7 septembre 2008

ANALYSE : Opportunisme stratégique et nucléaire en Corée du Nord

Alexis BACONNET
Avancer de deux pas mais ne reculer que d’un seul. Tel est le credo stratégique en matière d’acquisition et de développement de la technologie nucléaire que la Corée du Nord semble une fois de plus avoir mis en application. En effet, jusqu’alors en cours de désarmement nucléaire, Pyongyang a fait savoir, le 26 août 2008, qu’il avait stoppé le démantèlement de ses installations (1).
L’effondrement de la Corée du Nord est souvent en débat et les théories quant aux origines qu’aurait un tel événement oscillent de l’effondrement de l’économie à celui de l’Etat, en passant par celui du régime. Quoi qu’il en soit, la position nord-coréenne se radicalise périodiquement autour de la question du nucléaire au gré de la sismographie des relations internationales.
Une première crise était née, le 10 janvier 2003, avec l’annonce par la Corée du Nord de son retrait du Traité de Non Prolifération. Puis le 10 février 2005, cette crise s’était accentuée par la déclaration de la possession d’armes nucléaires et le retrait des négociations multilatérales. Il fallut attendre le 19 septembre 2005 pour que la situation se dénoue avec la rentrée de Pyongyang dans le cadre du traité.
Une deuxième crise avait pris corps le 9 octobre 2006, lorsque Pyongyang avait prétendu procéder à un essai nucléaire souterrain. Cependant, la véracité de cet essai fut rapidement contestée, notamment par la France (il aurait s’agit d’un essai nucléaire raté, voire d’une explosion non nucléaire). Néanmoins, une telle menace fut prise au sérieux, car considérée comme potentiellement crédible eu égard aux motivations nord-coréennes ainsi qu’à l’ancienneté de son programme de recherche nucléaire.
Après s’être approché une fois de plus du bord du gouffre, Pyongyang avait cédé aux pressions internationales en acceptant de signer, le 13 février 2007, un accord monnayant la désactivation de son programme nucléaire en l’échange de fioul, d’électricité et du retrait du pays de la liste des Etats terroristes établie par Washington.
Née de la concurrence entre les deux supergrands au soir de la Seconde Guerre mondiale, la Corée du Nord abrite le dernier régime à caractère stalinien de la planète. Son identité politique et stratégique a été à la fois façonnée par les impératifs de la Guerre froide, endurcie par la violence de la guerre de Corée et pérennisée par l’exercice d’un totalitarisme d’obédience communiste.
Ayant néanmoins survécu à la fin de la bipolarité en 1991 comme au décès de son fondateur Kim Il Sung en 1994, il est aujourd’hui un rogue state (ou Etat paria menaçant la paix mondiale selon la terminologie de Washington) mondialement impliqué dans la criminalité et les menaces stratégiques (prolifération nucléaire, trafic d’armes, blanchiment d’argent, aide aux terrorismes…) et régionalement menaçant (vis-à-vis notamment de la Corée du Sud et du Japon). A l’intérieur de ses frontières, un régime paranoïaque, omniprésent et orwellien, broie les individus, abrite des camps de travaux forcés et des installations militaires souterraines gigantesques, et détenait encore il y a peu des prisonniers occidentaux de la guerre de Corée (terminée en 1953) (2), ainsi que des citoyens japonais kidnappés il y a une trentaine d’années afin de former des espions nord-coréens à la connaissance de la langue et de la culture nippones (3).
A travers ses tentatives de détenir un arsenal nucléaire, la Corée du Nord cherche à acquérir une existence stratégique propre, hors de toute tutelle. A l’image de l’Iran, elle a parfaitement saisi que la détention d’armes nucléaires était le seul moyen de se préserver de toute ingérence militaire dans ses affaires et sur son territoire. Pour ce faire, Pyongyang profite habilement des fenêtres stratégiques offertes par les crises ayant cours sur l’échiquier international, attendant que l’attention et les moyens de l’unique superpuissance américaine soient fixés sur une question et un espace donnés.
En octobre 2006, Pyongyang avait joué sur l’enlisement américain en Irak afin de quitter la table des négociations et de resurgir en force dans la course à l’investiture au titre de puissance nucléaire.
Fort de leur expérience en matière de chantage, les Nord-coréens ont menacé, le 26 août 2008, de relancer leur programme nucléaire si les Etats-Unis ne retiraient pas leur pays de la liste des Etats soutenant le terrorisme. Avec l’arrêt de son désarmement nucléaire, la Corée du Nord profite de la nouvelle opportunité créée par la crise géorgienne opposant l’Occident à la Russie.
Cette décision répond, entre autres, à l’exigence américaine portant sur la mise en place d’inspections surprises des sites – ce que Pyongyang refuse –, ainsi que sur le fait que les Etats-Unis n’ont toujours pas retiré la Corée du Nord de la liste des Etats soutenant le terrorisme.
Comme en 2006, le but est évidemment de tenter d’acquérir la puissance nucléaire – et à défaut de faire progresser son savoir-faire technologique par bond à chaque crise –, mais aussi peut-être d’opérer un chantage lui permettant de monnayer des denrées énergétiques. En somme, sa pratique diplomatique consiste à reprendre d’une main ce qu’elle a donné de l’autre.
Plus que jamais, à l’ère des interventions militaires unilatérales des grandes puissances, l’acquisition par la Corée du Nord d’un armement nucléaire vise à sanctuariser son espace national en interdisant tout bombardement stratégique ou intervention, et donc à pérenniser son régime.


(1) Il semble que la décision de suspendre le démantèlement des installations nucléaires ait été prise le 14 août, « La Corée du Nord stoppe son désarmement nucléaire », Le Figaro, 27 août 2008.
(2) « Trente soldats sud-coréens toujours prisonniers du régime de Pyongyang », Le Monde, 13 octobre 1998 ; « Des occidentaux dans le goulag de Pyongyang », Le Monde, 24 octobre 2003.
(3) Sur les 13 japonais que la Corée du Nord a reconnu avoir kidnappé, cinq ont été libérés en 2002. Les autres seraient décédés. Mais le Japon affirme que ce sont 17 de ces citoyens qui ont été kidnappé.

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