7 juillet 2008

ANALYSE : L'OMC et le cycle de Doha pour le développement : regards stratégiques et leçons pragmatiques

Jean-Baptiste HARELIMANA 

Le lancement, suite à la 4e Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Doha, d’un cycle de négociations baptisé « Agenda de Doha pour le développement » (ADD) a remis au centre des relations économiques internationales la problématique du développement et les conflits coopérations Nord-Sud. Lancé en septembre 2001, l’agenda de Doha peut être analysé comme la recherche d’un nouveau compromis Nord-Sud en matière de traitement spécial et différencié (TSD) qui repose sur un principe juridico-politique postulant l’impossibilité d’un traitement unique et standardisé pour des pays structurellement différents et l’institutionnalisation d’une discrimination positive dans les relations commerciales multilatérales. Ainsi, il marque un changement dans la logique héritée de l’Uruguay round. 

Sujet de multiples controverses dues à l’inefficacité de sa mise en œuvre, mais évènement incontournable de droit économique international, le cycle de Doha, à l’heure où l’OMC vient de souffler ses douze bougies dans une inquiétude non dissimulée, l’ADD se trouve face à des nœuds cruciaux. La crise alimentaire actuelle, dont on n’a pas encore mesuré les conséquences, met à rude épreuve la corrélation certaine entre mondialisation et croissance économique, et partant, l’agenda de Doha pour le développement.

Pour certains, la crise alimentaire actuelle est l’aboutissement d’une part, d’une pression constante en faveur d’un modèle agricole de type « Révolution verte » depuis les années 1950 et, d’autre part, de la libéralisation du commerce et des politiques d’ajustement structurel imposées aux pays pauvres par la Banque Mondiale et le Fonds monétaire international depuis les années 1970. Ces recommandations politiques ont été renforcées par la mise en place de l’OMC au milieu des années 1990 et, plus récemment, par une avalanche d’accords bilatéraux de libre échange et d’investissement. Ce faisant, les terres fertiles qui servaient aux marchés locaux de produits alimentaires ont été détournées au profit de produits de base destinés au marché mondial ou de cultures de contre-saison. Aujourd’hui, environ 70% des pays dits « en développement » sont des importateurs nets de produits alimentaires. Et sur un total estimé à 845 millions de personnes souffrant de la faim au niveau mondial, 80% sont de petits agriculteurs.

Si le commerce international a de fait accru l’interdépendance entre les hommes, il s’agit principalement d’une interdépendance concurrentielle, régie par une raison calculatrice, déterminée par le souci de maximisation, par chaque partenaire, de ses intérêts particuliers. Et dans la mesure où ces interactions supposent des partenaires ayant des rapports plus ou moins asymétriques dans le mécanisme des échanges, les personnes et les sociétés n’ayant pas grand-chose à proposer semblent irrémédiablement condamnées à la marginalisation. Les pays du Tiers monde, dont on dit que la part dans le commerce mondial représente à peine la proportion de 1%, sont des cibles privilégiés de la voracité de certaines puissances occidentales à la recherche de ressources minières, agricoles, forestières et halieutiques dont ces pays regorgent. C’est d’ailleurs à leurs richesses naturelles que certains de ces pays doivent leurs guerres et leur instabilité. 

La problématique du développement rejaillit sur le commerce international de manière lancinante avec la crise alimentaire actuelle. On peut véritablement parler d’un choc alimentaire, tel que nous avons eu les chocs pétroliers dans les années 1970.  

Le sort que réservera l’OMC, à la fin des négociations du cycle de Doha au dossier tant controversé de l’agriculture aura ainsi un impact majeur. Peu de sujets déchaînent autant les passions et les affrontements. D’un côté, se trouvent les acteurs qui considèrent qu’un produit alimentaire doit être traité comme n’importe quel autre produit. Ces pays et leurs entreprises envisagent l’avenir alimentaire de la planète sur le modèle d’un vaste supermarché global où chacun vendra ce qu’il produit mieux et moins cher que le voisin et achètera tout le reste, selon le sacro-saint principe de l’avantage comparatif. En face, les pays européens - dont la France -, le Japon et quelques pays du Sud refusent de mettre sur le même plan produits agricoles et industriels. Ils insistent sur le caractère particulier de l’agriculture : sa « multifonctionnalité », qui préserve la diversité biologique, protège l’environnement, fait vivre villages et villes moyennes et freine les émigrations rurales massives. 

Cette théorie traditionnelle des avantages comparatifs a été battue en brèche au cours de ces dix dernières années par une nouvelle théorie du commerce international qui la considère comme un modèle d’explication incomplet de la structure contemporaine des échanges. Reconnaissant que les marchés sont imparfaits et qu’il existe des économies d’échelle - ce qui entre en contradiction avec les hypothèses classiques de concurrence parfaite et de rendements d’échelles constants -, ces nouveaux économistes en viennent à justifier, dans certains cas, des interventions publiques sur les flux commerciaux.  

Face à cette crise, les institutions internationales, dont la Banque Mondiale, lancent un cri d’alarme. Robert Rochefort, Directeur général du Centre de recherche pour l’étude des conditions de vie a déclaré qu’ « on est tous coupables : pendant sept années, nous avons consommé plus de matières premières que la production au niveau mondial. Tous ont vu arriver la pénurie sans agir ». Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, qualifie cela de « crime contre l’humanité ». Successeur de Jean Ziegler au poste de rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter appelle les États à dépasser les mesures d’urgence face à une crise dont les causes, rappelle-t-il, sont politiques : « Nous payons vingt ans de politiques désastreuses pour la production agricole dans les pays en développement, et notamment en Afrique sub-saharienne. Beaucoup de ces pays, parce qu’on les a incités à privilégier les cultures d’exportation, sont devenus des importateurs de nourriture alors qu’ils étaient autosuffisants dans les années 1960 et 1970 », poursuit-il. 

Il nous paraît également intéressant de relever les propos de l’économiste américain Paul Krugman qui montrent bien la gravité de la crise actuelle : « Les terres consacrées aux cultures de biocarburants de synthèse ne sont plus disponibles pour les cultures vivrières, ce qui fait que les subventions aux biocarburants sont un facteur majeur dans la crise alimentaire. On pourrait décrire les choses de cette façon : les gens meurent de faim en Afrique afin que les hommes politiques américains puissent gagner des voix dans les États agricoles des USA. » (New York Times, 7 avril 2008). Louis Michel, Commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, prévient : «Un choc alimentaire mondial se profile, moins visible que le choc pétrolier, mais avec l’effet potentiel d’un vrai tsunami économique et humanitaire en Afrique ! ». N’y voit-on pas là un grand échec du cycle de développement ? 

Dans le rapport qu’il a fait au Conseil général le 7 mai 2008, le Directeur général Pascal Lamy a indiqué que, bien que l’OMC ne puisse rien faire dans l’immédiat pour contribuer à régler la crise actuelle, elle peut, par le biais des négociations du Cycle de Doha, fournir des solutions à moyen et à long terme. L’OMC peut apporter une partie de la solution à la crise alimentaire actuelle (www.wto.org/French/news/7 may08). 

Après un demi-siècle de multilatéralisme commercial placé sous l’égide du General Agreements on Tariffs and Trade (GATT, 1947-1994), le cycle de Doha, semblait prendre davantage en considération les aspirations des pays en voie de développement. Destiné à être court, il vient d’entrer dans sa septième année d’existence et la perspective d’une clôture des négociations à court, voire à moyen terme, semble encore incertaine. Si elle n’a jamais compté autant de membres et reste l’enceinte privilégiée dans laquelle les puissances économiques défendent leurs intérêts, l’OMC fait l’objet d’interrogations profondes et est en proie à des grippages internes répétés. Quels sont-ils et quelles sont les stratégies développées par les principaux protagonistes des négociations commerciales pour défendre leurs intérêts ? 

La mise en évidence de cette évolution nécessite de voir le cadrage historique (I), l’analyse des enjeux et stratégies sous-jacents à ce mouvement avec une attention particulière à la question agricole qui a posé et continue de poser de gros problèmes lors des négociations (II) et l’analyse du cycle de Doha et de ses essais ultérieurs (III). 


I. Le cadrage historique et le contexte international 

Depuis la naissance du GATT en 1947, huit cycles de négociations commerciales ont eu lieu jusqu’à la création de l’OMC en 1994. Le cycle de l’Uruguay a considérablement élargi le spectre des discussions commerciales pour l’étendre notamment aux services, à la propriété intellectuelle, à l’agriculture et à l’investissement. Depuis lors, l’OMC a connu quelques revers : l’échec des conférences ministérielles de Seattle (en 1999) et de Cancún (en 2003) a marqué tous les négociateurs. 

Mais l’OMC a retrouvé une nouvelle dynamique avec le lancement du cycle de Doha (qualifié de « cycle du développement ») en novembre 2001, et la relance de ce processus en 2004. Le lancement du cycle de Doha s’est voulu une réponse à la mondialisation excluante des années 1980 et 1990. Il s’inscrit au cœur des projets de coopération Nord-Sud autour de la problématique de la mondialisation comme instrument de lutte contre la pauvreté : Objectifs du millénaire pour le développement (2000), Sommet mondial pour le développement durable (Johannesburg, 2002), Sommet de Monterrey sur le financement du développement (2002). D’autre part, il marque un approfondissement de la concurrence internationale dû pour l’essentiel au rééquilibrage des rapports de puissance et des richesses économiques résultant de l’émergence de quelques économies en développement. 

A cela s’ajoute la contrainte environnementale qui pèse désormais sur les politiques et stratégies de développement. En effet, la dernière décennie – celle qui va de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio, juin 1992) à la 3e Conférence ministérielle de l’OMC (Doha) – a été marquée par la simultanéité de quatre cycles de négociation irrigués transversalement par le thème du développement : un cycle économique et commercial, un cycle culturel, un cycle social et un cycle environnemental. 

1. Le cycle économique 

Le cycle économique correspond à la fin de l’Uruguay Round, aux accords de Marrakech créant l’OMC et au démarrage du Doha Development Round. C’est aussi le cycle du consensus de Washington devenu, sans grandes mutations, le Consensus de Monterrey, qui guide les politiques du FMI et de la Banque Mondiale. La négociation économique et commerciale, organisée pour l’essentiel au sein de l’OMC, est tout entière vouée à la libéralisation de l’économie. Les nombreux accords commerciaux signés dans le cadre ancien du GATT, ou dans celui plus récent de l’OMC, ont tous comme objectif de contribuer à cette libéralisation, de développer le commerce, ce qui doit entraîner, par hypothèse libérale, la croissance économique, le progrès social et la préservation de l’environnement.

La marche vers le développement des échanges de biens, de services et de capitaux va s’accélérant. Le moins que l’on puisse dire est que cette marche se fait sans évaluation sérieuse des impacts des étapes précédentes de cette libéralisation et sous la pression des pays et acteurs économiques puissants, qui ont naturellement intérêt à l’ouverture des marchés. On aimerait savoir dans quelles conditions politiques, économiques, sociales ou territoriales la spirale vertueuse « croissance du commerce-production de richesses-progrès social-préservation environnementale », le win-win-win-win des Anglo-saxons, s’engage véritablement.

Un regard scrutateur constate simplement que la planète est dans un triste état et que les déséquilibres sociaux nationaux et internationaux vont grandissant. Mais la raison de ces piètres résultats est l’objet d’une nouvelle polémique. Pour certains, ces résultats s’expliquent par une libéralisation trop faible et/ou trop lente ; pour les autres, par une libéralisation trop poussée et/ou trop rapide. Le cas de l’agriculture, qui occupe une place centrale dans la négociation commerciale, est significatif. L’avenir d’une moitié de l’humanité et de la plus grande part des ressources naturelles est en jeu. Une libéralisation qui, en plus, est inégalement et déloyalement appliquée par les pays les plus puissants ne dit rien de bon aux paysans qui voient les prix agricoles s’effondrer et leur pauvreté grandir. 

2. Le cycle culturel  

Le cycle culturel, supporté principalement par les gouvernements français et canadien, est un combat qui a pris pour étendard l’exception culturelle avant de prendre celui de la diversité culturelle.

La France, secondée par le Canada, fit la promotion de son nouveau cheval de bataille auprès des États et des gouvernements membres de l’Agence intergouvernementale de la francophonie, évitant ainsi au gouvernement français d’être isolé dans la communauté internationale, tout en donnant un élan à la diversité culturelle dans l’agenda mondial.

Oeuvrant au sein de l’omc pour freiner la libéralisation des produits et services culturels, les pourfendeurs cherchent également, à travers l’unesco, à doter le système international d’une convention internationale sur la diversité culturelle. Depuis une dizaine d’années, la norme de la diversité culturelle, terme non usuel en droit international, s’est « imposée » comme une des priorités de la société internationale. 

La négociation assez rapide d’un projet de convention sur la diversité culturelle, puis son adoption massive en octobre 2005 en témoignent. Il est en effet éloquent de constater que cette convention a été adoptée par 148 États Membres. Les États-Unis, traditionnellement opposés à l’octroi d’un statut particulier aux biens et services culturels en droit international, et Israël ont voté contre son adoption. L’Australie, le Honduras, le Liberia et le Nicaragua se sont abstenus. La convention est entrée en vigueur le 18 mars 2007, soit seulement dix-sept mois après son adoption par la conférence générale et plus de quatre-vingt Parties ont déjà déposé leur instrument de ratification, dont la Communauté européenne. Ainsi, le débat s’internationalise, alors que pendant longtemps il s’était éternisé sur la divergence des points de vue de l’Union européenne et des États-Unis, ces derniers étant favorables à la libéralisation du secteur culturel, notamment audiovisuel. 

L’agriculture et la culture n’entretiennent pas que des rapports étymologiques évidents. La proximité de ces deux secteurs d’activités s’observe notamment à travers l’importante charge culturelle associée à la production, à la consommation et au commerce des produits agricoles. Elles s’inscrivent toutes les deux au cœur des interrogations sociétales et civilisationnelles. 

Tout comme les biens et services culturels, les pratiques agricoles et agroalimentaires et les produits qui sont issus de ces activités sont porteurs d’identités, de valeurs et de sens. Ils ne devraient pas être traités comme ayant exclusivement une valeur commerciale.

Ce constat, jumelé à la perte documentée et dramatique de la « diversité biologique agricole », accentuée notamment par la libération des marchés agricoles, nous mène à rechercher des moyens d’assurer la promotion et la protection de la diversité des pratiques et des produits agricoles, diversité qui participe à la sécurité alimentaire et à la souveraineté alimentaire nationales.

Cependant, contrairement à la situation qui prévalait lors de l’adoption de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, les produits agricoles reçoivent déjà un traitement particulier au sein même de l’OMC qui assure la prise en compte de leur spécificité. De plus, la protection de la diversité biologique agricole est déjà prévue dans certains accords internationaux hors l’OMC. 

D’ailleurs la Déclaration universelle sur la diversité culturelle fait une analogie entre la diversité culturelle et la biodiversité « Source d’échanges d’innovation et de créativité la diversité culturelle est pour le genre humain aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant. En ce sens, elle constitue le patrimoine commun de l’humanité et elle doit être reconnue et affirmée au bénéfice des générations présentes et des générations futures ». 

Si l’intégration de l’État dans des structures supra-étatiques peut être lue comme une perte de souveraineté, le concept de culture peut, quant à lui, ouvrir aux États-nations un champ infiniment large pour leur action politique. La Convention internationale sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles semble un exemple caractéristique d’une tentative de reconquête politique des États sur la souveraineté. Cette convention, s’inspirant du concept vaste et flou de culture, met en avant une potentialité pour les États qui le souhaitent de garder une marge de manœuvre sur la définition et la réalisation de leurs politiques culturelles. 

Dès 1992, l’UNESCO s’est penchée sur les différents enjeux soulevés par les biens et les services culturels, ainsi que sur la problématique touchant la relation commerce-culture à travers le travail de la Commission mondiale sur la culture et le développement, (ONU/UNESCO) présidée par Javier Pérez de Cuéllar. Son rapport intitulé « Notre diversité créatrice », a abordé les liens entre culture, créativité et économie et mis en avant l’importance de préserver la variété des cultures et de ses modes et moyens d’expression. Depuis, la vie internationale s’est enrichie de plusieurs déclarations ayant pour centre d’intérêt les échanges culturels et la préservation de la diversité culturelle. Ces dernières déclarations, pour positives qu’elles soient, n’apportent pas la solution définitive à un ordre mondial maîtrisé relatif au développement des échanges culturels et à la promotion des industries culturelles. 

Le cycle culturel a été donc l’objet d’une longue guerre en trois batailles. La première prit place dans le cadre des négociations du Cycle de l’Uruguay (1986-1994). L’aboutissement de ces négociations ne résulta pas en l’obtention d’une exception culturelle en tant que telle, mais plutôt en une permission accordée aux États membres à s’engager selon leur bon vouloir et en la possibilité d’obtenir des exemptions au traitement de la nation la plus favorisée pour les accords de co-production existants. Autrement dit, il s’agissait d’une sorte de sursis, puisqu’elle demeure à l’ordre du jour des négociations.

La seconde bataille s’est inscrite à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) alors que celle-ci fomentait, en 1998, le projet d’un Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). La résistance à l’inclusion d’une clause d’exception culturelle dans l’AMI poussa la France, en octobre 1998, à se retirer des négociations.

La Conférence ministérielle de Seattle, en 1999, entama la troisième étape. Les mois précédant la réunion accouchèrent d’un revirement d’argumentation de la part de la Communauté européenne. Ses représentants remplacèrent la notion d’exception culturelle par celle de diversité culturelle. D’un point de vue analytique, il faut souligner que c’est l’émergence de la diversité culturelle dans le régime commercial qui a fait basculer le débat vers l’UNESCO.

Dans la foulée, le Canada mit sur pied deux réseaux afin de contribuer à l’émergence de la diversité culturelle en tant que norme internationale : le réseau international sur la diversité culturelle (RIDC) dont le mandat était d’obtenir la participation de la société civile, et le réseau international sur la politique culturelle (RIPC) qui créait une structure intergouvernementale pour la promotion de la diversité culturelle. 

3. Le cycle social 

Le cycle social a connu bien des étapes pendant cette décennie, des étapes proposées par l’Organisation des Nations Unies et ses différentes agences. Les Conférences des Nations Unies du Caire (Population), d’Istanbul (Habitat), de Pékin (Droit des femmes), de Rome (Alimentation), répétées cinq ans après pour faire un premier bilan et constater, en général, que les perspectives tracées et approuvées par la communauté des gouvernements restent lettre morte, ont abouti à la Conférence du Millénaire de New York et aux « Millenium Development Goals », les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Ces objectifs, de caractère social, s’expriment de manière simple par la réduction de moitié d’ici 2015 des indicateurs de pauvreté : réduction de 50% du nombre de personnes souffrant de la faim (évaluées à 800 millions de personnes), d’enfants, particulièrement de filles, non scolarisés, de personnes n’ayant pas accès à l’eau (la Conférence de Johannesburg a ajouté l’assainissement), du taux de mortalité infantile… Ces objectifs sont tout simplement le rappel des droits sociaux considérés comme universels et inscrits dans un Pacte international additionnel lié à la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Les agences concernées ont, dans la foulée, évalué les budgets jugés nécessaires pour atteindre ces objectifs : 30 milliards de dollars pour réduire la faim, 200 milliards pour l’accès à l’eau.

Depuis sept ans, aucun des chiffres correspondant aux indicateurs sociaux et aux aides publiques n’a bougé dans les directions souhaitées. Les politiques sociales internationales ou de solidarité internationale sont en panne et l’économie-monde continue à exclure des centaines de millions de personnes, sans que celles-ci aient la possibilité de se réinsérer dans des économies locales de plus en plus déstructurées. 

4. Le cycle environnemental 

Le cycle environnemental, qui devait être la grande affaire de la décennie, a été initié à Rio (Sommet de la Terre, juin 1992) et a été provisoirement conclu à Johannesburg (Conférence des Nations Unies sur le développement durable, septembre 2002). Durant cette décennie, les gouvernements et les neuf familles d’acteurs déclarés majeurs devaient mettre en œuvre un plan de marche – l’Agenda 21 – et deux grandes conventions internationales – la Convention sur les changements climatiques et celle sur la diversité biologique. Chaque année, la Commission pour le développement durable (CDD) s’est réunie à l’ONU pour évaluer les progrès de la mise en place des recommandations de l’Agenda 21 alors que des conférences étaient organisées par les instances en charge de l’application des deux conventions. D’un côté, la Conférence de Kyoto, de l’autre, celle de Leipzig ont jeté les bases d’une mise en œuvre des deux conventions. Des négociations spécifiques, comme celles portant sur le principe de précaution aboutissant à l’accord de Carthagène ou celles portant sur l’exploitation des ressources phytogénétiques, ont permis quelques avancées théoriques.

Néanmoins, force est de constater que, après quinze ans de tractations, les accords majeurs n’ont pas même été ratifiés par un nombre suffisant de pays, ni par certains pays majeurs et responsables des atteintes les plus graves contre l’environnement mondial. De fait, le raisonnement écologique, lorsqu’il entre en contradiction avec la logique commerciale, ce qui est pratiquement toujours le cas, doit s’effacer. Le droit environnemental n’est pris en considération que s’il ne contredit pas le droit commercial. Pourtant, une conscience environnementale continue de se manifester dès que des catastrophes naturelles ou accidentelles (marées noires, tempêtes, inondations ou canicules) viennent frapper nos pays. Des événements sont organisés, des discours prononcés pour assurer aux citoyens que les gouvernants ont eux aussi conscience des terribles dangers que court la planète.

Nous allons voir à présent quelles sont les stratégies développées par les principaux protagonistes des négociations commerciales pour défendre leurs intérêts. 


II. La redistribution des cartes 

Face à l’émergence de ces nouveaux acteurs, qui créent un nouveau rapport de force au sein de l’OMC, les pays industrialisés (les États-Unis et l’Union européenne en tête) ont réajusté leur stratégie. Plutôt que de s’attaquer directement à l’alliance nouée entre les pays du G20, dans laquelle certains voient un moyen de redonner vie au concept de nouvel ordre économique international, tant l’Union européenne que les États-Unis cherchent à jouer à la fois la carte de la coopération et la carte des relations privilégiées avec certains pays. Cette nouvelle tactique, qui s’apparente à la stratégie « diviser pour mieux régner », vise à détacher les pays du G20 dans des dossiers cruciaux. 

1. La politique commerciale de l’Union européenne 

Dès la naissance de la Communauté économique européenne en 1957, la politique commerciale a été élevée au rang de politique commune, au même titre que la politique agricole, de concurrence et de transport. Ceci reflète l’importance fondamentale que revêt le commerce, considéré comme moteur de la compétitivité et de la croissance, dans le processus de construction européenne. Depuis ses débuts, la politique commerciale commune repose sur la conviction que l’ouverture des marchés et l’élimination progressive des obstacles aux échanges engendrent la paix, la prospérité économique, le bien-être de la population et l’élimination de la pauvreté. Par ailleurs, l’Union européenne demeure tributaire du commerce international, que ce soit pour les importations d’énergie, de produits de base, etc.

Pour ces diverses raisons, l’Union européenne est devenue un fer de lance de la libéralisation des échanges dans le monde. Actuellement, sa politique commerciale s’articule autour de trois axes principaux.

Tout d’abord, l’UE affiche l’objectif de mener une politique commerciale au service du développement durable. Ensuite, plaidant pour l’approfondissement de la coopération commerciale multilatérale, l’UE défend sans relâche la poursuite de l’ouverture des marchés dans l’enceinte de l’OMC. Enfin, tout en revendiquant l’élaboration de règles commerciales multilatérales, elle accorde une importance majeure au réseau d’accords commerciaux bilatéraux qu’elle a tissé au fil du temps avec différents pays et différentes régions à travers le monde, accords qui visent à éliminer les entraves aux échanges tout en poursuivant des objectifs variés (promouvoir le développement, encourager l’intégration régionale, rechercher la sécurité politique, etc.).

Pour atteindre ces objectifs, la Commission européenne s’est vue attribuer un rôle clé, puisque c’est elle qui négocie directement, au nom de l’UE, dans les forums internationaux.

Plus concrètement, c’est elle qui fait des propositions d’accords commerciaux au Conseil européen, qui l’autorise à ouvrir les négociations nécessaires. Une fois mandatée par le Conseil, la Commission conduit les négociations commerciales en consultation avec un comité spécial (Comité 133) désigné par le Conseil pour l’assister dans cette tâche.

Si elle dispose d’une marge de manoeuvre pour négocier, sa tâche s’en trouve compliquée lorsqu’elle négocie sur des questions sensibles, comme c’est le cas pour le dossier agricole, sur lequel les 25 États membres peinent à accorder leurs points de vue. Pour éviter de se voir reprocher par un État membre d’avoir outrepassé son mandat (par exemple en offrant trop de concessions sur l’ouverture des marchés européens), la Commission se doit de respecter le mandat général qui lui a été confié et qui résulte d’un compromis entre les intérêts nationaux des États membres de l’UE. Pour sa part, le Parlement européen ne joue presque aucun rôle en ce qui concerne la formulation du mandat de négociation, si ce n’est par le biais de résolutions qu’il adopte, mais qui n’ont aucune valeur contraignante. 

2. La politique commerciale des États-Unis 

En tant que première puissance commerciale mondiale, les États-Unis ont toujours âprement défendu la libéralisation des échanges, ce qui en fait l’allié naturel de l’Union européenne au sein de l’OMC. En outre, les relations commerciales transatlantiques sont intenses : elles représentent le plus gros volume d’échanges commerciaux et d’investissements bilatéraux du commerce mondial et sont estimées à 600 milliards d’euros.

À l’occasion de chaque sommet entre l’UE et les États-Unis, le projet d’instaurer un « marché transatlantique » progresse. L’objectif est de multiplier les coopérations dans des domaines divers (innovation, recherche et développement, services, investissement, concurrence, nouvelles technologies, adoption de normes communes et harmonisation réglementaire) afin de créer une forme de marché unique.

Pourtant, les querelles commerciales transatlantiques sont nombreuses et concernent un ensemble de secteurs sensibles et stratégiques, tels que la sidérurgie, l’aéronautique, l’agriculture, etc. Avec le temps, ces contentieux, qui sont largement médiatisés, ont tendance à se multiplier, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, parce que le champ des négociations commerciales s’est considérablement élargi par rapport au GATT, ce qui multiplie les risques de conflit. Deuxièmement, parce que l’UE développe sa propre approche sur des thématiques comme l’environnement, la santé publique, le social, la culture et, de manière plus générale, sur la régulation de l’économie. Troisièmement, parce que les États-Unis ont tendance à adopter des décisions protectionnistes à caractère unilatéral pendant les périodes de crise économique, malgré leurs discours en faveur du libre-échange. Quatrièmement, parce que la question de la liberté d’action et de la souveraineté nationale, deux principes auxquels les États-Unis sont viscéralement attachés, sépare Washington de l’Union européenne.

En tant qu’unique superpuissance, les États-Unis en appellent de plus en plus à leur liberté d’action et à leur souveraineté depuis l’arrivée des néoconservateurs au pouvoir sous l’administration Bush, tandis que les Européens s’engagent dans la voie inverse par le biais de l’intégration européenne accrue. Prompts à jouer la carte de l’unilatéralisme dans la poursuite des intérêts nationaux, les États-Unis acceptent de jouer la carte du multilatéralisme pour autant que cela serve leurs intérêts. Par contre, si les organisations internationales se trouvent sur la route de la puissance américaine, celle-ci tente de les contourner, car son ambition n’est pas d’établir un ordre international régi par le droit, où le respect du multilatéralisme serait la norme.

Dans cette logique, l’impact des règles de l’OMC sur les États-Unis, qui ont été condamnés à plusieurs reprises par l’Organe de règlement des différends (ORD) ces dernières années dans des dossiers importants (acier, coton, foreign sales corporations, loi anti-dumping de 1916…), risque de les détourner à terme de ce système commercial mondial basé sur le multilatéralisme. C’est la raison pour laquelle, depuis l’enlisement des négociations multilatérales au sommet de Cancún, la tactique américaine passe davantage par des négociations commerciales bilatérales qui leur permettent d’obtenir plus de concessions que dans le cadre de l’OMC, notamment lorsqu’ils négocient de manière bilatérale avec des pays peu développés. 

3. La montée en puissance des pays du Sud et des pays émergents 

Progressivement, les pays en voie de développement ont émergé en tant qu’acteurs à part entière au sein de l’OMC et ont fait preuve d’une grande fermeté lors des dernières négociations commerciales pour faire entendre leurs revendications.

Ils forment certes un groupe hétéroclite, tant les situations économiques varient selon les pays. Dans ce groupe, des puissances telles que l’Inde, la Chine et le Brésil côtoient des pays qui entrent dans la catégorie des pays les moins avancés (PMA). Mais ils partagent des intérêts manifestes et une certaine analyse commune des rapports commerciaux à l’échelle internationale. Ainsi, ils estiment généralement que la mondialisation apporte actuellement des bénéfices disproportionnés aux pays occidentaux, aux dépens du monde en développement. Les plus faibles d’entre eux dressent un bilan négatif de l’ouverture des marchés, qui n’a ni réduit la pauvreté, ni promu leur développement. Ils dénoncent aussi la politique des « deux poids, deux mesures » des pays riches à leur égard. S’ils insistent pour que les PVD ouvrent leurs marchés à leurs produits, les pays industrialisés continuent d’entraver l’accès de leurs propres marchés aux produits pour lesquels les pays en développement sont compétitifs, comme c’est le cas dans les secteurs du textile, de l’habillement et de l’agriculture.

En outre, les PVD protestent contre le fait que les pays industrialisés les privent du temps d’adaptation nécessaire pour mettre en place les accords existants au sein de l’OMC et leur interdisent de protéger leur secteur industriel naissant. De même, les pays en voie de développement dénoncent le recours abusif aux mesures anti-dumping (destinées à contrer le dumping social ou environnemental en provenance des pays du Sud), dans lequel ils voient un protectionnisme déguisé de la part des pays industrialisés.

En dépit de ces intérêts communs, les PVD forment un ensemble hétérogène et poursuivent des objectifs contradictoires. Par exemple, ceux d’entre eux qui ont rejoint le groupe de Cairns 58, groupe de pays exportateurs de produits agricoles, ont des intérêts diamétralement opposés à ceux d’une série de pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) qui sont des importateurs nets de biens alimentaires.

Ainsi, tandis que les premiers préconisent l’ouverture des marchés pour les produits agricoles, les seconds défendent leur droit de protéger leur propre production agricole au nom du principe de souveraineté alimentaire, selon lequel il doit être possible de produire et de consommer localement sa nourriture. Ces spécificités se sont d’ailleurs traduites par l’émergence de groupes distincts à Cancún. À côté du G20 (mené par le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud), qui exige notamment la fin des subventions agricoles des pays riches (USA et UE en tête), s’est constitué le G90 (90 États du groupe ACP, de l’Union africaine et des pays les moins avancés), qui s’oppose à l’ouverture de négociations sur les « matières de Singapour ».

Cependant, tout en ayant des intérêts différents sur certains dossiers, ces groupes ont fait front commun à Cancún et ont résisté aux multiples pressions des États-Unis et de l’Union européenne pour ouvrir leurs marchés, estimant que leurs intérêts étaient insuffisamment pris en compte.

Les pays industrialisés ont tenu compte de l’émergence du G20, qui crée un rapport de force nouveau au sein de l’OMC : mené par des pays comme l’Inde, la Chine et le Brésil, le G20 représente plus de la moitié de la population mondiale. Plutôt que de s’attaquer directement à l’alliance nouée entre les pays du G20, dans laquelle certains voient un moyen de redonner vie au concept de nouvel ordre économique international, tant l’Union européenne que les États-Unis cherchent à jouer à la fois la carte de la coopération et la carte des relations privilégiées avec certains pays, de manière à les détacher du G20 dans des dossiers cruciaux.

Ainsi, l’UE a bien compris qu’elle devait faire des concessions sur le dossier agricole, principal contentieux avec le G20, en échange de quoi les pays du G20 seraient disposés à faire de réelles concessions pour ouvrir leurs secteurs des services aux multinationales européennes et américaines. Les États-Unis et l’Union européenne ont dès lors fait de l’Inde et du Brésil leurs interlocuteurs principaux, pour constituer avec l’Australie le G5 (UE, USA, Australie, Brésil, Inde) sur les questions agricoles à l’OMC.

Il reste que, face aux fortunes diverses des négociations à l’OMC, tant l’Union européenne que les États-Unis sont prêts à avoir de plus en plus recours aux accords bilatéraux pour obtenir les concessions recherchées en matière d’ouverture des marchés. Les pays en voie de développement risquent d’être les premiers perdants de cette nouvelle stratégie, car leurs intérêts sont d’autant mieux pris en compte qu’ils forment un bloc uni. Pour cela, la préservation des négociations commerciales dans un cadre multilatéral s’impose, ce qui fait de ces pays, à cet égard, des défenseurs de l’OMC. 

4. La montée en puissance de la société civile 

La présence et l’activisme de nombre d’ONG est une caractéristique de l’évolution récente du multilatéralisme, de plus en plus marqué par leur influence. Les ONG mettent en avant le développement, et particulièrement le développement des pays qui ont le plus de difficultés économiques. Plutôt que l’accélération de la mondialisation économique et financière, dont le moteur est la libéralisation des échanges des biens, des services et des capitaux, les ONG soutiennent des voies spécifiques qui peuvent permettre à des processus de développement local, national ou régional de s’initier et de se renforcer.

La mise en compétition de tous les acteurs économiques du monde dans le cadre d’un marché mondial intégré ne peut être bénéfique qu’à ceux qui disposent des armes pour s’imposer aux autres. Elle condamne les faibles. Pour être constructive, une compétition – si compétition il doit y avoir – nécessite que les handicaps soient pris en compte et qu’une régulation s’impose face à la loi de la jungle. En matière de régulation, les ONG défendent l’équité et, en l’occurrence, l’équité n’est pas « une règle unique pour tous », mais doit offrir « à chacun sa chance de développement ». 

Pour saisir leur chance, les acteurs économiques les plus modestes doivent disposer d’un « espace économique », c’est-à-dire avoir accès aux facteurs de production et à un marché leur permettant de vendre les biens ou les services qu’ils produisent. L’économie-monde n’est pas faite pour ces acteurs économiques modestes qui représentent pourtant la plus grande part de l’humanité, à commencer par les paysans qui en constituent déjà la moitié. Les ONG mènent campagne contre la pression des pays les plus puissants, contre celle des institutions financières et commerciales internationales, contre l’orientation des programmes d’ajustement structurel, définis dans un contexte d’endettement et poussant les pays à adopter des politiques d’insertion dans l’économie mondiale sans même se préoccuper des conditions qui pourraient rendre une telle insertion positive pour le développement national. 


III. Le cycle de Doha et ses essais ultérieurs 

1. Le cycle de Doha et autres programmes de développement, un mariage de raison ? 

Les accords de Marrakech précisaient que des négociations devaient, dans les six ans après leur entrée en vigueur, être entamées dans trois secteurs particuliers que sont l’agriculture, le commerce des services, ainsi que certains aspects relatifs au commerce des droits de propriété intellectuelle. De telles négociations auraient du être lancées par la Conférence de Seattle en 1999. Cependant, du fait de l’échec de cette dernière, il a fallu attendre la Conférence de Doha en 2001 pour que ces trois secteurs soient repris dans des négociations. 

A la Conférence ministérielle qui s’est tenue à Doha, il a été convenu d’un agenda bien précis à suivre, l’Agenda de Doha pour le Développement, qui accorde une attention toute particulière à l’agriculture. La déclaration adoptée lors de la quatrième Conférence ministérielle à Doha en novembre 2001 se structure en dix-neuf points : 
- les grands piliers traditionnels de la négociation (agriculture, produits industriels, services, aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) ;
- les quatre sujets dits de « Singapour » (parce qu’ils ont été introduits dans les négociations par la Conférence de Singapour en 1996) : commerce et investissement, commerce et concurrence, transparence des marchés publics, facilitation des échanges ; 
 - des thèmes plus particulièrement destinés à la prise en compte de la situation spécifique des pays en développement, le plus important étant la discussion sur les modalités du traitement spécial et différencié qui doit être réservé à ces pays. 

Malgré tous les acquis, le Cycle de l’Uruguay a été à l’origine d’une grande déception pour les PVD. Ils ont été déçus, tant au niveau procédural que substantiel, de leur participation aux différents cycles de l’OMC. Premièrement, ils ont eu l’impression, à juste titre, d’avoir été largement exclus des aspects procéduraux les plus importants des négociations. Deuxièmement, ils ont estimé que les décisions prises favorisaient les pays développés à leurs dépends, tandis que la plupart des décisions prises à leur avantage, telles que le libre accès au marché pour les produits agricoles, le textile ou les chaussures, ont fait défaut au niveau de la réalisation concrète.

Il n’est donc pas étonnant que le commerce international et le développement, qui se côtoient dans le champ lexical du nouveau discours, finissent par être considérés comme nécessairement complémentaires. Comme l’a souligné le Directeur général de l’OMC Supachai Panitchpakdi, le cycle de Doha doit être mené de façon à répondre aux Objectifs du millénaire pour le développement (PNUD, 2003) concernant la lutte contre la pauvreté. La question transversale du « traitement spécial et différencié » a aussi été annoncée comme centrale. 

Lors du Sommet mondial pour le développement durable, qui s’est tenu à Johannesburg en septembre 2002, une année après Doha, la communauté internationale a réaffirmé sa volonté de promouvoir le développement durable comme principe d’action politique et comme objectif à atteindre à l’aube du 21e siècle (Quenault, 2003). L’objectif de développement durable suppose en effet que les biens publics mondiaux soient garantis, tels que la protection de l’environnement global, l’équité et la justice sociale, la diversité culturelle ou les droits fondamentaux de la personne ; ensemble de questions que l’on retrouve avec une acuité particulière au sein des négociations commerciales multilatérales. Les débats autour de cette notion témoignent de la nécessité de renforcer la régulation économique mondiale, d’encadrer par des règles et des normes autres que strictement commerciales le processus d’intégration économique et les échanges internationaux. 

L’équation commerce et développement est perçu différemment : si, pour certains, il s’agit avant tout de l’agriculture, pour d’autres, il s’agit de l’ « aide pour le commerce » (ou le renforcement des capacités), de la préservation de l’espace politique ou encore de l’accès au marché (considéré nécessaire par le renforcement des capacités). 

Les PVD ont ainsi réussi à imposer leurs préoccupations et leurs sujets de négociations. Ils ont amené le sujet très sensible qu’est l’agriculture comme sujet principal. Et ceci, malgré la réticence de nombreux pays développés qui favorisent toujours une politique très protectionniste en la matière. Les négociations relatives à l’agriculture sont aujourd’hui considérées comme la clé de voûte du cycle de Doha, l’élément central, primordial qui doit être tranché par les membres de l’OMC pour pouvoir continuer le travail collectif.

Tout ceci contribue à faire des négociations du cycle de Doha un cycle très différent des précédents. Une première extériorisation de ce changement a été visible dans la nomination, après maintes discussions et transactions, du docteur Spatial Panitchpakdi en tant que Directeur général de l’OMC de 2002 à 2005. Il s’agissait du premier chef de l’OMC, et avant cela, du premier Secrétaire du GATT, ressortissant d’un PVD, à savoir la Thaïlande. 

Après deux ans de négociations sur différents sujets délicats, on a cependant dû conclure à un nouvel échec au niveau de la réalisation d’objectifs concrets. Toutefois, le mouvement était tout de même lancé. Ces négociations ont, par la suite, été améliorées dans plusieurs conférences ministérielles. 

2. Cancún, Mexique 

La cinquième Conférence ministérielle à Cancún (Mexique), du 10 au 14 septembre 2003, avait pour but d’organiser une réunion qui poserait les bases des futures négociations.

Cependant, lors des négociations, l’alliance traditionnelle des producteurs agricoles s’est transformée en une réaction massive contre la proposition États-Unis-Union européenne d’août 2003 et les contre-propositions d’un groupe de PVD connu plus tard sous le nom de G20 et représentant plus de la moitié de la population mondiale. L’émergence de ce groupe mené par le Brésil, la Chine et l’Inde a fortement compliqué les négociations. Le débat fut transformé en une discussion Nord-Sud, impliquant l’agriculture qui constitue l’un des sujets les plus sensibles de l’Agenda de Doha.
Il est clairement apparu le besoin d’une volonté politique forte pour mener les négociations et réussir à surmonter ce clivage Nord-Sud qui a conduit à un nouvel échec. De plus, il est à noter que dans l’ébauche de texte, il y avait manifestement une volonté de continuer dans la même idéologie de Doha, même en ce qui concerne l’agriculture. Et bien que cette déclaration se limite à des propos plus que généraux, dont aucune règle concrète ne peut être tirée, il faut admettre que cette volonté est bien présente dans les esprits, malgré tous leurs problèmes techniques. 

3. Accord-cadre de juillet 2004, à Genève 

Après l’échec de Cancún, les membres de l’OMC, à Genève, firent des efforts pour reprendre les négociations et remettre le reste de l’Agenda de Doha sur les rails. Le travail s’est fortement intensifié pendant la première moitié de 2004, avec une nouvelle date butoir pour arriver à un accord sur un certain nombre de sujets, à savoir le 30 juillet 2004. La première ébauche de ce futur accord fit son apparition le 16 juillet. A partir de là, les membres ont commencé à négocier de façon intensive dans différentes formations.
Un Accord-cadre fût finalement trouvé le 1er août 2004. Il constituait un document préparatoire à de nouvelles négociations, incluant un accord sur différents sujets relatifs à l’agriculture, notamment des réductions tarifaires effectuées selon une formule étagée prenant en considération les différentes structures tarifaires des membres de l’OMC. L’idée était de réduire les prix, en commençant par ceux qui accordent le plus d’aide, telle que l’Union européenne, et qui doivent donc effectuer un effort plus grand, vers les pays qui disposent de moins de possibilités d’aider leurs producteurs, tout ceci en admettant une flexibilité pour certains produits sensibles. La fraction précise de la formule étagée avec un traitement distinct pour les produits sensibles allait être évaluée ultérieurement. L’Accord-cadre définissait également des paramètres pour une réduction importante des aides agricoles ayant un effet de distorsion sur le commerce, l’élimination des pratiques à l’exportation qui faussent les échanges et une réduction importante des droits de douane sur les produits agricoles. 

4. Hong-Kong 

 La Conférence ministérielle tenue en décembre 2005 à Hong-Kong a de nouveau montré que le processus de négociation au sein de l’OMC est devenu plus complexe en raison de la prise en compte de sujets dépassant la liberté des échanges. Cette organisation peut donc être considérée comme l’espace politique le plus important du système mondial, au moment même où l’appropriation du débat relatif au libre-échange par les États, les syndicats et la société civile dément de manière éclatante l’idée d’une mondialisation mal régulée confiée aux seules forces du marché.

Au demeurant, cette politisation accrue de l’OMC est dûment justifiée. Elle trouve son origine dans le fait que l’accélération significative du commerce et des investissements internationaux intervenue dès le début des années 1990 s’est accompagnée d’une interférence accrue entre les enjeux commerciaux et des préoccupations sociales, culturelles et environnementales. Dans un tel contexte, l’OMC se trouve confrontée à la difficulté d’arbitrer entre les intérêts si divers qui s’y expriment.

Un échec supplémentaire à Hong-Kong, après le retentissant échec du sommet de Cancún en septembre 2003, aurait alors signifié une panne durable de l’OMC et réduit à peu de chose sa place dans la gouvernance mondiale. 

Le compromis trouvé à Hong-Kong a permis d’éviter que ne l’emportent les tentations protectionnistes, parfois lourdes de relents nationalistes, et la marginalisation des pays les plus pauvres. Le contexte n’est, à cet égard, pas sans risque. La croissance mondiale est certes soutenue, mais elle est commercialement et financièrement très déséquilibrée. Elle ne repose que sur deux « moteurs », les États-Unis et la Chine, faute de dynamisme suffisant en Europe.

L’obtention de résultats significatifs à Hong-Kong était en fait très difficile, et ce, pour plusieurs raisons. La théorie du libre-échange nous enseigne que l’ouverture est mutuellement avantageuse dès lors que le système commercial international est régi par la règle de l’avantage comparatif, qui consiste précisément à dire qu’il faut abandonner à d’autres ce que les autres produisent moins cher ou mieux pour se concentrer sur ce que l’on fait mieux que les autres. Les pays en développement dégageraient alors des excédents commerciaux pour les biens traditionnels tandis que les pays développés se spécialiseraient dans la production de biens et de services à forte valeur ajoutée.

Mais, en fait, la règle de l’avantage comparatif n’est pas la seule qui prévaut à l’OMC. En effet, les négociations au sein de cette organisation se font selon une approche mercantiliste, construite sur le principe d’un échange réciproque de concessions par les États. Or, il est incontestable que les règles et les enjeux du commerce mondial n’ont rien à voir avec cette approche de la négociation fondée sur le consensus.

Par ailleurs, si l’exploitation des avantages comparatifs est globalement bénéfique, elle a du mal à produire des effets équivalents sur tous les bénéficiaires potentiels. En l’occurrence, des études récentes révèlent qu’une grande partie des gains attendus d’une libéralisation des marchés agricoles concernerait avant tout les grandes puissances en développement du groupe de Cairns (Brésil, Argentine, Afrique du Sud…) qui bénéficient d’avantages agricoles évidents. Mais on ne peut ignorer pour autant le gain qu’auraient tiré des pays pauvres de l’Afrique sub-saharienne et d’autres pays en développement de la hausse du prix mondial du coton suite à un démantèlement total de la protection américaine. Selon la Banque mondiale, le montant de leurs exportations aurait augmenté de 10%. Toutefois, il convient de noter que la hausse des prix agricoles mondiaux consécutive à l’élimination de toutes les formes de subventions aurait conduit à la détérioration des balances commerciales des pays les plus pauvres, qui sont importateurs nets de denrées agricoles.

En outre, ceux d’entre eux qui bénéficient d’accords préférentiels verraient leur situation relative affectée par la baisse des protections dans les pays développés. Quant à ces derniers, le bénéfice économique global aurait été également avéré, mais modéré. Les ménages auraient profité d’un surcroît de pouvoir d’achat à la suite de la baisse des prix intérieurs.

De même, sur la question de l’accès aux marchés non agricoles, le secteur du textile, marqué par l’abolition des quotas depuis le 1er janvier 2005, illustre parfaitement l’importance des effets redistributifs de la libéralisation du commerce international de produits textiles, en particulier entre les pays du Sud. Cette libéralisation, qui bénéficie déjà à la Chine, contribue à limiter la part de marchés des producteurs bénéficiant jusque-là de quotas, comme les pays méditerranéens et d’autres pays pauvres dont le commerce extérieur dépend presque exclusivement du textile, tels que le Bangladesh, le Sri Lanka et le Cambodge.

Or, l’inquiétude née de la percée chinoise sur le marché de l’habillement vient surtout de ce qu’elle paraît présager des produits chinois dans d’autres secteurs d’activité. En effet, la Chine, avec son réservoir de main-d’œuvre et un accès facile aux capitaux, peut, sur la plupart des activités manufacturières à technologie faible ou moyenne, se trouver en situation de quasi-monopole et éliminer, grâce à des rendements d’échelle encore croissants, la plupart des autres nations participant aux échanges sur ces produits. C’est d’autant plus préoccupant pour l’OMC que les pays en développement directement concurrencés par la Chine ne peuvent réagir dans le cadre des règles actuelles.

La règle de l’avantage comparatif est par ailleurs mise à mal, voire remise en question, par l’importance croissante prise par les considérations non économiques dans les négociations commerciales, comme cela a d’ailleurs été observé lors des sommets de l’OMC à Seattle et à Cancún. 

Tel est le cas de l’agriculture, qui reste l’une des pierres d’achoppement du cycle de Doha. L’élimination programmée des subventions à l’exportation pour la fin 2013 ne constitue en fait qu’un progrès très limité, les montants concernés n’atteignant pas trois milliards de dollars. De nombreux pays européens – la France en première ligne – défendent sa multifonctionnalité, soutenant l’idée que les mécanismes du marché ne sauraient suffire pour atteindre les multiples objectifs que la société assigne à l’activité agricole au-delà de la seule production de produits agricoles. Le protectionnisme agricole affiché par ces mêmes pays constitue par ailleurs un véritable défi à leur démocratie, dans la mesure où il est sans doute mal compris par l’opinion publique. Il s’expliquerait davantage par la puissance des lobbies que par une volonté de solidarité envers le monde agricole, qui réclamerait alors des politiques agricoles bien différentes de celles en place aujourd’hui, plus offensives et davantage axées sur la qualité des produits et la protection de l’environnement.

Si le commerce mondial est à l’évidence un puissant moteur de développement et si aucun pays ne s’est développé les frontières fermées, l’expérience du Japon, de la Chine, de l’Asie du Sud-Est, et maintenant de l’Inde, prouve que l’ouverture commerciale ne doit pas être une fin en soi. Sans réformes institutionnelles et sociales internes, elle renforcera les déséquilibres sociaux, comme le montre de manière spectaculaire l’exemple du Mexique. Dans ce pays, les niveaux de vie sont encore très loin de la moyenne de l’OCDE et, bien qu’elle ait reculé au cours des cinq dernières années, la pauvreté reste répandue. Le coût social de l’ouverture ne peut donc être ignoré. D’où le rôle majeur de l’aide publique pour le commerce et, plus généralement, des stratégies de facilitation du commerce international dans les pays pauvres pour permettre aux avantages de la libéralisation commerciale d’être exploités pleinement.

A Hong-Kong, la tâche de Pascal Lamy a été des plus ardues. Il lui revient le mérite d’avoir sauvé les négociations commerciales et d’avoir permis à l’OMC de recouvrer un brin de crédibilité pour conduire son indispensable réforme. La règle du consensus a incontestablement fait son temps. Conjuguée à la surcharge de l’agenda commercial par des considérations non marchandes, cette règle risque en effet de figer à terme l’OMC. Cela sera alors sans doute très dommageable, parce qu’un accord final équilibré et ambitieux du cycle de Doha constituera un formidable soutien à la croissance économique mondiale. Les modèles donnent, à cet égard, des estimations variées quant à leur ampleur car sensibles aux hypothèses mais convergentes sur le sens des conclusions. Les avantages pour l’économie mondiale d’un commerce fondé sur des règles multilatérales sont difficiles, sinon impossibles, à mesurer, mais paraissent incontestables.

Dans ces conditions, les gouvernements devraient s’engager dans une pédagogie du libre-échange plutôt que de médiatiser des postures défensives qui ne font qu’alimenter le scepticisme des opinions. La mondialisation implique, en effet, un grand besoin d’actions collectives, pour être enfin perçue comme une chance pour la civilisation et non pas réduite à un principe de croissance et d’enrichissement. D’ailleurs, ses bases, économique et technologique, permettent une plus grande ouverture qu’auparavant, cette ouverture étant à l’origine de toute civilisation. 

Enfin, nous devons admettre qu’après plus de cinquante ans de progressive libéralisation dans certains secteurs, la plupart des pays développés ont probablement réduit ou éliminé tous les « easy tariffs ». Il ne reste par conséquent plus que les sujets les plus sensibles qui ont réussi à échapper aux négociations précédentes. L’agriculture, qui est comme nous l’avons précisé à maintes reprises, largement considérée comme le domaine de négociation le plus difficile, demeure l’un de ces sujets épineux. 

Il est également de plus en plus admis que la libéralisation du commerce, traditionnellement considérée comme avantageuse pour la plupart des pays, ne bénéficie pas à toutes les parties prenantes, du moins à court terme. Or, cette libéralisation est la revendication principale des pays développés. Les produits provenant des PVD ne sont pas toujours compétitifs sur un marché international instantanément libéralisé. De plus, les producteurs des PVD ont besoin d’un temps d’adaptation pour connaître les rouages de la libéralisation et en comprendre les subtilités. Par ailleurs, les PVD courent un plus grand risque, étant donné qu’ils n’ont pas une grande marge de manœuvre. Les pouvoirs publics doivent pouvoir anticiper les éventuels effets négatifs et être prêts à prendre des mesures pour faciliter l’ajustement ou atténuer les difficultés. Cependant, les pouvoirs publics des PVD sont beaucoup moins développés et pas toujours aptes à réagir comme ils le devraient. 

CONCLUSION 

L’application pratique du cycle de Doha semble donc actuellement au point mort. Que pouvons nous en penser ? 

Progressivement, les États ont pris conscience des enjeux et des risques que représentait l’abandon, au profit de l’OMC, de larges pans de leur souveraineté nationale, au nom d’une libéralisation accrue du commerce international. La jurisprudence créée par l’Organe de règlement des différends dans certains dossiers (par exemple le boeuf aux hormones ou les bananes ACP) a attiré l’attention sur les possibles conflits entre règles commerciales et considérations d’ordres social, environnemental ou de santé publique. Depuis, à la différence de ce qui a eu lieu lors des négociations du cycle de l’Uruguay, la majorité des États développés, émergents ou moins avancés, souvent poussés par leur opinion publique, veillent à se réapproprier le débat, notamment pour évoquer les problèmes éthiques et sociaux que les accords de l’OMC soulèvent. 

Toute la problématique de l’intégration des PVD dans le système commercial multilatéral tourne aujourd’hui autour de la reconnaissance de la nécessité d’un statut spécifique qui induit des droits et des obligations différentes du droit commun. Le traitement spécial et différencié dont ils cherchent l’effectivité pourrait leur permettre de protéger certaines branches de productions locales pour leur conférer un niveau minimal de compétitivité et leur garantir un accès aux marchés des pays du Nord. Défensifs ou offensifs, ces intérêts reposent sur un socle commun : l’ajustement de la vitesse de la libéralisation à la situation économique des pays pauvres. 

La mise en avant du développement comme objectif prioritaire des négociations commerciales signifie que la libéralisation n’est plus leur finalité. Elle signifie également que les États membres ont décidé de traiter les déséquilibres initiaux dans les rapports Nord-Sud, accédant ainsi à une revendication récurrente des pays en développement relative aux conséquences des Accords de l’OMC.

Face aux fortunes diverses des négociations à l’OMC, c’est aussi le multilatéralisme en matière commerciale qui se trouve à la croisée des chemins. Une lumière d’espoir demeure toutefois. La majorité des ministres du commerce et les chefs d’État à travers le monde continuent à souligner leur attachement à faire redémarrer les discussions. Cependant, peu de débats, en termes de discussions spécifiques et concrètes, susceptibles de stimuler la reprise des négociations, ont eu lieu. De nombreuses concessions devront être faites de part et d’autre. Tant que les membres de l’OMC n’accepteront pas cette réalité, l’impasse risque encore de perdurer quelques temps.

Le but ultime vise à assurer une répartition égalitaire des bénéfices de la globalisation entre les individus. Ceci n’est pas une exigence qui se limite à des considérations d’ordre éthique ou d’équité, bien que cette position soit tout à fait louable. Ceci est essentiel si l’on ne veut pas revenir en arrière, vers un monde moins interdépendant, dont nous avons eu plus qu’assez d’exemples de résultats désastreux, créant un monde encore plus pauvre, et pas seulement dans les PVD.

Loin des considérations purement théoriques, cet agenda s’inscrit dans la logique de concertation et de rapprochement entre les États. Ceux-ci ont, en effet, eu la délicate mission de tenter d’aplanir, voire de prévenir, les divergences de position, au niveau économique, qui peuvent exister entre ces mêmes États.

Cependant, il s’est avéré bien plus délicat de mettre en pratique de telles ambitions. En effet, les conférences ministérielles qui ont suivi celle de Doha ont débouché, dans leur majorité, sur une impasse. Certes, l’accord-cadre de Genève a été perçu comme une bouffée d’oxygène, mais il n’en reste pas moins que les États ne sont toujours pas tombés d’accord. On observe toutefois, en 2008, une timide reprise des négociations. Wait and see

Le monde est écartelé entre un passé douloureux et un avenir incertain. Se délier des chaînes de la misère ou s’affranchir de la terreur de la faim reste un combat sacrificiel pour la liberté de l’Homme. Le système mondial a besoin d’une nouvelle grammaire politique qui prenne en compte trois éléments : la nécessité de préserver et d’étendre la logique d’un système économique ouvert, l’impossibilité de considérer le libre-échange comme une fin en soi, l’urgence à favoriser une régulation qui réduise les asymétries économiques et sociales. La communauté humaine doit rebâtir les pyramides du développement et les basiliques de la foi dans la dignité humaine. 

Au-delà de son caractère messianique souvent contesté, le combat pour la dignité humaine en Afrique reste le chemin le moins risqué si nous entendons léguer aux générations futures un monde uni et prospère. Il faut prendre des mesures d’urgence, car chaque minute, voire chaque seconde, compte. 


Mode de citation : Jean-Baptiste HARELIMANA, « L’OMC et le cycle de Doha pour le développement :regards stratégiques et leçons pragmatiques », MULTIPOL - Réseau d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 6 juillet 2008

Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que son auteur.


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