Ce nouveau report, après que la date du 29 novembre a été déclarée impossible à tenir au regard des difficultés techniques dans l’établissement des listes informatisées provisoires puis définitives, a été accepté par toutes les parties politiques ivoiriennes réunies sous l’égide du Président Blaise Compaoré. Au-delà des déclarations d’Henri Konan Bédié et d’Alassane Ouattara, présidents du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI/RDA, conservateur) et du Rassemblement des Républicains (RDR, droite), principaux concurrents du chef de l’Etat Laurent Gbagbo l’accusant d’être responsable de ce nouvel ajournement de l’élection, l’explication est pourtant simple.

Liste électorale et volet militaire de l’accord de Ouagadougou
Lorsqu’il a été convenu d’organiser les élections après la signature de l’accord de Ouagadougou de mars 2007 qui les rendait enfin possibles puisqu’il mettait fin à la partition du pays, deux processus ont été proposés. Le Président avançait une remise à jour des listes électorales de 2000, proposition refusée par ses opposants soupçonneux, PDCI, RDR et Forces nouvelles, qui ont exigé l’intervention d’un opérateur extérieur pour établir, en collaboration avec l’Institut national de la statistique (INS) des listes informatisées servant de base à l’obtention non seulement de cartes électorales, mais aussi de cartes d’identité. Ce processus, à condition que soit garantie la transparence de la méthode informatique, permettait de régler de façon consensuelle et définitive la question de l’identité et de formaliser la citoyenneté dans un pays d’Afrique où les fortes migrations faisaient de cet objectif un redoutable défi. Mais sa complexité technique a été largement sous-estimée car il s’agissait d’articuler des technologies de pointe avec divers fichiers plutôt approximatifs comme on a pu le voir en fin de processus.
En effet, lorsque les listes provisoires ont été remises symboliquement au chef de l’Etat, le 6 octobre, par le Président de la CEI, la SAGEM, opérateur français retenu à la grande satisfaction de l’opposition ivoirienne et à la grande déception de l’opérateur paneuropéen Zetes, les résultats ont plongé tous les acteurs politiques ivoiriens dans une profonde perplexité. Sur les 6 384 816 personnes enrôlées (1), 2 752 181 dossiers n’avaient pu être croisés avec la liste de 2000 et d’autres fichiers retenus de façon consensuelle. 70 % de ces 2,7 millions de personnes étaient des jeunes de moins de 26 ans répartis sur l’ensemble du pays. Dans les quelques jours qui ont suivi, le nombre de cas litigieux a été ramené à 1 911 254.
Un nouvel accord a été trouvé sur les recherches informatiques complémentaires à mener pour traiter ces cas, lors d’une réunion qui s’est tenue à Yamoussoukro, le 1 er novembre, sous la présidence du chef de l’Etat, et en présence du Premier ministre, du représentant du facilitateur, du Président de la CEI, des responsables des structures nationales d’identification et des opérateurs techniques. Sur ces bases, la liste provisoire sous sa forme papier a été remise le 10 novembre au Président de la CEI par la SAGEM et l’INS. Ce n’est que le 23 novembre que la Commission électorale indépendante a achevé l’affichage, dans les 11 000 centres de collecte, des listes provisoires accompagnées de la photo des enrôlés, en séparant les 5,3 millions reconnus citoyens ivoiriens des cas litigieux. Leur nombre avait été ramené de 1 911 254 à 1 033 985 qui devaient soumettre leur situation aux 415 commissions électorales locales prévues à cet effet. La phase des réclamations, qui peuvent porter sur les deux listes, a débuté le mardi 24 novembre à Abidjan et à l’intérieur du pays pour une durée d’un mois. Passé ce délai, la justice aura huit jours pour statuer sur les cas les plus délicats, ce qui rend possible la publication de la liste définitive en janvier 2010.
Toutefois, la grève des greffiers lancée en novembre sur la question de leur statut a bloqué de fonctionnement de la justice ivoirienne, empêchant en particulier la délivrance de documents nécessaires au règlement du contentieux sur les listes électorales. Les greffiers avaient déjà déclenché un tel mouvement en janvier 2008, pendant la période des audiences foraines obtenant l’engagement de discussions sur leur statut, mais freinant une première fois le processus électoral. Le chef de l’Etat a décidé de mettre fin à ce bras de fer qui paralysait l’établissement de la liste électorale définitive en recourant à l’article 48 de la Constitution. Les mesures annoncées le 14 décembre autorisent notamment les ministres de la Justice et de l’Intérieur à recruter des « greffiers ad hoc » à partir du 15 décembre jusqu’à la fin des élections. Il a annoncé, peu après, la gratuité des certificats de nationalité, pièce requise pour l’intégration des cas litigieux sur la liste définitive, donnant ainsi des signaux forts de sa volonté d’achever au plus vite le processus électoral. L’annonce de la suspension des salaires des grévistes et de l’ordonnance de 2008 qui améliorait le statut des greffiers, sans toutefois assimiler leur salaire à celui des magistrats comme ils le revendiquent, a convaincu les greffiers de mettre fin à leur mouvement dès le 16 décembre…
Les accords complémentaires de Ouagadougou, signés en décembre 2008 et traitant en particulier sur les questions militaires, sont en cours d’exécution. Lors de sa visite d’Etat dans le Worodougou, le chef de l’Etat a reçu, le 16 novembre, à Mankono, les responsables des Forces de défense et de sécurité (FDS) et des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) et a signé les sept derniers décrets relatifs au volet militaire de l’accord politique de Ouagadougou. Ils portent sur l’harmonisation des grades, ce qui, du grade de caporal à celui de général, concerne 400 anciens rebelles, ainsi que sur l’installation des brigades de gendarmerie et des commissariats mixtes sur toute l’étendue du territoire national, ouvrant d’ultimes perspectives sur la réunification totale du pays. Le ministre de la Défense Amani N’Guessan qui a rencontré les FAFN à Bouaké, le 14 décembre, pour s’assurer que ces décrets ne soulevaient aucun contentieux, a toutefois déclaré que certains problèmes restaient à régler mais qu’existait une volonté consensuelle pour sortir de la crise.
Dans le cadre de la démobilisation et de la réinsertion, 7 278 anciens membres des groupes d’auto-défense ont reçu, le 26 octobre, leurs cartes de démobilisés les rendant éligibles aux projets de réinsertion communautaire, tandis que 802 jeunes des Forces nouvelles ont achevé leur formation, à la mi-novembre, au centre de service civique de Bouaké. Mais, faute de moyens financiers, l’exécution du Programme national de réinsertion et de réhabilitation communautaire (PNRRC) est très lente.
Pour ce qui est de la sécurisation des élections à laquelle participeront les quelque 7000 hommes de l’ONUCI et les 900 éléments restants de la Force française Licorne, les parties ivoiriennes ont, selon le ministre de la Défense, techniquement retenu les commissions mixtes chargées de cette mission. C’est dans ce contexte marqué par des progrès solides et réels, quoique lents, que se développe une campagne électorale comme les citoyens ivoiriens n’en n’avaient pas connue. L’ancien opposant historique Laurent Gbagbo les avait habitués à le voir sillonner le pays depuis 1990, mais ses deux principaux concurrents, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara se sont engagés dans cet exercice tout nouveau pour eux malgré leur passé d’anciens chef de l’Etat ou de Premier ministre.

Nouveau carnet de campagne
C’est le 20 novembre que le Président du Conseil constitutionnel Paul Yao N’Dré a annoncé la liste des quatorze candidats, dont six « indépendants », retenus pour la prochaine élection présidentielle sur les vingt postulants qui avaient déposé leur dossier au 16 octobre auprès de la CEI. Outre les trois principales candidatures du président sortant et des dirigeants du PDCI et du RDR, Francis Wodié du Parti ivoirien des travailleurs (PIT) briguera pour la troisième fois la magistrature suprême. L’Union pour la démocratie et pour la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), créée par feu le général Guéi a investi Mabri Toikeusse Albert, le Mouvement des Forces d’avenir (MFA) Anaky Kobénan Innocent. L’ancien directeur général des douanes Gnamien Konan sera présent au nom de l’Union pour la Côte d’Ivoire et Félix Akoto Yao, président du Conseil général de Sakassou comme « indépendant ». Parmi ces candidats indépendants figurent la seule femme candidate, Jacqueline Oble Lohoues, ancienne ministre de la Justice passée par le RDR et ancienne députée du Front républicain de 1995 à 2000, et l’humoriste Dolo Adama dit Dahico, naturalisé en 2004, mais bénéficiant des avantages de l’article 44 du Code de la nationalité ivoirienne.
Sur le terrain, la campagne a continué de battre son plein. Henri Konan Bédié traversait en septembre les régions abbê et attié (Agboville et Adzopé) au nord-est d’Abidjan où il a tenu plusieurs meetings en octobre, notamment à Port Bouët le 17 octobre et à Cocody le 24. Fidèle à son discours particulièrement agressif contre le FPI et les refondateurs, il a multiplié les déclarations fracassantes pendant sa tournée dans la région des Savanes (extrême Nord du pays) du 2 au 9 novembre. Oublieux du fait que le Président de la CEI, Mambé Beugré qui propose la date des scrutins, est membre du PDCI, il a fait une fixation sur la date du 29 novembre dont tout le monde savait alors qu’elle ne pourrait être tenu, faisant écho à son frère ennemi du Rassemblement des houphouétistes, Alassane Ouattara, qui proférait peu avant les mêmes menaces depuis Man dans la région des Montagnes, à l’Ouest de la Côte d’Ivoire.. C’est donc le 29 novembre que, par la voix de son secrétaire général Alphonse Djédjé Mady, le PDCI a lancé son opération « wourou fatô » (« chien enragé » en bambara) consistant selon ses propres termes « à faire du tintamarre sur toute l’étendue du territoire » chaque jour à 12 heures. Force est de reconnaître que jusqu’à la sixième réunion du CPC qui a entériné le report de l’élection avec l’aval de H.K.Bédié, le « chien enragé » est resté discret et que la caravane électorale a poursuivi son chemin. Bédié lui-même a retrouvé Abidjan et le stade d’Anono dans la commune de Cocody, le 5 décembre, pour insister sur les avancées significatives du pays sous la présidence d’Houphouët-Boigny et la sienne et rappeler son « seul mot d’ordre » : « chasser les refondateurs ».
Pour sa part, le candidat du RDR, Alassane Ouattara, a été particulièrement actif en octobre, trouvant cependant le temps de déposer sa candidature le 12. C’est ainsi que la caravane « Adosolutions » a poursuivi son marathon, suspendu dans le Nzi Komoué (Centre-Est du pays) en septembre, par l’Ouest du pays. Il a achevé à Guiglo sa tournée, du 3 au 6 octobre, dans la région du Moyen Cavally (Duékoué, Toulepleu, Bloléquin, Bangolo, Guiglo). Comme à son habitude, il y a réaffirmé être la solution aux problèmes de la Côte d’Ivoire (emploi des jeunes, santé, eau, école, logement), promettant d’investir 212 milliards de francs CFA dans l’ensemble de la région (112 à Guiglo, 44 à Toulepleu, mais pas de chiffrage à Bloléquin…). Passée cette étape, que le chef des milices du Front de libération du Grand Ouest (FLGO), Maho Glofiéi, qui se réclame de la majorité présidentielle, avait menacé verbalement d’empêcher, Alassane Ouattara s’est attaqué de nouveau à la région du Zanzan (Bouna, Bondoukou, Tanda) dans le Nord/Est du pays, du 14 au 19 octobre, où il a promis 450 milliards d’investissements, avant d’achever ce mois intense de tournées dans la région des Montagnes (Man, Kabakouma, Danane), du 23 au 27 octobre. Là, il n’a pas manqué d’attaquer doctement un régional de l’étape, le ministre du Commerce Eric Kahé, rattaché à la mouvance présidentielle, qui lui avait reproché cette pluie de milliards virtuels : « je ne connais pas ce Kahé Eric. J’espère qu’il a eu une formation en économie »…Il a achevé ce mois de campagne à Abidjan par un meeting à l’adresse des femmes, le 31 octobre, au parc des sports de Treichville.
Au cours de son périple, il a revu à la hausse, avec 12 000 milliards de Francs CFA contre 10 000 initialement, le montant des investissements nécessaires sur cinq ans pour redresser le pays, affirmant qu’il n’y aurait pas d’allègement de la dette extérieure avant 2011 à cause de la non tenue des élections. La perte de la mairie de Daloa, troisième ville du pays, par le RDR, suite au décès du maire élu et à la défection de 10 conseillers RDR au profit du candidat du PDCI, n’a pas découragé Alassane Ouattara. Après des meetings dans la région des Lagunes, à Grand Lahou, le 30 novembre, (63 milliards d’investissements annoncés), Dabou, le 1 er décembre, et Port-Bouët, le 5 décembre, dans le cadre de la bataille électorale d’Abidjan, la caravane « Adosolutions » s’est ébranlé vers le Nord, du 8 au 14 décembre, dans le Denguélé et le Bafing (Madinani, Odienné, Touba notamment) traversés par le Président Gbagbo lors de sa visite d’Etat en juillet dernier. C’est dans la région de l’Agnéby (Agboville, Adzopé) et dans le département d’Alépé, dans le Sud-Est du pays, que circulait la caravane d’Alassane Ouattara du 17 au 19 décembre.
Tout au long de cette campagne, H.K. Bédié comme A.D. Ouattara dressent des bilans catastrophiques en omettant, comme le soulignait le chef de l’Etat, qu’il y avait eu guerre et partition du pays à l’issue de l’échec d’un coup d’Etat et d’une rébellion avec laquelle ils n’ont pas hésité à faire officiellement alliance… Le Président Gbagbo est descendu en personne dans l’arène électorale en déposant lui-même sa candidature le 16 octobre, au nom de la majorité présidentielle, et en présentant son équipe de campagne le 21. En choisissant son directeur-adjoint de cabinet Issa Malick Coulibaly venu du PDCI et appartenant à la grande famille Gon de Korhogo, comme directeur de campagne, et Pascal Affi Nguessan, président du Front populaire ivoirien (FPI), comme porte-parole, il a confirmé sa stratégie de chef d’Etat alliant la géopolitique traditionnelle au jeu politique moderne. Le FPI et sa machine électorale sont au cœur du dispositif, mais les qualités spécifiques du directeur de campagne, la présence de la galaxie patriotique avec pour la jeunesse Charles Blé Goudé et Geneviève Bro Grébé pour le mouvement des femmes, et celle des démocrates et républicains à l’image de Laurent Dona Fologo ou Danièle Boni Claverie, donnent à sa campagne une assise politique large pour un projet de société rassembleur. Il est résumé dans un livre de campagne actuellement sous presse. Ses principaux axes seront déclinés ou complétés par le groupe des experts, ouvert à la majorité présidentielle, que dirige Affi Nguessan.
« Je serai 100% candidat, 100% Président » a affirmé Laurent Gbagbo lors du point de presse qui a suivi son dépôt de candidature, le 16 octobre. En tant que Président, il a poursuivi, en compagnie du Premier ministre Guillaume Soro, ses visites d’Etat dans la zone dite CNO (Centre/Nord/Ouest) qui était sous contrôle de la rébellion. En tournée dans le Worodougou, du 16 au 19 novembre, invitant les populations à « s’approprier la paix ». il est attendu dans le département de Vavoua, seul département du Haut Sassandra qui fut occupé par la rébellion. Cette visite marquera la fin de ces tournées, toujours effectuées avec le Premier ministre, en zone CNO. En tant que candidat, il a lancé sa pré-campagne, le 31 octobre, dans la commune de Yopougon à Abidjan, en remerciant la jeunesse de Côte d’Ivoire pour sa résistance, et en s’engageant sur les questions de formation et d’emploi.
De son côté, le FPI a tenu une Convention, le 21 novembre, à Yamoussoukro, au lendemain de la réunion, initiée par Issa Malick Coulibaly, des 110 directeurs départementaux de campagne du candidat Gbagbo dont 27 initialement désignés par le seul FPI ont été remplacés, essentiellement dans le Nord du pays. Taisant de compréhensibles rivalités, les principaux acteurs de la majorité présidentielle multiplient les meetings d’Abidjan à Korogho en passant par Adzopé ou Daloa, à l’image de Malick Coulibaly, des premiers dirigeants du FPI, Pascal Affi Nguessan, Simone Gbagbo et Mamadou Koulibaly, de la galaxie patriotique incarnée par Charles Blé Goudé et Geneviève Bro Grébé, des républicains et démocrates animés par Laurent Dona Fologo. Du 14 au 21 décembre, vingt-cinq missions sont envoyées à travers le pays par le directeur de campagne Malick Coulibaly pour la gestion du contentieux en vue d’établir les listes électorales définitives.
Au grand dépit de ses concurrents, le Président sortant est toujours placé largement en tête des intentions de vote par la vague de sondages de la Sofres avec 42 ou 43 %, les devançant de 12 à 15 points dans les deux premiers alors qu’il ne s’est pas encore véritablement engagé dans la campagne. Le candidat Gbagbo creuse l’écart dans le troisième sondage, réalisé entre le 19 et le 2 octobre, avec 63 % des personnes interrogées qui estiment qu’il a le plus de chances de l’emporter contre 17 % à Bédié et 16 % à Ouattara, 44 % souhaitant le voir l’emporter contre 28 % à Bédié et 25 % à Ouattara. Nul doute que cette tendance lourde sur l’issue du scrutin et le choix du docteur Issa Malick Coulibaly comme directeur de campagne du candidat Gbagbo ait précipité de nombreux ralliements de cadres du Nord, à l’image de l’homme d’affaires Koné Dossongui du groupe Atlantique, et de l’Ouest, où de très nombreuses personnalités ont quitté l’UDPCI de Mabri Toikeusse, désormais très isolé dans cette région.

Les tergiversations diplomatiques autour du report des élections
A l’issue d’une séance de consultation du Conseil de sécurité de l’ONU, le 13 octobre, le représentant spécial du secrétaire général, M. Young Jin Choi, tout en soulignant les avancées vers la sortie de crise, exprimait sa perplexité devant les 2,7 millions de cas de personnes absentes des fichiers historiques. Pour autant, le Conseil affirmait son attachement à la date du 29 novembre. Réuni le 29 octobre, le Conseil de sécurité, par la résolution 1893, a reconduit jusqu’au 31 octobre 2010 ses sanctions à l’égard de la Côte d’Ivoire et ses mesures individuelles à l’encontre de trois personnalités dont Charles Blé Goudé, pourtant très engagé dans le processus de paix, conditionnant leur levée à la tenue des élections.
Un groupe d’experts de l’ONU avait noté dans son rapport publié le 27 octobre que « l’économie du Nord du pays ressemble davantage à un système mis sur pied par des seigneurs de guerre qu’à une administration gouvernementale » précisant que des « commandants de zones » « contrôlent et exploitent les ressources naturelles, ce qui leur fournit à la fois un motif et les moyens de conserver leur emprise territoriale sur le Nord ». Pour faire bonne mesure, le document ajoutait, dans la recherche d’un étrange équilibre, que « le gouvernement craint des manifestations d’opposition violentes dans le sud du pays, ce qui l’a amené à commencer à rééquiper certaines de ses forces de sécurité en matériel anti-émeutes et pourrait (sic) l’amener à importer des armes dans un avenir proche ».
Le 8 décembre, le Conseil de sécurité « a pris note avec préoccupation du report de l’élection présidentielle » en raison de problèmes techniques et financiers. Mais, signe des temps, le Conseil a demandé au Secrétaire général Ban Ki Moon de formuler dans son prochain rapport des propositions sur l’avenir de l’ONUCI, incluant un calendrier indicatif et des modalités d’un possible retrait graduel. C’est en janvier 2010 que le Conseil doit décider du renouvellement du mandat de l’ONUCI.
De son côté, la France, par la voix de son secrétaire d’Etat à la Coopération Alain Joyandet, a exprimé son impatience à la mi-octobre, estimant que les élections devaient se faire le 29 novembre même avec des « listes imparfaites », ce qui était faire peu de cas du coût mirifique du contrat de la Sagem pour les établir (plus de 200 millions d’euros à ce jour) et pour le moins contradictoire avec les injonctions de Marcoussis à lutter contre toute exclusion. Depuis la Chine, le Premier ministre Guillaume Soro, par un aimable pied de nez à l’histoire, a estimé que c’était l’expression d’un manque de considération et de respect pour l’Afrique. Il a eu ces mots «les Ivoiriens sont suffisamment responsables pour organiser des élections, non pas pour faire plaisir à la communauté internationale, mais parce que les élections sont nécessaires pour nos populations, notre économie, pour la Côte d’Ivoire elle-même ».
La mise en garde n’a pas été inutile puisque les autorités françaises ont pris acte du report tout en se contentant de souhaiter l’annonce d’une date prochaine pour le scrutin. Le Président Sarkozy a même jugé utile de publier, le 3 décembre, un communiqué officiel informant qu’il venait de téléphoner -pendant la dernière réunion du CPC à Ouagadougou- au Président Gbagbo avec lequel il n’avait pas eu de contact direct depuis le sommet Union européenne/Union africaine de Lisbonne en décembre 2007. A cette occasion, il lui a annoncé la visite, en janvier prochain, du secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, qui avait annulé un déplacement en Côte d’Ivoire prévu en juin dernier.
L’enquête sur la disparition de Guy-André Kieffer à Abidjan, en avril 2004, reste entre les mains des juges français Patrick Ramaël et Nicolas Blot qui s’obstinent à politiser cette affaire en saisissant la Cour pénale internationale, au début du mois de décembre, d’une demande d’entraide judiciaire visant l’épouse du chef de l’Etat et plusieurs personnalités ivoiriennes. Dans une interview accordée au quotidien Le Figaro , dans son édition du 15 décembre, le Président ivoirien a estimé que « cela commence à bien faire », ajoutant « toutefois, je ne pense pas que l’exécutif français soit impliqué dans cette demande ».
Succédant au général François Hogard, le général Francis Autran commande désormais la Force française Licorne dont les 900 hommes auront pour ultime mission de participer à la sécurisation des élections. Ils ont été reçus au Palais présidentiel, le 10 décembre, avec l’ambassadeur de France Jean-Marc Simon qui avait signé la veille avec le ministre ivoirien de l’Economie et des Finances Charles Diby Koffi un important accord dans le cadre de l'initiative PPTE.

Les premières conséquences de l’initiative PPTE
Après l’éligibilité de la Côte d’Ivoire à l’initiative PPTE à la fin du mois de mars, la négociation favorable des dettes bilatérales publiques (Club de Paris) en mai, et privées (Club de Londres) en mars ont permis d’effacer près de 700 milliards en cinq mois (435 pour le Club de Paris et 268 pour le Club de Londres). L’étau de la dette intérieure ivoirienne qui conduisait à l’asphyxie l’économie du pays a pu être desserré. Au 31 mars 2009, le stock global de la dette extérieure s’élevait à 6 450 milliards de FCFA, les créances publiques bilatérales représentant 52 % et les créances privées 21 %, les créances multilatérales environ 25 %. La dette extérieure résulte de créances très anciennes de la période « houphouétienne » qui avaient déjà fait l’objet de restructuration dans le cadre du plan Brady en 1998, avant même l’élection du Président Gbagbo.
Dans le cadre de la restructuration de la dette publique imposée par le point de décision de l’initiative PPTE, après les Etats-Unis (98 milliards de francs CFA) et l’Italie (28,1), la France a annulé, le 9 décembre, 205 milliards de francs CFA de la dette bilatérale ivoirienne. 90 % des échéances seront effacées pendant la durée de mise en œuvre du programme économique et financier triennal (avril 2009/avril 2012) conclu par la Côte d’Ivoire avec le FMI. Après l’obtention du point d’achèvement de l’initiative PPTE, au moins un an après le point de décision, la France procèdera à un nouvel allègement signifiant l’abandon de la presque totalité de ses créances par le biais d’un contrat désendettement/développement qui impose un recyclage de la dette dans des projets de développement et de réduction de la pauvreté définis par les deux partenaires, la France et la Côte d’Ivoire.
Ces mesures ramènent à 21,9 % contre 32,5 % en 2009 la part de service de la dette dans le budget 2010, rendu public le 26 novembre et qui s’équilibre à 2 481 milliards de francs CFA. Il est en régression de 1,9 % par rapport au budget 2009 révisé par ordonnance pour prendre en compte le programme conclu avec le FMI en cours d’année. Ce budget 2010, calculé sur la base d’un taux de croissance en très légère progression de 4 %, est bâti pour 86,7 % sur des ressources propres, soit une baisse de 23 % des dépenses fondées sur des ressources extérieures. Croissance des recettes fiscales, augmentation des dépenses engagées dans la réduction de la pauvreté qui frappe près de la moitié de la population, légère croissance des investissements (17,9 % du budget contre 15,65 % en 2009) caractérisent cette nouvelle loi des Finances.

Le climat social et économique
Ces trois derniers mois ont été marqués par un regain des mouvements de grève dans le service public, en particulier dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de la justice. La période préélectorale est, bien sûr, toujours l’objet de surenchère sociale alors que la Côte d’Ivoire reste sous l’étroite surveillance des institutions financières internationales qui imposent une rigoureuse limitation de la masse salariale pour que soit atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE.
La grève dans l’enseignement, initiée le 12 novembre, a été levée le 2 décembre, à l’issue de négociations donnant satisfaction aux personnels concernés. Le pouvoir, comme on l’a vu, s’est montré intransigeant vis-à-vis des greffiers en grève pendant plus de trois semaines pour bénéficier d’un statut les assimilant à celui des magistrats. Quant au personnel de santé entré dans une nouvelle grève le 15 décembre, il a été l’objet d’une immédiate et très ferme mise en garde par le chef de l’Etat et le Conseil des ministres qui a suivi le déclenchement du mouvement.
Cette réponse politique traduit la volonté de la tête de l’Etat de lever les obstacles freinant le processus électoral et la sortie de crise, quelles que soient les réactions des partis d’opposition qui participent toujours à l’action gouvernementale, comme on le sait, en application des accords de Marcoussis.
En matière économique, le patronat ivoirien, regroupé dans la Confédération générale des entreprises en Côte d’Ivoire (Cgeci) représentant 80 % du secteur privé national, a noté une dégradation de l’environnement des affaires, surtout après l’échec du coup d’Etat de septembre 2002 qui a plongé le pays dans la crise. Cette crise a entraîné la disparition de 35 % des entreprises et la Côte d’Ivoire occupe une position inquiétante (168 è sur 183) dans le dernier rapport Doing business de la Banque mondiale. Le racket, qui occasionne, malgré certains efforts du ministère de la Défense, un manque à gagner de 150 milliards de francs CFA pour l’Etat, des décisions de justice souvent iniques découragent les investisseurs potentiels et ternissent l’image du pays. Ces faits soulignent l’urgence d’aller aux élections pour mettre en place un exécutif cohérent et revoir une institution judiciaire en déshérence.
Alors que l’instruction se poursuit sur les détournements présumés dans la filière café-cacao, dont les principaux responsables sont détenus depuis dix-huit mois, le comité de réforme de la filière, présidée par la conseillère juridique du chef de l’Etat Géraldine Odéhouri Brou, a remis son rapport à la mi-octobre. Il invite l’Etat à prendre ses responsabilités, ce qui laisse entrevoir le retour à un système de gestion plus proche de la défunte Caistab . Il reviendrait en partie sur l’octroi de la filière aux producteurs voulue par les institutions de Bretton-Woods. Toutefois, la nouvelle organisation devrait privilégier la rémunération des producteurs et réduire la ponction fiscale de l’Etat.
Autre poumon de l’économie ivoirienne avec le cacao, le Port autonome d’Abidjan, sous la direction de Marcel Gossio, est avec plus de 22 millions de tonnes de trafic en 2008, le moteur d’une dynamique économique régionale. Le projet de ferroutage Abidjan-Niger faisant de Ouagadougou un port sec, et le système de tracking par satellite permettant de suivre en temps réel camions et conteneurs ont été présentés aux autorités du Burkina Faso et du Niger les 3 et 4 décembre derniers.

En guise de conclusion
Malgré le nouveau report du scrutin présidentiel au mois de mars 2010, les élections sont à portée de main après l’affichage, dans tout le pays des listes électorales provisoires. Certes, le contentieux porte sur environ 16 % des électeurs potentiels, mais les réclamations se passent dans le calme,. L’hypothèque de la grève des greffiers a été levée et la gratuité des certificats de nationalité laisse espérer l’intégration de la majorité des cas litigieux sur la liste définitive.
Après la tenue des audiences foraines qui ont concerné 700 000 personnes environ, l’opération d’identification, étalée sur neuf mois et complétée par six mois de vérification selon des procédés technologiques de pointe, permet de doter la Côte d’Ivoire d’une base informatique sans équivalent en Afrique, jetant les bases d’un Etat moderne en formalisant la citoyenneté. La question de l’identité brandie par ceux qui n’ont pas hésité à prendre les armes pour renverser les autorités légales se résout lentement, mais de façon consensuelle et définitive.
Tout au long de cette crise et malgré la partition de fait du pays, l’Etat ivoirien a été préservé et a renoué sa coopération avec les institutions financières internationales, redressant ses finances publiques malgré les pratiques prédatrices de la rébellion et une sensible dégradation de l’environnement des affaires depuis une décennie.
Le pays est en état de campagne électorale depuis de longs mois, sans incident significatif, même lorsque les candidats visitent des régions réputées favorables à leurs concurrents. Les autorités du pays, confrontées à de nombreux mouvements sociaux qui reflètent une vitalité démocratique certaine, ont su manier la carotte et le bâton pour prendre en compte à la fois les aspirations syndicales et les contraintes des institutions financières internationales.
La préservation d’un Etat républicain malgré la rébellion a permis à la Côte d’Ivoire d’être en passe de redevenir le moteur d’une dynamique économique régionale et de jouer un rôle dans l’arène diplomatique en définissant des rapports nouveaux avec la France et avec les pays émergents dans la perspective d’une meilleure coopération « Sud/Sud ».



(1) Sur les 6 384 816 personnes enrôlées, on comptait seulement 2 378 069 Ivoiriens effectivement présents sur la liste de 2000, 904 858 nouveaux Ivoiriens et 49 708 étrangers. Cela laissait 2 752 181 dossiers à réexaminer.