Dans un nouveau rapport rendu public le 18 juin, la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) estime que le développement des relations commerciales et financières entre l'Afrique et les autres pays en développement devrait permettre au continent de diversifier la production, d'acquérir de la technologie et de développer les marchés régionaux.
L’Afrique devrait adopter des mesures afin que ses relations économiques, de plus en plus nombreuses, avec de grands pays en développement, dont la Chine, l’Inde et le Brésil, débouchent sur une diversification de l’économie et non sur la simple vente de produits de base et de matières premières, selon le schéma traditionnel des relations du continent avec le Nord industrialisé.
Selon ce rapport, intitulé Développement économique en Afrique : La coopération Sud-Sud: l’Afrique et les nouvelles formes de partenariat pour le développement, le nombre croissant de nouveaux partenaires économiques du "Sud" peuvent faciliter cette transformation en Afrique non seulement par une intensification des courants commerciaux et financiers, mais aussi par le financement de projets régionaux d’infrastructure et par le transfert de connaissances et de technologie.
Or, pour le moment, les échanges et les investissements avec le Sud ne font que renforcer le schéma traditionnel : les pays africains exportent des produits agricoles, des minéraux, des minerais et du pétrole brut, et importent des articles manufacturés. Cette tendance doit être inversée pendant que les relations Sud-Sud en sont encore à leurs débuts. La répétition du schéma traditionnel ne va pas aider les pays africains à réduire leur dépendance, elle aussi traditionnelle, par rapport aux exportations de produits de base et d’articles à faible valeur ajoutée.
Tendances nouvelles
Le rapport constate un accroissement notable du nombre et de la nature des accords de coopération Afrique-Sud depuis 2000. Le Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) est le plus connu et le plus complexe, mais d’autres institutions nouvelles lient l’Afrique à l’Inde, au Brésil, à la République de Corée et à la Turquie, entre autres partenaires. Il existe aussi de nouveaux partenariats stratégiques intercontinentaux.
Le commerce, l’investissement et les apports financiers publics sont les principaux vecteurs de ces nouveaux partenariats, dans lesquels le commerce occupe la première place.
Le commerce total des marchandises de l’Afrique avec les pays en développement extra-africains est passé de 34 milliards de dollars des États-Unis en 1995 à 97 milliards en 2004, puis il a bondi à 283 milliards en 2008.
Le nombre de projets d’investissement étranger direct (IED) de création financés par des investisseurs de pays en développement extra-africains a grimpé de 52 en 2004 à 184 en 2008. (Un investissement de création est un investissement dans une opération entièrement nouvelle de production manufacturière, de construction de bureaux, ou autre opération concernant une société).
Les données disponibles ne permettent pas d’apprécier de façon complète et fiable l’ampleur des apports de fonds publics en provenance des pays en développement, mais on estime que l’aide publique de ces pays à la région s’élevait à 2,8 milliards de dollars des États-Unis en 2006; elle a sensiblement augmenté depuis lors car la Chine, dont on estime qu’elle fournit plus de 83% du total, s’est engagée à doubler son aide à l’Afrique pour 2009.
En 2008, pour la première fois, le commerce total de l’Afrique avec les pays en développement, y compris ceux du continent, a été supérieur à son commerce total avec l’Union européenne, qui est depuis toujours son principal partenaire commercial.
Avec la croissance économique continue des grands pays en développement, et l’affaiblissement des perspectives de croissance des économies avancées, on peut s’attendre à voir les relations économiques entre l’Afrique et les autres régions en développement gagner en importance relative.
Le rapport constate que l’aide publique au développement (APD) des pays en développement se porte de plus en plus sur l’infrastructure et les secteurs de production des économies africaines, ce qui a permis d’étoffer les ressources disponibles pour la région et de diversifier les possibilités de financement de l’Afrique. En 2006, les donateurs traditionnels ne consacraient que 22% de leur APD aux secteurs de production et à l’infrastructure.
En termes d’échelle, la Chine devient la principale source d’aide bilatérale à l’Afrique pour l’infrastructure et les secteurs de production. D’après l’information disponible, les engagements chinois de financement des infrastructures dans l’Afrique subsaharienne sont montés en flèche, passant de 470 millions de dollars en 2001 à 4,5 milliards en 2007. On estime à 54% pour la période 2002-2007 l’aide de la Chine consacrée à l’infrastructure et aux travaux publics.
Toutefois, le rapport émet un message important, à savoir que les nouvelles tendances ne doivent pas être considérées comme circonscrites à la Chine et à l’Afrique. Les relations économiques de plus en plus nombreuses entre ces deux partenaires s’inscrivent dans une tendance plus large à l’intensification des relations de l’Afrique avec le Sud, en particulier avec les pays émergents dotés d’une économie puissante et dynamique.
Si le commerce total des marchandises avec la Chine est passé de 25 milliards de dollars en 2004 à 93 milliards en 2008, le commerce total avec l’Inde est passé dans la même période de 9 milliards de dollars à 31 milliards, et le commerce avec le Brésil de 8 milliards à 23 milliards.
Que faut-il faire pour profiter de ces possibilités nouvelles ?
Le rapport 2010 sur le développement économique en Afrique invite instamment les nations africaines à tenir compte des tendances "Afrique-Sud" dans leurs plans de développement économique à long terme. Leurs gouvernements doivent être fermes lorsqu’ils négocient un accord de coopération avec d’autres pays en développement, afin qu’il soit convenablement tenu compte de leurs intérêts. Une approche dynamique des gouvernements africains et le partage de données d’expérience avec leurs partenaires en développement sont de nature à accélérer l’échange d’informations sur leurs politiques respectives, ce qui devrait améliorer l’efficacité des relations pour toutes les parties.
D’après l’étude, l’objectif général doit être d’étoffer les "capacités de production" de l’Afrique, c’est-à-dire l’aptitude des économies du continent à produire des biens plus variés et plus élaborés.
Les pays en développement partenaires peuvent soutenir ce processus en élargissant le champ de leur intervention au-delà du secteur des activités extractives et en renforçant le transfert de technologie et de connaissances. Les prêts consentis à des conditions de faveur par ces pays ont permis d’améliorer l’accès au financement pour plusieurs pays de la région et il faut s’en féliciter, d’après le nouveau rapport de la CNUCED. Mais le rapport recommande aux pays africains de veiller à ce que les nouveaux emprunts contractés auprès de ces partenaires servent à financer des projets qui améliorent leur capacité interne de remboursement.
Le Rapport souligne que la coopération avec le Sud doit aboutir à ce que les avantages obtenus soient mieux répartis entre les pays. En 2008, les cinq premiers exportateurs africains vers les pays en développement fournissaient 68% des exportations totales de la région, et les cinq premiers pays africains représentaient 57% des importations de la région en provenance d’autres pays en développement.
D’après le rapport, les pays africains devraient aussi participer plus activement à la coordination et à l’administration de l’aide des pays en développement et des pays développés, afin d’abaisser les coûts de transaction et d’obtenir de meilleurs résultats économiques. Les pays africains devraient créer ou renforcer des structures nationales de gestion et de coordination de l’aide afin de promouvoir la maîtrise locale des processus d’aide et des fruits de l’aide. Le rapport suggère d’utiliser le Forum pour la coopération en matière de développement pour partager leurs expériences nationales relatives à la bonne utilisation de l’aide.
Le rapport recommande aux pays africains d’adopter en matière d’investissement étranger direct une approche axée sur le développement. Ces pays ne doivent pas chercher au premier chef à attirer simplement l’IED du Sud mais s’attacher à créer des liens entre l’IED et les économies locales et à orienter les investissements vers les secteurs où ils peuvent catalyser l’investissement intérieur, créer des emplois, stimuler l’intégration économique régionale et donner une impulsion à la capacité de production. Des incitations ciblées pour encourager les investisseurs étrangers à se procurer des facteurs de production sur place seraient un moyen de promouvoir les relations entre l’IED du Sud et les économies africaines. La promotion de coentreprises entre sociétés africaines et sociétés du Sud pourrait aussi stimuler la diffusion des connaissances à l’intention des chefs d’entreprise locaux et contribuer à la transformation structurelle des économies africaines.
Le rapport relève que malgré les progrès de la coopération Afrique-Sud, les donateurs traditionnels demeurent, et pour longtemps, les principaux fournisseurs d’aide à la région et ses principaux partenaires commerciaux. Le rapport recommande donc de considérer la coopération entre l’Afrique et le Sud comme un complément et non comme un substitut des relations avec les partenaires traditionnels du Nord.
Source : CNUCED
Commentaires
Concernant les investissements extérieurs, certains bénéficieront aux pays africains, notamment en termes d'infrastructures routières, mais ce n'est absolument pas un investissement philanthropique ni même rentable (voir les notations financières de ces pays): l'investissement chinois par exemple dans les infrastructures routières a pour but premier de permettre l'acheminement des produits d'exportation dont les entreprises chinoises ont cruellement besoin pour continuer de se développer. La question se pose sur la durabilité de ces infrastructures et, surtout, de la capacité financière des pays en bénéficiant à les entretenir...
Une partie de l'investissement extérieur consiste aussi en la construction des bureaux des firmes de ces pays nécessaires à l'exploitation de ces matières premières ou à la distribution de leurs propres produits en Afrique lorsque le marché intérieur le permet et n'apporte pas grand chose au pays hôte.
En un mot, j'ai bien peur que les BRIC (Brésil Russie Inde Chine) aient tendance à reproduire les relations que les anciennes métropoles colonisatrices ont entretenu durant les 50 dernières années...
Le recul de la France et de l'Angleterre en Afrique n'est d'ailleurs pas anodin, l'Afrique est seulement en train de changer de maîtres, même si ces derniers sont moins hypocrites puisqu'ils ne se mettent pas de conditions politiques (droits de l'homme etc) à leur présence (non reconnaissance de Taïwan excepté pour la Chine)...