27 octobre 2013

NOTE : Les clivages persistent à la Sixième Commission de l'Assemblée générale de l'ONU sur la portée et l'application de la compétence universelle

Catherine MAIA

La Sixième Commission (chargée des questions juridiques) de l'AGNU a repris, le 18 octobre 2013, son débat sur la portée et l’application du principe de compétence universelle. Si le principe de compétence universelle demeure un outil fondamental pour combattre l’impunité et renforcer la justice internationale, comme l'a rappelé un rapport du Secrétaire général du 26 juin 2013 (A/68/113), son usage ne saurait se faire de façon abusive, ont prévenu de nombreuses délégations.


Ces États Membres, parmi lesquels le Kenya, la Guinée équatoriale, le Mozambique et Cuba, ont mis en garde la façon dont la portée et l’application de la compétence universelle peut être appliquée. « L’utilisation abusive de ce principe par certains États constitue une violation du droit international », a déclaré la Guinée équatoriale. Pour le Burkina Faso, le principe de la compétence universelle devrait se limiter aux crimes internationaux qui interpellent la conscience collective : le génocide, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, la piraterie, l’esclavage et la traite des personnes, les prises d’otages ou le faux monnayage. Le Lesotho, Cuba et le Kenya ont estimé que ce principe est utilisé de façon sélective par certains pays développés à l’encontre de dirigeants ou hauts fonctionnaires de pays en développement.

M. Henrique Banze, du Mozambique, s’est dit préoccupé par la tendance consistant pour les juridictions de certains pays à poursuivre les chefs d’État de pays africains en « violation flagrante des normes du droit international ». Le délégué kenyan, citant son Président, M. Uhuru Kenyatta, a dit : « Nous aimerions voir la Cour pénale internationale (CPI) agir de manière juste et équitable, mais que pouvons-nous faire lorsque tout le monde, à l’exception de l’Afrique, est exempté de l’obligation de rendre des comptes ? ». Le représentant de la Guinée équatoriale s’est insurgé contre les mandats d’arrêts lancés par la France en 2011, par le biais d’Interpol, contre le Président de son pays. « La justice française a agi en violation du droit international », a-t-il affirmé, en s’interrogeant sur les crimes – de guerre ou contre l’humanité – reprochés au chef de l’État de Guinée équatoriale.

Peu convaincues des progrès faits à ce jour sur la question de la compétence universelle au sein de la Sixième Commission, des délégations ont estimé qu’il faudrait renvoyer l’examen de cette question à la Commission du droit international (CDI), compte tenu de la nature juridique et des particularités techniques de la compétence universelle. En raison de son expertise, la CDI pourrait entreprendre une étude approfondie sur la question, ont suggéré certaines de ces délégations, dont l’Albanie et l’Italie, qui a fait référence aux déclarations de la veille du Liechtenstein et de la Suisse. L’Ouganda et le Lesotho, pour leur part, ont estimé que c’est au sein de la Sixième Commission que la question de la compétence universelle doit être examinée. En raison des diverses interprétations de ce principe, le délégué d’Israël a considéré qu’il serait prudent de solliciter davantage de rapports sur la pratique des États Membres en la matière.

La Sixième Commission reprendra ses travaux lundi, 21 octobre à 10 heures.  Elle examinera la responsabilité des États et la protection diplomatique.



Portée et application du principe decompétence universelle – déclaration du CICR aux Nations Unies, 18 octobre 2013

Assemblée générale des Nations Unies, 68e session, 6ème Commission, Points 86 de l’ordre du jour. Déclaration du CICR, New York, le 18 octobre 2013. 

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est reconnaissant de l’occasion qui lui est donnée de prendre la parole devant la Sixième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la question de la portée et de l’application de la compétence universelle.

Comme le CICR l’a déjà souligné devant cette assemblée, et récemment encore dans sa communication écrite de 2013 au Secrétaire général au titre de la Résolution 65/33 de l’Assemblée générale des Nations Unies, la compétence universelle est un moyen essentiel de pouvoir traduire en justice les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’actes de génocide.

La compétence universelle pour les violations graves du droit international humanitaire a son fondement à la fois dans le droit conventionnel et le droit coutumier.

Dans le droit conventionnel, la compétence universelle pour les crimes de guerre a pour base les dispositions des Conventions de Genève de 1949 pour la protection des victimes de la guerre concernant les violations de ces conventions qualifiées d’infractions graves. Comme le CICR l’a rappelé dans des rapports antérieurs, si les Conventions de Genève ne précisent pas expressément l’obligation d’établir la compétence universelle quel que soit le lieu où a été commise l’infraction, elles ont généralement été interprétées comme établissant ladite compétence.

De plus, si les dispositions pertinentes des Conventions de Genève ne visent que les « infractions graves », la pratique des États a érigé en norme de droit international humanitaire coutumier la règle selon laquelle les États ont le droit de conférer à leurs tribunaux  nationaux une compétence universelle pour toutes les violations des lois et coutumes de la guerre qui constituent des crimes de guerre (règle 157, étude du CICR sur le droit international humanitaire coutumier, 2005). Celles-ci comprennent les violations graves, pendant un conflit armé non international, de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et des dispositions du Protocole additionnel II de 1977, ainsi que d’autres crimes de guerre, tels que ceux qui sont visés à l’article 8 du Statut de la Cour pénale internationale.  

Plusieurs autres instruments prévoient une obligation similaire pour les États d’établir une compétence universelle à l’égard de certains crimes lorsque ceux-ci sont commis pendant un conflit armé. Ceux-ci incluent le Deuxième Protocole de 1999 relatif à la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, et de la Convention internationale de 2006 pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. 

Aux termes de ces instruments, il est du devoir des États de traduire en justice les auteurs de violations graves du DIH. Il peut arriver que, dans certains cas, ils soient dans l’incapacité et n’aient pas la volonté de poursuivre leurs ressortissants ou d’autres personnes ayant commis de tels crimes sur leur territoire ou sous leur juridiction. La pratique des États a montré qu’en pareil cas, lorsque les tribunaux internationaux ne peuvent pas agir, l’exercice de la compétence universelle par d’autres États peut être un moyen efficace de contrer l’impunité.

De nombreux États ont donné effet à leurs obligations dans leur législation nationale. L’exercice de la compétence universelle peut revêtir la forme soit de la promulgation d’une législation nationale, soit de la conduite d’enquêtes sur les infractions présumées et de la traduction en justice de leurs auteurs. Plus d’une centaine d’États ont conféré à leurs tribunaux nationaux une compétence universelle pour les violations graves du DIH.

On a vu, ces dernières années, un nombre croissant d’auteurs présumés de crimes de guerre commis pendant un conflit armé international ou non international être jugés par des tribunaux nationaux en vertu du principe de compétence universelle. Il est intéressant de relever que, dans la plupart des cas, les États dont les accusés étaient ressortissants ne se sont pas opposés à l’exercice de cette compétence.

Le CICR est conscient du fait que les États peuvent vouloir assortir l’application de la compétence universelle de conditions, par exemple un lien avec l’État du for. Il tient à souligner que, lorsque tel est le cas, les conditions prévues devraient viser à rendre la compétence universelle plus prévisible et plus efficace, et non à limiter les possibilités de poursuivre les auteurs présumés de violations. Le CICR tient, en outre, à rappeler à toutes les parties concernées que, si l’application de la compétence universelle peut nécessiter que des questions de politique nationale soient prises en considération, l’indépendance du pouvoir judiciaire et la garantie d’un procès équitable n’en doivent pas moins être respectées en tout temps.    

Il ne saurait y avoir de protection efficace des victimes de conflits armés, en outre, sans l’adoption d’une législation domestique qui permette de poursuivre les auteurs de crimes de guerre – législation assortie du cadre juridictionnel approprié. Le principe de compétence universelle fait partie de ce cadre juridictionnel. Ce concept solidement ancré dans le droit international humanitaire demeure d’une importance cruciale si l’on veut mettre fin à l’impunité pour toutes les violations graves du DIH.

Conformément au mandat que lui ont conféré les Conventions de Genève, le CICR a créé de nombreux outils visant à aider les États dans leurs efforts pour se doter d’un système qui permette de réprimer les violations graves du DIH. Or, tout système de ce type ne sera vraiment efficace que s’il incorpore le principe de compétence universelle.

Pour conclure, le CICR tient à réaffirmer qu’il est prêt à contribuer à tout effort futur des Nations Unies à cet égard.   



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