16 mai 2013

NOTE : L'échec du missile M51, une opportunité à saisir !

Jean-Marie COLLIN

Le dimanche 5 mai à 9h30, un tir de missile balistique M51 est effectué par le sous-marin Le Vigilant à partir de la baie d'Audierne (Finistère). Quelques minutes après son lancement, celui-ci s'autodétruit en plein vol. Cet essai raté devrait amener à ouvrir une réflexion sur la modernisation de l'arsenal nucléaire et sur le bon fonctionnement de cette force.
Si la France a toujours affirmé ne jamais avoir participé à une course aux armements pendant la Guerre froide, force est de constater qu'elle ne cesse de moderniser ses forces nucléaires depuis 15 ans. Tel est le cas de la composante aéroportée, qui a vu l'arrivée d'avions Rafale F3, de missiles de croisières ASMP-A et d'une nouvelle ogive nucléaire (la Tête Nucléaire Aéroportée). La Force océanique n'est évidemment pas en reste, avec de nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (1) (SNLE) et les missiles M45, dont le remplacement par le M51 est déjà en cours.
L'évidence de cette modernisation apparaît au grand jour avec l'échec du tir du M51, dont la portée serait supérieure à 8000 km et la précision inférieure au demi-kilomètre. Son coût est proche des 142 millions €, ogives nucléaires non incluses et non de 120 millions €, chiffre souvent avancé ces derniers jours. Les dépenses liées au choix de ce missile sont importantes. Elles comprennent le développement du missile et du système de mise en œuvre à la base opérationnelle de l'Ile Longue (5,7 milliards €) et le coût de réalisation des 3 lots de 16 missiles (plus une douzaine pour les tests) destinés aux SNLE (2,8 milliards €).
La course à la modernisation va se poursuivre, avec la mise en œuvre de deux autres versions de ce missile d'ici 2020: le M51.2, qui emportera la nouvelle Tête Nucléaire Océanique, d'une puissance de 100 Kt (2), puis le M51.3, qui disposera d'un troisième étage "pour des performances accrues". Ce dernier développement semble avoir été encouragé par les experts et les industriels, dans la mesure où il assure la pérennité des bureaux d'études de ce secteur de l'aérospatiale.
Cette politique de modernisation vient une nouvelle fois d'être décriée par de nombreux Etats à l'ONU en cette fin avril à la conférence du Traité de non prolifération nucléaire (TNP). Ils estiment -à juste titre- que cette course à la qualité est contraire à l'esprit du Traité de Non Prolifération (TNP), qu'elle ne respecte pas la mesure n°3 du Document final de la Conférence d'examen de 2010 du TNP:
"Les États dotés d'armes nucléaires se doivent de redoubler d'efforts pour réduire et, à terme, éliminer tous les types d'armes nucléaires".
(1) Le prix unitaire d'un SNLE est de 4,282 milliards €
(2) La bombe d'Hiroshima avait une puissance de 15 Kt
(3) Article VI du TNP

Ils considèrent que cette politique risque d'encourager d'autres pays à acquérir ce type d'armement.
Actuellement, le SNLE Le Terrible assure le bon fonctionnement de la dissuasion nucléaire. Il est prêt à tirer une salve de M51, si l'ordre présidentiel lui en était donné. L'échec du 5 mai devrait pourtant faire réfléchir les adeptes de cette force, car c'est bien la fiabilité du M51 qui est remise en cause, puisque le tir a été réalisé avec un missile fabriqué en série... L'hypothèse de l'inefficacité des missiles actuellement en dotation ne peut être totalement exclue dans un jeu où l'on fait toute confiance à la technique. L'attitude qui consiste à vouloir faire reposer notre défense sur une croyance, fait penser à celle des stratèges militaires dans les années 1930 avec la fameuse ligne Maginot. 
Oui, le TNP donne le droit à la France de posséder l'arme nucléaire, mais il ne lui reconnaît pas le droit de la conserver éternellement. Au contraire, son objectif est le désarmement nucléaire (3). Ce raté balistique pourrait être pour la France l'occasion d'une réflexion en profondeur. En 2010, elle s'est engagée devant 189 Etats membres du TNP "à faire un rapport en 2014" sur des mesures concrètes sur le désarmement nucléaire. En gelant ce programme M51, à la fiabilité remise en cause, elle respecterait sa parole. De même, les parlementaires pourraient jouer pleinement leur rôle en s'interrogeant sur la politique de dissuasion nucléaire -absente du récent Livre Blanc- à quelques mois de l'élaboration de la Loi de programmation militaire.

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