Peu après avoir été mis en cause par l'organisation Human Rights Watch, qui avait accusé les deux hommes d'avoir failli à leur devoir en ne conduisant pas d'enquête "véritable, impartiale et efficace", Siegfried Blunk a claqué la porte.
Tout en revendiquant son indépendance, il a estimé que sa "capacité à résister à la pression des responsables du gouvernement et à assumer ses fonctions de façon indépendante pourrait toujours être mise en cause, ce qui mettrait aussi en cause l'intégralité des procédures des dossiers 3 et 4".
Il a présenté sa démission au secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon.
Les observateurs du tribunal parrainé par l'ONU craignent le classement de ces deux affaires, qui concernent cinq cadres - dont des militaires - du régime (1975-1979) sous lequel environ deux millions de personnes sont mortes de faim, d'épuisement ou sous la torture.
Le Premier ministre cambodgien Hun Sen, lui même ex-cadre khmer rouge qui s'était finalement retourné contre le régime, s'oppose à la tenue d'autres procès après celui, en cours, des quatre plus hauts responsables encore vivants.
"Je ne laisserai personne détruire" la paix, avait-il notamment déclaré fin 2009.
Parmi les autres auteurs des pressions stigmatisés par le juge figurent les ministres des Affaires étrangères Hor Namhong, et de l'Information Khieu Kanharith. Le juge "rejette les torts sur les autres alors qu'il n'a pas réussi à coopérer avec ses collègues", a réagi ce dernier, réaffirmant la neutralité de son gouvernement.
Cette démission va pourtant affaiblir encore une juridiction marquée par d'incessants conflits entre Phnom Penh et la communauté internationale.
Un seul accusé a été pour l'instant jugé, Kaing Guek Eav, alias Douch, ex-chef de la prison de la capitale, a écopé en juillet 2010 de 30 ans de prison. Il attend un verdict en appel.
Le deuxième procès, de très loin le plus important et qui doit durer des années, s'est symboliquement ouvert en juin mais est déjà bloqué par des débats sur l'état de santé de deux prévenus, faisant craindre que certains ne meurent avant de répondre de leurs actes.
L'ex-ministre des Affaires étrangères des Khmers rouges Ieng Sary, l'idéologue du régime Nuon Chea, le président du "Kampuchea démocratique" Khieu Samphan et la ministre des Affaires sociales Ieng Thirith, doivent répondre de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Quant aux affaires instruites par Siegfried Blunk, elles semblent moribondes.
Les juges avaient annoncé au printemps la fin de l'enquête numéro 3 sans dévoiler leurs conclusions. Dans le cas "numéro quatre", ils ont émis en août de "sérieux doutes" sur le fait que les trois suspects, à leurs yeux trop subalternes, relèvent du mandat de la cour.
Blunk "a fait ce qu'il fallait faire", a estimé Clair Duffy, observatrice du tribunal pour l'organisation Open Society Justice Initiative. Mais sa démission ne l’exonère pas de ses responsabilités, a-t-elle ajouté, relevant que son "comportement" avait été "mis en cause depuis des mois".
Cette démission "offre la possibilité aux Nations unies d'intervenir publiquement et de discuter avec le gouvernement sur sa position", a-t-elle insisté.
Le porte-parole de Ban Ki-moon a indiqué à l'AFP par courriel que le magistrat serait remplacé très vite. L'ONU a "constamment souligné" la nécessité que le tribunal travaille "sans l'ingérence d'une quelconque entité, qu'il s'agisse du gouvernement (...), des Etats donateurs ou de la société civile", a-t-il relevé.
Source : AFP