Le 15 novembre, le Conseil
de sécurité n’a pas approuvé la requête de pays africains
demandant à la Cour pénale internationale (CPI) de surseoir, pendant un an, à
l’enquête et aux poursuites visant le Président du Kenya, M. Uhuru
Kenyatta, et son Vice-Président, M. William Ruto. Les deux
dirigeants kényans sont accusés par la Cour d’incitation à la violence après
les élections de 2007 dans leur pays.
Sept membres
du Conseil se sont prononcés en faveur du projet de résolution et huit autres
se sont abstenus. Comme le souligne l’article 27, alinéa 3 de la Charte
des Nations Unies, la décision du Conseil sur une question de fond exige le
vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de
tous les membres permanents pour qu’elle soit adoptée.
Les pays,
ayant appuyé le projet de résolution, ont réagi vivement au refus du Conseil de
sécurité de laisser MM. Kenyatta et Ruto, « qui, ont-ils rappelé, ont
été démocratiquement élus », exercer pleinement leurs
responsabilités. Le Kenya, sous leur direction, joue un rôle clef dans la
lutte contre le terrorisme, ont-ils soutenu, en soulignant, à l’instar de la
Fédération de Russie, que l’acceptation de la demande présentée par les pays
africains ne pouvait être interprétée comme une violation du Statut de
Rome. « Elle visait simplement à appliquer l’article 16 de ce
Statut », a déclaré l’Ambassadeur Vitaly Churkin, de la Fédération de
Russie. La Chine, l’autre membre permanent du Conseil à avoir appuyé le
projet de résolution, a affirmé que les organisations internationales devraient
respecter le principe de complémentarité pour permettre aux juridictions
nationales d’exercer leur compétence sur les crimes graves quand celles-ci sont
capables de le faire, ainsi que les besoins spécifiques des pays. « La demande adressée par les pays africains au Conseil de sécurité était
raisonnable », a estimé l’Ambassadeur Liu Jieyi.
Les membres
du Conseil, qui se sont abstenus, ont expliqué leur vote en rappelant que la
demande africaine devrait être traitée dans le cadre de l’Assemblée des États
parties au Statut de Rome. En effet, pour la France, le Royaume-Uni et
les États-Unis notamment, la poursuite des procès à la Cour contre le Président
et le Vice-Président du Kenya ne constitue pas en soi une menace à la paix et à
la sécurité internationales. Les représentants de ces pays ont ainsi
estimé que la prochaine réunion de l’Assemblée, qui aura lieu le 20 novembre
prochain, devrait être l’occasion pour examiner les préoccupations des pays
africains concernant la situation au Kenya.
« La
demande d’un report pour 12 mois, ni plus ni moins, ne constituait pas une
pression politique », a précisé le représentant du Kenya, M. Macharia Kamau,
en assurant que « l’Afrique voulait simplement que la règle de droit
s’applique ». « Le Statut de Rome appartient également aux pays
africains ! », s’est-il exclamé, en regrettant qu’avec le refus d’un tel
report, « la peur et la défiance » aient aujourd’hui prévalu.
Comme le
Kenya, le Togo, le Rwanda et l’Éthiopie se sont dits convaincus que le rejet de
la demande de report sapait la confiance « nécessaire pour bâtir un monde
de paix » entre le Conseil de sécurité et l’Afrique.
Dans une
réponse indirecte à la France, le Rwanda a soutenu que « le Conseil de
sécurité était, en effet, le lieu approprié pour discuter de la demande
africaine ». Exprimant sa profonde déception devant le refus du
Conseil de sécurité d’accepter une requête « en faveur de la paix et de la
sécurité internationales », l’Ambassadeur Eugène-Richard Gasana, du
Rwanda, a qualifié le rejet du projet de résolution d’échec et de « honte
qui figurera dans les pages de l’histoire ». « L’article 16 du
Statut de Rome a-t-il été établi seulement pour que les grandes puissances
puissent se protéger ? », a-t-il demandé. Le Maroc, le Togo et le
Rwanda, qui ne sont pas parties au Statut de Rome, ne pourront pas participer
aux délibérations de l’Assemblée des États parties, a-t-il fait remarquer.
« L’Union
africaine n’est pas une organisation centrée sur les États qui les encourage à
invoquer la souveraineté nationale comme bouclier pour bénéficier de
l’impunité », a renchéri le représentant de l’Éthiopie, dont le pays
préside actuellement le Conseil de paix et de sécurité de l’Union
africaine. Le représentant éthiopien a jugé que le rejet du projet de
résolution reflétait la difficulté de certains membres du Conseil de sécurité à
concevoir une Afrique capable d’assumer pleinement la mise en œuvre de ses
politiques et stratégies en matière de paix et de sécurité. « Cela
n’est en aucun cas un gage d’optimisme pour l’avenir », a constaté M. Tekeda
Alemu. Fustigeant un Conseil « incapable de prendre au sérieux la
volonté de l’Afrique de s’approprier son présent et son avenir », il a
estimé que ses membres auraient pu, « au minimum », accorder le
bénéfice du doute aux chefs d’État et de gouvernement africains, « dont
certains sont des pays fondateurs de la Cour pénale internationale ».
Le
représentant du Guatemala, qui s’est dit très déçu d’assister « à une
autre division du Conseil de sécurité », a résumé le sentiment général en
déclarant : « Aujourd’hui, il n’y a que des perdants : l’Union africaine,
qui a l’impression que sa demande a été rejetée, la CPI, qui aspire à
l’universalité, et le Conseil de sécurité, qui affiche au monde ses
divisions », a déclaré M. Gert Rosenthal.
Source : ONU
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