Jean-Baptiste
HARELIMANA
Le lancement, suite à
la 4e Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC) à Doha, d’un cycle de négociations baptisé « Agenda de Doha
pour le développement » (ADD) a remis au centre des relations économiques
internationales la problématique du développement et les conflits coopérations
Nord-Sud. Lancé en septembre 2001, l’agenda de Doha peut être analysé comme la
recherche d’un nouveau compromis Nord-Sud en matière de traitement spécial et
différencié (TSD) qui repose sur un principe juridico-politique postulant
l’impossibilité d’un traitement unique et standardisé pour des pays
structurellement différents et l’institutionnalisation d’une discrimination
positive dans les relations commerciales multilatérales. Ainsi, il marque un
changement dans la logique héritée de l’Uruguay round.
Pour certains, la
crise alimentaire actuelle est l’aboutissement d’une part, d’une pression
constante en faveur d’un modèle agricole de type « Révolution verte »
depuis les années 1950 et, d’autre part, de la libéralisation du commerce et
des politiques d’ajustement structurel imposées aux pays pauvres par la Banque
Mondiale et le Fonds monétaire international depuis les années 1970. Ces
recommandations politiques ont été renforcées par la mise en place de l’OMC au
milieu des années 1990 et, plus récemment, par une avalanche d’accords
bilatéraux de libre échange et d’investissement. Ce faisant, les terres
fertiles qui servaient aux marchés locaux de produits alimentaires ont été
détournées au profit de produits de base destinés au marché mondial ou de
cultures de contre-saison. Aujourd’hui, environ 70% des pays dits « en
développement » sont des importateurs nets de produits alimentaires. Et
sur un total estimé à 845 millions de personnes souffrant de la faim au niveau
mondial, 80% sont de petits agriculteurs.
Si le commerce
international a de fait accru l’interdépendance entre les hommes, il s’agit
principalement d’une interdépendance concurrentielle, régie par une raison
calculatrice, déterminée par le souci de maximisation, par chaque partenaire,
de ses intérêts particuliers. Et dans la mesure où ces interactions supposent
des partenaires ayant des rapports plus ou moins asymétriques dans le mécanisme
des échanges, les personnes et les sociétés n’ayant pas grand-chose à proposer
semblent irrémédiablement condamnées à la marginalisation. Les pays du Tiers
monde, dont on dit que la part dans le commerce mondial représente à peine la
proportion de 1%, sont des cibles privilégiés de la voracité de certaines
puissances occidentales à la recherche de ressources minières, agricoles,
forestières et halieutiques dont ces pays regorgent. C’est d’ailleurs à leurs
richesses naturelles que certains de ces pays doivent leurs guerres et leur
instabilité.
La problématique du
développement rejaillit sur le commerce international de manière lancinante
avec la crise alimentaire actuelle. On peut véritablement parler d’un choc
alimentaire, tel que nous avons eu les chocs pétroliers dans les années 1970.
Le sort que réservera
l’OMC, à la fin des négociations du cycle de Doha au dossier tant controversé
de l’agriculture aura ainsi un impact majeur. Peu de sujets déchaînent autant
les passions et les affrontements. D’un côté, se trouvent les acteurs qui
considèrent qu’un produit alimentaire doit être traité comme n’importe quel
autre produit. Ces pays et leurs entreprises envisagent l’avenir alimentaire de
la planète sur le modèle d’un vaste supermarché global où chacun vendra ce
qu’il produit mieux et moins cher que le voisin et achètera tout le reste,
selon le sacro-saint principe de l’avantage comparatif. En face, les pays
européens - dont la France -, le Japon et quelques pays du Sud refusent de
mettre sur le même plan produits agricoles et industriels. Ils insistent sur le
caractère particulier de l’agriculture : sa « multifonctionnalité »,
qui préserve la diversité biologique, protège l’environnement, fait vivre
villages et villes moyennes et freine les émigrations rurales massives.
Cette théorie
traditionnelle des avantages comparatifs a été battue en brèche au cours de ces
dix dernières années par une nouvelle théorie du commerce international qui la
considère comme un modèle d’explication incomplet de la structure contemporaine
des échanges. Reconnaissant que les marchés sont imparfaits et qu’il existe des
économies d’échelle - ce qui entre en contradiction avec les hypothèses
classiques de concurrence parfaite et de rendements d’échelles constants -, ces
nouveaux économistes en viennent à justifier, dans certains cas, des
interventions publiques sur les flux commerciaux.
Face à cette crise,
les institutions internationales, dont la Banque Mondiale, lancent un cri
d’alarme. Robert Rochefort, Directeur général du Centre de recherche pour
l’étude des conditions de vie a déclaré qu’ « on est tous
coupables : pendant sept années, nous avons consommé plus de matières
premières que la production au niveau mondial. Tous ont vu arriver la pénurie
sans agir ». Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies pour le
droit à l’alimentation, qualifie cela de « crime contre l’humanité ».
Successeur de Jean Ziegler au poste de rapporteur spécial des Nations Unies
pour le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter appelle les États à
dépasser les mesures d’urgence face à une crise dont les causes, rappelle-t-il,
sont politiques : « Nous payons vingt ans de politiques désastreuses
pour la production agricole dans les pays en développement, et notamment en
Afrique sub-saharienne. Beaucoup de ces pays, parce qu’on les a incités à
privilégier les cultures d’exportation, sont devenus des importateurs de
nourriture alors qu’ils étaient autosuffisants dans les années 1960 et
1970 », poursuit-il.
Il nous paraît
également intéressant de relever les propos de l’économiste américain Paul
Krugman qui montrent bien la gravité de la crise actuelle : « Les terres
consacrées aux cultures de biocarburants de synthèse ne sont plus disponibles
pour les cultures vivrières, ce qui fait que les subventions aux biocarburants
sont un facteur majeur dans la crise alimentaire. On pourrait décrire les
choses de cette façon : les gens meurent de faim en Afrique afin que les
hommes politiques américains puissent gagner des voix dans les États agricoles
des USA. » (New York Times, 7 avril 2008). Louis Michel,
Commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, prévient : «Un
choc alimentaire mondial se profile, moins visible que le choc pétrolier, mais
avec l’effet potentiel d’un vrai tsunami économique et humanitaire en Afrique !
». N’y voit-on pas là un grand échec du cycle de développement ?
Dans le rapport qu’il
a fait au Conseil général le 7 mai 2008, le Directeur général Pascal Lamy a
indiqué que, bien que l’OMC ne puisse rien faire dans l’immédiat pour
contribuer à régler la crise actuelle, elle peut, par le biais des négociations
du Cycle de Doha, fournir des solutions à moyen et à long terme. L’OMC peut
apporter une partie de la solution à la crise alimentaire actuelle (www.wto.org/French/news/7
may08).
Après un demi-siècle
de multilatéralisme commercial placé sous l’égide du General Agreements on
Tariffs and Trade (GATT, 1947-1994), le cycle de Doha, semblait prendre
davantage en considération les aspirations des pays en voie de développement.
Destiné à être court, il vient d’entrer dans sa septième année d’existence et
la perspective d’une clôture des négociations à court, voire à moyen terme,
semble encore incertaine. Si elle n’a jamais compté autant de membres et reste
l’enceinte privilégiée dans laquelle les puissances économiques défendent leurs
intérêts, l’OMC fait l’objet d’interrogations profondes et est en proie à des
grippages internes répétés. Quels sont-ils et quelles sont les stratégies développées
par les principaux protagonistes des négociations commerciales pour défendre
leurs intérêts ?
La mise en évidence de
cette évolution nécessite de voir le cadrage historique (I), l’analyse des
enjeux et stratégies sous-jacents à ce mouvement avec une attention
particulière à la question agricole qui a posé et continue de poser de gros
problèmes lors des négociations (II) et l’analyse du cycle de Doha et de ses
essais ultérieurs (III).
I. Le cadrage
historique et le contexte international
Depuis la naissance du
GATT en 1947, huit cycles de négociations commerciales ont eu lieu jusqu’à la
création de l’OMC en 1994. Le cycle de l’Uruguay a considérablement élargi le
spectre des discussions commerciales pour l’étendre notamment aux services, à
la propriété intellectuelle, à l’agriculture et à l’investissement. Depuis
lors, l’OMC a connu quelques revers : l’échec des conférences ministérielles de
Seattle (en 1999) et de Cancún (en 2003) a marqué tous les négociateurs.
Mais l’OMC a retrouvé
une nouvelle dynamique avec le lancement du cycle de Doha (qualifié de « cycle
du développement ») en novembre 2001, et la relance de ce processus en 2004. Le
lancement du cycle de Doha s’est voulu une réponse à la mondialisation
excluante des années 1980 et 1990. Il s’inscrit au cœur des projets de
coopération Nord-Sud autour de la problématique de la mondialisation comme
instrument de lutte contre la pauvreté : Objectifs du millénaire pour le
développement (2000), Sommet mondial pour le développement durable
(Johannesburg, 2002), Sommet de Monterrey sur le financement du développement
(2002). D’autre part, il marque un approfondissement de la concurrence
internationale dû pour l’essentiel au rééquilibrage des rapports de puissance
et des richesses économiques résultant de l’émergence de quelques économies en
développement.
A cela s’ajoute la
contrainte environnementale qui pèse désormais sur les politiques et stratégies
de développement. En effet, la dernière décennie – celle qui va de la Conférence
des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio, juin 1992) à la
3e Conférence ministérielle de l’OMC (Doha) – a été marquée par la
simultanéité de quatre cycles de négociation irrigués transversalement par le
thème du développement : un cycle économique et commercial, un cycle
culturel, un cycle social et un cycle environnemental.
1. Le cycle
économique
Le cycle économique
correspond à la fin de l’Uruguay Round, aux accords de Marrakech
créant l’OMC et au démarrage du Doha Development Round.
C’est aussi le cycle du consensus de Washington devenu, sans grandes mutations,
le Consensus de Monterrey, qui guide les politiques du FMI et de la Banque
Mondiale. La négociation économique et commerciale, organisée pour l’essentiel
au sein de l’OMC, est tout entière vouée à la libéralisation de l’économie. Les
nombreux accords commerciaux signés dans le cadre ancien du GATT, ou dans celui
plus récent de l’OMC, ont tous comme objectif de contribuer à cette
libéralisation, de développer le commerce, ce qui doit entraîner, par hypothèse
libérale, la croissance économique, le progrès social et la préservation de
l’environnement.
La marche vers le
développement des échanges de biens, de services et de capitaux va
s’accélérant. Le moins que l’on puisse dire est que cette marche se fait sans
évaluation sérieuse des impacts des étapes précédentes de cette libéralisation
et sous la pression des pays et acteurs économiques puissants, qui ont
naturellement intérêt à l’ouverture des marchés. On aimerait savoir dans
quelles conditions politiques, économiques, sociales ou territoriales la
spirale vertueuse « croissance du commerce-production de richesses-progrès
social-préservation environnementale », le win-win-win-win des
Anglo-saxons, s’engage véritablement.
Un regard scrutateur
constate simplement que la planète est dans un triste état et que les
déséquilibres sociaux nationaux et internationaux vont grandissant. Mais la
raison de ces piètres résultats est l’objet d’une nouvelle polémique. Pour
certains, ces résultats s’expliquent par une libéralisation trop faible et/ou
trop lente ; pour les autres, par une libéralisation trop poussée et/ou
trop rapide. Le cas de l’agriculture, qui occupe une place centrale dans la
négociation commerciale, est significatif. L’avenir d’une moitié de l’humanité
et de la plus grande part des ressources naturelles est en jeu. Une
libéralisation qui, en plus, est inégalement et déloyalement appliquée par les
pays les plus puissants ne dit rien de bon aux paysans qui voient les prix
agricoles s’effondrer et leur pauvreté grandir.
2. Le cycle
culturel
Le cycle culturel,
supporté principalement par les gouvernements français et canadien, est un
combat qui a pris pour étendard l’exception culturelle avant de prendre celui de
la diversité culturelle.
La France, secondée
par le Canada, fit la promotion de son nouveau cheval de bataille auprès des
États et des gouvernements membres de l’Agence intergouvernementale de la
francophonie, évitant ainsi au gouvernement français d’être isolé dans la
communauté internationale, tout en donnant un élan à la diversité culturelle
dans l’agenda mondial.
Oeuvrant au sein de l’omc pour freiner la libéralisation des
produits et services culturels, les pourfendeurs cherchent également, à travers
l’unesco, à doter le système
international d’une convention internationale sur la diversité culturelle.
Depuis une dizaine d’années, la norme de la diversité culturelle, terme non
usuel en droit international, s’est « imposée » comme une des
priorités de la société internationale.
La négociation assez
rapide d’un projet de convention sur la diversité culturelle, puis son adoption
massive en octobre 2005 en témoignent. Il est en effet éloquent de constater
que cette convention a été adoptée par 148 États Membres. Les États-Unis,
traditionnellement opposés à l’octroi d’un statut particulier aux biens et
services culturels en droit international, et Israël ont voté contre son
adoption. L’Australie, le Honduras, le Liberia et le Nicaragua se sont abstenus.
La convention est entrée en vigueur le 18 mars 2007, soit seulement dix-sept
mois après son adoption par la conférence générale et plus de quatre-vingt
Parties ont déjà déposé leur instrument de ratification, dont la Communauté
européenne. Ainsi, le débat s’internationalise, alors que pendant longtemps il
s’était éternisé sur la divergence des points de vue de l’Union européenne et
des États-Unis, ces derniers étant favorables à la libéralisation du secteur
culturel, notamment audiovisuel.
L’agriculture et la
culture n’entretiennent pas que des rapports étymologiques évidents. La
proximité de ces deux secteurs d’activités s’observe notamment à travers
l’importante charge culturelle associée à la production, à la consommation et
au commerce des produits agricoles. Elles s’inscrivent toutes les deux au cœur
des interrogations sociétales et civilisationnelles.
Tout comme les biens
et services culturels, les pratiques agricoles et agroalimentaires et les
produits qui sont issus de ces activités sont porteurs d’identités, de valeurs
et de sens. Ils ne devraient pas être traités comme ayant exclusivement une
valeur commerciale.
Ce constat, jumelé à
la perte documentée et dramatique de la « diversité biologique agricole »,
accentuée notamment par la libération des marchés agricoles, nous mène à
rechercher des moyens d’assurer la promotion et la protection de la diversité
des pratiques et des produits agricoles, diversité qui participe à la sécurité
alimentaire et à la souveraineté alimentaire nationales.
Cependant,
contrairement à la situation qui prévalait lors de l’adoption de la Convention
sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,
les produits agricoles reçoivent déjà un traitement particulier au sein même
de l’OMC qui assure la prise en compte de leur spécificité. De plus, la
protection de la diversité biologique agricole est déjà prévue dans certains
accords internationaux hors l’OMC.
D’ailleurs la
Déclaration universelle sur la diversité culturelle fait une analogie entre la
diversité culturelle et la biodiversité « Source d’échanges
d’innovation et de créativité la diversité culturelle est pour le genre humain
aussi nécessaire qu’est la biodiversité dans l’ordre du vivant. En ce sens,
elle constitue le patrimoine commun de l’humanité et elle doit être reconnue et
affirmée au bénéfice des générations présentes et des générations futures ».
Si l’intégration de
l’État dans des structures supra-étatiques peut être lue comme une perte de
souveraineté, le concept de culture peut, quant à lui, ouvrir aux
États-nations un champ infiniment large pour leur action politique. La
Convention internationale sur la promotion et la protection de la diversité des
expressions culturelles semble un exemple caractéristique d’une tentative de
reconquête politique des États sur la souveraineté. Cette convention,
s’inspirant du concept vaste et flou de culture, met en avant une potentialité
pour les États qui le souhaitent de garder une marge de manœuvre sur la
définition et la réalisation de leurs politiques culturelles.
Dès 1992, l’UNESCO
s’est penchée sur les différents enjeux soulevés par les biens et les services
culturels, ainsi que sur la problématique touchant la relation commerce-culture
à travers le travail de la Commission mondiale sur la culture et le
développement, (ONU/UNESCO) présidée par Javier Pérez de Cuéllar. Son rapport
intitulé « Notre diversité créatrice », a abordé les liens entre
culture, créativité et économie et mis en avant l’importance de préserver la
variété des cultures et de ses modes et moyens d’expression. Depuis, la vie
internationale s’est enrichie de plusieurs déclarations ayant pour centre
d’intérêt les échanges culturels et la préservation de la diversité culturelle.
Ces dernières déclarations, pour positives qu’elles soient, n’apportent pas la
solution définitive à un ordre mondial maîtrisé relatif au développement des
échanges culturels et à la promotion des industries culturelles.
Le cycle culturel a
été donc l’objet d’une longue guerre en trois batailles. La première prit place
dans le cadre des négociations du Cycle de l’Uruguay (1986-1994).
L’aboutissement de ces négociations ne résulta pas en l’obtention d’une
exception culturelle en tant que telle, mais plutôt en une permission accordée
aux États membres à s’engager selon leur bon vouloir et en la possibilité
d’obtenir des exemptions au traitement de la nation la plus favorisée pour les
accords de co-production existants. Autrement dit, il s’agissait d’une sorte de
sursis, puisqu’elle demeure à l’ordre du jour des négociations.
La seconde bataille
s’est inscrite à l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE) alors que celle-ci fomentait, en 1998, le projet d’un Accord
multilatéral sur l’investissement (AMI). La résistance à l’inclusion d’une
clause d’exception culturelle dans l’AMI poussa la France, en octobre 1998, à
se retirer des négociations.
La Conférence
ministérielle de Seattle, en 1999, entama la troisième étape. Les mois
précédant la réunion accouchèrent d’un revirement d’argumentation de la part de
la Communauté européenne. Ses représentants remplacèrent la notion d’exception
culturelle par celle de diversité culturelle. D’un point de vue analytique, il
faut souligner que c’est l’émergence de la diversité culturelle dans le régime
commercial qui a fait basculer le débat vers l’UNESCO.
Dans la foulée, le
Canada mit sur pied deux réseaux afin de contribuer à l’émergence de la
diversité culturelle en tant que norme internationale : le réseau international
sur la diversité culturelle (RIDC) dont le mandat était d’obtenir la
participation de la société civile, et le réseau international sur la politique
culturelle (RIPC) qui créait une structure intergouvernementale pour la
promotion de la diversité culturelle.
3. Le cycle social
Le cycle social a
connu bien des étapes pendant cette décennie, des étapes proposées par
l’Organisation des Nations Unies et ses différentes agences. Les Conférences
des Nations Unies du Caire (Population), d’Istanbul (Habitat), de Pékin (Droit
des femmes), de Rome (Alimentation), répétées cinq ans après pour faire un
premier bilan et constater, en général, que les perspectives tracées et
approuvées par la communauté des gouvernements restent lettre morte, ont abouti
à la Conférence du Millénaire de New York et aux « Millenium
Development Goals », les Objectifs du millénaire pour le développement
(OMD). Ces objectifs, de caractère social, s’expriment de manière simple par la
réduction de moitié d’ici 2015 des indicateurs de pauvreté : réduction de
50% du nombre de personnes souffrant de la faim (évaluées à 800 millions de
personnes), d’enfants, particulièrement de filles, non scolarisés, de personnes
n’ayant pas accès à l’eau (la Conférence de Johannesburg a ajouté l’assainissement),
du taux de mortalité infantile… Ces objectifs sont tout simplement le rappel
des droits sociaux considérés comme universels et inscrits dans un Pacte
international additionnel lié à la Déclaration universelle des droits de
l’Homme.
Les agences concernées
ont, dans la foulée, évalué les budgets jugés nécessaires pour atteindre ces
objectifs : 30 milliards de dollars pour réduire la faim, 200 milliards
pour l’accès à l’eau.
Depuis sept ans, aucun
des chiffres correspondant aux indicateurs sociaux et aux aides publiques n’a
bougé dans les directions souhaitées. Les politiques sociales internationales
ou de solidarité internationale sont en panne et l’économie-monde continue à
exclure des centaines de millions de personnes, sans que celles-ci aient la
possibilité de se réinsérer dans des économies locales de plus en plus
déstructurées.
4. Le cycle
environnemental
Le cycle
environnemental, qui devait être la grande affaire de la décennie, a été initié
à Rio (Sommet de la Terre, juin 1992) et a été provisoirement conclu à
Johannesburg (Conférence des Nations Unies sur le développement durable,
septembre 2002). Durant cette décennie, les gouvernements et les neuf familles
d’acteurs déclarés majeurs devaient mettre en œuvre un plan de marche –
l’Agenda 21 – et deux grandes conventions internationales – la Convention sur
les changements climatiques et celle sur la diversité biologique. Chaque année,
la Commission pour le développement durable (CDD) s’est réunie à l’ONU pour
évaluer les progrès de la mise en place des recommandations de l’Agenda 21
alors que des conférences étaient organisées par les instances en charge de
l’application des deux conventions. D’un côté, la Conférence de Kyoto, de l’autre,
celle de Leipzig ont jeté les bases d’une mise en œuvre des deux conventions.
Des négociations spécifiques, comme celles portant sur le principe de
précaution aboutissant à l’accord de Carthagène ou celles portant sur
l’exploitation des ressources phytogénétiques, ont permis quelques avancées
théoriques.
Néanmoins, force est
de constater que, après quinze ans de tractations, les accords majeurs n’ont
pas même été ratifiés par un nombre suffisant de pays, ni par certains pays
majeurs et responsables des atteintes les plus graves contre l’environnement
mondial. De fait, le raisonnement écologique, lorsqu’il entre en contradiction
avec la logique commerciale, ce qui est pratiquement toujours le cas, doit
s’effacer. Le droit environnemental n’est pris en considération que s’il ne
contredit pas le droit commercial. Pourtant, une conscience environnementale
continue de se manifester dès que des catastrophes naturelles ou accidentelles
(marées noires, tempêtes, inondations ou canicules) viennent frapper nos pays.
Des événements sont organisés, des discours prononcés pour assurer aux citoyens
que les gouvernants ont eux aussi conscience des terribles dangers que court la
planète.
Nous allons voir à présent
quelles sont les stratégies développées par les principaux protagonistes des
négociations commerciales pour défendre leurs intérêts.
II. La
redistribution des cartes
Face à l’émergence de
ces nouveaux acteurs, qui créent un nouveau rapport de force au sein de l’OMC,
les pays industrialisés (les États-Unis et l’Union européenne en tête) ont
réajusté leur stratégie. Plutôt que de s’attaquer directement à l’alliance
nouée entre les pays du G20, dans laquelle certains voient un moyen de redonner
vie au concept de nouvel ordre économique international, tant l’Union
européenne que les États-Unis cherchent à jouer à la fois la carte de la
coopération et la carte des relations privilégiées avec certains pays. Cette
nouvelle tactique, qui s’apparente à la stratégie « diviser pour mieux
régner », vise à détacher les pays du G20 dans des dossiers cruciaux.
1. La politique
commerciale de l’Union européenne
Dès la naissance de la
Communauté économique européenne en 1957, la politique commerciale a été élevée
au rang de politique commune, au même titre que la politique agricole, de
concurrence et de transport. Ceci reflète l’importance fondamentale que revêt
le commerce, considéré comme moteur de la compétitivité et de la croissance,
dans le processus de construction européenne. Depuis ses débuts, la politique
commerciale commune repose sur la conviction que l’ouverture des marchés et
l’élimination progressive des obstacles aux échanges engendrent la paix, la
prospérité économique, le bien-être de la population et l’élimination de la
pauvreté. Par ailleurs, l’Union européenne demeure tributaire du commerce
international, que ce soit pour les importations d’énergie, de produits de
base, etc.
Pour ces diverses
raisons, l’Union européenne est devenue un fer de lance de la libéralisation
des échanges dans le monde. Actuellement, sa politique commerciale s’articule
autour de trois axes principaux.
Tout d’abord, l’UE
affiche l’objectif de mener une politique commerciale au service du
développement durable. Ensuite, plaidant pour l’approfondissement de la
coopération commerciale multilatérale, l’UE défend sans relâche la poursuite de
l’ouverture des marchés dans l’enceinte de l’OMC. Enfin, tout en revendiquant
l’élaboration de règles commerciales multilatérales, elle accorde une
importance majeure au réseau d’accords commerciaux bilatéraux qu’elle a tissé
au fil du temps avec différents pays et différentes régions à travers le monde,
accords qui visent à éliminer les entraves aux échanges tout en poursuivant des
objectifs variés (promouvoir le développement, encourager l’intégration
régionale, rechercher la sécurité politique, etc.).
Pour atteindre ces
objectifs, la Commission européenne s’est vue attribuer un rôle clé, puisque
c’est elle qui négocie directement, au nom de l’UE, dans les forums
internationaux.
Plus concrètement,
c’est elle qui fait des propositions d’accords commerciaux au Conseil européen,
qui l’autorise à ouvrir les négociations nécessaires. Une fois mandatée par le
Conseil, la Commission conduit les négociations commerciales en consultation
avec un comité spécial (Comité 133) désigné par le Conseil pour l’assister dans
cette tâche.
Si elle dispose d’une
marge de manoeuvre pour négocier, sa tâche s’en trouve compliquée lorsqu’elle
négocie sur des questions sensibles, comme c’est le cas pour le dossier
agricole, sur lequel les 25 États membres peinent à accorder leurs points de
vue. Pour éviter de se voir reprocher par un État membre d’avoir outrepassé son
mandat (par exemple en offrant trop de concessions sur l’ouverture des marchés
européens), la Commission se doit de respecter le mandat général qui lui a été
confié et qui résulte d’un compromis entre les intérêts nationaux des États
membres de l’UE. Pour sa part, le Parlement européen ne joue presque aucun rôle
en ce qui concerne la formulation du mandat de négociation, si ce n’est par le
biais de résolutions qu’il adopte, mais qui n’ont aucune valeur contraignante.
2. La politique
commerciale des États-Unis
En tant que première
puissance commerciale mondiale, les États-Unis ont toujours âprement défendu la
libéralisation des échanges, ce qui en fait l’allié naturel de l’Union
européenne au sein de l’OMC. En outre, les relations commerciales
transatlantiques sont intenses : elles représentent le plus gros volume
d’échanges commerciaux et d’investissements bilatéraux du commerce mondial et
sont estimées à 600 milliards d’euros.
À l’occasion de chaque
sommet entre l’UE et les États-Unis, le projet d’instaurer un « marché
transatlantique » progresse. L’objectif est de multiplier les coopérations dans
des domaines divers (innovation, recherche et développement, services,
investissement, concurrence, nouvelles technologies, adoption de normes
communes et harmonisation réglementaire) afin de créer une forme de marché
unique.
Pourtant, les
querelles commerciales transatlantiques sont nombreuses et concernent un
ensemble de secteurs sensibles et stratégiques, tels que la sidérurgie,
l’aéronautique, l’agriculture, etc. Avec le temps, ces contentieux, qui sont
largement médiatisés, ont tendance à se multiplier, et ce pour plusieurs
raisons.
Premièrement, parce
que le champ des négociations commerciales s’est considérablement élargi par
rapport au GATT, ce qui multiplie les risques de conflit. Deuxièmement, parce
que l’UE développe sa propre approche sur des thématiques comme
l’environnement, la santé publique, le social, la culture et, de manière plus
générale, sur la régulation de l’économie. Troisièmement, parce que les
États-Unis ont tendance à adopter des décisions protectionnistes à caractère
unilatéral pendant les périodes de crise économique, malgré leurs discours en
faveur du libre-échange. Quatrièmement, parce que la question de la liberté
d’action et de la souveraineté nationale, deux principes auxquels les
États-Unis sont viscéralement attachés, sépare Washington de l’Union
européenne.
En tant qu’unique
superpuissance, les États-Unis en appellent de plus en plus à leur liberté
d’action et à leur souveraineté depuis l’arrivée des néoconservateurs au
pouvoir sous l’administration Bush, tandis que les Européens s’engagent dans la
voie inverse par le biais de l’intégration européenne accrue. Prompts à jouer
la carte de l’unilatéralisme dans la poursuite des intérêts nationaux, les
États-Unis acceptent de jouer la carte du multilatéralisme pour autant que cela
serve leurs intérêts. Par contre, si les organisations internationales se
trouvent sur la route de la puissance américaine, celle-ci tente de les
contourner, car son ambition n’est pas d’établir un ordre international régi
par le droit, où le respect du multilatéralisme serait la norme.
Dans cette logique,
l’impact des règles de l’OMC sur les États-Unis, qui ont été condamnés à
plusieurs reprises par l’Organe de règlement des différends (ORD) ces dernières
années dans des dossiers importants (acier, coton, foreign sales
corporations, loi anti-dumping de 1916…), risque de les détourner à terme
de ce système commercial mondial basé sur le multilatéralisme. C’est la raison
pour laquelle, depuis l’enlisement des négociations multilatérales au sommet de
Cancún, la tactique américaine passe davantage par des négociations commerciales
bilatérales qui leur permettent d’obtenir plus de concessions que dans le cadre
de l’OMC, notamment lorsqu’ils négocient de manière bilatérale avec des pays
peu développés.
3. La montée en
puissance des pays du Sud et des pays émergents
Progressivement, les
pays en voie de développement ont émergé en tant qu’acteurs à part entière au
sein de l’OMC et ont fait preuve d’une grande fermeté lors des dernières
négociations commerciales pour faire entendre leurs revendications.
Ils forment certes un
groupe hétéroclite, tant les situations économiques varient selon les pays.
Dans ce groupe, des puissances telles que l’Inde, la Chine et le Brésil
côtoient des pays qui entrent dans la catégorie des pays les moins avancés
(PMA). Mais ils partagent des intérêts manifestes et une certaine analyse
commune des rapports commerciaux à l’échelle internationale. Ainsi, ils
estiment généralement que la mondialisation apporte actuellement des bénéfices
disproportionnés aux pays occidentaux, aux dépens du monde en développement.
Les plus faibles d’entre eux dressent un bilan négatif de l’ouverture des
marchés, qui n’a ni réduit la pauvreté, ni promu leur développement. Ils
dénoncent aussi la politique des « deux poids, deux mesures » des pays riches à
leur égard. S’ils insistent pour que les PVD ouvrent leurs marchés à leurs
produits, les pays industrialisés continuent d’entraver l’accès de leurs
propres marchés aux produits pour lesquels les pays en développement sont
compétitifs, comme c’est le cas dans les secteurs du textile, de l’habillement
et de l’agriculture.
En outre, les PVD
protestent contre le fait que les pays industrialisés les privent du temps
d’adaptation nécessaire pour mettre en place les accords existants au sein de
l’OMC et leur interdisent de protéger leur secteur industriel naissant. De
même, les pays en voie de développement dénoncent le recours abusif aux mesures
anti-dumping (destinées à contrer le dumping social ou environnemental en
provenance des pays du Sud), dans lequel ils voient un protectionnisme déguisé
de la part des pays industrialisés.
En dépit de ces
intérêts communs, les PVD forment un ensemble hétérogène et poursuivent des
objectifs contradictoires. Par exemple, ceux d’entre eux qui ont rejoint le
groupe de Cairns 58, groupe de pays exportateurs de produits agricoles, ont des
intérêts diamétralement opposés à ceux d’une série de pays ACP
(Afrique-Caraïbes-Pacifique) qui sont des importateurs nets de biens
alimentaires.
Ainsi, tandis que les
premiers préconisent l’ouverture des marchés pour les produits agricoles, les
seconds défendent leur droit de protéger leur propre production agricole au nom
du principe de souveraineté alimentaire, selon lequel il doit être possible de
produire et de consommer localement sa nourriture. Ces spécificités se sont
d’ailleurs traduites par l’émergence de groupes distincts à Cancún. À côté du
G20 (mené par le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud), qui exige
notamment la fin des subventions agricoles des pays riches (USA et UE en tête),
s’est constitué le G90 (90 États du groupe ACP, de l’Union africaine et des
pays les moins avancés), qui s’oppose à l’ouverture de négociations sur les
« matières de Singapour ».
Cependant, tout en
ayant des intérêts différents sur certains dossiers, ces groupes ont fait front
commun à Cancún et ont résisté aux multiples pressions des États-Unis et de
l’Union européenne pour ouvrir leurs marchés, estimant que leurs intérêts
étaient insuffisamment pris en compte.
Les pays
industrialisés ont tenu compte de l’émergence du G20, qui crée un rapport de
force nouveau au sein de l’OMC : mené par des pays comme l’Inde, la Chine et le
Brésil, le G20 représente plus de la moitié de la population mondiale. Plutôt
que de s’attaquer directement à l’alliance nouée entre les pays du G20, dans
laquelle certains voient un moyen de redonner vie au concept de nouvel ordre
économique international, tant l’Union européenne que les États-Unis cherchent
à jouer à la fois la carte de la coopération et la carte des relations privilégiées
avec certains pays, de manière à les détacher du G20 dans des dossiers
cruciaux.
Ainsi, l’UE a bien
compris qu’elle devait faire des concessions sur le dossier agricole, principal
contentieux avec le G20, en échange de quoi les pays du G20 seraient disposés à
faire de réelles concessions pour ouvrir leurs secteurs des services aux
multinationales européennes et américaines. Les États-Unis et l’Union
européenne ont dès lors fait de l’Inde et du Brésil leurs interlocuteurs
principaux, pour constituer avec l’Australie le G5 (UE, USA, Australie, Brésil,
Inde) sur les questions agricoles à l’OMC.
Il reste que, face aux
fortunes diverses des négociations à l’OMC, tant l’Union européenne que les
États-Unis sont prêts à avoir de plus en plus recours aux accords bilatéraux
pour obtenir les concessions recherchées en matière d’ouverture des marchés.
Les pays en voie de développement risquent d’être les premiers perdants de
cette nouvelle stratégie, car leurs intérêts sont d’autant mieux pris en compte
qu’ils forment un bloc uni. Pour cela, la préservation des négociations
commerciales dans un cadre multilatéral s’impose, ce qui fait de ces pays, à
cet égard, des défenseurs de l’OMC.
4. La montée en
puissance de la société civile
La présence et l’activisme
de nombre d’ONG est une caractéristique de l’évolution récente du
multilatéralisme, de plus en plus marqué par leur influence. Les ONG mettent en
avant le développement, et particulièrement le développement des pays qui ont
le plus de difficultés économiques. Plutôt que l’accélération de la
mondialisation économique et financière, dont le moteur est la libéralisation
des échanges des biens, des services et des capitaux, les ONG soutiennent des
voies spécifiques qui peuvent permettre à des processus de développement local,
national ou régional de s’initier et de se renforcer.
La mise en compétition
de tous les acteurs économiques du monde dans le cadre d’un marché mondial
intégré ne peut être bénéfique qu’à ceux qui disposent des armes pour s’imposer
aux autres. Elle condamne les faibles. Pour être constructive, une compétition
– si compétition il doit y avoir – nécessite que les handicaps soient pris en
compte et qu’une régulation s’impose face à la loi de la jungle. En matière de
régulation, les ONG défendent l’équité et, en l’occurrence, l’équité n’est pas
« une règle unique pour tous », mais doit offrir « à chacun sa
chance de développement ».
Pour saisir leur
chance, les acteurs économiques les plus modestes doivent disposer d’un
« espace économique », c’est-à-dire avoir accès aux facteurs de
production et à un marché leur permettant de vendre les biens ou les services
qu’ils produisent. L’économie-monde n’est pas faite pour ces acteurs économiques
modestes qui représentent pourtant la plus grande part de l’humanité, à
commencer par les paysans qui en constituent déjà la moitié. Les ONG mènent
campagne contre la pression des pays les plus puissants, contre celle des
institutions financières et commerciales internationales, contre l’orientation
des programmes d’ajustement structurel, définis dans un contexte d’endettement
et poussant les pays à adopter des politiques d’insertion dans l’économie
mondiale sans même se préoccuper des conditions qui pourraient rendre une telle
insertion positive pour le développement national.
III. Le cycle de
Doha et ses essais ultérieurs
1. Le cycle de Doha
et autres programmes de développement, un mariage de raison ?
Les accords de
Marrakech précisaient que des négociations devaient, dans les six ans après
leur entrée en vigueur, être entamées dans trois secteurs particuliers que sont
l’agriculture, le commerce des services, ainsi que certains aspects relatifs au
commerce des droits de propriété intellectuelle. De telles négociations
auraient du être lancées par la Conférence de Seattle en 1999. Cependant, du
fait de l’échec de cette dernière, il a fallu attendre la Conférence de Doha en
2001 pour que ces trois secteurs soient repris dans des négociations.
A la Conférence
ministérielle qui s’est tenue à Doha, il a été convenu d’un agenda bien précis
à suivre, l’Agenda de Doha pour le Développement, qui accorde une attention
toute particulière à l’agriculture. La déclaration adoptée lors de la quatrième
Conférence ministérielle à Doha en novembre 2001 se structure en dix-neuf
points :
- les grands piliers traditionnels de la négociation (agriculture, produits
industriels, services, aspects des droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce) ;
- les quatre sujets dits de « Singapour » (parce qu’ils ont été introduits dans
les négociations par la Conférence de Singapour en 1996) : commerce et
investissement, commerce et concurrence, transparence des marchés publics,
facilitation des échanges ;
- des thèmes plus particulièrement destinés à la prise en compte de la situation
spécifique des pays en développement, le plus important étant la discussion sur
les modalités du traitement spécial et différencié qui doit être réservé à ces
pays.
Malgré tous les
acquis, le Cycle de l’Uruguay a été à l’origine d’une grande déception pour les
PVD. Ils ont été déçus, tant au niveau procédural que substantiel, de leur
participation aux différents cycles de l’OMC. Premièrement, ils ont eu
l’impression, à juste titre, d’avoir été largement exclus des aspects
procéduraux les plus importants des négociations. Deuxièmement, ils ont estimé
que les décisions prises favorisaient les pays développés à leurs dépends,
tandis que la plupart des décisions prises à leur avantage, telles que le libre
accès au marché pour les produits agricoles, le textile ou les chaussures, ont
fait défaut au niveau de la réalisation concrète.
Il n’est donc pas
étonnant que le commerce international et le développement, qui se côtoient
dans le champ lexical du nouveau discours, finissent par être considérés comme
nécessairement complémentaires. Comme l’a souligné le Directeur général de
l’OMC Supachai Panitchpakdi, le cycle de Doha doit être mené de façon à
répondre aux Objectifs du millénaire pour le développement (PNUD, 2003)
concernant la lutte contre la pauvreté. La question transversale du
« traitement spécial et différencié » a aussi été annoncée comme
centrale.
Lors du Sommet mondial
pour le développement durable, qui s’est tenu à Johannesburg en septembre 2002,
une année après Doha, la communauté internationale a réaffirmé sa volonté de
promouvoir le développement durable comme principe d’action politique et comme
objectif à atteindre à l’aube du 21e siècle (Quenault, 2003).
L’objectif de développement durable suppose en effet que les biens publics
mondiaux soient garantis, tels que la protection de l’environnement global,
l’équité et la justice sociale, la diversité culturelle ou les droits
fondamentaux de la personne ; ensemble de questions que l’on retrouve avec
une acuité particulière au sein des négociations commerciales multilatérales.
Les débats autour de cette notion témoignent de la nécessité de renforcer la
régulation économique mondiale, d’encadrer par des règles et des normes autres
que strictement commerciales le processus d’intégration économique et les
échanges internationaux.
L’équation commerce et
développement est perçu différemment : si, pour certains, il s’agit avant
tout de l’agriculture, pour d’autres, il s’agit de l’ « aide pour le commerce »
(ou le renforcement des capacités), de la préservation de l’espace politique ou
encore de l’accès au marché (considéré nécessaire par le renforcement des
capacités).
Les PVD ont ainsi
réussi à imposer leurs préoccupations et leurs sujets de négociations. Ils ont
amené le sujet très sensible qu’est l’agriculture comme sujet principal. Et
ceci, malgré la réticence de nombreux pays développés qui favorisent toujours
une politique très protectionniste en la matière. Les négociations relatives à
l’agriculture sont aujourd’hui considérées comme la clé de voûte du cycle de
Doha, l’élément central, primordial qui doit être tranché par les membres de
l’OMC pour pouvoir continuer le travail collectif.
Tout ceci contribue à
faire des négociations du cycle de Doha un cycle très différent des précédents.
Une première extériorisation de ce changement a été visible dans la nomination,
après maintes discussions et transactions, du docteur Spatial Panitchpakdi en
tant que Directeur général de l’OMC de 2002 à 2005. Il s’agissait du premier
chef de l’OMC, et avant cela, du premier Secrétaire du GATT, ressortissant d’un
PVD, à savoir la Thaïlande.
Après deux ans de
négociations sur différents sujets délicats, on a cependant dû conclure à un
nouvel échec au niveau de la réalisation d’objectifs concrets. Toutefois, le
mouvement était tout de même lancé. Ces négociations ont, par la suite, été
améliorées dans plusieurs conférences ministérielles.
2. Cancún,
Mexique
La cinquième
Conférence ministérielle à Cancún (Mexique), du 10 au 14 septembre 2003,
avait pour but d’organiser une réunion qui poserait les bases des futures
négociations.
Cependant, lors des
négociations, l’alliance traditionnelle des producteurs agricoles s’est
transformée en une réaction massive contre la proposition États-Unis-Union
européenne d’août 2003 et les contre-propositions d’un groupe de PVD connu plus
tard sous le nom de G20 et représentant plus de la moitié de la population
mondiale. L’émergence de ce groupe mené par le Brésil, la Chine et l’Inde a
fortement compliqué les négociations. Le débat fut transformé en une discussion
Nord-Sud, impliquant l’agriculture qui constitue l’un des sujets les plus
sensibles de l’Agenda de Doha.
Il est clairement
apparu le besoin d’une volonté politique forte pour mener les négociations et
réussir à surmonter ce clivage Nord-Sud qui a conduit à un nouvel échec. De
plus, il est à noter que dans l’ébauche de texte, il y avait manifestement une
volonté de continuer dans la même idéologie de Doha, même en ce qui concerne
l’agriculture. Et bien que cette déclaration se limite à des propos plus que
généraux, dont aucune règle concrète ne peut être tirée, il faut admettre que
cette volonté est bien présente dans les esprits, malgré tous leurs problèmes
techniques.
3. Accord-cadre de
juillet 2004, à Genève
Après l’échec de
Cancún, les membres de l’OMC, à Genève, firent des efforts pour reprendre les
négociations et remettre le reste de l’Agenda de Doha sur les rails. Le travail
s’est fortement intensifié pendant la première moitié de 2004, avec une
nouvelle date butoir pour arriver à un accord sur un certain nombre de sujets,
à savoir le 30 juillet 2004. La première ébauche de ce futur accord fit son
apparition le 16 juillet. A partir de là, les membres ont commencé à négocier
de façon intensive dans différentes formations.
Un Accord-cadre fût
finalement trouvé le 1er août 2004. Il constituait un document
préparatoire à de nouvelles négociations, incluant un accord sur différents
sujets relatifs à l’agriculture, notamment des réductions tarifaires effectuées
selon une formule étagée prenant en considération les différentes structures
tarifaires des membres de l’OMC. L’idée était de réduire les prix, en
commençant par ceux qui accordent le plus d’aide, telle que l’Union européenne,
et qui doivent donc effectuer un effort plus grand, vers les pays qui
disposent de moins de possibilités d’aider leurs producteurs, tout ceci en
admettant une flexibilité pour certains produits sensibles. La fraction précise
de la formule étagée avec un traitement distinct pour les produits sensibles
allait être évaluée ultérieurement. L’Accord-cadre définissait également des
paramètres pour une réduction importante des aides agricoles ayant un effet de
distorsion sur le commerce, l’élimination des pratiques à l’exportation qui
faussent les échanges et une réduction importante des droits de douane sur les
produits agricoles.
4. Hong-Kong
La Conférence
ministérielle tenue en décembre 2005 à Hong-Kong a de nouveau montré que le
processus de négociation au sein de l’OMC est devenu plus complexe en raison de
la prise en compte de sujets dépassant la liberté des échanges. Cette
organisation peut donc être considérée comme l’espace politique le plus
important du système mondial, au moment même où l’appropriation du débat
relatif au libre-échange par les États, les syndicats et la société civile
dément de manière éclatante l’idée d’une mondialisation mal régulée confiée aux
seules forces du marché.
Au demeurant, cette
politisation accrue de l’OMC est dûment justifiée. Elle trouve son origine dans
le fait que l’accélération significative du commerce et des investissements
internationaux intervenue dès le début des années 1990 s’est accompagnée d’une
interférence accrue entre les enjeux commerciaux et des préoccupations
sociales, culturelles et environnementales. Dans un tel contexte, l’OMC se
trouve confrontée à la difficulté d’arbitrer entre les intérêts si divers qui
s’y expriment.
Un échec supplémentaire
à Hong-Kong, après le retentissant échec du sommet de Cancún en septembre 2003,
aurait alors signifié une panne durable de l’OMC et réduit à peu de chose sa
place dans la gouvernance mondiale.
Le compromis trouvé à
Hong-Kong a permis d’éviter que ne l’emportent les tentations protectionnistes,
parfois lourdes de relents nationalistes, et la marginalisation des pays les
plus pauvres. Le contexte n’est, à cet égard, pas sans risque. La croissance
mondiale est certes soutenue, mais elle est commercialement et financièrement
très déséquilibrée. Elle ne repose que sur deux « moteurs », les
États-Unis et la Chine, faute de dynamisme suffisant en Europe.
L’obtention de
résultats significatifs à Hong-Kong était en fait très difficile, et ce, pour plusieurs
raisons. La théorie du libre-échange nous enseigne que l’ouverture est
mutuellement avantageuse dès lors que le système commercial international est
régi par la règle de l’avantage comparatif, qui consiste précisément à dire
qu’il faut abandonner à d’autres ce que les autres produisent moins cher ou
mieux pour se concentrer sur ce que l’on fait mieux que les autres. Les pays en
développement dégageraient alors des excédents commerciaux pour les biens
traditionnels tandis que les pays développés se spécialiseraient dans la
production de biens et de services à forte valeur ajoutée.
Mais, en fait, la
règle de l’avantage comparatif n’est pas la seule qui prévaut à l’OMC. En
effet, les négociations au sein de cette organisation se font selon une approche
mercantiliste, construite sur le principe d’un échange réciproque de
concessions par les États. Or, il est incontestable que les règles et les
enjeux du commerce mondial n’ont rien à voir avec cette approche de la
négociation fondée sur le consensus.
Par ailleurs, si
l’exploitation des avantages comparatifs est globalement bénéfique, elle a du
mal à produire des effets équivalents sur tous les bénéficiaires potentiels. En
l’occurrence, des études récentes révèlent qu’une grande partie des gains attendus
d’une libéralisation des marchés agricoles concernerait avant tout les grandes
puissances en développement du groupe de Cairns (Brésil, Argentine, Afrique du
Sud…) qui bénéficient d’avantages agricoles évidents. Mais on ne peut ignorer
pour autant le gain qu’auraient tiré des pays pauvres de l’Afrique
sub-saharienne et d’autres pays en développement de la hausse du prix mondial
du coton suite à un démantèlement total de la protection américaine. Selon la
Banque mondiale, le montant de leurs exportations aurait augmenté de 10%.
Toutefois, il convient de noter que la hausse des prix agricoles mondiaux
consécutive à l’élimination de toutes les formes de subventions aurait conduit
à la détérioration des balances commerciales des pays les plus pauvres, qui sont
importateurs nets de denrées agricoles.
En outre, ceux d’entre
eux qui bénéficient d’accords préférentiels verraient leur situation relative
affectée par la baisse des protections dans les pays développés. Quant à ces
derniers, le bénéfice économique global aurait été également avéré, mais
modéré. Les ménages auraient profité d’un surcroît de pouvoir d’achat à la
suite de la baisse des prix intérieurs.
De même, sur la
question de l’accès aux marchés non agricoles, le secteur du textile, marqué par
l’abolition des quotas depuis le 1er janvier 2005, illustre
parfaitement l’importance des effets redistributifs de la libéralisation du
commerce international de produits textiles, en particulier entre les pays du
Sud. Cette libéralisation, qui bénéficie déjà à la Chine, contribue à limiter
la part de marchés des producteurs bénéficiant jusque-là de quotas, comme les
pays méditerranéens et d’autres pays pauvres dont le commerce extérieur dépend
presque exclusivement du textile, tels que le Bangladesh, le Sri Lanka et le
Cambodge.
Or, l’inquiétude née
de la percée chinoise sur le marché de l’habillement vient surtout de ce
qu’elle paraît présager des produits chinois dans d’autres secteurs d’activité.
En effet, la Chine, avec son réservoir de main-d’œuvre et un accès facile aux
capitaux, peut, sur la plupart des activités manufacturières à technologie
faible ou moyenne, se trouver en situation de quasi-monopole et éliminer, grâce
à des rendements d’échelle encore croissants, la plupart des autres nations
participant aux échanges sur ces produits. C’est d’autant plus préoccupant pour
l’OMC que les pays en développement directement concurrencés par la Chine ne
peuvent réagir dans le cadre des règles actuelles.
La règle de l’avantage
comparatif est par ailleurs mise à mal, voire remise en question, par
l’importance croissante prise par les considérations non économiques dans les
négociations commerciales, comme cela a d’ailleurs été observé lors des sommets
de l’OMC à Seattle et à Cancún.
Tel est le cas de
l’agriculture, qui reste l’une des pierres d’achoppement du cycle de Doha.
L’élimination programmée des subventions à l’exportation pour la fin 2013 ne
constitue en fait qu’un progrès très limité, les montants concernés
n’atteignant pas trois milliards de dollars. De nombreux pays européens – la
France en première ligne – défendent sa multifonctionnalité, soutenant l’idée
que les mécanismes du marché ne sauraient suffire pour atteindre les multiples
objectifs que la société assigne à l’activité agricole au-delà de la seule
production de produits agricoles. Le protectionnisme agricole affiché par ces
mêmes pays constitue par ailleurs un véritable défi à leur démocratie, dans la
mesure où il est sans doute mal compris par l’opinion publique. Il s’expliquerait
davantage par la puissance des lobbies que par une volonté de solidarité envers
le monde agricole, qui réclamerait alors des politiques agricoles bien
différentes de celles en place aujourd’hui, plus offensives et davantage axées
sur la qualité des produits et la protection de l’environnement.
Si le commerce mondial
est à l’évidence un puissant moteur de développement et si aucun pays ne s’est
développé les frontières fermées, l’expérience du Japon, de la Chine, de l’Asie
du Sud-Est, et maintenant de l’Inde, prouve que l’ouverture commerciale ne doit
pas être une fin en soi. Sans réformes institutionnelles et sociales internes,
elle renforcera les déséquilibres sociaux, comme le montre de manière
spectaculaire l’exemple du Mexique. Dans ce pays, les niveaux de vie sont
encore très loin de la moyenne de l’OCDE et, bien qu’elle ait reculé au cours
des cinq dernières années, la pauvreté reste répandue. Le coût social de
l’ouverture ne peut donc être ignoré. D’où le rôle majeur de l’aide publique
pour le commerce et, plus généralement, des stratégies de facilitation du
commerce international dans les pays pauvres pour permettre aux avantages de la
libéralisation commerciale d’être exploités pleinement.
A Hong-Kong, la tâche
de Pascal Lamy a été des plus ardues. Il lui revient le mérite d’avoir sauvé
les négociations commerciales et d’avoir permis à l’OMC de recouvrer un brin de
crédibilité pour conduire son indispensable réforme. La règle du consensus a
incontestablement fait son temps. Conjuguée à la surcharge de l’agenda
commercial par des considérations non marchandes, cette règle risque en effet
de figer à terme l’OMC. Cela sera alors sans doute très dommageable, parce
qu’un accord final équilibré et ambitieux du cycle de Doha constituera un
formidable soutien à la croissance économique mondiale. Les modèles donnent, à
cet égard, des estimations variées quant à leur ampleur car sensibles aux
hypothèses mais convergentes sur le sens des conclusions. Les avantages pour
l’économie mondiale d’un commerce fondé sur des règles multilatérales sont
difficiles, sinon impossibles, à mesurer, mais paraissent incontestables.
Dans ces conditions,
les gouvernements devraient s’engager dans une pédagogie du libre-échange
plutôt que de médiatiser des postures défensives qui ne font qu’alimenter le
scepticisme des opinions. La mondialisation implique, en effet, un grand besoin
d’actions collectives, pour être enfin perçue comme une chance pour la
civilisation et non pas réduite à un principe de croissance et d’enrichissement.
D’ailleurs, ses bases, économique et technologique, permettent une plus grande
ouverture qu’auparavant, cette ouverture étant à l’origine de toute
civilisation.
Enfin, nous devons
admettre qu’après plus de cinquante ans de progressive libéralisation dans
certains secteurs, la plupart des pays développés ont probablement réduit ou
éliminé tous les « easy tariffs ». Il ne reste par
conséquent plus que les sujets les plus sensibles qui ont réussi à échapper aux
négociations précédentes. L’agriculture, qui est comme nous l’avons précisé à
maintes reprises, largement considérée comme le domaine de négociation le plus
difficile, demeure l’un de ces sujets épineux.
Il est également de
plus en plus admis que la libéralisation du commerce, traditionnellement
considérée comme avantageuse pour la plupart des pays, ne bénéficie pas à
toutes les parties prenantes, du moins à court terme. Or, cette libéralisation
est la revendication principale des pays développés. Les produits provenant des
PVD ne sont pas toujours compétitifs sur un marché international instantanément
libéralisé. De plus, les producteurs des PVD ont besoin d’un temps d’adaptation
pour connaître les rouages de la libéralisation et en comprendre les
subtilités. Par ailleurs, les PVD courent un plus grand risque, étant donné
qu’ils n’ont pas une grande marge de manœuvre. Les pouvoirs publics doivent
pouvoir anticiper les éventuels effets négatifs et être prêts à prendre des
mesures pour faciliter l’ajustement ou atténuer les difficultés. Cependant, les
pouvoirs publics des PVD sont beaucoup moins développés et pas toujours aptes à
réagir comme ils le devraient.
CONCLUSION
L’application pratique
du cycle de Doha semble donc actuellement au point mort. Que pouvons nous en
penser ?
Progressivement, les
États ont pris conscience des enjeux et des risques que représentait l’abandon,
au profit de l’OMC, de larges pans de leur souveraineté nationale, au nom d’une
libéralisation accrue du commerce international. La jurisprudence créée par
l’Organe de règlement des différends dans certains dossiers (par exemple le
boeuf aux hormones ou les bananes ACP) a attiré l’attention sur les possibles
conflits entre règles commerciales et considérations d’ordres social,
environnemental ou de santé publique. Depuis, à la différence de ce qui a eu
lieu lors des négociations du cycle de l’Uruguay, la majorité des États
développés, émergents ou moins avancés, souvent poussés par leur opinion
publique, veillent à se réapproprier le débat, notamment pour évoquer les problèmes
éthiques et sociaux que les accords de l’OMC soulèvent.
Toute la problématique
de l’intégration des PVD dans le système commercial multilatéral tourne
aujourd’hui autour de la reconnaissance de la nécessité d’un statut spécifique
qui induit des droits et des obligations différentes du droit commun. Le
traitement spécial et différencié dont ils cherchent l’effectivité pourrait
leur permettre de protéger certaines branches de productions locales pour leur
conférer un niveau minimal de compétitivité et leur garantir un accès aux
marchés des pays du Nord. Défensifs ou offensifs, ces intérêts reposent sur un
socle commun : l’ajustement de la vitesse de la libéralisation à la situation
économique des pays pauvres.
La mise en avant du
développement comme objectif prioritaire des négociations commerciales signifie
que la libéralisation n’est plus leur finalité. Elle signifie également que les
États membres ont décidé de traiter les déséquilibres initiaux dans les
rapports Nord-Sud, accédant ainsi à une revendication récurrente des pays en
développement relative aux conséquences des Accords de l’OMC.
Face aux fortunes
diverses des négociations à l’OMC, c’est aussi le multilatéralisme en matière
commerciale qui se trouve à la croisée des chemins. Une lumière d’espoir
demeure toutefois. La majorité des ministres du commerce et les chefs d’État à
travers le monde continuent à souligner leur attachement à faire redémarrer les
discussions. Cependant, peu de débats, en termes de discussions spécifiques et
concrètes, susceptibles de stimuler la reprise des négociations, ont eu lieu.
De nombreuses concessions devront être faites de part et d’autre. Tant que les
membres de l’OMC n’accepteront pas cette réalité, l’impasse risque encore de
perdurer quelques temps.
Le but ultime vise à
assurer une répartition égalitaire des bénéfices de la globalisation entre les
individus. Ceci n’est pas une exigence qui se limite à des considérations
d’ordre éthique ou d’équité, bien que cette position soit tout à fait louable.
Ceci est essentiel si l’on ne veut pas revenir en arrière, vers un monde moins
interdépendant, dont nous avons eu plus qu’assez d’exemples de résultats
désastreux, créant un monde encore plus pauvre, et pas seulement dans les PVD.
Loin des
considérations purement théoriques, cet agenda s’inscrit dans la logique de
concertation et de rapprochement entre les États. Ceux-ci ont, en effet, eu la
délicate mission de tenter d’aplanir, voire de prévenir, les divergences de
position, au niveau économique, qui peuvent exister entre ces mêmes États.
Cependant, il s’est
avéré bien plus délicat de mettre en pratique de telles ambitions. En effet,
les conférences ministérielles qui ont suivi celle de Doha ont débouché, dans
leur majorité, sur une impasse. Certes, l’accord-cadre de Genève a été perçu
comme une bouffée d’oxygène, mais il n’en reste pas moins que les États ne sont
toujours pas tombés d’accord. On observe toutefois, en 2008, une timide reprise
des négociations. Wait and see.
Le monde est écartelé
entre un passé douloureux et un avenir incertain. Se délier des chaînes de la
misère ou s’affranchir de la terreur de la faim reste un combat sacrificiel
pour la liberté de l’Homme. Le système mondial a besoin d’une nouvelle
grammaire politique qui prenne en compte trois éléments : la nécessité de
préserver et d’étendre la logique d’un système économique ouvert,
l’impossibilité de considérer le libre-échange comme une fin en soi, l’urgence
à favoriser une régulation qui réduise les asymétries économiques et sociales.
La communauté humaine doit rebâtir les pyramides du développement et les
basiliques de la foi dans la dignité humaine.
Au-delà de son
caractère messianique souvent contesté, le combat pour la dignité humaine en
Afrique reste le chemin le moins risqué si nous entendons léguer aux
générations futures un monde uni et prospère. Il faut prendre des mesures
d’urgence, car chaque minute, voire chaque seconde, compte.
Mode de citation :
Jean-Baptiste HARELIMANA, « L’OMC et le cycle de Doha pour le développement :regards stratégiques et leçons pragmatiques », MULTIPOL - Réseau
d'analyse et d'information sur l'actualité internationale, 6 juillet 2008
Les opinions
exprimées dans cet article n'engagent que son auteur.
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