Rappel des faits
L’appel à la grève fait place à de violentes manifestations (10-27 janvier) - L’année 2007 s’est ouverte en Guinée sur une crise politique et sociale majeure. A l’origine de la grève générale, lancée le 10 janvier par deux syndicats et 14 partis d’opposition, la libération par le président de deux hommes d’affaire accusés de détournement de fonds publics. Cette libération, s'ajoutant à la dégradation du pouvoir d’achat et au marasme économique grandissant, suscite la colère de la population guinéenne. Cette nouvelle grève, la troisième depuis janvier 2006, est une protestation contre la corruption et le pouvoir personnel du président Conté, à la tête de l’Etat depuis 23 ans et gravement affaibli par la maladie. Le mouvement dégénère rapidement en de violents combats entre manifestants et forces de l’ordre, faisant au moins 59 morts parmi les insurgés.
Réaction de la Communauté internationale - Une telle répression est unanimement condamnée par la communauté internationale : l’ONU appelle à l’ouverture d’une commission d’enquête sur les victimes des affrontements et l’Union Africaine accepte la proposition de la CEDEAO d’envoyer sur place une mission composée de deux chefs d’Etat. Dans un communiqué, la FIDH émet des craintes quant à la possible régionalisation du conflit et appelle l’Union européenne à agir : « La FIDH est particulièrement inquiète de la poursuite de la répression alors que la garde présidentielle, appelée les « bérets rouges », est depuis peu épaulée par des forces militaires étrangères issues de Guinée-Bissau, risquant ainsi de régionaliser le conflit. »
L’accord du 27 janvier met fin aux violences - Cet accord, signé par les syndicats, le patronat et les représentants du gouvernement guinéen, apaise les tensions et met un terme à la grève générale. Outres des mesures économiques et sociales (réduction du prix des combustibles et du riz) et la création d’une commission d’enquête sur la répression policière pendant les manifestations, l’accord prévoit «la mise en place d’un gouvernement de large consensus, dirigé par un Premier ministre chef du gouvernement». La fonction de chef de gouvernement, qui n’existe pas dans la Constitution guinéenne, était jusqu’alors assumée par le Président. Le poste de Premier ministre avait quant à lui disparu lors du limogeage pour « faute lourde » de Cellou Dalein Diallo, le 5 avril 2006 .
Mercredi 31 janvier, conformément à l’accord signé avec les manifestants, le président Conté promulgue un décret créant le poste de « Premier ministre, chef du gouvernement et coordinateur de l’action gouvernementale ». Celui-ci est en charge, sous réserve de validation par le président de la République, de « la structure et de la composition du gouvernement, dont les membres sont nommés par décret». Si le Chef d’Etat conserve sous sa responsabilité le ministère de la défense, il s’engage à déléguer une partie de ses pouvoirs au futur Premier ministre, désormais « responsable de l’assainissement des finances publiques et de la relance de l’économie nationale». Cette mesure apparaît comme une réelle concession à l'égard des syndicats et de l’opposition qui réclamaient avec force la restriction des pouvoirs du Chef de l’Etat et la mise en place d’une meilleure gouvernance.
La nomination d’Eugène Camara, vendredi 9 février, est ainsi ressentie comme une provocation de la part des autorités guinéennes. Bien qu’il ne semble pas impliqué dans les malversations dont est accusé le Président, Eugène Camara n’en reste pas moins l’un de ses plus fidèles alliés. Au gouvernement depuis 1997, il a successivement occupé les fonctions de ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, de ministre du Plan jusqu'à sa nomination le mois dernier au poste de ministre d'Etat aux Affaires présidentielles.
Les syndicats ont immédiatement répliqué par de nouvelles manifestations et par l’appel à la grève générale illimitée. A l’issue d’un week-end sanglant, ils se sont joints à l’opposition politique pour exiger le départ du Président guinéen. Mamadou Bâ, président de l'Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et porte-parole d'un groupe de 14 partis d'opposition, s’est exprimé ainsi lors d’un entretien avec l’AFP : "Nous lui avons demandé de trouver quelqu'un pour gérer le pays à sa place, il n'a pas voulu. Nous lui avons demandé de se retirer volontairement, il n'a pas voulu (...) Maintenant que le combat est dans la rue, il partira de grès ou de force". Les violences ont repris lundi 13 février, faisant déjà 6 morts dans la banlieue de Conakry, tandis que l’isolement du pays s’accentue.