S’il intervient exclusivement en matière processuelle, le Protocole n°14 revêt des implications théoriques et pratiques importantes s’agissant du système européen de protection des droits de l’homme. Il sied donc de présenter les principaux points sur lesquels la CEDH a été amendée.

1. Introduction du juge unique
C’est la principale nouveauté introduite par le Protocole n°14. Avant le 1er juin, la requête individuelle pouvait être déclarée irrecevable, s’il était manifeste qu’elle l’était, par un comité de trois juges (ancien art. 28 CEDH). Désormais, cette compétence est dévolue à un juge unique (nouvel art. 27 CEDH). Le texte du nouvel art. 27 précise que la décision de déclarer irrecevable la requête ou de la rayer du rôle est limitée aux cas pour lesquels « une telle décision peut être prise sans examen complémentaire ». Selon le Rapport explicatif sur le Protocole n°14, cela signifie que le juge unique ne pourra prendre une telle décision qu’au sujet des affaires « dans lesquelles l’irrecevabilité de la requête s’impose d’emblée » (1). Sur ce dernier point, il faut se référer au nouveau critère de recevabilité introduit par le Protocole n°14, examiné au point 3 ci-dessous.
Si le juge unique, assisté de référendaires, estime que la requête n’est pas manifestement irrecevable, il la transmet à un comité de trois juges ou à une chambre composée de sept juges.

2. Attribution de la compétence de statuer sur le fond au comité de trois juges
Avant le 1er juin, le comité des trois juges n’avait la possibilité que de déclarer irrecevable ou rayer du rôle la requête. En l’absence d’unanimité entre les trois juges, la requête était transmise à une chambre voire à la grande chambre qui, seule, avait la possibilité de statuer sur le fond. Avec l’entrée en vigueur du Protocole n°14, les comités de trois juges sont désormais habilités à déclarer recevable la requête et statuer sur le fond dans une même décision « lorsque la question relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles qui est à l’origine de l’affaire fait l’objet d’une jurisprudence bien établie de la Cour » (nouvel art. 28 §1 lettre b). Selon le Rapport explicatif, la « jurisprudence bien établie » correspond à une jurisprudence constante de la Cour voire à un arrêt significatif de la grande chambre (2). Les parties contractantes ont ainsi entendu viser le grand nombre d’affaires répétitives qui représentent au moins la moitié du contentieux de la Cour. Le Protocole n°14 esquisse ainsi un système d’organisation judiciaire proche de celui prévalant en droit interne : une cour suprême (ici, la grande chambre) à qui revient le soin d’harmoniser la jurisprudence et de traiter les affaires les plus délicates d’un point de vue juridique ou politique, et des juridictions de première instance, placées sous la coupe de celle-ci (ici, les comités des trois juges).
Le mot d’ordre demeure cependant d’assurer un système efficace de contrôle des droits de l’homme. Ainsi, cette procédure exige l’unanimité de la part des trois juges siégeant dans le comité. En l’absence d’unanimité, on en revient à la procédure antérieure, l’affaire est transmise à la chambre. Cette nouvelle procédure entend également respecter le principe du contradictoire même si sa portée est considérablement réduite (« simplifiée et accélérée » selon le Rapport explicatif). Elle se restreint à porter l’affaire à la connaissance de la Partie défenderesse (l’Etat) en précisant qu’il s’agit d’une question faisant l’objet d’une « jurisprudence bien établie ». La Partie défenderesse peut soit souscrire à l’avis du comité soit contester l’applicabilité de l’art. 28 (nouvel article) à deux égards : les voies de recours internes n’ont pas été épuisées ; le cas d’espèce diffère de la jurisprudence considérée comme « bien établie ». Il en ressort que la Partie défenderesse n’est pas en mesure de contester la nature « bien établie » de la jurisprudence en question, appréciation laissée à la Cour de manière générale.

3. Un nouveau critère de recevabilité
Le Protocole n°14 ajoute une nouvelle condition de recevabilité à celles déjà prévues à l’article 35 de la CEDH. La Cour peut désormais non seulement déclarer irrecevable une requête « manifestement mal fondée ou abusive », mais aussi, depuis le 1er juin, lorsqu’elle estime que
« le requérant n’a subi aucun préjudice important, sauf si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exige un examen de la requête au fond et à condition de ne rejeter pour ce motif aucune affaire qui n'a pas été dûment examinée par un tribunal interne ».
Ce nouveau critère de recevabilité se décompose donc en trois éléments, le premier énonçant un nouveau motif d’irrecevabilité, les deux autres tenant lieu de clauses de sauvegarde. Ces trois éléments sont le reflet de diverses préoccupations : les contractants désirent à la fois décharger la Cour des affaires qui ne justifient pas un examen au fond, que ce soit « du point de vue de l’intérêt juridique du requérant individuel ou de celui plus général du droit de la Convention et de l’ordre juridique européen auquel celui-ci participe » (3) et, s’agissant des clauses de sauvegarde, assurer un droit de recours individuel effectif.
Comme l’admet le Rapport explicatif, ce nouveau critère de recevabilité devra faire l’objet d’une interprétation par les chambres voire par la grande chambre. C’est la raison pour laquelle une des dispositions transitoires du Protocole (art. 20§2) stipule que les formations de juge unique et les comités de trois juges ne pourront pas appliquer ce critère pendant les deux années après l’entrée en vigueur du Protocole (soit le 1er juin 2012). Il faudra donc rester vigilant et scruter les prochaines décisions d’irrecevabilité de la chambre ou de la grande chambre à cet égard. Il est en effet difficile à ce stade de spéculer sur la signification des termes « préjudice important subi par le requérant ». Ce préjudice varie-t-il suivant la nature des droits dont la violation est alléguée ? Pourrait-il s’agit d’un préjudice financier ? On peut également se demander ce qui, pour la Cour, soulève des questions importantes d’interprétation de la CEDH, ou de droit national. S’agit-il de points de droit pour lesquels aucune jurisprudence n’a été « établie » (dans le sens de « bien établie ») ou pour lesquels des enjeux politiques commandent que la Cour se prononce ?
Il restera à la doctrine d’évaluer si ce nouveau critère de recevabilité améliore la protection des droits de l’homme en Europe ou si, au contraire, il constitue une entrave au droit de recours individuel à propos duquel la Cour européenne a de manière constante prétendu qu’il ne devait pas être illusoire en pratique. C’est une « jurisprudence établie » à ce titre.

4. Le recours en manquement contre un Etat n’ayant pas exécuté l’arrêt de la Cour
Un dernier point de la réforme introduite par le Protocole n°14 porte sur l’exécution des arrêts de la Cour par les Etats parties à la CEDH. Depuis l’entrée en vigueur de la CEDH (1950), le Conseil des ministres du Conseil de l’Europe est chargé de veiller à la bonne exécution des arrêts, d’abord en tant qu’organe quasi-juridictionnel (avant 1998), puis en tant qu’organe politique. Le Protocole n°14 introduit à son art. 46 §§4-5 une nouvelle procédure en la matière. Il habilite en effet le Conseil des ministres à saisir la Cour, siégeant en grande chambre, d’un recours en manquement contre un Etat ayant failli à tirer les conséquences d’un arrêt rendu par celle-ci. Cependant, le Rapport explicatif précise qu’il ne saura être question pour la Cour de statuer à nouveau sur le fond. Il s’agira de fait d’exercer une pression politique supplémentaire sur l’Etat concerné. Il sera là encore intéressant de vérifier, dans les prochains mois ou prochaines années, si l’effet escompté s’est réalisé.

(1) Rapport explicatif, §67 : http://conventions.coe.int/Treaty/FR/Reports/Html/194.htm (dernier accès 1er juin 2010).
(2) Ibid., §68.
(3) Ibid., §77.