Le Conseil des droits de l’homme a suspendu les travaux de la deuxième session ordinaire, qu’elle reprendra le 27 novembre 2006 pour procéder à l’adoption des projets de textes qu’elle n’a pas pu examiner, faute de trouver un consensus sur certaines questions comme le Darfour. Or, en abordant cette seconde session, le Conseil passait quatre tests : éviter la politisation en favorisant un dialogue entre Etats, mettre en place de manière progressive de nouvelles méthodes et procédures de travail, trouver les voies et moyens de mise en œuvre et de suivi de ses décisions, évaluer la situation des droits de l’homme dans le monde.
La lutte contre l’impunité des crimes internationaux a été de plus en plus affirmée dans l’enceinte du Conseil, ainsi que la nécessité d’offrir une réparation aux victimes des droits de l’homme et du droit humanitaire et l’affirmation chez les Etats du concept de droit à la vérité pour les victimes.
Ces réflexions
tentent de répondre à la question de savoir si le Conseil a été à la hauteur
des défis qui l’attendaient et des espoirs escomptés d’une part ; d’autre
part, elles traitent des questions juridiques de la lutte contre l’impunité, de
la réparation et du droit à la vérité, telles qu’elles sont apparues dans le
débat au Conseil.
I. Le Conseil a-t-il été à la hauteur des quatre tests ?
La politisation et
la recherche du dialogue
La résolution 60/251
portant création du Conseil des droits de l’homme fait du dialogue et de la
coopération, l’un des principes qui doivent guider ce nouvel organe. Ainsi,
dans son préambule, il est dit que la promotion et la défense des droits
de l’homme doivent être fondées sur les principes de coopération et de dialogue
authentique (§10) et qu’il faut mettre fin à la pratique des deux poids deux
mesures et à toute politisation(§9 in fine). Dans le dispositif, ces principes
apparaissent plus explicitement : dans les principes de travail du Conseil
(§4 du dispositif), dans l’examen des questions thématiques (§ 5, lettre b),
dans la mise en œuvre de l’examen périodique (§ 5 lettre e), dans la prévention
des droits de l’homme (§ 5 lettre g), et dans le travail du Conseil (§ 12). Le
dialogue et la coopération sont indiscutablement associés à la politisation qui
a miné la défunte Commission des droits de l’homme et conduit à l’inefficacité
de cette dernière dans ses dernières dix années. La recherche du dialogue et la
non politisation sont aussi reconnus par tous les Etats comme devant guider
leurs relations avec leurs pairs au sein du Conseil. Si l’on ne peut nier que
le Conseil est d’abord un organe politique, il s’agit surtout, dans la
pratique, d’impliquer tous les Etats à la recherche des solutions communes aux
préoccupations de tous et de chacun, et d’aboutir à des résultats par
consensus. Cette dernière méthode est celle qui doit guider et guidera le Conseil dans sa prise de
décisions. Il est reconnu qu’une résolution adoptée et ou une décision prise par
consensus au sein du Conseil, revêt une autorité politique et morale plus
importante, bien que dépourvue, en règle générale, d’un effet juridique
obligatoire.
Lors de cette
session, le Conseil ne semble pas avoir suivi ces principes, du moins par
entièrement, sur deux points. D’une part, le retour à la politisation, la
résurgence des clivages idéologiques et des solidarités nationales ont eu
raison du dialogue, en ce qui concerne l’examen de situations des droits de
l’homme dans certains pays, à l’exemple de
Cuba, de la Corée du Nord, du Liban et des territoires occupés par
Israel en Palestine. Lors de cet examen, les Etats ont, soit remis en cause les
mandats et leurs titulaires en dénonçant la politisation et la sélectivité,
soit émis des réserves sur les conclusions et recommandations des rapports
d’experts, soit enfin rejeté ces rapports purement et simplement. A ce sujet,
certains ont demandé la suppression des mandats géographiques pour des motifs
fondés sur leur caractère sélectif et les circonstances de leur adoption. Le
même constat est valable mutatis mutandis pour l’examen de certaines
thématiques telles que l’intolérance religieuse, le racisme et la
discrimination raciale, la lutte contre le terrorisme et ses abus et le
problème des migrants, de surcroît exacerbées par l’actualité internationale du
moment.
D’autre part, les
clivages idéologiques et les solidarités régionales ont eu gain de cause sur le
dialogue concernant l’adoption des textes. Non seulement, les Etats n’ont pas
pu s’entendre sur une « Déclaration du Président du Conseil »portant
sur les questions sensibles du Darfour et des territoires occupés, mais encore
le Conseil s’est retrouvé avec une quarantaine de projets de résolutions et
décisions, dont certains auraient pu être fusionnés.
Sur ce défi, le
résultat est plutôt négatif. Néanmoins, il y a lieu de relativiser cette
attitude, car beaucoup de rapports portaient sur la période 2005/2006 et
traduisent ainsi l’atmosphère de la défunte Commission.
Les méthodes et
procédures de travail
Les méthodes et
procédures de travail à mettre en place portent aussi bien sur l’interaction
avec les différents acteurs, le comportement de ces acteurs, le déroulement des
travaux et les modalités d’adoption des décisions. Retenons le problème de la
participation des ONGs et les modalités d’adoption des textes.
Si la participation
des ONGs ne pose pas un problème de principe, il reste à savoir à quel degré et
sur quelles questions, elle doit être prise en compte. Durant cette session,
les ONGs ont participé au dialogue interactif, notamment avec les procédures
spéciales thématiques et géographiques et le temps leur a été aménagé pour
s’impliquer dans les travaux. Les ONGs ont aussi participé aux consultations
informelles organisées pendant la session. Cependant, certains Etats voudraient
limiter cette participation à des questions particulières. Le Conseil n’a pas
pu définir clairement les règles, et la pratique observée lors de cette session
reste transitoire.
Le suivi des
décisions du Conseil
L’un des reproches
adressés à la défunte était l’absence d’efficacité dans le suivi de ses
décisions. Il est vrai que l’un des obstacles reposait sur le manque de
coopération des Etats. Ce problème est récurrent et dépend de l’accueil qu’un
Etat fait d’une décision du Conseil, tenant compte des éléments, du contexte et
des circonstances d’adoption d’une telle décision. Ainsi, à la question de la
non-coopération, les Etats intéressés avancent les motifs liés à l’initiateur
d’un texte de décision ou de résolution, au contenu de la décision, aux
circonstances dans lesquelles la décision ou la résolution a été adoptée. Quel
que soit le bien-fondé ou non de ces motifs, ils traduisent l’opinion politique
ou juridique de ces Etats. Lors de cette seconde session, la question a été
évoquée concernant les décisions prises par le Conseil lors de ses deux
sessions spéciales portant sur la Palestine et sur le Liban. Si la Mission
d’enquête sur le Liban/Israel a commencé son travail, il n’en ait pas de même
pour la Palestine. On assiste sans doute à un remake de la Commission, même si
la nécessité du suivi des décisions a été réaffirmée par tous. On n’a pas pu
décider sur cette question.
L’évaluation des
droits de l’homme dans le monde
L’examen des
situations démontre un effort d’amélioration de la situation des droits de
l’homme dans le monde. Néanmoins, on ne saurait nier que les violations des
droits de l’homme se poursuivent dans toutes les régions. Elles sont exacerbées
par deux facteurs : d’une part, la lutte contre le terrorisme, qui
entraîne des abus et privilégie la sécurité aux droits de l’homme, notamment la
torture, les traitements inhumains et dégradants et l’impunité. Pourtant, la
lutte contre le terrorisme peut se faire dans le respect de la légalité
nationale et internationale en matière des droits de l’homme. D’autre part,
comme facteur aggravant, les conflits
armés entraînent des violations du droit humanitaire, notamment à l’égard des
populations civiles et les violations des droits de l’homme. Israel et le Hezbollah
ont été condamnés par le Conseil pour violations de certains principes de droit
humanitaire, tels que la non-discrimination entre objectifs militaires et
civils.
En outre, on note un
recul de la démocratie et de l’Etat de droit, dont l’un des corollaires est
l’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire, la subordination des pouvoirs
législatif et judiciaire à l’exécutif et la persécution de la société civile.
En conclusion, cette
session du Conseil n’a pas tenu ses promesses et n’a donc pas été à la hauteur
des défis qui l’attendaient. Il y a lieu de dire c’est un remake de la
Commission des droits de l’homme et que le Conseil avance encore à tâtons sur
plusieurs questions, y compris son fonctionnement interne.
La session a aussi
révélé des préoccupations quant à la lutte pénale contre l’impunité des crimes
internationaux, le droit à la réparation et le développement du concept de
droit à la vérité.
II. La place du droit international
Les trois
préoccupations évoquées sont des questions de droit international et qui
méritent une analyse sous cet angle.
La poursuite des
criminels
Lors de cette session du Conseil, on a évoqué la commission probable
des crimes de guerre dans le conflit ayant opposé Israel au mouvement
Hezbollah. Ceci est implicitement contenu dans le rapport conjoint de visite
des quatre rapporteurs spéciaux au Liban et en Israel, dans le rapport de
visite du rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation au Liban. Par
ailleurs, de telles constatations sont présentes dans les déclarations d’Etats
relatives au Darfour et à la République démocratique du Congo. Dans ces deux
derniers pays, il a été explicitement demandé aux gouvernements de collaborer
avec la justice pénale internationale. Dans le cas d’Israel, plusieurs Etats
ont évoqué les crimes de guerre et réclamé que la justice internationale s’en
saisisse. Cependant, dans ce dernier cas, il faudrait attendre des enquêtes
plus approfondies. Il en est de même pour le mouvement Hezbollah, dont les
acteurs pourraient s’être coupables de crimes de guerre.
Cette question est
avant tout une question de droit international pénal. Elle se complexifie,
parce que l’une des faiblesses de cette justice est de donner la priorité à
l’Etat ; elle est donc supplétive et objet de tractations politiques, car
elle exacerbe les sentiments nationaux en demandant à un Etat de faire juger
son national par d’autres. Mais, le Conseil a aussi ouvert une issue,
préférable par certains, et conforme au droit international et à la pratique,
en demandant que les Etats jugent eux–mêmes les criminels. La lutte contre
l’impunité est nécessaire dans le cadre du Conseil, mais on ne peut préjuger du
résultat de telles initiatives.
La question de la
réparation
Même si cette
question a été évoquée de manière claire concernant la réparation due aux
victimes des droits de l’homme, elle a été vivement portée par certains Etats
dans l’examen du conflit israélo-libanais. Mais, il s’agit de deux contextes de
la réparation. Si la nation juridique est la même et renvoie aux conséquences
de la responsabilité, les procédés sont différents. D’une part, l’Etat a le
devoir, au titre de son droit interne, de pouvoir à la réparation des
violations du droit interne dont son national ou une personne étrangère sous sa
juridiction a été victime, notamment pénales. C’est une question de compétence
de l’Etat. L’Etat a le prime devoir de protéger ceux qui se trouvent sur son
territoire. Le droit international lui reconnaît ce droit. Une telle obligation
peut aussi lui être imposée par les textes ou les organes de contrôle
internationaux des droits de l’homme au cas où il a pris des engagements dans
ce sens. La réparation se fait alors sous le mode traditionnel du droit interne
ou du droit international. Dans le cas des dommages de guerre, la question est
différente, parce qu’elle est interétatique. Ainsi, la requête doit être faite
par l’Etat libanais tant en son propre nom, du fait de la violation par Israel
des principes de droit international, et des dommages subis en tant qu’Etat,
qu’au nom de ses ressortissants pour les dommages patrimoniaux et non
patrimoniaux qu’ils ont subis.
En l’espèce, les
obstacles juridiques à cette démarche sont nombreux bien que les pistes soient
diverses. D’abord, il y a possibilité d’une saisine du Conseil de sécurité,
mais cette voie est plus politique, même s’il est reconnu que le Conseil de
sécurité est aussi gardien de la légalité internationale et qu’il utilise ainsi
les ressorts du droit de la responsabilité internationale, soit pour exiger la
cessation de l’illicite, soit pour exiger à l’Etat violateur de réparer les
dommages causés. Il a même le pouvoir de créer un organe de règlement, en
organe subsidiaire, comme il l’a fait à la suite de l’invasion du Koweit par
l’Irak, en établissant une Commission d’indemnisation. Dans le cas actuel, il y
a peu de chance qu’une telle approche soit adoptée, car les éléments préalables
ne nous semblent pas réunis. Les
procédés les plus efficaces restent celles où le droit peut être dit. Ainsi,
pensons-nous à l’arbitrage international, comme c’est souvent le cas, par
exemple par un tribunal arbitral du type Iran/US ou Alabama, puisqu’il y a des
réclamations de deux côtés. L’avantage ici est qu’en l’absence d’une base
juridique préalable, on peut constituer un tel tribunal arbitral après des
négociations, à l’instar des Accords d’Alger établissant le tribunal
irano-américain des réclamations. Le droit international offre de nombreux
exemples de ce type. Nous pensons aussi à la saisine de la Cour internationale
de justice de la Haye. La solution est moins évidente, car il faut alors
l’existence d’une base juridique préalable, traité judiciaire, clause
compromissoire ou acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour par les
déclarations des deux Etats. Le seul fait d’être membre de l’ONU et partie au
Statut de cette Cour ne suffit pas. La justice internationale est facultative.
Cependant, il reste vrai que le Liban pourrait tout de même se présenter devant la Cour de la
Haye, en espérant qu’Israel accepte d’y comparaître. Cette solution est
envisageable et prévue par le droit procédural de la Cour de la Haye, si des
négociations politiques sont menées dans ce sens. Il faut noter que l’obstacle
s’agrandit à cause du caractère non étatique du Hezbollah, dont les faits n’ont
pas été revendiqués par le gouvernement libanais.
Le droit à la vérité
De nombreuses délégations ont parlé du droit à la vérité, comme d’un
concept auquel on fait référence, et de plus en plus, en droit international
des droits de l’homme. Développé dans le cadre du droit interaméricain des
droits de l’homme, ce concept a été confirmé dans le projet de convention sur
les disparitions forcées, adopté lors de
première session du Conseil des droits de l’homme. Il fait l’objet d’études et
de recherches dans le cadre du Haut-commissariat aux droits de l’homme. Il
s’agit pour toute personne victime de connaître la vérité sur le sort d’une
personne proche portée disparue tant que cette disparition n’est pas élucidée.
Autrement dit, le droit à la vérité dure le temps que le sort de la personne
n’est pas défini. La transposition peut se faire aussi sur d’autres violations
telles que les exécutions extra judiciaires, sommaires ou arbitraires non
connues ; sa portée peut être assez large. Définie dans le cadre de la
responsabilité de l’Etat pour violations aux droits de l’homme, les prometteurs
de ce concept ne précisent pas encore, de manière claire, quel est son statut.
Pour la majorité, il s’agit d’une mesure de réparation du préjudice
psychologique subi par la victime
* *
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En conclusion, même
si le Conseil n’a pas tenu toutes ses promesses, le débat y sera intéressant et
on peut s’attendre à des évolutions. Le retour de la politisation dépendra
largement de la place et du succès du mécanisme périodique et universel et de
la redéfinition de la politique des procédures spéciales. Enfin, le dialogue et
la coopération seront l’épine dorsale des activités du Conseil, car ils sont
indispensables tant pour l’adoption des décisions moins contestées que pour
leur suivi, et donc leur mise en œuvre par les destinataires.
Mode de
citation : Joseph AYISSI, « Seconde session du Conseil
des droits de l’Homme :entre politisation, tâtonnements et droit international », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 13 octobre 2006
Alors que l’Assemblée générale avait à examiner, le 10 novembre 2006, le tout premier rapport annuel du Conseil, le débat a tourné à l’exposition de vives critiques sur le fonctionnement de cet organe par plusieurs délégations, déçues par l'absence de résultats concrets et par la persistance des vieux réflexes de l'ancienne Commission.
et le Conseil va tenir une session spéciale sur le darfour. Le texte adopté a été présenté par le groupe africain et jugé insuffisant à atteindre les résultats d'après l'Union européenne. Le texte semble privilégier la poursuite du diaologue dans le cadre accords de paix, mais ne fait pas beaucoup cas de la prime responsabilité du Soudan, ni de la nécessité de poursuivre les criminels par une coopération avec la CPI. Le texte est enfin lacunaire parce qu'il ne prescrit aucune mesure de suivi....
De la diplomatie et du verbiage alors que les gens sont en train de mourir. Bref, il a été le résultat d'affrontements, c'est pourquoi il a été mis aux voix au lieu du consensus.
Joseph