15 janvier 2008

ANALYSE : Candidature et adhésion de la Turquie à l’Union Européenne : enjeux et perspectives

Brian MENELET

Aborder la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, voire de son intégration[1], suppose de dépassionner le sujet tant celle-ci a pu susciter des débats plus ou moins rationnels, notamment en France lors de la campagne référendaire relative à la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE) en mai 2005[2]. Dans une certaine mesure, l’adhésion de la Turquie à l’Union interroge plus largement le projet politique européen. Elle pose la double question de l’identité européenne et de la capacité des institutions communautaires actuelles à absorber de nouveaux candidats[3]. 

La spécificité de la candidature de la Turquie est dans doute l’ancienneté du dossier. En 1959 déjà, la Turquie présentait, presque concomitamment à la Grèce, sa demande d’association à la Communauté Économique Européenne. L’accord de stabilisation et d’association signé le 12 septembre 1963 (Accords d’Ankara) entre la Turquie et la CEE est entré en vigueur le 1er décembre 1964[4]. Le dépôt officiel de la demande d’adhésion de la Turquie date quant à lui du 14 avril 1987[5]. Un premier refus de la part de la Commission européenne concernant l’ouverture des négociations, le 18 décembre 1989, fut motivé par les progrès insuffisants relatifs aux droits de l’Homme et des minorités[6]. En parallèle, l’union douanière entre la Turquie et l’UE, qui prive la Turquie d’un certain nombre de ressources, est entrée en vigueur le 31 décembre 1995[7]. Le Conseil européen de décembre 1997, décidant de l’ouverture d’un vaste processus d’adhésion à destination de 10 nouveaux pays candidats a exclut la Turquie en considérant que « les conditions économiques et politiques permettant d’envisager les négociations d’adhésion n’[étaient] pas réunies ». En dix ans, la Turquie ne semblait pas avoir fait suffisamment d’efforts ou de progrès pour mériter que soient ouvertes de telles négociations[8]. Pourtant, à peine deux ans plus tard, en décembre 1999, le Conseil européen d’Helsinki déclara : « La Turquie est un pays candidat qui a vocation à rejoindre l’Union sur la base des mêmes critères que ceux qui s’appliquent aux autres pays candidats »[9]. Ainsi, si les conditions nécessaires à l’ouverture des négociations du dossier d’adhésion n’étaient pas encore réunies, le rythme des réformes engagées par l’Etat turc dans cette direction sembla influencer le calendrier communautaire[10]. L’ouverture chaotique des négociations en vue de l’adhésion de la Turquie le 3 octobre 2005 semble montrer que les choses avancent sur ce point, malgré le retard imposé par la France le 25 juin 2007 dans l’ouverture de nouveaux volets du dossier[11]. 

Force est de constater que la candidature de la Turquie à l’Union européenne ne semble pas traitée avec la même objectivité[12] que le groupe de nouveaux adhérents de 2004 mais avec le même renfort d’exigences que pour les autres candidats actuels (Croatie et ARYM) Derrière ces dossiers, se pose la question des limites de l’Union européenne que cet impressionnant élargissement, ainsi que les non aux référendums, ont largement contribué à poser[13]. L’adhésion récente et massive de dix nouveaux pays en trois ans interroge, en effet, la capacité des institutions européennes à fonctionner sans redéfinition du projet européen et pose la question de la détermination des frontières, notamment au regard de son identité[14]. Dans ces perspectives, il paraît nécessaire de s’interroger sur la compatibilité de ce qui constitue l’identité européenne avec ce que l’on sait de la situation turque (I). Dans cette optique, un certain nombre d’éléments du débat, souvent trop politisés[15], doivent faire l’objet d’un examen critique. Les éléments divergents, ou aujourd’hui considérés comme tels, entre ces deux ensembles protéiformes doivent être mis en perspective, car si le dossier de la candidature de la Turquie est aujourd’hui ouvert, il ne sera pas clos avant une décennie et doit être apprécié au regard des évolutions susceptibles de survenir dans ce laps de temps[16].

Par ailleurs, la construction ou la réorientation éventuelle du projet européen, si l’on se place dans la perspective d’un projet qui reste celui de la construction d’une Europe politique après l’Europe économique, doit tenir compte d’enjeux directement liés à la mondialisation, à la place de l’Europe face aux puissances mondiales et notamment aux puissances émergentes montantes et à celles qui tentent de rester en haut du tableau. Dans cette perspective, l’adhésion de la Turquie peut s’avérer déterminante (II). Elle est, en effet, susceptible de répondre à un certain nombre d’enjeux stratégiques qui déterminent partiellement la sérénité durable des autres pays membres de l’Union, tout en soulevant pour demain des questions qui ne se posent pas, à tout le moins dans les mêmes termes, aujourd’hui[17]. Toutefois, l’hypothèse de l’adhésion turque ne peut être abordée sous un jour favorable sans qu’un certain nombre d’interrogations relatives au fonctionnement de l’Union ne soient résolues. Le caractère déterminant de ces interrogations et les réponses qu’elles sont susceptibles de recevoir doivent là encore faire l’objet d’une approche prospective[18]. 

I. L’identité européenne interrogée par l’hypothèse de l’adhésion de la Turquie 
La détermination des frontières définitives de l’Union européenne semble se poser, à plus ou moins brève échéance[19], comme une véritable question de survie du projet politique européen ou comme devant entraîner sa complète redéfinition[20]. Ces frontières n’étant pas seulement mises en débat sur le plan géographique[21], mais incluant des aspects culturels et historiques, c’est l’identité européenne toute entière qui est interrogée par l’adhésion de la Turquie, véritable pont géographique et culturel entre l’Europe occidentale et l’Asie mineure[22] et seul Etat laïc sociologiquement musulman de la région[23]. Afin d’apprécier l’opportunité de l’adhésion de la Turquie à l’UE, il faut s’interroger sur les éléments constitutifs de l’« européanité » (A.) qui sont susceptibles de former un critère important dans la détermination des frontières de cet espace culturel, économique et politique. C’est à partir de ce rapide tableau que l’on pourra évaluer les éléments convergents et divergents dans le « dossier » turc susceptibles de favoriser l’intégration de la Turquie à l’Union européenne ou, au contraire, de l’en écarter (B.). 

A. Les éléments constitutifs de l’identité européenne[24] : examen critique 
Selon le R.P. Mazas[25], appuyé par l’analyse de R. Karklins[26], l’identité collective, notamment européenne, est issue d’une longue chaîne de transmission d’une culture et chaque homme en serait un maillon, à la fois objet et acteur de cette chaîne de transmission, selon ce qu’il a reçu et selon l’adaptation qu’il en a fait au regard du monde dans lequel il vit. Il apparaît que l’identité européenne doive s’appuyer sur l’idée d’un patrimoine historique commun[27]. Sur ce point, les relations entre les pays membres de l’UE souffrent d’une homogénéité relative. On peut, en effet, noter des échanges séculaires par blocs, comme celui formé par l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et la Belgique qui, par le jeu des occupations réciproques suites à des conflits armés, se sont empruntés un certain nombre d’éléments culturels et ont renforcé, au moins dans les zones frontalières, des relations économiques et linguistiques. De même, le bloc anglo-saxon, le bloc des pays nordiques, la péninsule ibérique ou le Bénélux, ont fondé, du fait des frontières communes des pays qui les constituent, des relations linguistiques, artistiques, commerciales et parfois spirituelles, solides et anciennes.

Certains seraient tentés d’ajouter, comme élément identitaire de l’UE, une communauté spirituelle que l’on retrouve dans les débats politiques sous le label de « club chrétien » ou « judéo-chrétien »[28]. Cet argument est dénué de sens, d’abord parce qu’il faut relever une grande variété dans les formes de chrétienté en Europe, parfois elles-mêmes rejetées comme élément d’ « européanité »[29], ensuite parce que ce serait nier les traces de la présence musulmane en Andalousie durant près de 700 ans[30], de même que dans le sud de la France, oublier la spiritualité celte qui anime encore l’Irlande, la Grande-Bretagne et certaines régions françaises[31], l’influence saxonne dans les pays nordiques et l’Allemagne, etc. La construction d’une identité européenne fondée sur une communauté spirituelle est d’ailleurs historiquement relativisée[32], sociologiquement intenable[33] et politiquement écarté lors de la rédaction du Préambule du TECE[34]. 

D’autres, parfois les mêmes, tentent de fonder l’identité européenne - et ses frontières - sur une culture commune essentiellement basée sur les arts. Là encore, qu’il s’agisse de la musique, de l’architecture, de l’écriture, etc., la question qui se pose alors est de savoir où l’on met le « curseur ». Ce « curseur » ou la lentille par laquelle on appréhende la question identitaire européenne fait l’objet de déplacements chronologiques qui ne sont pas sans arrière-pensées idéologiques. Ainsi, le style gothique est-il parfois mis à contribution comme élément de délimitation géographique de l’identité culturelle européenne[35]. Il est bien entendu que l’art mudéjar andalous, les palais vénitiens et le profond enracinement du style roman dans de nombreuses régions européennes ne peuvent qu’être écartés de cette identité culturelle européenne…

La véritable question à ce propos est de savoir si l’art européen possède une identité propre et quel est son rôle dans la construction d’une identité européenne. Selon J. Attali, « S’il y a une chose qui unit les Européens, qui les distingue des autres peuples de la terre, c’est une certaine relation avec l’art, une certaine dynamique de cette relation, sur un territoire immense, qui va de Londres à Istanbul, d’Athènes à Madrid, de Moscou à Lisbonne, dans des domaines aussi variés que la danse, la sculpture, la poésie, ou l’art des fresque », « […] l’Europe n’a jamais eu d’identité ni par la langue, ni par les frontières, ni par l’idéologie, ni par le système politique, ni même aujourd’hui par la monnaie. Par contre, depuis très longtemps, elle a une identité par son art » [36].

La question de savoir en quoi consiste cette identité européenne liée à l’art reste cependant, à ce point de la discussion, entière. L’auteur y répond en indiquant que partout dans le monde, l’art a eu un lien privilégié entre « l’en-haut », c’est-à-dire avec le divin/religion, et « l’en-bas », c’est-à-dire la représentation du profane festif. La particularité de l’art européen, c’est d’avoir, à partir du XVIème s., su s’émanciper de ces deux maîtres pour servir la raison à travers le beau. Si cette démarche d’émancipation s’est « nationalisée » à partir du XVIIIème s., elle a toutefois, par le voyage des artistes dans tout l’espace européen, largement entendu, permit le partage de ses techniques et de ses sujets d’inspiration et participé à distinguer l’art européen des arts des autres espaces, confinés entre ces deux maîtres ou ayant résolument abdiqué en faveur de l’un d’eux. Selon Attali, la Turquie appartient artistiquement, et donc « identitairement » parlant, à l’espace européen. 

On a beau aborder le sujet sous tous les angles, l’identité européenne reste une notion presque insaisissable. Elle est en fait une mosaïque d’éléments dont certaines couleurs ressortent majoritairement sans s’avérer pour autant déterminantes. Telle une œuvre d’art, l’identité européenne suppose une perception d’ensemble qui suscite alors une réaction émotionnelle, éminemment subjective.

La question de l’identité européenne ne peut être tranchée à partir de son élément culturel sans parti pris idéologique. Sa détermination, dont tout porte à penser qu’elle sera l’une des clés majeures de la politique d’élargissement future, et qui touche pleinement l’hypothèse de l’adhésion de la Turquie à l’UE, doit donc être posée en termes de projet politique futur.

Les bases de ce projet politique européen ont notamment été jetées par la déclaration du Conseil européen sur l’identité européenne du 14 décembre 1973 à Copenhague. On trouve, parmi les valeurs politiques qui le fondent, le pluralisme culturel, une conception de la vie commune[37], les principes de démocratie représentative, de l’Etat de droit, de la justice sociale et du respect des droits de l’Homme.

A ce premier élément constitutif d’une identité politique de l’Europe, le Conseil européen de Copenhague de 1993 en a ajouté un second, en énumérant les critères politiques qui sont désormais pris en compte pour l’ouverture des négociations avec les nouveaux candidats à l’UE[38]. Ces critères, qui fondent l’unité politique et juridique de l’Union sont les suivants : stabilité des institutions du candidat, garantie de la démocratie, de la primauté du droit (Etat de droit) et le respect des minorités et leur protection.

C’est à l’aune de ces critères, sans négliger la question culturelle et des considérations intuitu personae propres à la construction européenne, que nous nous proposons d’évaluer les éléments de convergence et de divergence des caractéristiques du dossier de la Turquie en vue de son adhésion à l’UE. 

B. Convergences et divergences des caractéristiques de la Turquie au regard de l’identité européenne 

Un certain nombre d’éléments d’ordre culturel de la société turque montrent une convergence avec les éléments de définition de l’identité européenne tels que nous les avons exposés[39].

Concernant la question de l’histoire commune de la Turquie avec le reste de l’Europe, la question du « curseur » chronologique se pose de nouveau. Si l’on se réfère à l’opposition Empire romain d’Occident/Empire romaine d’Orient, voire Occident/Orient, la Turquie est exclue du premier, mais avec elle la Grèce, Chypre et l’ARYM, pourtant membres de l’UE ou candidat officiel. En revanche, à partir de la Guerre Froide et de l’érection du rideau de fer, la Turquie, comme la Grèce, ont été incluses dans la carte mentale de l’Occident[40], au contraire des PECO[41], et le choix de la Turquie d’intégrer l’OTAN en 1952 en a été la confirmation. Du point de vue culturel, nous voudrions abordés certains points en particuliers parce que situés au cœur du débat, tout en laissant dans l’ombre non pas ceux qu’il nous déplait de traiter mais qui, à notre sens, ne sont pas centraux.

Si l’élément spirituel a été écarté dans la division précédente, nous voulons toutefois relever que l’Europe actuelle est issue d’une longue tradition d’échanges culturels toujours actuels entre chrétienté et monde musulman, notamment par une longue présence judéo-chéritenne en terre musulmane et une longue présence musulmane en terre chrétienne dans certains pays d’Europe, l’essentiel de ces rapports ayant été basé sur une tradition de tolérance[42]. En conséquence, le caractère musulman de la société turque, notamment au regard des 10 millions de musulmans dans l’UE, ne doit pas être traité comme un élément de divergence avec l’identité européenne. L’utilisation de l’alphabet latin depuis 1928 et l’adoption d’un Code Civil turc sur le modèle du Code Civil suisse en 1926, faisant échapper à la Sunna et à la Charia le droit de la famille, des contrats et des successions, sont autant d’éléments de convergence culturelle et juridique entre la société turque et l’ensemble des pays de l’UE.

La question de la laïcité doit être écartée du débat et ce pour plusieurs raisons. D’une part, la conception française de la laïcité est rarement partagée par nos partenaires européens[43]. D’autre part, si la laïcité turque se traduit globalement comme la direction d’une grande partie de la vie religieuse par l’Etat turc[44], cela relève de son organisation interne sans incidence sur la convergence culturelle et politique de la Turquie en vue de son adhésion[45].

Enfin, parmi les éléments non politiques ou juridiques identifiés en 1973 et 1993 composant de l’identité européenne pris en compte pour l’ouverture des négociations, puis de l’adhésion des nouveaux candidats, nous ne traiterons pas des éléments d’ordre social. Si le critère de justice sociale est énuméré parmi les éléments constitutifs de l’identité européenne par le Sommet de Copenhague de 1973, cette notion semble bien vague en l’absence de salaire minimum européen et de couverture maladie et sociale harmonisée[46]. 

En revanche, la question du respect des critères politiques retenus lors du Sommet de Copenhague en 1993 pour l’ouverture des négociations et pour l’adhésion des nouveaux candidats engendrent, en ce qui concerne la Turquie, un vrai débat.

La question de la stabilité des institutions de la Turquie est encore en suspens. L’Armée est en effet intervenue à de nombreuses reprises par le biais de coups d’Etat ou de révolutions de velours dans la chose publique turque[47] jusqu’à entraîner des modifications constitutionnelles importantes, comme en 1961 et 1982, ce qui amène certains observateurs à s’interroger sur la « routinisation » des interventions de l’Armée dans la vie politique turque[48]. Lors des dernières élections présidentielles de 2007, qui ont abouti à l’élection du leader de l’AKP, considéré par beaucoup comme un islamiste modéré, A. Gül, l’Armée avait de nouveau menacé d’intervenir « pour maintenir le caractère laïque des institutions », si ce dernier était élu. Tout en se proclamant, fidèlement à la vision d’Atatürk, « vigile de la laïcité » suite à l’élection du leader de l’AKP, elle n’est toutefois pas intervenue[49]. Sans se départir de la prudence nécessaire face à une situation susceptible d’évoluer, on peut considérer qu’il s’agit d’un indice positif concernant la normalisation des rapports entre l’Etat et l’Armée[50]. A cet indice, il faut ajouter la révision constitutionnelle du 17 octobre 2001 qui a modifié la composition et les prérogatives du Conseil national de sécurité (MKG), conduisant à la majorité de membres politiques sur les militaires[51]. Cette réforme conduisant à la limitation de la place de l’Armée dans la vie politique est d’ailleurs soutenue par la société civile[52].

Concernant les aspects démocratiques des institutions turques et des garanties de leur bon fonctionnement, plusieurs éléments semblent converger vers une réponse nuancée[53].

- La séparation des pouvoirs a été consacrée par la Constitution de 1961. La souveraineté nationale[54] entraîne une démocratie représentative, garantie par la libre création des partis politiques[55] - un seuil de 10 % au moins des voies obtenues à la majorité proportionnelle pour obtenir un siège limite cependant le caractère pluraliste de la représentation à la Grande Assemblée Nationale Turque.

- Les droits fondamentaux, reconnus par la Constitution de 1982 dans des termes très généraux et susceptibles d’être mis entre parenthèses pour cause de menace à l’intégrité et à la sécurité de l’Etat, ont reçu, par la révision de 2001, de nouvelles garanties, puisque les limites à leur exercice doivent être prévues par le texte initial et ne peuvent dénaturer l’essence même du texte.

- L’indépendance des médias et l’autonomie des universités sont reconnues constitutionnellement depuis 1961, et des institutions telles que le YÖK[56] et le RTÜK[57] contribuent à leur garantie effective[58]. Il faut noter toutefois que la liberté de la presse est encore préoccupante, les positions critiques de journalistes ou rédacteurs en chef relatives aux institutions donnant encore fréquemment lieu à emprisonnement[59]. Par ailleurs, la liberté d’association, participant au pluralisme nécessaire dans les démocraties parlementaires, est encore sous le régime de l’autorisation préalable, le plus dur régime administratif en la matière.

- Mise à part l’absence d’un degré intermédiaire de juridiction (Cour d’Appel), l’organisation juridictionnelle turque est proche du système français : Tribunaux de première instance, Cour de Cassation, Conseil d’Etat, Cour ces Comptes, tenant notamment compte des décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en ouvrant droit à un second jugement suite à un jugement contraire de cette institution extranationale. Le recours direct à la CEDH est ouvert depuis 1987 et la Commission européenne souligne, dans sa Communication de novembre 2007 que la Turquie exécute de façon satisfaisante les décisions de la Cour[60]. La Cour Constitutionnelle a, notamment le 1er mai 2007, permis une sortie de crise politique par le droit, alors que l’Armée menaçait d’intervenir, et semble confirmer l’instauration progressive d’un Etat de droit en Turquie, tel qu’exigé par les critères politiques de Copenhague[61].

- Les Cours spéciales, telle la Cour de sûreté de l’Etat et les tribunaux militaires ne peuvent plus juger de civils, et la procédure devant la première suit désormais la procédure pénale de droit commun. Toutefois, la séparation des pouvoirs reconnue par la Constitution de 1961 reçoit quelques accommodements notoires : le Président de la République nomme, sans contreseing, tous les membres de la Cour Constitutionnelle, un quart des membres du Conseil d’Etat, le Procureur général et des membres de la Cour de Cassation[62].

- Toujours en matière judiciaire et de libertés publiques, la peine de mort a été abolie le 3 octobre 2001[63], et une politique de tolérance zéro concernant les actes de torture a été déclarée dans la foulée[64]. L’âge des personnes relevant des tribunaux pour enfant est passé de 15 à 18 ans[65] et la durée légale entre l’arrestation et la comparution devant un juge est passée de 15 à 4 jours en 2001[66].

Toutefois, l’absence de juge d’instruction donnant un pouvoir élevé au parquet en matière criminelle et l’absence fréquente d’un avocat durant les interrogatoires amène à faire quelques réserves concernant la garantie de la liberté individuelle et des libertés publiques et apporte un nécessaire bémol à la primauté du droit ainsi qu’à la plénitude de l’Etat de droit en Turquie[67].

Restent en suspens un certain nombre de questions parmi lesquelles la corruption[68], la reconnaissance et la protection des minorités ainsi que la question chypriote[69].

Concernant la reconnaissance des minorités, elle pose un réel problème en ce que les critères de reconnaissance des minorités en Turquie ne sont pas ceux posés par la Convention européenne des droits de l’Homme puisque seules les minorités religieuses, telles qu’énumérées au Traité de Lausanne de 1923, sont appréhendées par le droit turc. Ainsi, les minorités kurdes et alévis ne sont pas prises en compte en tant que telles alors que les Kurdes représenteraient entre 10 et 12 millions de personnes et les Alévis[70] formeraient entre 10 et 20 % de la population[71]. Non reconnues, elles ne sont donc pas protégées, ce qui entre en contradiction avec les critères politiques déterminés en 1993 à Copenhague[72].

Quant à la question de la reconnaissance du génocide arménien qui est souvent utilisée comme un argument phare de l’adhésion de la Turquie à l’UE[73], nous y répondrons en reprenant la formule de H. Swobodan[74], selon qui « Très peu de pays au monde ont un passé propre. Alors que la France vote des lois sur la reconnaissance du génocide arménien, elle enseigne dans ses écoles les aspects positifs du colonialisme ! ». La question du génocide arménien nous apparaît comme une question intime de l’histoire et de la conscience collective turques. Cette reconnaissance ne viendra qu’au bout d’une longue démarche collective et quasi-psychanalytique, et alors que la France a mis plus de 40 ans à reconnaître les atrocités commises sous son autorité en Algérie et de 50 ans pour endosser la responsabilité de l’ « Etat Français », il nous semble que cette question doit être exclue des éléments d’appréciation de l’opportunité de l’adhésion de la Turquie à l’UE. La différence de traitement entre la Turquie et la Roumanie sur la question de la corruption, ou de la Turquie et des pays Baltes concernant le traitement de leurs minorités[75] pose la question de l’application du principe fondateur de l’égalité de traitement, valable entre les Etats membres, aux pays candidats.

Concernant la validation des critères politiques de Copenhague par la Turquie de 2007, notamment le respect des droits de l’Homme et des minorités, nous dirions, avec les co-rapporteurs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe[76], que de nombreux progrès ont été réalisés depuis 2002.Même si des progrès sont encore à accomplir, notamment en ce qui concerne les libertés publiques, la Commission européenne a toutefois estimé, en novembre 2007, que « La Turquie continue à remplir suffisamment les critères politiques de Copenhague »[77].

Des éléments juridiques très favorables, comme l’accord de stabilisation et d’association, généralement considéré comme un préalable à l’adhésion ou l’union douanière, particulièrement coûteuse pour les Turcs, sans compter l’ouverture des négociations semblent plaider pour un dénouement heureux de ce que l’on peut appeler un mariage de raison entre la Turquie et l’UE.

Malgré les difficultés de la Turquie à remplir totalement les critères politiques énoncés au Sommet de Copenhague de 1993, se pose la question des enjeux plus généraux de son adhésion à l’Union européenne.


Mode de citation : Brian MENELET, « Candidature et adhésion de la Turquie à l’Union Européenne : enjeux et perspectives », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information de l'actualité internationale, 14 janvier 2008







* Nous tenons à exprimer ici nos vifs remerciements à N. Pohl, Doctorant en droit public à l’Université de Bourgogne, pour ces précieux conseils et la finesse de ses remarques.
[1] Cf. M. Foucher, « Adhésion ou intégration ? Le dilemme des limites territoriales de l’Union européenne », interviewé par la Fondation Robert Schuman, intitulée. Pour celui-ci, l’adhésion est certes un stade important, mais celle de l’intégration pose la question de la constitution d’un bloc cohérent, ce qui soulève des questions concernant le fonctionnement interne de l’Union et son positionnement sur la question des Affaires Étrangères.
[2] De façon générale, la question des frontières européennes s’est invitée au débat relatif à l’adoption ou au rejet du Traité constitutionnel européen. Celle de l’adhésion de la Turquie a été largement mise en avant par un certain nombre de partis politiques et a amené la population française à se positionner sur cette question qui ne leur était pourtant pas posée. Un sondage IFOP, publié par le Figaro du 13 décembre 2004, indique que 67 % des personnes sondées se disaient hostiles à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
[3] Elle pose aussi, de façon plus générale, la question du choix entre un approfondissement de l’Union européenne et l’élargissement de ses frontières. En 2004, ces deux enjeux étaient pris en compte par l’élargissement à venir et par l’approfondissement proposé par le TECE. Son rejet par les citoyens français et néerlandais eut pour conséquence un élargissement sans approfondissement, rompant l’équilibre entre ces deux options. Le Traité simplifié de Lisbonne tend à corriger.
[4] Comme le rappelle le Rapport d’information de la délégation du Sénat français sur la candidature de la Turquie à l’Union européenne n° 279 du 29 avril 2004, présenté par H. HAENEL et R. DEL PICCHIA, la France s’était déjà opposée, dans un premier temps à cette association avec la Turquie, mais s’était rétractée par la suite, comprenant qu’il s’agissait, pour la Turquie, d’une question existentielle, d’identité.
[5] Deux éléments principaux expliquent l’absence d’avancée du dossier turc durant cette période. Il s’agit, d’une part, de la crise chypriote de juillet 1974 et qui donna lieu à la partition de l’île en février 1975 et, d’autre part, du coup d’Etat militaire en Turquie de 1980 qui donna lieu à la suspension de l’Accord de stabilisation et d’association entre la Turquie et l’Europe jusqu’en 1995.
[6] A cette époque, le contentieux entre la Turquie et la Grèce sur la souveraineté des îles de la mer Egée avait, par ailleurs, donné lieu à une opposition constante de la seconde à l’adhésion de la première.
[7] Il faut noter que la Turquie est le seul pays candidat à avoir réalisé de tels accords depuis cette date.
[8] A contrario, l’UE, qui se sentait redevable à l’égard des pays de l’Europe centrale et orientale (PECO), notamment par son absence d’accompagnement de ces pays lors du Printemps de Prague. Par ailleurs, l’adhésion des PECO permettait d’unifier physiquement le continent européen alors que la Turquie risquait de brouiller la clarté de la politique d’élargissement en ouvrant la construction européenne en direction de l’Asie mineure.
[9] Le Conseil européen de Copenhague de 2002 déclara quant à lui : « Si en décembre 2004, le Conseil européen décide, sur la base d’un rapport et d’une recommandation de la Commission, que la Turquie satisfait aux critères politiques de Copenhague, l’Union européenne ouvrira sans délai des négociations d’adhésion avec ce pays ». Entre 1997 et 1999, les relations entre la Ankara et l’UE ont beaucoup évolué. D’un rafraîchissement de ces relations du à la déception des autorités turques qui espéraient une ouverture rapide des négociations et, en parallèle, à l’adhésion de Chypre, certains événements ont contribué à ce que ce rafraîchissement ne soit que temporaire. La bonne volonté de la Turquie dans la crise du Kosovo et la « solidarité du tremblement de terre » qui toucha la Grèce et la Turquie en 1999 amenèrent les institutions européennes à plus de souplesse et à une appréhension plus positive du dossier de candidature turc.
[10] Ces progrès « fulgurants » dans un délai si court ne sont toutefois pas la marque d’une nouvelle approche politique de la question et semblent bien réels puisque en juin 2001, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe saluait les progrès accomplis, ses co-rapporteurs estimant que la Turquie avait réalisé en deux ans plus de progrès que pendant la décennie précédente, cf. sur ce point le Rapport d’information de la délégation du Sénat français n°279, op. cit.
[11] Depuis le 3 octobre 2005, et en comptant les deux nouveaux volets ouverts suite à la réunion du 25 juin 2007, seuls les volets « Science et recherche », « Politique industrielle et entreprise », « Statistiques » et « Contrôle financier » ont été ouverts, le volet « Politique économique et monétaire » ayant été retiré de l’ordre du jour par risque du veto français. On notera que, sans les considérer comme insignifiants, les deux derniers volets semblent de seconde importance par rapport aux deux premiers ouverts et à celui dont l’ouverture a été retardée.
[12] Par le choix des dates retenues pour l’obligation d’organiser un référendum, l’art. 88-5 de la Constitution française opère un traitement discriminatoire entre la Turquie et l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) d’une part, dont l’adhésion fera l’objet de référendums, et la Croatie qui n’en fera pas l’objet d’autre part. La Croatie, qui a été officiellement déclarée candidate le 3 octobre 2005, connaît cependant la même exigence pour le traitement de son dossier d’adhésion, notamment en ce qui concerne le TPIY et les poursuites des criminels de guerre.
[13] Comme le note S. Goulard, op. cit., p. 140 et M. Foucher, op. cit., derrière la Turquie, les rangs de potentiels candidats ne cessent de croître : l’Ukraine, la Géorgie, les Balkans (sauf ARYM) sont sur les rangs et, la détermination des frontières de l’Union est interrogée de façon pressante. Dans une certaine mesure, la candidature d’adhésion de la Turquie risque bien de ne pas être jugée pour ce qu’elle est mais comme la candidature de trop. J-D. Guiliani, Président de la Fondation R. Schuman, « l’Europe mise à mal par le défit des frontières », relève, en effet, que si de 1970 à 1990, le revenu moyen des européens s’est accru de 58 %, l’élargissement de 2004 a fait chuter le PIB/hab. de 12,5 %, incitant ainsi à une certaine prudence concernant de nouveaux élargissements. Il faut relever par ailleurs tant dans les populations des différents nouveaux adhérents, comme la Pologne, que dans celles des candidats actuels une certaine « fatigue » ou appréhension face à l’énormité des efforts déjà consacrés et encore à consacrer à la reprise des acquis communautaires.
[14] Ce lien entre établissement des frontières de l’Union européenne et son identité est soulevé par J-D Giuliani, op. cit. Elle pose par ailleurs la question de la finalité de l’UE : simple espace de paix et de libre échange ?, union politique ? ou entité organisée selon des rythmes adaptés à la situation de ses différents membres et avec des objectifs différents ?
[15] Au cours de la campagne relative au référendum sur l’adoption du Traité constitutionnel européen, l’UDF s’est clairement positionnée contre l’entrée de la Turquie, non européenne, dans l’Union. Les partis souverainistes tels que le MPF, le Front national et le MNR ont, quant à eux, constitué une liste commune intitulée « Europe oui, Turquie, non ».
[16] Selon la grande majorité des observateurs et commentateurs, l’adhésion de la Turquie, suite aux négociations ouvertes le 3 octobre 2005, ne pourrait obtenir de réponse définitive qu’en 2014-2015 pour les plus optimistes et aux alentours de 2020 pour la majorité des autres.
[17] Certains esprits malicieux pourraient nous reprocher de parodier T. Bernard déclarant « Le mariage permet de résoudre à deux les problèmes qu’on ne se poserait pas seul ». Dans une certaine mesure, l’adhésion d’un pays comme la Turquie à l’Union européenne relève bien de cette idée.
[18] Le Rapport d’information de la délégation du Sénat français, op. cit., précise en effet que la Turquie susceptible d’adhérer à l’Union en 2015 ou 2020 sera radicalement différente de celle des années 1980-1990 et même de celle qui a vu s’ouvrir les négociations en vue de son adhésion le 3 octobre 2005.
[19] A défaut d’une fixation définitive des frontières de l’Union européenne, M. Foucher, interviewé par la Fondation R. Schuman, op. cit., estime que « […] s’il n’y a pas de définition d’ici 2009 de limites territoriales, même temporaires à l’Union européenne, pour 10 à 15 ans, il y a des risques de perte d’identité et le sentiment de perte de maîtrise du processus d’extension de l’UE risquent de se manifester lors des prochains référendums ».
[20] L’alternative provient d’une dualité du bilan sur la réalisation possible de cette Union politique qui tarde à faire jour, notamment dans l’émergence d’une force d’intervention armée. Si l’on pense que cette union politique plus aboutie est encore possible, voire nécessaire, cela amène à envisager le défi des frontières européennes comme une question de survie de cette vision de l’Europe, notamment au regard de la difficulté d’arriver à un consensus à 27 sur cette question. Si l’on considère, comme M. Rocard, interviewé par La lettre du cadre territorial n° 336 du 15 avril 2007, que « l’Europe politique est morte », il convient alors d’envisager une redéfinition du rôle de l’Union européenne et la question de ses limites territoriales reste posée.
[21] Si le seul critère géographique animait le débat, la question de l’adhésion de la Turquie serait rapidement réglée. En effet, l’adhésion de la République de Chypre en 2004 détruirait toute argumentation basée sur le caractère oriental de la Turquie, de même que celle de Malte au regard des critiques contre un élargissement au sud. L’hypothèse d’un partenariat particulièrement renforcé avec la Turquie comme alternative à l’adhésion proposée par le Président français, N. Sarkosy, risque bien d’avoir les effets inverses à ceux recherchés. Il est en effet susceptible de rapprocher structurellement la Turquie de l’UE, laissant la question d’une adhésion à la merci d’une alternance idéologique sur cette question, même avant 2012…Toutefois, l’éventuelle adhésion de la Turquie ouvre la réflexion sur de nouvelles candidatures, notamment à l’égard de ses voisins immédiats (Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie). L’adhésion de l’Autriche a par exemple entraîné celle de la Slovénie, celle de la Finlande et de la Suède ayant ouvert la voie à l’adhésion des pays Baltes, etc.
[22] B. Etienne, « Pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne – La vielle Europe malade et le jeune homme turc », in Pouvoirs n° 115, p. 137, met la Turquie « au croisement d’une certaine idée de l’Europe et de l’Orient ». Cet auteur la décrit comme « une part du monde arabo-musulman en connexion avec l’Asie, avec une forte tradition de relation entre les christianismes et les islams ». D’une certaine façon, il en va de même des Balkans, pont entre orthodoxie et catholicisme.
[23] Ch. Bertossi, dans son avant-propos à l’article de S. Akgönül, « La Turquie dans l’Union européenne ? », Policy Paper n°18 de l’IFRI, septembre 2005, p. 4, précise que l’islam sunnite est sociologiquement dominant en Turquie, malgré la laïcité d’Etat. Pour mémoire, on peut indiquer que la laïcité est inscrite dans la Constitution turque depuis 1937, après qu’un amendement de 1928 a retiré l’article instaurant la religion musulmane comme religion d’État qui datait de 1924.
[24] Selon S. Akgönül, « La Turquie dans l’Union européenne ? », op. cit., p. 11, le Conseil européen de Copenhague de 1993, en adoptant les « critères de Copenhague » qui guident, à partir de cette date, l’appréciation globale des candidatures des pays postulant à l’adhésion à l’Union européenne, le projet européen s’est transformé qualitativement. D’essentiellement économique, il s’est enrichi d’éléments politiques et de valeurs et a pris le « virage de l’identité ». Cette dernière a essentiellement été appréhendée sous l’aspect culturel au sens large.
[25] Rapporteur de la Table ronde organisée par le Conseil de l’Europe des 17-18 avril 2001, dont les propos sont rapportés par Cl. Demesmay, chercheur à l’IFRI.
[26] Professeur à l’université de l’Illinois et membre de cette Table ronde.
[27] Les intervenants de la Table ronde du Conseil de l’Europe furent majoritairement d’accord pour privilégier la piste du projet politique commun au détriment du patrimoine culturel au nom du risque d’exclusion de trop nombreuses populations.
[28] Cf. notamment, bien que sans doute dénué de référence politique, la position de J-D. Giuliani, op. cit., insistant sur le rôle fédérateur de l’Église catholique.
[29] Catholicisme romain, orthodoxie grecque, protestantisme calviniste ou luthérien, anglicanisme, etc. Il faut relever par ailleurs que l’Orient de l’Europe, composé des Balkans, de l’Anatolie, du pourtour de la Mer Noire et de la Méditerranée orientale, fut considéré, jusqu’au XVIIIème siècle comme une anti-Europe. La « géographie mentale » de l’Europe ne faisait pas de distinction entre musulmans et chrétiens de l’Empire ottoman, les reléguant tous deux dans cet Orient non européen, cf. en ce sens Georges Prévélakis, « L’Orient de l’Europe : géographie mentale, historique et idéologique », in Les frontières de l’Europe, E. Barnavi et P. Goosens (dir.), éd° De Boeck, 2001, p. 83. Cette géographie mentale, plus ou moins consciemment ancrée dans nos mémoires a cependant accepté des failles notoires au moment de l’adhésion de la Grèce puis de la Bulgarie par exemple.
[30] Traces architecturales, musicales, culinaires, bref, éminemment culturelles.
[31] Pour être tout a fait exact, l’identité celte dans ces régions/pays est surtout culturelle, mais le « renouveau celte » n’est cependant pas dénué de considérations spirituelles.
[32] E. Barnavi, « Mille ans de construction européenne », in Les frontières de l’Europe, op. cit., pp. 23-33, précise que la perception d’une identité européenne remonterait au Moyen-Âge et aurait eu comme fondement la civilisation de l’Occident chrétien. Elle aurait connu une rupture violente au moment des guerres de religion. Par ailleurs, elle se serait partiellement bâtie sur une communauté linguistique au sein des universités et autres centres de pensée, le latin, rejetant le grec dans la sphère orientale. Cette considération historique n’est évidemment plus valable comme élément de l’identité européenne pour rejeter la Turquie au seul motif de son caractère « oriental ».
[33] G. Martin Muñoz, « Identité musulmane et coexistence dans l’Europe interculturelle », in Les frontières de l’Europe, op. cit. p. 251, souligne la présence de plus de 10 millions de musulmans vivant en Europe de l’Ouest. Il s’agit d’une réalité sociologique de l’Europe d’aujourd’hui et un élément de la question identitaire européenne dont on ne peut faire l’économie.
[34] Ce refus de l’inscription de l’élément judéo-chrétien dans le Préambule du TECE laissait la porte ouverte à l’adhésion de la Turquie, mais aussi d’autres pays à dominante ou forte minorité musulmane comme les Balkans.
[35] Tel est le cas, à tout le moins pour partie, de J-D. Guiliani, op. cit.
[36] J. Attali, « Une histoire artistique de l’Europe », in Les frontières de l’Europe, op. cit., p. 43.
[37] Notamment traduit en droit par le refus de la peine de mort et de l’usage de la torture. On notera toutefois que la question de l’avortement soulevant de vives divergences, entre l’Irlande, l’Allemagne et la France par exemple, elle en a été écartée.
[38] Les critères mis en avant par le Sommet de Copenhague de 1993 étaient aussi de nature économique et juridique, mais la primauté des critères politiques fut reconnue par le Sommet d’Helsinki en 1999 pour l’ouverture des négociations.
[39] Nous ne reviendrons pas sur l’élément artistique constitutif de l’identité européenne comme élément de convergence entre l’identité turque et européenne, J. Attali l’ayant clairement démontré.
[40] Cf. sur ce point G. Prévélakis, « L’Orient de l’Europe : géographie mentale, historique et idéologique », in Les frontières de l’Europe, op. cit., pp. 83-84.
[41] La plupart d’entre eux ayant signé le Pacte de Varsovie le 14 mai 1955, ils étaient, de facto, considérés comme appartenant à la sphère d’influence de l’URSS.
[42] Nous pensons aux Omeyyades en Andalousie et au royaume chrétien de Jérusalem.
[43] Rappelons, par exemple, que le chef de l’Etat en Grande-Bretagne est aussi chef de l’Église anglicane et que l’exception juridique alsacienne met en cause le principe même de la séparation des Églises et de l’État en France…
[44] La laïcité en Turquie se manifeste notamment par la formation des 72 000 imams dans des écoles d’Etat, rémunérés par l’Etat et dont les discours hebdomadaires sont rédigés par le ministère des Affaires Religieuses.
[45] Rappelons pour mémoire que le Conseil européen de Copenhague de 1973 se disait « soucieux de préserver la riche variété de cultures nationales » et cet aspect nous semble en faire partie. En revanche, le caractère laïc des institutions turques est sans doute un élément participant à l’acceptation, par les populations européennes, de l’adhésion de la Turquie dans l’hypothèse où elle ferait l’objet de référendums.
[46] On peut toutefois noter que le droit de grève fut reconnu par le Constitution de 1961.
[47] L’Armée turque, forte de 650 000 hommes dont 100 000 de métiers, pris temporairement le pouvoir en 1960, 1971, 1980 et incita le Premier ministre, N. Erbakan, considéré par l’Armée comme islamiste, à la démission en 1997.
[48] Cf. J-L. Balans, « Armée et politique en Turquie ou la démocratie hypothéquée », in Pouvoirs n°115, op. cit.
[49] Dans la soirée du premier tour de l’élection présidentielle, et avant la réponse de la Cour Constitutionnelle, le général Y. BÜYÜKANIT, chef d’état-major des armées, a déclaré aux médias : « En cas de nécessité, les forces armées exprimeront clairement et nettement leur position et agiront en conséquence. Nul ne doit en douter. Tous ceux qui s’opposeront à la conception du grand fondateur de notre République, Atatürk, sont les ennemis de la République et le resteront ». Si l’Armée semble avoir renoncé à agir directement suite à l’élection de A. GÜL, elle s’est toutefois clairement positionnée en vigile de la laïcité et de l’unité républicaine et reste susceptible d’intervenir.
[50] La Commission européenne, dans sa Communication au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663 relève que si « l’armée a tenu publiquement des propos dépassant le cadre des compétences […] les élections à la Grande Assemblée Nationale turque se sont déroulées dans le respect total des règles démocratiques et de l’Etat de droit » et que «  […] la démocratie s’est imposée dans les relations civilo-militaires ».
[51] Jusqu’à la révision constitutionnelle de 2001, le MKG était dominé par les militaires et ses avis, certes consultatifs, étaient généralement suivis dans les faits, en particulier en matière de politique de défense et étrangère, mais aussi en matière de sécurité intérieure. Disposant d’importants moyens matériels, il était l’organe politique des militaires et imposa, par exemple, la démission du Premier ministre Erbakan, et influença aussi grandement la rédaction de la Constitution de 1982, cf. J. Marcou, « Etat et Etat de droit en Turquie », in Pouvoirs n° 115, op. cit., pp. 34-35 et le Rapport d’information de la délégation du Sénat français n° 279. La révision constitutionnelle de 2001 entraîna une profonde modification de la composition du MKG, désormais présidé par le Président de la République, et faisant une place importante aux dirigeants politiques devenus majoritaires: vice-Premier ministre, ministres de la Justice, de la Défense, de l’Intérieur et des Affaires Étrangères… Cette réforme a été poursuivie par la révision constitutionnelle de 2003 supprimant la convocation du MKG par le Chef d’état-major et restreignant les compétences concernant l’intervention des militaires dans les affaires civiles. La Commission européenne, dans sa Communication au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663, souligne et salue la réforme du Conseil national de sécurité contribuant à renforcer le contrôle civil sur l’armée.
[52] Selon S. Alpay, « Vous avez dit laïcité ? », extrait d’un article publié dans le Zaman d’Istanbul, reproduit par Courrier International n° 838 des 23-29 novembre 2006, la grande majorité de la population turque considère que le caractère démocratique du système politique est le meilleur gardien de la laïcité des institutions et que l’Armée n’a pas sa place dans la vie politique du pays.
[53] La conclusion d’un accord de stabilisation et d’association est toutefois un bon indice qui prouve le respect de la clause démocratique contenue dans le traité d’adhésion ; or cet accord a été suspendu durant l’épisode des généraux de 1980 à 1995.
[54] Art. 3 de la Constitution actuelle.
[55] Cette liberté publique, nécessaire au fonctionnement pluraliste des démocraties représentatives, n’est pas une liberté de papier. Si la Cour Suprême dissout régulièrement des partis politiques, le plus souvent au motif qu’ils remettent en cause l’unité de la République turque (nombre des partis dissous sont autonomistes ou séparatistes, comme les partis Kurdes par exemples), ils renaissent presque aussitôt sous un autre nom, cf. le Rapport d’information de la délégation du Sénat français n° 279.
[56] Conseil supérieur de l’Enseignement.
[57] Conseil supérieur de l’Audiovisuel.
[58] Selon le Rapport d’information de la délégation du Sénat français n°279, la liberté d’expression a, depuis 2001, gagné un certain nombre de garanties : les possibilités de censure des œuvres cinématographiques et musicales ont, par exemple, reçu un encadrement judiciaire, les peines encourues ont été allégées et les conditions de la constitution des délits d’opinion durcies.
[59] La réforme de l’art. 301 du Code Pénal turc est de nouveau l’objet des vœux de la Commission européenne dans sa Communication au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663. Elle fait même de l’abolition de cet article une condition sine qua non de l’ouverture du chapitre Justice et droits fondamentaux.
[60] Cf. Communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663.
[61] Cette décision de la Cour Constitutionnelle et l’absence d’intervention de l’Armée, même après le deuxième scrutin parlementaire et l’élection de A. GÜL à la Présidence de la République, tend à satisfaire les exigences mises en avant par le Commissaire européen à l’élargissement, O. REHN, concernant la soumission du pouvoir militaire au pouvoir civil.
[62] Cf. C. Oktay, « Clés pour la modernisation des institutions politiques de la Turquie », in Pouvoirs n°115, op. cit., p. 13.
[63] Le 9 janvier 2004, la Turquie a ratifié le Protocole n°13 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme interdisant la peine de mort en toutes circonstances, même en temps de guerre, la France n’a pas été aussi loin à se jour, même si un projet de loi autorisant sa ratification a été déposé sur le bureau des assemblées en été 2007.
[64] Ces deux éléments participent au respect de la conception européenne de la protection de la vie telle qu’évoquée au Sommet de Copenhague de 1973. A ce tire, la Commission européenne, dans sa Communication au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663, indique que les cas de torture et de mauvais traitements signalés ont connu une nouvelle baisse générale, tout en appelant un renforcement des efforts commencés par Ankara, notamment durant la garde à vue.
[65] Mouvement favorable aux mineurs, inverse des dernières modifications de l’ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante en France…
[66] Sur ce point encore, la Commission européenne, dans sa Communication au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663, souligne les progrès effectués par la Turquie tout en soulignant les progrès à réaliser.
[67] La Commission européenne, dans sa Communication au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663, souligne que l’impartialité du pouvoir continue à poser problème.
[68] Si la Communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663 met le doigt sur le problème de la corruption en Turquie en relevant de « maigres progrès en la matière », on peut noter qu’elle a fait preuve d’un esprit moins critique à l’égard de la Roumanie.
[69] La question de la résolution du litige historique avec Chypre sera traitée dans le B. de la deuxième partie de cette étude.
[70] Cette minorité musulmane est assimilée de force, notamment dans les cours de religion, aux musulmans sunnites, majoritaires en Turquie.
[71] Cf. S. Alpay, « Vous avez dit laïcité ? », op. cit.
[72] La Commission européenne, dans sa Communication au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663, appelle la Turquie à « instaurer les conditions permettant à la population kurde, qui est majoritaire dans la région (du sud-est du pays), de jouir pleinement de ses droits et libertés ». Elle fait le bilan qu’en la matière rien ou presque n’a été fait. Dans la même Communication, la Commission relève qu’en Roumanie, la minorité Rom reste vulnérable dans le pays, ce qui n’a toutefois pas empêché la Roumanie de devenir adhérent en 2007.
[73] Ses opposants en font un argument définitif contre l’adhésion tandis que ses partisans, tel le Président Chirac en voyage officiel en Arménie 2006, qui déclara "Tout pays se grandit en reconnaissant ses drames et ses erreurs à l'image de ce qu'a fait l'Allemagne avec la Shoah. Quand de surcroît il s'agit de s'intégrer dans un ensemble qui revendique l'appartenance à une même société et la croyance en de mêmes valeurs, je pense qu'effectivement la Turquie serait bien inspirée, au regard de son histoire, de sa tradition profonde, de sa culture qui est aussi une culture humaniste, d'en tirer les conséquences », voient dans l’hypothèse de la reconnaissance un argument très favorable pour l’avancée du dossier turc.
[74] Vice-Président du groupe socialiste autrichien au Parlement européen, cité par F. Tasekin, « Voyage au bout de la nuit bruxelloise », extrait du journal turc Radikal, repris par Courrier International n°838, op. cit.
[75] Si le traitement des minorités russophones dans les pays Baltes n’est pas en tout point comparable à celui de la minorité kurde en Turquie, la question a réellement été traitée selon deux poids et deux mesures.
[76] La Turquie faisait, depuis 1996, l’objet d’une procédure de suivi de la part de la Commission de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil ; le 3 mars 2004, au vu des efforts et réformes menés par Ankara, la Commission en question concluait à la levée de la procédure de suivi et à l’ouverture d’une procédure « post-suivi » concernant la reconnaissance des minorités nationales, la lutte contre la corruption, la lutte contre les violences faites aux femmes et le droit à un service civil alternatif du service militaire respectant l’objection de conscience.
[77] Communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen du 6 novembre 2007 COM(2007)663. Elle souligne par ailleurs que les élections législatives et présidentielles ont donné pleinement satisfaction au regard de la démocratie et de l’Etat de droit et que la crise constitutionnelle du printemps 2007 « a eu pour effet de réaffirmer la primauté du processus démocratique ».

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