La Sixième Commission (chargée des questions juridiques) de l'AGNU a repris, le 18 octobre 2013, son débat sur la portée et l’application du principe de compétence universelle. Si le principe de compétence universelle demeure un outil fondamental pour combattre l’impunité et renforcer la justice internationale, comme l'a rappelé un rapport du Secrétaire général du 26 juin 2013 (A/68/113), son usage ne saurait se faire de façon abusive, ont prévenu de nombreuses délégations.
M. Henrique Banze,
du Mozambique, s’est dit préoccupé par la tendance consistant pour les
juridictions de certains pays à poursuivre les chefs d’État de pays africains
en « violation flagrante des normes du droit international ». Le délégué kenyan, citant son Président, M. Uhuru Kenyatta, a dit : « Nous
aimerions voir la Cour pénale internationale (CPI) agir de manière juste et
équitable, mais que pouvons-nous faire lorsque tout le monde, à l’exception de
l’Afrique, est exempté de l’obligation de rendre des comptes ? ». Le
représentant de la Guinée équatoriale s’est insurgé contre les mandats d’arrêts
lancés par la France en 2011, par le biais d’Interpol, contre le Président de
son pays. « La justice française a agi en violation du droit
international », a-t-il affirmé, en s’interrogeant sur les crimes – de
guerre ou contre l’humanité – reprochés au chef de l’État de Guinée équatoriale.
Peu
convaincues des progrès faits à ce jour sur la question de la compétence
universelle au sein de la Sixième Commission, des délégations ont estimé qu’il
faudrait renvoyer l’examen de cette question à la Commission du droit
international (CDI), compte tenu de la nature juridique et des particularités
techniques de la compétence universelle. En raison de son expertise, la
CDI pourrait entreprendre une étude approfondie sur la question, ont suggéré
certaines de ces délégations, dont l’Albanie et l’Italie, qui a fait référence
aux déclarations de la veille du Liechtenstein et de la Suisse. L’Ouganda
et le Lesotho, pour leur part, ont estimé que c’est au sein de la Sixième
Commission que la question de la compétence universelle doit être
examinée. En raison des diverses interprétations de ce principe, le
délégué d’Israël a considéré qu’il serait prudent de solliciter davantage de
rapports sur la pratique des États Membres en la matière.
La Sixième
Commission reprendra ses travaux lundi, 21 octobre à 10 heures. Elle
examinera la responsabilité des États et la protection diplomatique.
Portée et application du principe decompétence universelle – déclaration du CICR aux Nations Unies, 18 octobre 2013
Assemblée générale des Nations Unies, 68e session, 6ème Commission, Points 86 de l’ordre du jour. Déclaration du CICR, New York, le 18 octobre 2013.
Le Comité international de la
Croix-Rouge (CICR) est reconnaissant de l’occasion qui lui est donnée de
prendre la parole devant la Sixième Commission de l’Assemblée générale des
Nations Unies sur la question de la portée et de l’application de la compétence
universelle.
Comme le CICR l’a déjà souligné devant
cette assemblée, et récemment encore dans sa communication écrite de 2013 au
Secrétaire général au titre de la Résolution 65/33 de l’Assemblée générale des
Nations Unies, la compétence universelle est un moyen essentiel de pouvoir
traduire en justice les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre
l’humanité et d’actes de génocide.
La compétence universelle pour les
violations graves du droit international humanitaire a son fondement à la fois
dans le droit conventionnel et le droit coutumier.
Dans le droit conventionnel, la
compétence universelle pour les crimes de guerre a pour base les dispositions
des Conventions de Genève de 1949 pour la protection des victimes de la guerre
concernant les violations de ces conventions qualifiées d’infractions graves.
Comme le CICR l’a rappelé dans des rapports antérieurs, si les Conventions de
Genève ne précisent pas expressément l’obligation d’établir la compétence
universelle quel que soit le lieu où a été commise l’infraction, elles ont
généralement été interprétées comme établissant ladite compétence.
De plus, si les dispositions
pertinentes des Conventions de Genève ne visent que les « infractions graves »,
la pratique des États a érigé en norme de droit international humanitaire
coutumier la règle selon laquelle les États ont le droit de conférer à leurs
tribunaux nationaux une compétence universelle pour toutes les violations
des lois et coutumes de la guerre qui constituent des crimes de guerre (règle
157, étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier, 2005).
Celles-ci comprennent les violations graves, pendant un conflit armé non
international, de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et des
dispositions du Protocole additionnel II de 1977, ainsi que d’autres crimes de
guerre, tels que ceux qui sont visés à l’article 8 du Statut de la Cour pénale
internationale.
Plusieurs autres instruments prévoient
une obligation similaire pour les États d’établir une compétence universelle à
l’égard de certains crimes lorsque ceux-ci sont commis pendant un conflit armé.
Ceux-ci incluent le Deuxième Protocole de 1999 relatif à la Convention de La
Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, et
de la Convention internationale de 2006 pour la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées.
Aux termes de ces instruments, il est
du devoir des États de traduire en justice les auteurs de
violations graves du DIH. Il peut arriver que, dans certains cas, ils soient
dans l’incapacité et n’aient pas la volonté de poursuivre leurs ressortissants
ou d’autres personnes ayant commis de tels crimes sur leur territoire ou sous
leur juridiction. La pratique des États a montré qu’en pareil cas, lorsque les
tribunaux internationaux ne peuvent pas agir, l’exercice de la compétence
universelle par d’autres États peut être un moyen efficace de contrer
l’impunité.
De nombreux États ont donné effet à
leurs obligations dans leur législation nationale. L’exercice de la compétence
universelle peut revêtir la forme soit de la promulgation d’une législation
nationale, soit de la conduite d’enquêtes sur les infractions présumées et de
la traduction en justice de leurs auteurs. Plus d’une centaine d’États ont
conféré à leurs tribunaux nationaux une compétence universelle pour les
violations graves du DIH.
On a vu, ces dernières années, un
nombre croissant d’auteurs présumés de crimes de guerre commis pendant un conflit
armé international ou non international être jugés par des tribunaux nationaux
en vertu du principe de compétence universelle. Il est intéressant de relever
que, dans la plupart des cas, les États dont les accusés étaient ressortissants
ne se sont pas opposés à l’exercice de cette compétence.
Le CICR est conscient du fait que les
États peuvent vouloir assortir l’application de la compétence universelle de
conditions, par exemple un lien avec l’État du for. Il tient à souligner que,
lorsque tel est le cas, les conditions prévues devraient viser à rendre la
compétence universelle plus prévisible et plus efficace, et non à limiter les
possibilités de poursuivre les auteurs présumés de violations. Le CICR
tient, en outre, à rappeler à toutes les parties concernées que, si l’application
de la compétence universelle peut nécessiter que des questions de politique
nationale soient prises en considération, l’indépendance du pouvoir judiciaire
et la garantie d’un procès équitable n’en doivent pas moins être respectées en
tout temps.
Il ne saurait y avoir de protection
efficace des victimes de conflits armés, en outre, sans l’adoption d’une
législation domestique qui permette de poursuivre les auteurs de crimes de
guerre – législation assortie du cadre juridictionnel approprié. Le principe de
compétence universelle fait partie de ce cadre juridictionnel. Ce concept
solidement ancré dans le droit international humanitaire demeure d’une
importance cruciale si l’on veut mettre fin à l’impunité pour toutes les violations
graves du DIH.
Conformément au mandat que lui ont
conféré les Conventions de Genève, le CICR a créé de nombreux outils visant à
aider les États dans leurs efforts pour se doter d’un système qui permette de
réprimer les violations graves du DIH. Or, tout système de ce type ne sera
vraiment efficace que s’il incorpore le principe de compétence universelle.
Pour conclure, le CICR tient à
réaffirmer qu’il est prêt à contribuer à tout effort futur des Nations Unies à
cet égard.
A LIRE :
- Miranda METOU BRUSIL, « Sixième commission : persistance des divisions sur la compétence universelle », Sentinelle, 27 octobre 2013
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