27 octobre 2007

ANALYSE : La jeunesse «d’opposition» en Russie… à la recherche d’alternatives politiques…

Laurent VINATIER
Project on Emerging Actors (en partenariat avec l'Institut Thomas More)


Cette étude est fondée sur des entretiens informels, menés à Moscou du 10 juillet au 10 août 2007, avec plusieurs jeunes journalistes, quelques chercheurs, deux députés de la Douma et la plupart des leaders des mouvements de jeunesse présentés ici. Les analyses proposées se rapportent essentiellement à des faits confirmés et recoupés au cours des diverses rencontres. L’interprétation générale ne saurait se défaire, cela dit, du ressenti de l’auteur sur le terrain, qui suit depuis plus d’une dizaine d’années les événements politiques, économiques et sociaux en Russie et dans toute cette région postsoviétique.

TABLE DES MATIERES
- Introduction
- Etat des lieux : les mouvements de jeunesse en Russie.
- Essoufflement de la démocratie libérale
- Confusions à gauche : les illusions communistes et socialistes
- Faiblesses politiques intrinsèques de l’idée nationaliste
- L’opportunisme, source d’une alternance en Russie ?
- Synthèse et recommandations
  • Lire l'étude dans sa totalité (en français)

INTRODUCTION
''Les révolutions colorées qui ont ébranlé certains régimes voisins de la Russie dans la première moitié de la décennie 2000 ont marqué les esprits au Kremlin. En Ukraine et en Géorgie surtout, mais aussi dans une certains mesure au Kirghizstan, le rôle stratégique des mouvements de jeunes activistes politiques, moteur de la contestation, a fait naître à Moscou des craintes similaires quant aux potentialités de mobilisation d’une certaine jeunesse russe, plutôt éduquée, urbaine et proche des partis dits d’opposition libérale et démocratique, Iabloko et l’Union des Forces de Droite (SPS).
Les premiers mouvements apparaissent au début de l’année 2005. SMENA est créé dès janvier par de jeunes activistes tout juste revenus d’Ukraine où ils ont participé aux manifestations de la place de l’Indépendance et vécu au milieu des tentes orange. Puis très vite, au printemps, sont constituées les organisations Oborona (Défense), My (Nous) et Da ! (Oui !), parmi les plus dynamiques au cours des mois qui suivent. Elles attirent de nombreux jeunes militants et sympathisants des partis de l’opposition démocratique. Oborona par exemple est composée quasi équitablement de jeunes SPS et de jeunes Iabloko dont leur leader, Ilya Iachine, qui exerce une influence déterminante au sein du mouvement. Da !, de la même façon, dirigée par Maria Gaïdar, membre du SPS, fille de l’ancien Premier ministre libéral Egor Gaïdar, semble une annexe du parti. Quant à My, fondé par Roman Dobrokhotov, étudiant au MGIMO , il rassemble surtout les enfants d’une élite sociale et intellectuelle, souvent en mal d’aventures. L’opposition démocrate et libérale en Russie entre à cette époque en effervescence. Les jeunes, en multipliant les affiliations, renforcent leur engagement politique. Chaque structure, civile et politique, nouvelle ou plus classique, croît l’une avec l’autre, en soutien l’une de l’autre.
Les autorités fédérales à Moscou et leurs alliés régionaux ne tardent pas à réagir et organisent leurs propres groupes loyaux, véritables mouvements de masse, capables de mobiliser des milliers (voire des dizaines de milliers) de jeunes adultes et adolescents, à l’exemple des Nachi (les nôtres) et Molodaïa Guardia (la jeune Garde). Ceux-ci, profitant d’appuis financiers des administrations régionale et fédérale, prennent une importance considérable dès la fin 2005 et surtout en 2006. Leurs effectifs triplent ; leurs missions s’affinent ; leurs programmes produisent de premiers résultats. Ces mouvements s’imposent rapidement dans le paysage civil et politique de Russie. Véritables antichambres des réseaux du Kremlin, ils deviennent des passages obligés pour qui en région ou à Moscou souhaite embrasser facilement et avec succès une carrière publique.
En quelques années, la jeunesse russe dans sa diversité, ou du moins ses parties la plus éclairées, s’est vue intégrée au jeu politique et instrumentalisée, qu’elle soit proche de l’opposition ou de pouvoir. Dans le premier cas, elle est supposée constituer une force critique, dynamique et radicale, grossissant les rangs d’éventuelles manifestations de rue ; dans le second cas, elle est organisée en bastions de défense chargés d’assurer, le cas échéant, dans la rue également, le maintien du système en place.
A l’été 2007, à quelques mois seulement de l’échéance législative de décembre et à moins d’un an du renouvellement présidentiel, puisque Vladimir Poutine ne paraît toujours pas disposé à changer la Constitution et se permettre un troisième mandat, cette dichotomie simpliste de la scène politique russe a perdu toute pertinence. Ce qui aurait pu être valable au début 2006, ne permet nullement de caractériser la situation un an plus tard. L’existence d’alternatives politiques au régime de Vladimir Poutine s’avère, pour le moins, incertaine. L’opposition classique, démocrate et libérale, n’est plus à même de jouer ce rôle. Il ne faut donc guère s’attendre dans l’immédiat à un rééquilibrage de la scène politique russe, contre le système de pouvoir omnipotent établi par le Kremlin.
Cette étude fait sienne l’excellente analyse proposée en 2004 par Françoise Daucé2 qui montre que la Russie s’est choisie une certaine façon de faire de la politique, certes démocratique mais non libérale. Il s’agit ici de l’approfondir, en examinant la place des idées sur la scène politique russe. L’enjeu n’est pas tant de s’interroger sur le format d’une éventuelle opposition émergente, que sur les possibilités d’ouverture ou de fracture du régime poutinien.
- Quelles idées présentent encore un potentiel critique ?
- Lesquelles pourraient être à la base d’une future opposition, susceptible d’incarner une alternance ou de réintroduire les conditions d’un choix politique ?
Après un préambule caractérisant l’état d’activités des principaux mouvements de jeunesse de tous bords – précieux indicateurs du dynamisme idéologique d’un pays – la présente étude s’attachera à évaluer la réalité politique des courants d’idées en Russie aujourd’hui. Il pourrait être intéressant alors de présenter certains positionnements purement opportunistes et les conditions auxquelles ceux-ci pourraient faire sauter quelques verrous du système.''
 

 
The «opposition» youth movements in Russia… in search of political alternatives…
This study is based on informal talks in Moscow from July 10 to August 10 2007, with several young journalists, researchers, Duma deputies and the majority of the leaders of the youth movements presented in this paper. The analyses refer primarily to confirmed and reported facts expressed during various meetings. General interpretation by the author can not be overlooked however, after having followed for more than ten years the political, economic and social events in Russia and in this post-Soviet region.
 
TABLE OF CONTENTS
- Introduction
- Youth movements in Russia: current status
- The loss of momentum of liberal democracy
- Confusion on the left: communist and socialist illusions
- The deep-rooted political weakness of the nationalist idea
- Opportunism, source of a changeover of power in Russia?
- Summary and recommendations

INTRODUCTION
''The colourful revolutions which shook Russia’s neighbouring countries during the first half of the decade 2000 have had a profound effect on the Kremlin. The strategic role of the movements led by young political activists, who were at the heart of the protests especially in Ukraine and Georgia, but also to a certain extent in Kyrgyzstan, has aroused similar fears in Moscow as to the potential mobilization of a Russian educated youth movement from urban areas and which are close to the liberal and democratic opposition parties Yabloko and the Union of Right Forces (SPS).
The first youth movements emerged at the beginning of 2005. SMENA was founded in January by young activists returning from Ukraine where they had participated in the demonstrations on Independence Square and had lived among the orange tents. Then in the spring the most dynamic organizations “Oborona” (Defense), “My” (Us) and “Da!” (Yes!) were rapidly established. They attracted many militant young people and sympathizers of the democratic opposition parties. “Oborona” for example is made up of as many young SPS militants as young people from “Yabloko” whose leader, Ilya Iachine, exerts a significant influence within the youth movement. In the same way, “Da!” directed by Maria Gaïdar, member of the SPS, and daughter of the former liberal Prime Minister Egor Gaïdar, is apparently a wing of the SPS party. As for “My”, founded by Roman Dobrokhotov, student at the MGIMO , attracts the offspring of the social and intellectual elite, in search of adventure. In 2005, the democratic and liberal opposition in Russia was in a state of turmoil. The young generations reinforced their political commitment by multiplying their affiliations to different groups. Each structure, whether it was civil or political, new or “classical”, grew and supported each other.
The federal authorities in Moscow and their regional allies did not take long in organising their own groups, mass movements capable of mobilizing thousands (even tens of thousands) of young adults and teenagers, for example Nashi (Our Own) and Molodaia Guardia (Young Guard). These youth groups, with the financial support from the regional and federal administrations, grew considerably at the end of 2005 and especially during the year 2006. Their numbers tripled and their operations and objectives matured. Their programmes produced results. These youth movements rapidly established themselves on the civil and political scene in Russia. They became the real gateway to the Kremlin network, the obligatory path for those in Moscow or the regions wishing to embark upon a public career.
Within a few years the Russian youth groups in all their diversity, or at least those most aware, have found themselves integrated into the political game and used by either the opposition or the government. The former are supposed to be a critical force, dynamic and radical who can increase the ranks for future demonstrations; the latter are organised into defence strongholds who can ensure, if need be in the streets too, the continuity of the current system.
In the summer of 2007, only a few months away from parliamentary elections in December and less than a year from presidential elections, Vladimir Putin does not seem disposed to change the Constitution to allow him to serve a third term. Thus this simplistic dichotomy of the Russian political scene has lost all its relevance. What could have been valid at the beginning of 2006 does not seem to reflect the situation twelve months on. An alternative to Vladimir Putin’s regime is, to say the least, uncertain. The traditional liberal and democratic opposition is no longer capable of taking on this role. Therefore a rebalancing of the Russian political scene can hardly be expected in the near future against the all-powerful system of the Kremlin.
This study endorses the excellent analysis expounded by Francoise Daucé2 in 2004, who shows that Russia has chosen its own particular method of politics, certainly democratic but not liberal. It is a question of delving deeper, by examining where ideas stand on the Russian political scene. It is not so much a question of what sort of eventual emerging opposition there is but rather on the possibilities of an opening or a fracture of the Putin regime.
- Which ideas still have critical potential?
- Which ideas could be the basis for a future opposition, likely to embody an alternative or to reintroduce the conditions of a political choice? After an introduction illustrating the state of activities of all the main youth movements - invaluable indicators of the ideological dynamism of a country – this study will attempt to evaluate the political reality of the tide of ideas prevalent in Russia today. It will then be of interest to present a number of purely opportunist positions and the conditions for breaking the locks of the system.
After an introduction illustrating the state of activities of all the main youth movements - invaluable indicators of the ideological dynamism of a country – this study will attempt to evaluate the political reality of the tide of ideas prevalent in Russia today. It will then be of interest to present a number of purely opportunist positions and the conditions for breaking the locks of the system.''


Commentaires

1. Le vendredi 30 novembre 2007, 16:24 par Moustapha
Est ce que la jeunesse "d'opposition" en Russie a fondamentalement le choix ? Ses alternatives politiques ne sont elles pas limitées par l'omniprésence et la violence du régime politique de Vladimir Poutine.
N'est ce pas V.P. qui est prêt à toutes les entourloupes et à toute la violence (in) imaginables pour réduire à néant toute critique quant à sa manière de gérer la Res publica ?
Si l'on pousse la logique du système Poutine jusqu'au bout, peut on espérer une solution ou un rééquilibre depuis .. l'intérieur de la Russie ?
Non, je ne le pense guère. La terreur est une menace dont on connaît la portée. Une manifestation "monstre".. devant l'armée, mobiliserait au mieux 3000 personnes, avec des effets prévisibles. G.Kasparov en a, récemment, fait les frais.
Un rejet du système Poutinien par les Etats occidentaux ? Non, je pense que la question nucléaire, celle des intérêts gaziers et pétroliers est d'une telle délicatesse qu'il vaut, certainement, fermer les yeux et espérer des lendemains meilleurs avec Poutine que de l'avoir en ennemi.
Et si la solution était de dire que la Russie est un peuple "à part" avec une culture "à part " et avec une manière bien personnelle de concevoir la démocratie ?
Oui, dans un monde contemporain où prudence et intérêts sont de rigueurs, mieux vaut laisser les autres gérer leurs affaires et ne pas s'en mêler.
En tous les cas, nos dirigeants actuels ne sauraient dire qu'ils ne "savaient pas" lorsque tout ceci dérapera.
Ps : bravo Laurent, pour le courage d'y avoir été et d'avoir poussé loin jusqu'à cette analyse de qualité.

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