Sous la pression de la rue, Abdallah Saleh est poussé à faire des concessions. Il propose d’abandonner ses pouvoirs exécutifs d’ici à la fin de l’année. Trop peu, répondent les opposants, exigeant son départ immédiat et excluant tout compromis. Pour beaucoup de spécialistes du dossier yéménite, Saleh chercherait une sortie plus digne que Moubarak et Ben Ali. Il ne veut pas perdre le pouvoir dans des conditions similaires. L’imbroglio politique au Yémen est d’autant plus complexe que la solution paraît très difficile à échafauder.

La carte d’Al-Qaïda au Yémen : un atout majeur longtemps utilisé pour rester au pouvoir
A la faveur d'un conflit ouvert entre le président Ali Abdallah Saleh et les tribus qui s'opposent à lui, Al Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) pourrait ainsi remobiliser le réseau islamiste après la mort de son chef Oussama Ben Laden. Aqpa a une importance internationale puisqu'il regroupe des activistes audacieux, qui n'hésitent pas à mener des opérations à l'étranger, à concevoir et dissimuler des bombes perfectionnées, ni à diffuser une propagande apparemment efficace sur internet pour inciter d'autres extrémismes à commettre leurs propres attentats.
Ce groupe mène toutes ces opérations à partir de caches situées dans des régions reculées des provinces de Chaboua, Abyan, Djouf et Mareb et sa liberté d'action risque de grandir si les services de sécurité sont confrontés à des troubles politiques. Quand on voit à quel point le gouvernement de Saleh se préoccupe d'abord de rester au pouvoir, Aqpa a bien plus d'espace pour agir en ce moment.
Aqpa évolue dans un Etat à la dérive et dont l'appareil de sécurité se préoccupe d'autres questions, c'est-à-dire la survie du régime, ce qui fait que certaines régions du Yémen sont encore moins gouvernées qu’elles ne l’étaient il y a un an. Dans cette perspective, il est légitime de savoir si un tel effondrement total de l'Etat aggraverait une quantité de problèmes bien plus sérieux pour les Yéménites que la présence d'Aqpa sur leur sol, notamment la corruption, l'insécurité, le chômage et les difficultés d'approvisionnement en eau.
Toutefois, Aqpa est la principale préoccupation des pays occidentaux en matière de sécurité. Ali Abdallah Saleh a récemment déclaré à Reuters qu'Al Qaïda avait intensifié ses attaques ces derniers mois mais que la coopération avec Washington en matière de lutte contre le terrorisme restait bonne. Ses détracteurs jugent cependant que sa gestion du pays est à l'origine d'un certain nombre de problèmes, dont l'extrémisme islamiste, à tel point que son départ constituerait en soi une victoire pour la lutte antiterroriste.
Son refus de signer l’accord de transition présenté par le Conseil de Coopération du Golfe et son maintien au pouvoir ne fera que nourrir les causes sous-jacentes du développement d'Al Qaïda au Yémen – le durcissement du mouvement de contestation populaire, l'absence de perspectives, la corruption, les atteintes aux libertés et aux droits humains et le meurtre de citoyens yéménites au nom de la lutte contre Aqpa.

La révolte syrienne inquiète les voisins
Lors des premières manifestations du « printemps arabe », en Tunisie et en Égypte, la plupart des observateurs n’imaginaient pas un processus du même genre en Syrie, pour deux raisons. D’abord, à cause du savoir-faire répressif du régime et du souvenir cuisant qu’avaient laissé dans la population les massacres d’opposants de 1979 et des années suivantes. Ensuite, à cause de la complexité ethnique et religieuse de la Syrie, qui faisait appréhender un scénario à l’irakienne, avec l’entrée dans une guerre civile en cas de montée des oppositions.
Pourtant, comme dans les autres pays arabes, les ingrédients d’une « révolution » étaient réunis. La réception des télévisions satellitaires, l’usage du téléphone portable et d’internet, associés au virage libéral du régime en matière économique et, plus récemment, à une crise grave provoquée par une sécheresse persistante, pouvaient constituer le terreau favorable pour un soulèvement contre un régime usé et accusé de corruption.
Voilà plus de deux mois que se poursuivent en Syrie manifestations et révoltes populaires pour la liberté et la démocratie. Dans la dernière quinzaine, les slogans ont été jusqu'à réclamer la chute du régime. Depuis le 22 mars, on a vu le mouvement s’étendre vers la majorité des régions syriennes, du littoral à l’est et du centre au sud.
Dès le premier jour, les autorités ont répondu à ces mouvements avec une violence inouïe et accrue qui a eu pour conséquence des centaines de tués, sans compter les arrestations arbitraires et les milliers des réfugies en Turquie. Cette violence a été accompagnée d’une campagne de désinformation accusant l’extérieur de complot contre la Syrie et sa stabilité pour justifier l’opinion sécuritaire comme la seule solution qui s’impose.
A la lumière de ce mouvement et face au courage exceptionnel dont fait preuve le peuple syrien confrontant la répression du régime, de nombreuses questions se posent sur cette révolte, et surtout son impact sur l’équilibre géopolitique régional.
Bien plus que l’Egypte de Hosni Moubarak, la Syrie de Bachar el-Assad est un acteur-clé au Moyen-Orient et contribue, par conséquent, à la constitution des rapports de forces régionaux. Son influence est importante en Irak, déterminante sur la scène palestinienne et incontournable au Liban. La disparition du régime ou son affaiblissement d’une manière significative, auront forcément des répercussions sur les équilibres régionaux qui impliquent Israël, les Etats-Unis, l’Iran et les pays arabes alliés des Américains.
Damas apporte, en effet, un soutien multiforme au Hezbollah libanais et au Hamas palestinien et fournit une couverture arabe à l’Iran qui l’aide à étendre son influence jusqu’à la Méditerranée.
Mais au-delà de ces enjeux géopolitiques, le Liban est déjà directement touché par les troubles qui secouent la Syrie depuis le 18 mars. L’afflux au Liban de 1 500 réfugiés syriens en l’espace de 48 heures, la semaine dernière, est un petit exemple du problème humanitaire qui peut apparaître en cas de crise majeure. Ces réfugiés ont fui leur village de Tall Kalakh, près de Homs, pour trouver refuge chez des amis et des proches dans la région de Wadi Khaled, à l’extrême nord du Liban. Si un tel scénario se reproduisait dans d’autres villages frontaliers, le pays du cèdre verrait des dizaines de milliers de personnes déferler sur son territoire.
Sur le plan économique, la Syrie constitue le seule débouché du Liban sur l’Irak et les Etats arabes du Golfe. Le transit des marchandises entre le port de Beyrouth et ces pays constitue un poste essentiel de recettes pour le Trésor. Lors de l’annonce de la fermeture de la frontière syro-jordanienne, lors de l’entrée de l’armée syrienne à Deraa, le 25 avril, le transport des marchandises a été sérieusement perturbé et des longues files de camions ont été bloquées à la frontière libano-syrienne. Par ailleurs, la place financière syrienne est importante pour les banques libanaises qui ont ouvert des dizaines de branches en Syrie, ces six dernières années, à la faveur de la libéralisation économique amorcée par Bachar el-Assad.
Politiquement, les accusations lancées par les autorités syriennes sur l’implication présumée de personnalités libanaises dans les troubles en Syrie ont provoqué une vive polémique au Liban, mais la conséquence politique la plus grave reste l’impossibilité des Libanais à former un gouvernement depuis plus de trois mois. Occupée par ses propres affaires, la Syrie n’a ni le temps ni les moyens d’intervenir pour accélérer la formation du gouvernement. Ses alliés, qui ont fait tomber le cabinet de Saad Hariri, le 11 janvier, ne parviennent toujours pas à prendre le pouvoir, bien qu’ils disposent désormais d’une légère majorité parlementaire.