Depuis le début l’invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022, Moscou agite la menace nucléaire. Pour Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), la Russie livre ainsi en Ukraine « une guerre coloniale sous protection nucléaire ». Dès lors, le tabou qui est tombé avec cette guerre est la possibilité pour un État (la Russie) de pouvoir, sous couvert de menace nucléaire, réaliser une invasion militaire, ce qui met en lumière que la dissuasion nucléaire, loin d’être créatrice de paix, est génératrice de plus d’instabilité.
Pratiquement une année après le déclenchement des hostilités armées en Ukraine, le président russe, Vladimir Poutine, dans un discours à la nation prononcé le 21 février 2023, a poursuivi sa rhétorique nucléaire. Après avoir fait de l’année 2022 celle de la menace d’une guerre nucléaire, il s’est attaqué à l’architecture globale du contrôle des armements en lui portant un « nouveau coup ».
Premièrement, Vladimir Poutine a annoncé la suspension par la Russie de ses obligations du traité bilatéral New Start de réduction des armes stratégiques (« Start » en anglais pour Strategic Arms Reduction Treaty). Conclu entre la Russie et les États-Unis en 2010, ce traité est entré en vigueur en 2011 et a été prolongé en 2021 de cinq années supplémentaires, soit jusqu’au 5 février 2026. Son objectif principal est d’assurer un équilibre des forces nucléaires stratégiques à travers des inspections et des mesures de contrôle réciproques de nature à favoriser la transparence et la confiance mutuelle.
Ce traité est le dernier accord bilatéral de contrôle des armements nucléaires liant la Russie et les États-Unis, deux pays qui détiennent à eux seuls environ 90% du stock mondial. Il ne prévoit pas de réduction dans la possession d’armes dites stratégiques (ogives et vecteurs), mais dans la limitation du nombre d’armes qui peuvent être déployées, tout comme sur le nombre de vecteurs et de lanceurs qui peuvent déployées pour utiliser ses armes, le reste des arsenaux nucléaires devant être stockées. Ainsi, il restreint la taille des arsenaux russes et américains à : 1 550 ogives ou têtes nucléaires stratégiques ; 700 missiles balistiques intercontinentaux (missiles balistiques d'une portée supérieure à 5 500 km) et missiles mer-sol balistiques stratégiques (missiles balistiques contenant une ou plusieurs têtes nucléaires, lancées par un sous-marin nucléaire lanceur d'engins) et bombardiers lourds déployés ; et 800 lanceurs, déployés ou non déployés, propres à ces mêmes catégories de vecteurs.
Cette suspension du traité New Start n’est guère une surprise. Dans un contexte marqué par une dégradation des relations diplomatiques entre les gouvernements russe et américain – accrue par l’actuelle guerre en Ukraine – voici plusieurs mois que Moscou repousse les inspections américaines sur ses sites militaires stratégiques ou les réunions de la Commission bilatérale consultative établie par cet instrument. Si la mise en sommeil de ce traité va rendre plus complexes certaines communications, il semble que la procédure de notification de tirs d’exercice par la Russie va se poursuivre, ce qui serait une bonne chose, le plus grand danger, dans une période de tensions demeurant la mauvaise interprétation d’une manœuvre militaire.
Deuxièmement, Vladimir Poutine a également annoncé s’octroyer le droit de réaliser un essai nucléaire si les États-Unis réalisaient un tel acte en premier, appelant les forces russes à se tenir « prêtes à réaliser des essais d'armes nucléaires ». Sous l’ère de l'actuel président américain Joe Biden, une action de Washington en ce sens apparaît toutefois peu probable, contrairement aux craintes qui ont existé durant le mandat de son prédécesseur Donald Trump. Cette annonce russe signifie donc que le pays se prépare à agir en violation du Traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), instrument conclu en 1996 mais non encore en vigueur, faute de réunir parmi ses 176 États parties la totalité des 44 États listés dans une annexe. À l’instar de la France et du Royaume-Uni qui ont ratifié le TICE en 1998, la Russie l’a également ratifié en 2000, tandis que les États-Unis et la Chine ne l’ont que signé. Si un État partie au TICE (ici la Russie) procédait à des essais nucléaires, non seulement il violerait ses obligations conventionnelles, mais il amorcerait une spirale négative pour l’ensemble de cette architecture de contrôle des armements, qui serait notamment de nature à encourager la Corée du Nord à poursuivre ses essais, voire à donner l'idée à d’autres États d’affirmer leur capacité nucléaire en réalisant des essais.
La menace nucléaire constante exercée par la Russie rend évidemment le risque d’une utilisation de cette arme de destruction massive plus importante. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, le 24 janvier 2023, l'Horloge de l'Apocalypse (the « Doomsday Clock ») – concept créé en 1947 pour mesurer la vulnérabilité du monde et géré par l'organisation du Bulletin of the Atomic Scientists – n'était plus qu'à 90 secondes avant minuit. Jamais nous n'avons été aussi proches de minuit, heure représentant symboliquement la fin du monde. Or, c’est précisément en raison de la grande insécurité mondiale créée par la guerre actuelle en Ukraine, qu’il est plus que jamais nécessaire de rappeler que l’écrasante majorité des États de la planète ne souhaite pas acquérir l’arme nucléaire et que c’est face à cette urgence d’éliminer cette arme de destruction massive qu’a été mis en place, sous l’égide des Nations Unies, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), entré en vigueur le 22 janvier 2021.
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