Alors que le Conseil de sécurité des Nations Unies demeure impuissant pour entraver la poursuite des hostilités armées déclenchées par la Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022, l’Assemblée générale a adopté par consensus, le 26 avril 2022, la Résolution A/RES/76/262 intitulée « Mandat permanent permettant à l’Assemblée générale de tenir un débat en cas de recours au droit de veto au Conseil de sécurité ». Selon cette résolution présentée par le Liechtenstein et coparrainée par 83 États – dont trois membres permanents du Conseil (États-Unis d'Amérique, Royaume-Uni et France) et l’Ukraine – tout recours au veto déclenchera une réunion de l’Assemblée, afin que soit débattue l’utilisation dudit veto par tous les États membres des Nations Unies.
Cette résolution, d’application immédiate, prévoit également, lors du débat à l’Assemblée, que soit réservée dans la liste des orateurs la préséance du ou des pays ayant opposé un veto, lesquels sont ainsi invités à expliquer les circonstances et motivations sous-jacentes à une telle décision.
Une volonté de modérer le veto
Le Liechtenstein a commencé il y a plus de deux ans à mener des consultations sur ce texte. Celui-ci tire son origine du constat d’une utilisation jugée abondante, voire abusive, du veto par les membres permanents du Conseil de sécurité, mettant à mal le mandat de cet organe en faveur de la paix mondiale, constat qui a connu une nouvelle illustration avec l’actuel conflit en Ukraine.
Conformément à l’article 27 de la Charte des Nations Unies, « [l]es décisions du Conseil de sécurité sur toutes autres questions [qui ne soient pas de procédure] sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents ». De cet article a été déduit le droit pour les membres permanents de bloquer l’adoption de décisions par un vote négatif et non une simple abstention ou absence.
Initialement, ce système du veto a été établi en faveur des membres fondateurs des Nations Unies sortis victorieux de la Seconde Guerre mondiale en contrepartie de leur responsabilité de respecter et faire respecter les valeurs de paix sous-tendant la Charte des Nations Unies. En ce sens, lors de la présentation du texte, le délégué du Liechtenstein a rappelé que le droit de veto s'accompagne de la responsabilité d'œuvrer à la réalisation « des buts et principes de la Charte des Nations Unies à tout moment ». Le veto répondait aussi à un souci de pragmatisme, aucune résolution ne pouvant être pleinement appliquée sans prendre en compte les rapports de force sur la scène internationale, et donc sans compter sur l’appui des membres permanents du Conseil.
Depuis 1945, la grande majorité des vetos ont été opposés par l’Union soviétique, puis par la Russie. Le dernier en date, utilisé par la Russie le 25 février dernier contre un projet de résolution du Conseil de sécurité condamnant l'invasion de l'Ukraine par les forces armées russes, et exigeant leur retrait du territoire ukrainien, a mis crûment en lumière l’impossible condamnation d’un membre permanent par cet organe.
Une portée politique de l’invitation à motiver le veto
Désormais, si une situation similaire venait à se reproduire, l’organe plénier de l’Organisation des Nations Unies convoquera une séance dans les 10 jours ouvrables suivant l’exercice du droit de veto par un ou plusieurs membres permanents du Conseil, afin d’organiser un débat concernant la situation au sujet de laquelle le veto a été opposé, sous réserve que l’Assemblée ne tienne une session extraordinaire d’urgence sur cette situation en vertu de la Résolution 377 (V) « Union pour la paix » de 1950, également connue comme Résolution « Dean Acheson ». D'après ce texte, si « le Conseil de sécurité manque à s’acquitter de sa responsabilité principale dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, l’Assemblée générale examinera immédiatement la question afin de faire aux Membres les recommandations appropriées sur les mesures collectives à prendre, y compris, s’il s’agit d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression, l’emploi de la force armée en cas de besoin, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».
Dans la même optique de pallier le blocage du Conseil de sécurité, et conformément à l’article 10 de la Charte des Nations Unies permettant à l’Assemblée générale de discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre de ladite Charte, la nouvelle résolution du 26 avril 2022 prévoit que, 10 jours après un veto, une réunion sera automatiquement organisée, afin que tous les membres de l’ONU puissent s'exprimer lorsque le Conseil n'est pas en mesure d'agir, à commencer par les États qui font le choix de recourir au veto.
Cette automaticité marque une différence notable avec la Résolution 377(V) dans la mesure où cette dernière prévoit que l’Assemblée ne peut s’acquitter de sa responsabilité subsidiaire en matière de maintien de la paix mondiale que s’il paraît exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression et qu’un manque de consensus entre les membres permanents du Conseil l’empêche de jouer son rôle de garant du système de sécurité collective mis en place par la Charte des Nations Unies. Par ailleurs, il est prévu que dans l’hypothèse où l’Assemblée générale ne siège pas à ce moment-là, elle peut se réunir en session extraordinaire d’urgence à la demande du Conseil de sécurité ou de la majorité de ses membres.
Si l’objectif de la nouvelle résolution est d’éclairer l’ensemble de la communauté internationale a posteriori et non a priori sur l’utilisation du veto, la nature discrétionnaire de cette prérogative demeure intacte. Les membres permanents du Conseil de sécurité pourront continuer à recourir au veto sans condition aucune et sans obligation de motivation. La résolution de l’Assemblée générale n’étant pas contraignante, l’État qui déciderait d’utiliser son veto n’est pas tenu de motiver sa décision – aucune sanction n’étant d’ailleurs prévue dans le cas contraire – mais simplement invité à se justifier.
Vers une réforme plus ample du Conseil de sécurité ?
L’adoption de cette résolution, avec pour toile de fond le conflit russo-ukrainien, n’a pas manqué de provoquer des réactions contrastées parmi les États. Elle a certes été saluée par la plupart d'entre eux. Tel est le cas du Costa Rica, qui a estimé que cette résolution constitue une importante étape vers une relation complémentaire et réciproque entre l’Assemblée et le Conseil. Tel est le cas également de la France qui, depuis plusieurs années, défend conjointement avec le Mexique une proposition de réforme visant à ce que les cinq membres permanents s’engagent à suspendre collectivement l’utilisation du veto dans des circonstances où des atrocités de masse sont commises.
Quelques pays ont toutefois fait entendre des voix dissonantes pour exprimer leur circonspection. Ainsi, la Biélorussie, la Colombie et le Brésil ont souligné l’inutilité d’un texte qui viendrait faire doublon avec la Résolution 377 (V). De même, l’Inde a rappelé que l’Assemblée avait déterminé à l’unanimité, en 2008, que la réforme du Conseil – dont la question du veto – serait considérée de manière globale, tandis que le Gabon a minimisé l’importance d’un texte qui ne viendrait pas bouleverser la portée du veto, s’apparentant à cet égard à un simple « sparadrap enrobant une tumeur ».
S’il est vrai que cette nouvelle résolution de l’Assemblée générale du 26 avril 2022 est dépourvue de force contraignante et n’obligera pas, en tant que telle, à motiver le recours au veto, il n’en demeure pas moins qu’à défaut d’une réforme du Conseil de sécurité – point inscrit à l’ordre de l’Assemblée générale depuis plus de 40 ans – elle peut faire bouger les lignes vers une plus grande transparence et responsabilisation de l’action des cinq membres permanents dans ce qui constitue l’utilisation d’un pouvoir exorbitant.
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