Colonie norvégienne depuis la fin du Xe siècle puis danoise à partir de la fin du XIVe siècle, le Groenland est devenu une province danoise en 1953, avant de devenir un territoire autonome (autonomie interne) de la Couronne danoise en 1979. Le Groenland compte environ 56.600 habitants pour 2 181 000 km2, alors que le Danemark compte environ 5.360.000 habitants pour 43.000 km2.
Les intérêts géographiques du Groenland sont multiples. Outre des ressources en poissons, rennes et moutons, il semble receler de pétrole, uranium, gaz, zinc, plomb, or et diamants. Son intérêt géostratégique a été remarqué dès la Seconde Guerre mondiale, puisqu’en 1941 déjà, les Américains obtenaient du Danemark le droit d’y installer des bases aériennes.
Plus tard, avec la Guerre froide et l’adhésion danoise à l’OTAN en 1949, les Etats-Unis installèrent leurs bases aériennes de Thulé (Qaanaaq), dans le Nord-Ouest de l’île, et de Sondre Stromfjord (Kangerlussuaq) dans le Sud-Ouest. Ils y stationnèrent leurs bombardiers stratégiques ainsi que leurs radars d’alerte avancée de la Distant Early Warning line (DEW line) et de la Ballistic Missile Early Warning System (BMEWS). L’espace polaire arctique étant le plus court chemin pour un avion ou un missile entre les continents américain et eurasiatique, ces systèmes étaient destinés à prévenir l’espace national américain d’une attaque soviétique transpolaire. En effet, le positionnement de la base de Thulé permet d’enserrer le pôle à l’aide de l’Alaska et de parer une attaque en provenance du continent eurasiatique.
Depuis cette période, les Inuits (ethnie majoritaire de l’île) étaient plutôt hostiles aux Américains. Ces derniers ont en effets procédés à des déplacements de populations lors de la construction de la base Thulé et un Bombardier stratégique B-52 armé de têtes nucléaires, s’est crashé en 1968 sur l’île, irradiant leur sol – ainsi que de nombreux Inuits vivant en relation avec la flore et la faune contaminées – et égarant définitivement une bombe au fond de l’océan. Mais aujourd’hui cette hostilité semble tempérée par les opportunités d’enrichissement avec les Etats-Unis.
Actuellement, comme le souligne le géopolitologue François Thual (1), il semblerait que, de fait, les Américains se substituent au Danemark. L’intérêt pour les Etats-Unis repose plus que jamais sur l’avant-poste que représente le Groenland pour la défense de l’espace de sécurité américain, mais aussi, sur les ressources naturelles de l’île. D’autre part, la base de Thulé demeure active et le Groenland abrite désormais, le successeur des systèmes DEW et BMEWS, le North Warning System (NWS) contrôlé par le North American Aerospace Defense Command (NORAD).
Si l’autonomie du Groenland se meut en indépendance, conjuguée au rapprochement américain, l’Union Européenne perdra sa seule fenêtre sur l’Arctique (2), à moins que la Norvège ne finisse par adhérer à l’Union. L’Union Européenne ne semble pas être en odeur de sainteté chez les Groenlandais, d’une part en raison des restrictions aux modes de vie traditionnels (chasse au phoque), d’autre part en raison de la concurrence des bateaux de pêche européens au sein de sa zone économique spéciale, cette concurrence ayant d’ailleurs conduit le Groenland à se retirer de la Communauté Economique Européenne en 1985.
A l’heure de la revendication russe du pôle Nord et de la quête frénétique de matières énergétiques, l’enjeu de la position du Groenland se trouve donc particulièrement important, surtout lorsque l’on sait que 20% des réserves pétrolières mondiales pourraient se trouver dans l’océan glacial Arctique. En effet, le 2 août 2007, un submersible avait planté un drapeau russe à plus de 4000m de profondeur dans le but de matérialiser l’appartenance russe du pôle, par continuité de la dorsale de Lomonossov, de la Sibérie au pôle.
La Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (Montego Bay, 1982), permet aux Etats de réclamer des droits sur les territoires sous-marins prolongeant un territoire immergé. L’Etat côtier communique ses informations à la Commission des limites du plateau continental, afin de fixer la limite de son plateau continental au-delà des 200 milles marins. Ces informations sont ensuite examinées par cette Commission, qui fait des recommandations. Les limites fixées par l’Etat, sur la base de ces recommandations, deviennent définitives et obligatoires. Cependant l’affirmation géographique russe est contestée par d’autres nations. Il semblerait que, prise depuis son autre extrémité, la dorsale de Lomonossov puisse servir à la réclamation de droits canadiens (île d’Ellesmere) ou groenlandais/danois.
Or, un territoire vaste, peu peuplé et économiquement faible ne peut assurer seul sa sécurité. Il doit tenter de monnayer ses ressources et sa géographie contre la protection d’un Etat puissant. C’est en l’occurrence ce que le Groenland semble tenter de faire en se rapprochant des Etats-Unis.
Les Etats-Unis demeurent plus que jamais concentrés sur les mutations orientant le système international vers la multipolarité. En effet, après avoir affermi leur position diplomatique autour du pôle Nord et de l’Arctique en 2007, les Russes ont procédé à une démonstration de puissance fracassante dans le Caucase avec la guerre contre la Géorgie à l’été 2008. De cette nouvelle situation internationale en cours de façonnement, les Etats-Unis ne peuvent que conclurent à l’impérieuse nécessité de contrôler le Groenland, pour contrer le jeu russe et tenter de limiter, autant que faire se peut, l’émoussement de la puissance américaine.
Enfin, dans la perspective d’un réchauffement climatique faisant fondre une partie de la calotte glacière, des ressources énergétiques sub-glacières et de nouvelles routes commerciales deviendraient exploitables, au détriment, sans doutes, de l’équilibre écologique. Le Groenland revêtirait donc un intérêt particulier, tant pour les ressources de son sous-sol que pour sa position avancée vers de nouvelles routes maritimes.
Mais des voies groenlandaises s’élèvent cependant contre l’autonomie renforcée, en soulignant que le niveau d’étude des habitants est encore trop bas pour parvenir à gérer le pays et que la quantité exacte de ressources reste en partie hypothétique, ce qui pourrait ne pas permettre d’assurer l’ensemble des missions rétrocédées par le Danemark.


(1) « Groenland, Danemark, Etats-Unis : le nouveau ménage à trois », Interview de François Thual réalisée par Marie Simon, L’Express, 26 novembre 2008, http://www.lexpress.fr/actualite/monde/groenland-danemark-et-etats-unis-le-nouveau-menage-a-trois_712271.html
(2) Olivier Truc, « Plus autonome, le Groenland commence à se rapprocher des Etats-Unis », Le Monde, 26 décembre 2008.