sans imaginer devoir déléguer des moyens ou de la souveraineté. Mais cela se fait avec l’objectif de renforcer l’échelon supérieur afin qu’il protège mieux ou qu’il s’oppose à des forces extérieures jugées délétères. Par exemple mettre tout en œuvre pour faire face aux grands acteurs de la mondialisation, comme les grands États, ou la finance mondialisée, les firmes multinationales, les lobbies, etc. Mais pas pour leur dérouler le tapis rouge faisant de l’Union européenne un espace à dévaliser où l’on vient faire son marché. On pense à tout ce qui pourrait être fait au service d’une politique industrielle maîtrisée, à la lutte contre les paradis fiscaux, contre l’impunité et l’arrogance des GAFA ou le poids des lobbies qui foisonnent à Bruxelles.

Le piège se referme lorsque les délégations de souverainetés se retournent contre l’échelon de départ, le pays-membre, et deviennent constitutives de contraintes, notamment austéritaires – au travers des « critères » de Maastricht – façonnées par des instances communautaires non-élues. L’exemple des directives européennes élaborées à Bruxelles et qui irriguent la production législative des parlements nationaux doit faire réfléchir. Voilà des textes qui sont élaborés sous l’influence de lobbies, c’est à dire dans des conditions qui ne seraient pas autorisées en France, et qui vont être adoptées en bloc et sans discussion par nos parlementaires. C’est ainsi que l’« harmonisation » européenne avance masquée. De telles délégations de souveraineté consenties dans de telles conditions et sachant qu’elles vont se retourner contre les pays membres en lui imposant ce qu’il n’a pas voulu à priori devraient s’intituler abandons de souveraineté et consistent à se livrer pieds et poings liés au bourgeoisies libérales-conservatrices qui dirigent l’Union européenne.

Il faut évidemment se poser la question de la place du curseur des délégations de souveraineté au sein de l’Union européenne. Il faut se demander à quoi elles servent ? Protéger les peuples européens ou au contraire renforcer les contraintes qui pèsent sur eux ? Il faut enfin se demander quel type d’Europe, forte des délégations opérées, pourrait être la garante des aspirations voulues par les peuples des États-membres ?

Michel Rogalski, « Du bon usage de la souveraineté en Europe »
(Editorial)


Michel Rogalski, Du bon usage de la souveraineté en Europe (Éditorial)
DOSSIER
COURSE AUX ARMEMENTS OU DÉSARMEMENT ?
Nils Andersson, De la course aux armements vers le désarmement ? (Présentation)
Chloé Maurel, L'ONU, l'opinion mondiale et le désarmement depuis 1945
Arielle Denis, La fin des armes nucléaires ou la nôtre ?
Aude-Emmanuelle Fleurant, Yannick Quéau, Course aux armements, dépenses militaires et contextes régionaux
Daniel Durand, Désarmement - course aux armements : soubresauts ou nouvelle ère ?
Jenny Raflik, L'OTAN est-elle obsolète ?
Gabriel Galice, Complexes guerres "hybrides" en Ukraine
Yann Le Pollotec, Crise du capitalisme globalisé et mutation du paysage militaire
Nils Andersson, La militarisation du monde conduit à la guerre
Jacques Bordé, Annick Suzor-Weiner, Les scientifiques face à l'armement et au désarmement
CONTROVERSES : OÙ VA LE VENEZUELA ?
Fabrice Andréani, Venezuela, du mirage au désastre. Pour une critique matérialiste de la dystopie bolivarienne
Maurice Lemoine, Venezuela : deux ou trois détails de l'histoire...
Thomas Posado, Comprendre le Venezuela sans manichéisme
Michel Rogalski, Venezuela : tout ce qui bouge aux confins de l'empire n'est pas forcément rouge
Livres reçus



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