Tandis que le 6 mai la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a déploré les menaces et attaques grandissantes des autorités publiques destinées à « saper et à délégitimer diverses institutions nationales indépendantes » de défense des droits humains dans plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes, la situation du Salvador s’avère particulièrement préoccupante.
L’actuel président salvadorien, Nayib Bukele, a accédé au pouvoir en 2019. Non seulement il devenait alors, à 37 ans, le plus jeune chef d’État du continent américain, mais il était la première personnalité à accéder à la fonction présidentielle sans appartenir à l’un des deux principaux partis nationaux (l’Alliance républicaine nationaliste - ARENA et le Front Farabundo Martí de libération nationale - FMLN) depuis la fin de la guerre civile en 1992.
Les débuts du mandat présidentiel ont été marqués par des tensions avec un Parlement majoritairement hostile, la scène du 9 février 2020 étant à cet égard éloquente. Ce jour-là, les députés n’étaient pas en nombre suffisant pour approuver un emprunt de 109 millions de dollars auprès de la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) destiné à financer un plan de lutte contre la criminalité. Furieux, Nayib Bukele a alors fait irruption dans l’enceinte parlementaire, accompagné de militaires et policiers armés, afin d’intimider les députés, tout en appelant à l’insurrection populaire. L’année suivante, le parti présidentiel récemment créé, Nouvelles Idées (NI), remportait les élections législatives du 28 février 2021 à une confortable majorité de 56 sièges sur les 84 que comprend l'Assemblée législative.
Signe d’un préoccupant glissement vers la concentration des pouvoirs présidentiels, le 1er mai, soit le premier jour de session de la nouvelle Assemblée législative, les premières mesures votées ont été la destitution des cinq juges de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême de justice et de leurs suppléants respectifs, et la nomination immédiate de leurs remplaçants. Par 64 voix sur 84, les parlementaires ont accusé les magistrats d’avoir émis des décisions « arbitraires » et « discriminatoires » en jugeant inconstitutionnelles, en 2020, certaines options présidentielles de lutte contre le crime organisé ou la pandémie de Covid-19. L'Assemblée législative a également démis le procureur général Raúl Melara, hostile au président, et immédiatement nommé comme successeur l'avocat Rodolfo Antonio Delgado.
Pour justifier juridiquement ces destitutions, le président Bukele, qui tend à privilégier la communication via les réseaux sociaux, a rappelé sur Twitter que : « La destitution des magistrats de la Cour constitutionnelle par l’Assemblée est une faculté incontestable exprimée clairement dans l’article 186 de la Constitution de la République ».
Ce glissement vers une concentration des pouvoirs aux mains de Nayib Bukele a suscité de nombreuses réprobations, tant nationales qu’internationales.
Au niveau national, l’opposition a aussitôt dénoncé un détournement de la Constitution, la motivation des destitutions étant fondée sur des arguments politiques et non juridiques. Par ailleurs, l’opposition craint que ce qu’elle perçoit comme un « coup d’État », ne permette au président de gouverner les mains livres, sans contre-pouvoirs, puisqu’il contrôle désormais les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Au niveau international, dès le 2 mai, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, s’est entretenu par téléphone avec Nayib Bukele, afin d’exprimer la « grave préoccupation » des États-Unis et rappeler qu’« un pouvoir judiciaire indépendant est essentiel à une gouvernance démocratique ».
Dans son communiqué du 2 mai, le Secrétariat général de l’organisation des États américains OEA a proclamé, en particulier, que : « Le plein respect de l'état de droit démocratique est essentiel. Les majorités parlementaires et l'action gouvernementale doivent le renforcer en permanence par un dialogue politique pour un meilleur fonctionnement de la démocratie. Les actions qui conduisent à son érosion et à la cooptation du pouvoir judiciaire ne conduisent qu'à une société injuste, fondée sur l'impunité et la persécution politique ».
Dans le même sens, dans son communiqué du 3 mai, la Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH) a réclamé le respect de l'état de droit et de la séparation des pouvoirs. Elle a également pris note avec inquiétude des conclusions contenues dans le rapport publié le 2 mai par la récente mission spéciale du Secrétariat général de l'OEA au Salvador, dans lequel celle-ci se déclare préoccupée « par les actions susceptibles de violer l'état de droit et la démocratie salvadorienne ». Le rapport fait état, entre autres, de plaintes concernant « le manque d'indépendance des pouvoirs de l'État, les atteintes à la liberté d'expression et de la presse, les limites injustifiées de l'accès à l'information, l'augmentation possible de la militarisation du pays, le non-respect des obligations découlant des accords de paix, le mépris des décisions judiciaires, la publication de décrets inconstitutionnels pour contenir la pandémie qui ont violé les droits constitutionnels des personnes privées de liberté de manière injustifiée et les expressions qui fomentent la violence contre les autorités des institutions démocratiques de l’État ».
La dénonciation de la dérive autoritaire du régime salvadorien se retrouve encore dans un bref communiqué du 3 mai, par lequel le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a appelé « au respect des dispositions constitutionnelles, de l'état de droit et du partage des pouvoirs, afin de préserver les progrès démocratiques réalisés par le peuple salvadorien depuis la signature de l'accord de paix [de 1992] »
Le président salvadorien, pour l’heure, ne semble guère impressionné par ces diverses condamnations politiques. Le 3 mai, il a convoqué les membres du corps diplomatique pour leur indiquer la manière dont ils devaient réfuter vertement les réprobations internationales. Quelques jours plus tard, le 6 mai, il a fait voter à l’Assemblée parlementaire la suppression des exemptions fiscales pour les journaux, ces derniers étant majoritairement critiques envers le pouvoir présidentiel. Alors que la Loi des imprimeries de 1950, au nom de la « libre diffusion de la pensée », exemptait d'impôt l'impression de journaux, revues et livres, ces privilèges fiscaux seront désormais réservés aux seules publications « destinées directement à des buts éducatifs », une façon détournée de museler ce « quatrième pouvoir » qu’est la presse.
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