Depuis le début de ses activités, le Conseil des droits de l’homme a tenu quatre sessions spéciales, la dernière l’ayant été sur le Darfour, et les trois autres au conflit israélo-arabe.
Bien que ce mécanisme soit institué pour répondre à des situations
d’urgence, il a été critiqué, comme une arme politique aux mains de certains
États, poursuivant la politisation et la sélectivité dans les travaux du
Conseil des droits de l’homme. Cette critique a été confortée par l’appel du
Secrétaire général des Nations Unies, demandant aux États, de traiter aussi
d’autres situations graves de crise des droits de l’homme, autre que le conflit
israélo-palestinien.
Cette note vise à présenter les règles qui gouvernent les sessions
spéciales et à s’interroger sur les propositions formulées par certains États
pour encadrer ces sessions.
I. Les
règles qui gouvernent les sessions spéciales
Il n’y a pas, à proprement parler, des règles claires qui gouvernent les
sessions spéciales et il existe des lacunes sur cette question. Le seul texte
existant porte sur la saisine et le critère de « besoin » de telles
sessions. Néanmoins, implicitement, il existe des pratiques suivies tant pour
la préparation que pour le déroulement de telles sessions.
Le fondement juridique des sessions spéciales : un texte lacunaire
Les sessions spéciales sont fondées sur le para. 10 de la résolution 60/251
de l’Assemblée générale qui établit le Conseil. Il y est prévu que le Conseil
pourra tenir « au besoin » (nous soulignons) des sessions
extraordinaires si un membre en fait la demande appuyée en cela par le tiers des
États membres du Conseil.
En clair, la résolution pose deux conditions : la condition de saisine
et une condition de « recevabilité », à savoir le besoin.
Dans la pratique, la première condition revient à rallier 16 États membres
du Conseil qui acceptent de soutenir ou de « co-sponsoriser » la
requête, pour qu’une session spéciale soit convoquée. La requête est présentée
au président du Conseil des droits de l’homme avec une proposition de date.
La seconde condition est plus ambiguë. En effet, les États ont interprété
les termes « au besoin » dans le sens de l’urgence que pose une
situation critique de violations des droits de l’homme. Ainsi, le Conseil a pu
se saisir des violences israéliennes en Palestine, du conflit entre Israël et
le Hezbollah, de la situation des massacres de Beit Hanoun et des violations
des droits de l’homme au Darfour. Jusque-là, le problème d’interprétation ne
s’est pas posé, puisque les situations en question étaient avérées et de
notoriété publique.
Néanmoins, le para. 10 de la résolution est lacunaire, au moins en deux
points. D’une part, sur le plan de la procédure, il ne prescrit pas le contenu
de la requête, ni l’exigence de notification aux États par le président du
Conseil, ni le délai entre la saisine et la tenue de la session spéciale, ni
même l’objet de la requête et la demande que doit formuler l’État ou le groupe
d’État demandeur. Il est alors probable que le Conseil s’inspire de certaines
méthodes de travail des grandes commissions de l’Assemblée générale. Ces lacunes
« procédurales » s’expliquent aussi par le fait que les rédacteurs
ont voulu donner une certaine souplesse au Conseil pour se saisir des cas
urgents, en dehors des sessions ordinaires.
D’autre part, les termes « au besoin » sont vagues. Il eût été
utile pour la résolution de préciser davantage les critères que devaient
remplir une situation de « besoin » ; ce qui aurait prévenu
contre une utilisation abusive de ce mécanisme.
Des lacunes comblées par la pratique ?
Dans la pratique, certaines « règles » sont tout de même
observées par les États et sont dictées par la nécessité de favoriser une bonne
tenue de la session. Ainsi, l’État ou le groupe d’États demandeur devra
préciser l’objet de la session spéciale et expliquer la situation qui conduit
aux violations des droits de l’homme et rend nécessaire une session spéciale.
Il devra aussi, si possible, présenter à l’avance un projet de résolution ou de
décision, dans lequel la demande de mesures est formulée. Ce texte est
distribué aux États membres à l’avance et doit faire l’objet de consultations
informelles, dans le but de rechercher un consensus, et par conséquent,
d’accepter ou pas les propositions d’amendements des autres membres. Enfin, le
président du Conseil notifie la requête et la date de la session spéciale aux
autres États.
Ces « règles » ne sont pas contraignantes en soi, mais
constituent des méthodes implicites de travail.
Une consolidation par le déroulement des sessions spéciales
Le déroulement d’une session spéciale est semblable à celui d’une session
ordinaire. Il y a un point inscrit à l’ordre du jour sur lequel le Conseil doit
statuer, sous la direction de son président. Après la présentation par le
président et l’État qui a convoqué et présenté le projet de
résolution/décision, la place est réservée aux commentaires généraux, suivis
par les explications de vote avant le vote par les membres du Conseil.
Si le consensus a été acquis sur le projet de texte lors des négociations,
il est généralement adopté sans vote. Dans le cas contraire, il est mis aux
voix à la requête d’un ou de plusieurs États. La mise aux voix peut être
motivée par le refus par l’État/groupe d’États ayant convoqué la session et
présenté le texte, d’accepter des amendements à son texte. Dans ces cas, on
procède au vote. Le texte est alors adopté ou rejeté. Et les États peuvent de
nouveau expliquer leur vote après l’adoption ou le rejet du texte.
Ces « règles » constituent une sorte de « droit
transitoire » pour le Conseil. Or, si les sessions spéciales posent tant
problème, c’est parce que certains groupes d’États disposent, à priori, d’un
fort soutien favorisant la convocation quasi-automatique d’une session spéciale
et l’adoption par vote des projets de textes qu’ils présentent.
Dans ce sens, d’autres États ont formulé des propositions tendant à
encadrer ce mécanisme de façon plus restrictive.
II. Les propositions visant
à encadrer le mécanisme des sessions spéciales du Conseil des droits de l’homme
A. Propositions du JUSCANZ (Groupe réunissant quelques États membres)
Les propositions formulées par certains États dans le « JUSCANZ
Paper » posent un certain nombre de conditions pour qu’une session
spéciale soit convoquée. Pour ses initiateurs, il s’agit de trouver des règles
communes ou de bonnes pratiques permettant un usage bénéfique des sessions
spéciales.
Les conditions sont les suivantes : 1) L’État/groupe d’États qui
demande une session spéciale doit accompagner sa requête d’une description des droits
de l’homme violés ; 2) il faut établir une délai de 4 jours entre le dépôt
de la requête et la prise de décision sur la tenue de la session ;
3) si l’initiateur souhaite présenter un texte de résolution/décision, il doit
le notifier et le rendre disponible au moins 48 h avant la session ; 4) il
faut tenir au moins une consultation informelle sur le projet de
résolution/décision, dans le but de permettre des amendements et d’aboutir à un
consensus lors de l’examen en séance plénière ; 5) le haut Commissariat
doit rendre disponibles toutes les informations sur le sujet ainsi que les
rapports des mécanismes et organes des Nations Unies sur la question ; 6)
le Haut Commissaire doit présenter le sujet au début de la séance plénière de
la session ; 7) le président du Conseil doit pouvoir procéder, si
nécessaire, à des consultations informelles avant et pendant la session, avec
une représentation géographique équitable et la présence des parties les plus
intéressées ; 8) la session spéciale doit être menée dans le but de
produire des résultats concrets et faire l’objet de suivi ; 9) pas plus de
deux sessions spéciales sur le même sujet dans l’intervalle séparant deux
sessions ordinaires du Conseil.
Ce texte mérite quelques remarques critiques.
B. Quelques remarques critiques
1. Les conditions formulées visent, pour certaines d’entre elles, à
« codifier » une pratique déjà existante, dont nous avons fait état
plus haut.
2. Si les sessions spéciales méritent des règles spécifiques pour empêcher
des abus, les propositions formulées sont très restrictives et peuvent aller à
l’encontre du but recherché par la résolution. Nous sommes alors d’avis que le
par.10 ne doit pas être interprété de manière trop restrictive pour préserver
l’esprit même de la résolution, à savoir se saisir des situations d’urgence.
3. De telles propositions doivent être formulées dans le cadre du groupe de
travail relatif à l’examen des méthodes de travail.
* *
*
En conclusion, si les sessions spéciales sont un formidable outil à la
disposition du Conseil, pour traiter des situations urgentes de violations des
droits de l’homme, ce doit être un mécanisme qui produise des résultats, dénué
de toute politisation et orienté vers le dialogue et la coopération. En ce
sens, les propositions du JUSCANZ suscitent le débat et méritent d’être
étudiées avec plus d’attention.
Mode de citation : Joseph AYISSI, « Les sessions spéciales du Conseildes droits de l’Homme en question », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 22 décembre 2006
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