16 novembre 2013

ACTU : Une tentative de repousser les procès des dirigeants kényans à la CPI échoue devant le Conseil de sécurité

Kadidiatou HAMA

Le 15 novembre, le Conseil de sécurité n’a pas approuvé la requête de pays africains demandant à la Cour pénale internationale (CPI) de surseoir, pendant un an, à l’enquête et aux poursuites visant le Président du Kenya, M. Uhuru Kenyatta, et son Vice-Président, M. William Ruto. Les deux dirigeants kényans sont accusés par la Cour d’incitation à la violence après les élections de 2007 dans leur pays.  

Le texte présenté par le Maroc, le Rwanda et le Togo invoquait l’article 16 du Statut de Rome de la Cour, qui stipule qu’« aucune enquête, ni aucune poursuite ne peut être engagée, ni menée pendant les 12 mois qui suivent la date à laquelle le Conseil de sécurité a fait une demande en ce sens à la Cour dans une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies ».

Sept membres du Conseil se sont prononcés en faveur du projet de résolution et huit autres se sont abstenus. Comme le souligne l’article 27, alinéa 3 de la Charte des Nations Unies, la décision du Conseil sur une question de fond exige le vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents pour qu’elle soit adoptée. 

Les pays, ayant appuyé le projet de résolution, ont réagi vivement au refus du Conseil de sécurité de laisser MM. Kenyatta et Ruto, « qui, ont-ils rappelé, ont été démocratiquement élus », exercer pleinement leurs responsabilités. Le Kenya, sous leur direction, joue un rôle clef dans la lutte contre le terrorisme, ont-ils soutenu, en soulignant, à l’instar de la Fédération de Russie, que l’acceptation de la demande présentée par les pays africains ne pouvait être interprétée comme une violation du Statut de Rome. « Elle visait simplement à appliquer l’article 16 de ce Statut », a déclaré l’Ambassadeur Vitaly Churkin, de la Fédération de Russie.  La Chine, l’autre membre permanent du Conseil à avoir appuyé le projet de résolution, a affirmé que les organisations internationales devraient respecter le principe de complémentarité pour permettre aux juridictions nationales d’exercer leur compétence sur les crimes graves quand celles-ci sont capables de le faire, ainsi que les besoins spécifiques des pays. « La demande adressée par les pays africains au Conseil de sécurité était raisonnable », a estimé l’Ambassadeur Liu Jieyi.

Les membres du Conseil, qui se sont abstenus, ont expliqué leur vote en rappelant que la demande africaine devrait être traitée dans le cadre de l’Assemblée des États parties au Statut de Rome. En effet, pour la France, le Royaume-Uni et les États-Unis notamment, la poursuite des procès à la Cour contre le Président et le Vice-Président du Kenya ne constitue pas en soi une menace à la paix et à la sécurité internationales.  Les représentants de ces pays ont ainsi estimé que la prochaine réunion de l’Assemblée, qui aura lieu le 20 novembre prochain, devrait être l’occasion pour examiner les préoccupations des pays africains concernant la situation au Kenya. 

« La demande d’un report pour 12 mois, ni plus ni moins, ne constituait pas une pression politique », a précisé le représentant du Kenya, M. Macharia Kamau, en assurant que « l’Afrique voulait simplement que la règle de droit s’applique ». « Le Statut de Rome appartient également aux pays africains ! », s’est-il exclamé, en regrettant qu’avec le refus d’un tel report, « la peur et la défiance » aient aujourd’hui prévalu.

Comme le Kenya, le Togo, le Rwanda et l’Éthiopie se sont dits convaincus que le rejet de la demande de report sapait la confiance « nécessaire pour bâtir un monde de paix » entre le Conseil de sécurité et l’Afrique.

Dans une réponse indirecte à la France, le Rwanda a soutenu que « le Conseil de sécurité était, en effet, le lieu approprié pour discuter de la demande africaine ». Exprimant sa profonde déception devant le refus du Conseil de sécurité d’accepter une requête « en faveur de la paix et de la sécurité internationales », l’Ambassadeur Eugène-Richard Gasana, du Rwanda, a qualifié le rejet du projet de résolution d’échec et de « honte qui figurera dans les pages de l’histoire ». « L’article 16 du Statut de Rome a-t-il été établi seulement pour que les grandes puissances puissent se protéger ? », a-t-il demandé. Le Maroc, le Togo et le Rwanda, qui ne sont pas parties au Statut de Rome, ne pourront pas participer aux délibérations de l’Assemblée des États parties, a-t-il fait remarquer.

« L’Union africaine n’est pas une organisation centrée sur les États qui les encourage à invoquer la souveraineté nationale comme bouclier pour bénéficier de l’impunité », a renchéri le représentant de l’Éthiopie, dont le pays préside actuellement le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Le représentant éthiopien a jugé que le rejet du projet de résolution reflétait la difficulté de certains membres du Conseil de sécurité à concevoir une Afrique capable d’assumer pleinement la mise en œuvre de ses politiques et stratégies en matière de paix et de sécurité. « Cela n’est en aucun cas un gage d’optimisme pour l’avenir », a constaté M. Tekeda Alemu. Fustigeant un Conseil « incapable de prendre au sérieux la volonté de l’Afrique de s’approprier son présent et son avenir », il a estimé que ses membres auraient pu, « au minimum », accorder le bénéfice du doute aux chefs d’État et de gouvernement africains, « dont certains sont des pays fondateurs de la Cour pénale internationale ».

Le représentant du Guatemala, qui s’est dit très déçu d’assister « à une autre division du Conseil de sécurité », a résumé le sentiment général en déclarant : « Aujourd’hui, il n’y a que des perdants : l’Union africaine, qui a l’impression que sa demande a été rejetée, la CPI, qui aspire à l’universalité, et le Conseil de sécurité, qui affiche au monde ses divisions », a déclaré M. Gert Rosenthal.

Source : ONU


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