Les BASM ne sont pas des armes nouvelles puisqu'elles ont été utilisées dès la Seconde Guerre mondiale, jusqu'aux récentes interventions militaires en Irak (1991 et 2003), au Kosovo (1999), en Afghanistan (2001) et au Liban (2006).
Leur fonctionnement est "simple" : un obus (ou "bombe mère"), qui regroupe des dizaines ou des centaines de sous-munitions, largue au hasard sa "cargaison" sur de vastes zones pouvant atteindre plusieurs centaines d'hectares. Les BASM explosent alors à quelques mètres au-dessus du sol ou lors de l'impact. Cependant, certaines sont programmées pour un déclenchement ultérieur (quelques heures à plusieurs jours) leur conférant automatiquement une étonnante similitude avec les mines antipersonnel. Les BASM sont des armes dites de « neutralisation par saturation ». Leur but est de détruire, bloquer ou neutraliser définitivement des cibles mobiles (des blindés) et des troupes.
Toutefois, l’efficacité de ces armes est moins évidente qu’il n’y paraît. Les militaires admettent unanimement qu'elles ont un taux de défectuosité évalué entre 5 et 30%, dû à de multiples facteurs, comme les conditions climatiques ou la complexité du mécanisme d'armement. Conséquence dramatique, les populations sont sous la menace permanente de BASM non explosées dans un arbre, légèrement enterrées dans le sol ou dans le lit d’une rivière… De même, en raison des dangers occasionnés par ces mines d'un nouveau genre, l'envoi de troupes au sol pose des problèmes de sécurité. Lors des conflits au Kosovo et en Afghanistan, certaines interventions au sol de nuit sur des zones bombardées le jour par des BASM furent ainsi repoussées, voire annulées.
Plusieurs millions de BASM ont été "dépotées" sur des objectifs militaires proches ou non de zones civiles ou de subsistance (rivières, champs…). Handicap international a chiffré le nombre mondial de BASM non explosées entre 22 et 132 millions (« Circle of Impact : the Fatal Footprint of Cluster Munitions on People and Communities », mai 2007). La guerre continue donc pour les populations civiles, obligées de vivre entourées de ces "tueurs en sommeil" selon l'expression de Kofi Annan, ancien Secrétaire Général de l’ONU.
La portée réelle du commerce global de cet armement est difficile à évaluer. On ne dénombre pas moins de 210 sortes de BASM, fabriquées dans 34 pays (dont les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, la Suisse, l’Allemagne, le Royaume-Uni, etc.) et vendues à près de 58 États. Sur les 59 sociétés productrices de système d'armes à sous-munitions, près de la moitié sont d’origine européenne et 8 sont américaines. Au cours de ces cinquante dernières années, 11 pays ont utilisé ces bombes dans pas moins de 16 zones conflictuelles.
Devant la recrudescence du nombre de victimes à la fin des années 1990, les ONG ont tiré la sonnette d’alarme en se regroupant au sein de la Coalition contre les sous-munitions / Cluster Munition Coalition (CMC). Si leurs actions de lobbying visent plus particulièrement les États, les ONG ciblent également un nouvel acteur : les banques. Le principe est simple, mener une campagne d'information pour montrer la complicité de ces groupes financiers à travers leurs différents investissements dans des entreprises fabricant des BASM. Cette voie d'action semble très efficace au vu des résultats de ces derniers mois. L’image négative véhiculée par différentes campagnes d’informations (« My Money, clear conscience ?», « Explosive Inversement », « Axa entreprise responsable, mais responsable de quoi ? ») a obligé certaines institutions financières (Axa, Dexia, Fortis, Ing et KBC) à diminuer, voire à cesser ces investissements.
Sur le plan du droit international, il est à noter une première avancée : le 28 novembre 2003, un nouveau protocole additionnel (V) à la Convention de 1980 sur certaines armes classiques (CCW) a été adopté. Ce texte, en vigueur depuis novembre 2006, exige que les parties à un conflit armé procèdent à l’enlèvement de toutes les munitions non explosées qui continuent, après la fin des hostilités, à menacer les populations. Si cette mesure doit être saluée, il n'en reste pas moins qu’elle ne s'attaque pas aux véritables problèmes, à savoir : l’utilisation disproportionnée des BASM pendant les conflits et leur caractère non discriminant, deux aspects qui contreviennent au droit humanitaire.
Suite à la pression d'ONG, certains États ont, de façon unilatérale, décidé d'appliquer des mesures contre les BASM. La Belgique est le premier pays au monde à avoir ainsi prohibé les BASM, en mars 2006. Un an plus tard, la Belgique a voté une loi interdisant les investissements dans les sociétés fabriquant des sous-munitions. Les Pays-Bas ont également engagé un certain nombre de mesures dans ce domaine, avec, en particulier, l’adoption d’un moratoire sur l'utilisation des BASM. La Norvège, début 2007, a frappé un grand coup face à l’inaction et au blocage permanent des États siégeant à la CCW, en décidant de mettre en place un processus de négociations parallèles, en dehors de toute institution internationale, avec pour ambition de faire naître un Traité d’interdiction des BASM en 2008. Début septembre 2007, une conférence au Costa Rica, réunissant les pays d’Amérique Latine, a permis de rallier la quasi-totalité des pays sud américains (exceptés le Brésil et Cuba) à cette initiative. Ce processus compte actuellement près de 75 États. La France participe au processus d'Oslo, bien que sa posture diplomatique soit différente. Paris refuse, en effet, que ce futur instrument juridique soit conclu en dehors de la CCW, instance onusienne qui se caractérise, malheureusement, par la lourdeur et la lenteur de son processus de négociation…
La position française peut surprendre à première vue, puisque depuis 25 ans son armée n’a plus utilisé ce type d'armes. Ce refus d'interdiction répond, selon le Ministère de la Défense, « à un besoin opérationnel avéré dans certains scénarios d’engagement ». Il faut rappeler que la France a participé à de multiples interventions militaires ces 15 dernières années aux cotés d’alliés (Britanniques, Américains, Hollandais) qui trouvaient, eux, un « intérêt » dans l’utilisation de ces armes.
La véritable réponse semble, en réalité, se trouver dans le rapport daté du 20 décembre 2006 remis par les sénateurs M. Plancade et Mme Garriaud-Maylam. Ces sénateurs introduisent une nouvelle distinction entre les BASM, en différenciant les BASM qui contiennent « de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de sous-munitions » et celles « comportant un nombre réduit de sous-munitions, de deux à une dizaine ». Cette nouvelle définition est stratégique pour notre industrie de défense. Nexter (ex Giat industrie) et le Suédois BAE Systems Bofors produisent l’obus Bonus composé de deux sous-munitions (ACED) dites intelligentes. Bonus intéresse plusieurs pays européens et non européens avec un marché potentiel d’exportation estimé à 20 000 obus (source Ixarm), pour un prix unitaire proche de 28 000 euros. Soit un marché à l’exportation de près de 560 millions d’euros ! De plus, comme le souligne le groupe Nexter, « les charges (ACED du) BONUS constituent également une charge utile pour d’autres vecteurs que l’obus d’artillerie, tels que missile de croisière, drone ou roquette MLRS ». Ceci montre bien à la fois les perspectives d'évolution en terme d'exportation mais aussi la volonté d’utiliser un grand nombre de sous-munitions à partir de nouveaux vecteurs…
Face à cette logique de part de marché de l'industrie de défense, il semble évident que la France va tenter de maintenir les négociations au sein de la CCW et surtout d'obtenir une définition des BASM qui lui permettra d'exclure les obus contenant moins d'une dizaine de sous-munitions…. À moins que le Président Sarkozy, qui s'était déclaré défavorable aux BASM en décembre 2006, applique sa politique de rupture aux questions de défense…

Mode de citation : Jean-Marie COLLIN, «La France favorable à un Traité d'interdiction des "grosses" bombes a sous-munitions ?», MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 4 octobre 2007.