Le Royaume de Belgique a également présenté une demande en indication de mesures conservatoires (tendant à protéger ses droits en attendant l’arrêt au fond), priant la Cour d’indiquer les mesures conservatoires suivantes:
« Il est demandé à la République du Sénégal de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour que M. Hissène Habré reste sous le contrôle et la surveillance des autorités sénégalaises afin que les règles de droit international dont la Belgique demande le respect puissent être correctement appliquées » (tel que formulé lors du second tour des observations orales, La Haye, 7 avril 2009).
Dans son ordonnance, rendue le 28 mai 2009 par treize voix contre une, la Cour dit que : «les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement à (elle), ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en vertu de l’article 41 du Statut ». La Cour a tenu compte des considérations suivantes.

1) Les dispositions invoquées par le demandeur semblent prima facieconstituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être fondée:

a) Quant à l’existence prima facie d’un différend. Considérant que la Convention contre la torture (1984), sur l’article 30 de laquelle le demandeur fonde la compétence de la Cour, subordonne la compétence de celle-ci à l’existence d’un “différend entre deux ou plus des Etats parties concernant l’interprétation ou l’application de la présente convention”; la Cour a établi de manière prima facie qu’un tel différend existait à la date du dépôt de la requête, à savoir que les parties font valoir des prétentions contradictoires quant à l’interprétation et l’application de la convention contre la torture à propos de M. Habré. La Cour a par ailleurs établi que la requête n’a pas été privé d’objet du fait que le Sénégal a reconnu, à l’audience, certaines de ses obligations en vertu de ladite convention: prima facie, le différend demeure puisque les parties continuent de s’opposer quant à la façon dont le Sénégal doit s’acquitter de celles-ci;

b) Quant au respect des conditions procédurales. Considérant que l’article 30 de la convention contre la torture exige en premier lieu que le différend soumis à la Cour soit de ceux «qui ne peu(vent) être réglé(s) par voie de négociation»; la Cour a estimé, au stade de l’examen prima facie de sa compétence, qu’il suffit de constater que la Belgique a essayé de négocier; considérant que la convention prévoit en deuxième lieu qu’un différend entre Etats parties qui n’aurait pas été réglé par voie de négociation devra être soumis à l’arbitrage à la demande de l’un d’entre eux (la Cour ne pourrait en être saisie que si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur l’organisation d’un tel tribunal après six mois); la Cour constate que l’offre de règlement par voie d’arbitrage émanant de la Belgique a bien eu lieu six mois avant la saisine de la Cour.
A ce stade, il sied de noter que la Cour n’a pas estimé necessaire d’examinerprima facie sa deuxième base de compétence invoquée par la Belgique, soit les déclarations unilatérales des deux parties au titre de l’alinéa 2 de l’article 36 du Statut de la Cour (clause facultative de juridiction obligatoire).

2) Un lien est établi entre le droit qui fait l’objet de l’instance pendante et les mesures conservatoire sollicitées:

a) Conformément à une jurisprudence initiée à l’occasion des ordonnances rendues dans les affaires Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), 8 avril 1993, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), 15 mars 1996, et au regard de l’article 41 de son Statut qui lui permet d’indiquer des mesures conservatoires tendant à protéger les droits de chacune des parties en attendant son arrêt définitif, la Cour se préoccupe d’établir un lien entre les droits qui font l’objet de l’instance pendante et les mesures demandées;

b) Le départ éventuel de M. Habré du territoire sénégalais serait susceptible d’affecter les droits que la Belgique pourrait se voir reconnaître au fond.

3) Il n’existe pas de risque de préjudice irréparable:

a) Selon une jurisprudence classique, le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires ne peut être exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits en litige avant qu’elle n’ait rendu sa décision définitive;

b) Lors des audiences, le coagent du Sénégal ayant solennellement déclaré, en réponse à une question posée par un membre de la Cour, que son gouvernement «ne permettra(it) pas à M. Habré de quitter le Sénégal aussi longtemps que la présente affaire sera(it) pendante devant la Cour», la Cour a estimé que le risque de préjudice irréparable aux droits revendiqués par la Belgique n’était pas apparent à la date à laquelle la présente ordonnance est rendue.

c) Conclusion: il n’existe, dans les circonstances de l’espèce, aucune urgence justifiant l’indication de mesures conservatoires par la Cour.