Depuis le début de l’offensive militaire russe en Ukraine le 24 février 2022, de nombreuses condamnations ont été formulées à l’encontre d’une violation caractérisée du principe d’interdiction du recours à la force armée, posé par l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies. Paradoxalement, le Conseil de sécurité – conçu comme le pivot du système de sécurité collective mondial mis en place par la Charte des Nations Unies – est demeuré impuissant à agir. Nouvelle illustration de son impuissance, le 30 septembre, s’est heurté au veto russe un projet de résolution cherchant à condamner les annexions, officialisées le même jour par la Russie, de quatre régions ukrainiennes partiellement occupées, à savoir Louhansk, Donetsk, Kherson et Zaporijia. Dans ce contexte, c’est une Assemblée revigorée qui est parvenue à faire ce que le Conseil est empêché de faire : condamner de telles annexions par sa Résolution ES-11/4 du 12 octobre, intitulée « Intégrité territoriale de l’Ukraine : défense des principes consacrés par la Charte des Nations Unies ».
Sur quel fondement a été prise la Résolution de l’Assemblée générale du 12 octobre dernier et quel est son objet ?
L’impuissance du Conseil de sécurité à entraver l’offensive armée menée par la Russie contre l’Ukraine depuis février 2022 a conduit l’Assemblée générale à adopter par consensus, le 26 avril 2022, la Résolution 76/262 portant « Mandat permanent permettant à l’Assemblée générale de tenir un débat en cas de recours au droit de veto au Conseil de sécurité ». Cette résolution vise à modérer l’usage du veto, tout en réhaussant le rôle de l’Assemblée dans sa responsabilité subsidiaire en matière de paix mondiale.
Conformément à l’article 10 de la Charte des Nations Unies, il est désormais prévu que, dans les 10 jours ouvrables après l’utilisation du veto au sein du Conseil, une réunion sera automatiquement organisée à l’Assemblée, afin que tous les membres des Nations Unies puissent s’exprimer, y compris les États ayant utilisé leur veto, lesquels sont conviés à exposer leurs motivations.
Cette séance sera organisée sous réserve que ne soit pas tenue une session extraordinaire d’urgence sur la situation concernée en vertu de la Résolution Acheson de 1950. D’après ce texte, si « le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’Assemblée générale examinera immédiatement la question afin de faire aux Membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre, y compris, s’il s’agit d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, l’emploi de la force armée en cas de besoin (…) ».
Prise sur le fondement du mandat permanent de l’Assemblée générale à débattre en cas d’usage du veto et dans le cadre de sa 11e session extraordinaire d’urgence, la Résolution ES-11/4 a pour objet de rappeler certains principes essentiels du droit international, parmi lesquels l’obligation qu’ont tous les États, au titre de l’article 2 de la Charte des Nations Unies, de s’abstenir, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, de même que l’obligation, au titre du droit coutumier, de ne reconnaître comme légale aucune acquisition territoriale résultant de la menace ou de l’emploi de la force.
Plus précisément, la résolution condamne l’organisation par la Russie de « soi-disant référendums illégaux dans des régions situées à l’intérieur des frontières internationalement reconnues de l’Ukraine et la tentative d’annexion illégale des régions ukrainiennes de Louhansk, de Donetsk, de Kherson et de Zaporijia qui a suivi ». Elle précise que l’annexion illégale de ces régions n’a « aucune validité au regard du droit international et ne saur[ait] servir de fondement à une quelconque modification du statut de ces régions d’Ukraine ».
En conséquence, il est demandé aux États, organisations internationales et institutions spécialisées onusiennes de ne reconnaître aucune modification des statuts des régions concernées et, à la Russie, d’annuler immédiatement ses annexions et de retirer ses troupes militaires du territoire ukrainien.
Pourquoi était-il nécessaire de permettre à l’Assemblée générale d’exercer une responsabilité subsidiaire en matière de paix mondiale ?
La responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales revient, selon l’article 24 de la Charte des Nations Unies, au Conseil de sécurité. Cette responsabilité lui permet d’adopter, en cas de danger pour la paix mondiale, des résolutions imposant des obligations, voire des sanctions, à l’encontre d’un ou plusieurs États. Toutefois, le Conseil est parfois paralysé, spécialement lorsqu’est en cause, directement ou indirectement, l’un des cinq membres permanents doté d’un droit de veto. Ce droit, déduit de l’article 27 de la Charte des Nations Unies, permet effectivement à ses détenteurs de bloquer toute décision de condamnation et, a fortiori, toute décision de sanction à leur égard. Si, à l’origine, la prévision du veto visait à répondre à un souci de réalisme dans l’application des résolutions ayant besoin du soutien des principales puissances mondiales, aujourd’hui, l’utilisation de ce privilège du « club des cinq » est contesté lorsqu’il sert à esquiver l’action du Conseil.
À cet égard, le contexte de l’agression ukrainienne est un épisode supplémentaire venant dévoiler avec éclat la déficience de l’ONU dès lors qu’il s’agit d’un membre permanent du Conseil de sécurité. Depuis sa création en 1945, celle-ci n’a pas été en mesure d’éviter une guerre déclenchée par l’un de ses membres permanents, qu’il s’agisse des États-Unis en Irak en 2003 ou de la Russie en Ukraine aujourd’hui. Comble de l’ironie, l’offensive en Ukraine a débuté sous la présidence russe du Conseil, quelques minutes seulement après le début d’une session d’urgence destinée à contenir le risque d’une escalade des tensions. En outre, un projet de résolution visant à réaffirmer la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine a été bloqué par le veto de la Russie, malgré 11 voix favorables et 3 abstentions (Chine, Inde, Émirats arabes unis). Ce blocage du Conseil a conduit, le 27 février 2022, à la réactivation de la Résolution Acheson, ouvrant la voie à la convocation de l’Assemblée par un simple vote procédural du Conseil échappant au veto.
Dans ce contexte, le pouvoir subsidiaire de l’Assemblée en matière de maintien de la paix mondiale a permis à l’ONU de sortir de l’immobilisme grâce à l’adoption d’une série de textes importants. La résolution du 12 octobre s’inscrit, en effet, dans la lignée de textes antérieurs de l’Assemblée : la Résolution 68/262 du 27 mars 2014, qui affirme le caractère invalide du référendum du 16 mars 2014 dans la république autonome de Crimée et à Sébastopol, mais aussi la Résolution ES-11/1 du 2 mars 2022, qui déplore l’invasion de l’Ukraine par la Russie et exige un retrait complet et inconditionnel des forces russes, la Résolution ES-11/2 du 24 mars 2022, qui condamne les violations du droit international humanitaire et des droits humains, ainsi que la Résolution ES-11/3 du 7 avril 2022 par laquelle l’Assemblée, responsable de l’élection des 47 États membres du Conseil des droits de l’homme, a décidé de suspendre la Russie de son droit de siéger dans cet organe (après son exclusion en mars dernier du Conseil de l’Europe).
La responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales revient, selon l’article 24 de la Charte des Nations Unies, au Conseil de sécurité. Cette responsabilité lui permet d’adopter, en cas de danger pour la paix mondiale, des résolutions imposant des obligations, voire des sanctions, à l’encontre d’un ou plusieurs États. Toutefois, le Conseil est parfois paralysé, spécialement lorsqu’est en cause, directement ou indirectement, l’un des cinq membres permanents doté d’un droit de veto. Ce droit, déduit de l’article 27 de la Charte des Nations Unies, permet effectivement à ses détenteurs de bloquer toute décision de condamnation et, a fortiori, toute décision de sanction à leur égard. Si, à l’origine, la prévision du veto visait à répondre à un souci de réalisme dans l’application des résolutions ayant besoin du soutien des principales puissances mondiales, aujourd’hui, l’utilisation de ce privilège du « club des cinq » est contesté lorsqu’il sert à esquiver l’action du Conseil.
À cet égard, le contexte de l’agression ukrainienne est un épisode supplémentaire venant dévoiler avec éclat la déficience de l’ONU dès lors qu’il s’agit d’un membre permanent du Conseil de sécurité. Depuis sa création en 1945, celle-ci n’a pas été en mesure d’éviter une guerre déclenchée par l’un de ses membres permanents, qu’il s’agisse des États-Unis en Irak en 2003 ou de la Russie en Ukraine aujourd’hui. Comble de l’ironie, l’offensive en Ukraine a débuté sous la présidence russe du Conseil, quelques minutes seulement après le début d’une session d’urgence destinée à contenir le risque d’une escalade des tensions. En outre, un projet de résolution visant à réaffirmer la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine a été bloqué par le veto de la Russie, malgré 11 voix favorables et 3 abstentions (Chine, Inde, Émirats arabes unis). Ce blocage du Conseil a conduit, le 27 février 2022, à la réactivation de la Résolution Acheson, ouvrant la voie à la convocation de l’Assemblée par un simple vote procédural du Conseil échappant au veto.
Dans ce contexte, le pouvoir subsidiaire de l’Assemblée en matière de maintien de la paix mondiale a permis à l’ONU de sortir de l’immobilisme grâce à l’adoption d’une série de textes importants. La résolution du 12 octobre s’inscrit, en effet, dans la lignée de textes antérieurs de l’Assemblée : la Résolution 68/262 du 27 mars 2014, qui affirme le caractère invalide du référendum du 16 mars 2014 dans la république autonome de Crimée et à Sébastopol, mais aussi la Résolution ES-11/1 du 2 mars 2022, qui déplore l’invasion de l’Ukraine par la Russie et exige un retrait complet et inconditionnel des forces russes, la Résolution ES-11/2 du 24 mars 2022, qui condamne les violations du droit international humanitaire et des droits humains, ainsi que la Résolution ES-11/3 du 7 avril 2022 par laquelle l’Assemblée, responsable de l’élection des 47 États membres du Conseil des droits de l’homme, a décidé de suspendre la Russie de son droit de siéger dans cet organe (après son exclusion en mars dernier du Conseil de l’Europe).
Cette résolution de l’Assemblée générale peut-elle pallier efficacement l’impuissance du Conseil de sécurité mise en lumière depuis le début de cette crise ukrainienne ?
Il est indéniable que les résolutions de l’Assemblée générale, dont la Résolution ES-11/4, sont un palliatif à l’impuissance du Conseil de sécurité. La représentation égalitaire des États à l’Assemblée confère à cet organe plénier, basé sur le principe d’un État une voix, une légitimité dont elle peut se prévaloir face à un Conseil dont la composition est restreinte et dont le fonctionnement peut à tout moment être bloqué par le veto.
Certes, on peut regretter que la Résolution ES-11/4 soit dépourvue de force contraignante, ne valant qu’à titre de recommandation et, qu’à cet égard, elle ne saurait être un palliatif efficace à l’inaction du Conseil. Toutefois, symboliquement, prise au sein d’un forum constituant le cadre d’expression des aspirations et convictions de tous les États des Nations Unies, son poids politique est considérable. Adoptée par 143 voix pour, 35 abstentions et 5 voix contre (Biélorussie, Corée du Nord, Nicaragua, Russie et Syrie), cette résolution permet de mesurer l’isolement du régime russe sur la scène internationale. Par ailleurs, elle vient indéniablement soutenir les autres mesures sanctionnatrices frappant la Russie depuis son annexion de la Crimée en 2014. Enfin, elle permet de réaffirmer avec force l’attachement des États aux principes énoncés dans la Charte des Nations Unies – spécialement l’interdiction de l’emploi de la force armée, le respect de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique des États et l’obligation de régler pacifiquement les différends internationaux – dans un contexte où il est primordial de ne pas laisser se consolider le fait accompli.
Source : Le Club des juristes
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