22 décembre 2006

ANALYSE : Les sessions spéciales du Conseil des droits de l'Homme en question

Joseph AYISSI

Depuis le début de ses activités, le Conseil des droits de l’homme a tenu quatre sessions spéciales, la dernière l’ayant été sur le Darfour, et les trois autres au conflit israélo-arabe.
Bien que ce mécanisme soit institué pour répondre à des situations d’urgence, il a été critiqué, comme une arme politique aux mains de certains États, poursuivant la politisation et la sélectivité dans les travaux du Conseil des droits de l’homme. Cette critique a été confortée par l’appel du Secrétaire général des Nations Unies, demandant aux États, de traiter aussi d’autres situations graves de crise des droits de l’homme, autre que le conflit israélo-palestinien.
Cette note vise à présenter les règles qui gouvernent les sessions spéciales et à s’interroger sur les propositions formulées par certains États pour encadrer ces sessions.

I.  Les règles qui gouvernent les sessions spéciales

Il n’y a pas, à proprement parler, des règles claires qui gouvernent les sessions spéciales et il existe des lacunes sur cette question. Le seul texte existant porte sur la saisine et le critère de « besoin » de telles sessions. Néanmoins, implicitement, il existe des pratiques suivies tant pour la préparation que pour le déroulement de telles sessions.

Le fondement juridique des sessions spéciales : un texte lacunaire 
Les sessions spéciales sont fondées sur le para. 10 de la résolution 60/251 de l’Assemblée générale qui établit le Conseil. Il y est prévu que le Conseil pourra tenir « au besoin » (nous soulignons) des sessions extraordinaires si un membre en fait la demande appuyée en cela par le tiers des États membres du Conseil.
En clair, la résolution pose deux conditions : la condition de saisine et une condition de « recevabilité », à savoir le besoin.
Dans la pratique, la première condition revient à rallier 16 États membres du Conseil qui acceptent de soutenir ou de « co-sponsoriser » la requête, pour qu’une session spéciale soit convoquée. La requête est présentée au président du Conseil des droits de l’homme avec une proposition de date.
La seconde condition est plus ambiguë. En effet, les États ont interprété les termes « au besoin » dans le sens de l’urgence que pose une situation critique de violations des droits de l’homme. Ainsi, le Conseil a pu se saisir des violences israéliennes en Palestine, du conflit entre Israël et le Hezbollah, de la situation des massacres de Beit Hanoun et des violations des droits de l’homme au Darfour. Jusque-là, le problème d’interprétation ne s’est pas posé, puisque les situations en question étaient avérées et de notoriété publique.
Néanmoins, le para. 10 de la résolution est lacunaire, au moins en deux points. D’une part, sur le plan de la procédure, il ne prescrit pas le contenu de la requête, ni l’exigence de notification aux États par le président du Conseil, ni le délai entre la saisine et la tenue de la session spéciale, ni même l’objet de la requête et la demande que doit formuler l’État ou le groupe d’État demandeur. Il est alors probable que le Conseil s’inspire de certaines méthodes de travail des grandes commissions de l’Assemblée générale. Ces lacunes « procédurales » s’expliquent aussi par le fait que les rédacteurs ont voulu donner une certaine souplesse au Conseil pour se saisir des cas urgents, en dehors des sessions ordinaires.
D’autre part, les termes « au besoin » sont vagues. Il eût été utile pour la résolution de préciser davantage les critères que devaient remplir une situation de « besoin » ; ce qui aurait prévenu contre une utilisation abusive de ce mécanisme.


Des lacunes comblées par la pratique ? 
Dans la pratique, certaines « règles » sont tout de même observées par les États et sont dictées par la nécessité de favoriser une bonne tenue de la session. Ainsi, l’État ou le groupe d’États demandeur devra préciser l’objet de la session spéciale et expliquer la situation qui conduit aux violations des droits de l’homme et rend nécessaire une session spéciale. Il devra aussi, si possible, présenter à l’avance un projet de résolution ou de décision, dans lequel la demande de mesures est formulée. Ce texte est distribué aux États membres à l’avance et doit faire l’objet de consultations informelles, dans le but de rechercher un consensus, et par conséquent, d’accepter ou pas les propositions d’amendements des autres membres. Enfin, le président du Conseil notifie la requête et la date de la session spéciale aux autres États.
Ces « règles » ne sont pas contraignantes en soi, mais constituent des méthodes implicites de travail.


Une consolidation par le déroulement des sessions spéciales 
Le déroulement d’une session spéciale est semblable à celui d’une session ordinaire. Il y a un point inscrit à l’ordre du jour sur lequel le Conseil doit statuer, sous la direction de son président. Après la présentation par le président et l’État qui a convoqué et présenté le projet de résolution/décision, la place est réservée aux commentaires généraux, suivis par les explications de vote avant le vote par les membres du Conseil.
Si le consensus a été acquis sur le projet de texte lors des négociations, il est généralement adopté sans vote. Dans le cas contraire, il est mis aux voix à la requête d’un ou de plusieurs États. La mise aux voix peut être motivée par le refus par l’État/groupe d’États ayant convoqué la session et présenté le texte, d’accepter des amendements à son texte. Dans ces cas, on procède au vote. Le texte est alors adopté ou rejeté. Et les États peuvent de nouveau expliquer leur vote après l’adoption ou le rejet du texte.
Ces « règles » constituent une sorte de « droit transitoire » pour le Conseil. Or, si les sessions spéciales posent tant problème, c’est parce que certains groupes d’États disposent, à priori, d’un fort soutien favorisant la convocation quasi-automatique d’une session spéciale et l’adoption par vote des projets de textes qu’ils présentent.
Dans ce sens, d’autres États ont formulé des propositions tendant à encadrer ce mécanisme de façon plus restrictive.


II.  Les propositions visant à encadrer le mécanisme des sessions spéciales du Conseil des droits de l’homme

A. Propositions du JUSCANZ (Groupe réunissant quelques États membres) 
Les propositions formulées par certains États dans le « JUSCANZ Paper » posent un certain nombre de conditions pour qu’une session spéciale soit convoquée. Pour ses initiateurs, il s’agit de trouver des règles communes ou de bonnes pratiques permettant un usage bénéfique des sessions spéciales.
Les conditions sont les suivantes : 1) L’État/groupe d’États qui demande une session spéciale doit accompagner sa requête d’une description des droits de l’homme violés ; 2) il faut établir une délai de 4 jours entre le dépôt de  la requête et la prise de décision sur la tenue de la session ; 3) si l’initiateur souhaite présenter un texte de résolution/décision, il doit le notifier et le rendre disponible au moins 48 h avant la session ; 4) il faut tenir au moins une consultation informelle sur le projet de résolution/décision, dans le but de permettre des amendements et d’aboutir à un consensus lors de l’examen en séance plénière ; 5) le haut Commissariat doit rendre disponibles toutes les informations sur le sujet ainsi que les rapports des mécanismes et organes des Nations Unies sur la question ; 6) le Haut Commissaire doit présenter le sujet au début de la séance plénière de la session ; 7) le président du Conseil doit pouvoir procéder, si nécessaire, à des consultations informelles avant et pendant la session, avec une représentation géographique équitable et la présence des parties les plus intéressées ; 8) la session spéciale doit être menée dans le but de produire des résultats concrets et faire l’objet de suivi ; 9) pas plus de deux sessions spéciales sur le même sujet dans l’intervalle séparant deux sessions ordinaires du Conseil.
Ce texte mérite quelques remarques critiques.

B. Quelques remarques critiques 
1. Les conditions formulées visent, pour certaines d’entre elles, à « codifier » une pratique déjà existante, dont nous avons fait état plus haut.
2. Si les sessions spéciales méritent des règles spécifiques pour empêcher des abus, les propositions formulées sont très restrictives et peuvent aller à l’encontre du but recherché par la résolution. Nous sommes alors d’avis que le par.10 ne doit pas être interprété de manière trop restrictive pour préserver l’esprit même de la résolution, à savoir se saisir des situations d’urgence.
3. De telles propositions doivent être formulées dans le cadre du groupe de travail relatif à l’examen des méthodes de travail.

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En conclusion, si les sessions spéciales sont un formidable outil à la disposition du Conseil, pour traiter des situations urgentes de violations des droits de l’homme, ce doit être un mécanisme qui produise des résultats, dénué de toute politisation et orienté vers le dialogue et la coopération. En ce sens, les propositions du JUSCANZ suscitent le débat et méritent d’être étudiées avec plus d’attention.




Mode de citation : Joseph AYISSI, « Les sessions spéciales du Conseildes droits de l’Homme en question », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 22 décembre 2006


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