Un groupe d’une dizaine de terroristes (9 abattus, un arrêté) semblant âgés de 18 à 25 ans et lourdement armés, s’est introduit en ville par la voie maritime. Ils auraient utilisé un chalutier pour approcher les côtes indiennes puis auraient accostés avec des canots gonflables. L’équipement des terroristes comprenait : des fusils d’assaut AK-56 (réplique chinoise de l’AK-47), des pistolets automatiques, des chargeurs, des grenades, des faux papiers d’identité, des cartes de crédits, des vivres, des téléphones satellites, des GPS et un Blackberry (ce dernier devait sans doute servir à mesurer, en tant réel sur Internet, l’impact de leurs attaques ainsi que les réactions des forces de l’ordre).
Des engins explosifs artisanaux auraient également été utilisés. Dans tous les cas, le déroulement et la coordination des attaques laissent clairement entrevoir l’existence d’un entraînement et d’un plan. Les terroristes connaissaient parfaitement leurs terrains, huit d’entre eux auraient été en poste depuis un mois à Bombay, afin d’effectuer des reconnaissances et de disséminer des armes sur les lieux-cibles (les terroristes auraient reçus l’aide de cinq locaux résidant à Bombay). D’autre part, ils avaient une bonne maîtrise du combat et des armes, se battant dans l’obscurité pour déstabiliser les forces de police et se déplaçant sans cesse.
Etaient ciblés entre autres, les hôtels de luxe Taj Mahal et Oberoi Trident, le centre juif Loubavitch de la Nariman House, la gare centrale, le restaurant Leopold Café et l’hôpital Cama. Dans tous les cas, les terroristes ont tenté de prioritairement sélectionner des ressortissants américains (6 sont morts) et britanniques. Leur but semblait de clairement viser les lieux touristiques, abritant des Occidentaux. L’intérêt de cibles occidentales était certes de s’en prendre aux Etats-Unis et la Grande-Bretagne à travers leurs citoyens, mais aussi de bénéficier de la caisse de résonance des médias et de l’opinion publique de l’Occident.
Capitale économique et ville la plus peuplée de l’Inde avec environ 13 500 000 habitants, Bombay a fait l’objet de six attaques depuis 1993. La dernière attaque d’envergure remonte à juillet 2006 avec plus de deux-cent morts.
Un groupe inconnu, se faisant appeler les Moujahidin du Deccan et réclamant la libération de tous les prisonniers musulmans de l’Inde, s’est attribué la paternité des attentats. Il est néanmoins possible que ce groupe soit connecté à celui des Moujahidin Indiens, constitué il y a environ un an et déjà responsable de plusieurs attentats. Mais les Moujahidin Indiens pourraient être liée au groupe pakistanais, Lashkar-e-Taiba. En effet, trois des terroristes arrêtés sont des Pakistanais appartenant au Lashkar-e-Taiba (Armée des purs). Ce mouvement d’obédience salafiste a été fondé en 1989. Engagé dans le djihad en Asie du Sud et notamment au Cachemire, il est inscrit sur la liste américaine des organisations terroristes. Cette dernière piste semble d’autant plus crédible que le mode opératoire mis en œuvre par les attaquants est similaire à celui pratiqué par le Lashkar-e-Taiba au Cachemire (introduction de militants tirant à vue au sein d’immeubles). En août 2003, à Bombay, des attentats à la bombe attribués au Lashkar-e-Taiba avaient causé la mort d’une cinquantaine de personnes.
Certaines voix, comme celle d’un analyste du renseignement américain mettent en évidence le possible rôle de l’Inter Service Intelligence (ISI), le puissant service de renseignement militaire pakistanais. Créé en 1971, ce service est impliqué dans de très nombreuses actions clandestines en Asie du Sud et n’hésite pas à user de tout ce qui peut nuire à l’Inde, du trafic d’armes avec les Tigres Tamouls à l’instrumentalisation de la question musulmane. Or l’ISI est soupçonné de soutenir le Lashkar-e-Taiba. Enfin, les renseignements britanniques avancent la possibilité que Al Qaida soit impliquée dans les attentats. Ils affirment que les cibles sont du même ordre que celles des attentats de Bali en 2002, et qu’il peut s’agir d’une vengeance aux opérations menées par la CIA au Pakistan. De plus, Al Qaida serait liée au Lashkar-e-Taiba.
L’environnement géopolitique régional de l’Inde est violent. La situation avec le Pakistan est conflictuelle en raison, notamment, de la question du Cachemire. Le Pakistan abrite de nombreuses organisations radicales islamistes. Islamabad mène un trouble jeu en Afghanistan et s’est trouvé impliqué dans la prolifération nucléaire mondiale. Enfin, son armée est en guerre à l’intérieur de ces frontières, dans les zones tribales du Waziristân où Oussama Ben Laden est présumé se cacher, ainsi que dans la province séparatiste du Baloutchistan. L’Afghanistan est un pays en guerre où l’ISAF (International Security Assistance Force) peine à réduire les forces talibanes et Al Qaida est présente en Asie du Sud.
Quant à l’Inde, elle est depuis une période très longue confrontée à la violence armée et au terrorisme. L’Inde a ainsi été victime du terrorisme des extrémistes Sikh et du terrorisme des Tigres Tamouls sri lankais (responsables de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rajiv Gandhi). Elle fait actuellement face au terrorisme des maoïstes naxalites, au terrorisme de radicaux islamistes ainsi qu’au terrorisme d’extrémistes hindous. Ainsi, en 2007, le terrorisme a tué 2300 personnes en Inde.
Concernant ces derniers attentats, attaquer Bombay, c’était frapper la capitale économique du pays. Le but était sans doute de tenter de discréditer l’Inde en tant que destination des investissements étrangers, investissements qui constituent le moteur de l’économie. Mais il est possible que les auteurs des attentats de Bombay n’aient pas voulu seulement attaquer l’Inde. En cherchant à prioritairement viser des Américains et des Britanniques parmi les Occidentaux, un signal est envoyé.
Il s’agit peut-être de sanctions contre les guerres d’Irak et d’Afghanistan dans lesquelles sont très impliqués Américains et Britanniques, contre la traque clandestine de Ben Laden menée par la Américains au Waziristân, ainsi que contre la coopération stratégique américaine avec l’Inde (entraînement de soldats américains à la guerre en jungle en Inde, entraînement conjoint des deux marines de guerre, coopération nucléaire). L’Inde participe également à la reconstruction des infrastructures, à la formation de fonctionnaires et au développement de l’économie de l’Afghanistan. L’Inde est aussi en charge de la construction de la route reliant l’Afghanistan à l’Iran. Cette route permettrait à l’Afghanistan d’accéder à la mer via l’Iran et non plus via la Pakistan comme c’est actuellement le cas. Cet engagement avait semble-t-il causé l’attaque de l’ambassade indienne à Kaboul, en juillet 2008, attaque dont l’ISI était sérieusement soupçonné d’être à l’origine.
Enfin, s’attaquer à des lieux comme l’hôtel Taj Mahal, c’est blesser une triple symbolique, celle de l’édifice à la fois occidental, colonial et britannique tout en s’en prenant à la vie d’Occidentaux.
On l’aura rapidement compris, les motifs de ces attentats peuvent être multiples, de la revendication ethno-nationale de musulmans indiens, au djihad international, tout en passant par la realpolitik pakistanaise. Il faut cependant relativiser la portée de ces attentats. Les 195 morts, en dépit du profond respect que nous devons à leurs mémoires et à leurs familles, apparaissent comme ayant un très faible poids politico-stratégique.
Un parallèle avec l’actualité africaine peut nous aider à saisir le mode de fonctionnement du terrorisme. Au moment où Bombay était attaqué, au Nigéria, les affrontements entre musulmans et chrétiens causaient la mort d’au moins 200 personnes, sans que le monde en soit indigné. L’explication est que d’une part, il ne s’agit pas d’Occidentaux, et que d’autre part, ces victimes n’ont pas été tuées par application de techniques terroristes, élaborées pour terroriser (arbitraire, asymétrie, surprise…).
Raymond Aron définissait le terrorisme comme toute action générant des effets psychologiques hors de proportion avec ses résultats purement physiques. Le terrorisme n’est pas l’arme du pauvre mais de celui qui ne détient pas la puissance, c’est-à-dire de celui qui n’a pas les moyens de modifier de manière fondamentale le comportement des autres acteurs avec qui il est en relation. Le terrorisme génère certes la peur au sein d’une partie de la population, mais il génère aussi un développement, un durcissement et une amélioration de l’appareil coercitif étatique adverse qui finira par le broyer. Le terrorisme traumatise, tue, mais ne contraint que très rarement.