Le 25 février, la Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu un avis consultatif concernant les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, par lequel elle proclame que la Grande-Bretagne a illégalement séparé l’archipel des Chagos de sa colonie mauricienne, située dans l’Océan indien.
Selon la Cour, par 13 voix contre une (celle de la juge américaine Donoghue), «au regard du droit international, le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien lorsque ce pays a accédé à son indépendance en 1968». En conséquence, d’une part, «le Royaume-Uni est tenu, dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos», d’autre part, «tous les États membres sont tenus de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies aux fins du parachèvement de la décolonisation de Maurice».
Bien qu’il s’agisse d’un simple avis consultatif, celui-ci n’en constitue pas moins une prise de position faisant autorité de la part de l’organe judiciaire principal des Nations Unies et, dès lors, un coup dur diplomatique pour le Royaume-Uni, déjà empêtré dans les négociations du Brexit avec l’Union européenne.
Selon les termes de la Résolution 71/292 que l’Assemblée générale a adoptée le 22 juin 2017, la CIJ était amenée à se prononcer sur les deux questions suivantes :
Bien qu’il s’agisse d’un simple avis consultatif, celui-ci n’en constitue pas moins une prise de position faisant autorité de la part de l’organe judiciaire principal des Nations Unies et, dès lors, un coup dur diplomatique pour le Royaume-Uni, déjà empêtré dans les négociations du Brexit avec l’Union européenne.
Selon les termes de la Résolution 71/292 que l’Assemblée générale a adoptée le 22 juin 2017, la CIJ était amenée à se prononcer sur les deux questions suivantes :
«Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les Résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?» ;
«Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?».Pour rendre son avis, la CIJ commence par confirmer sa compétence pour rendre l’avis consultatif sollicité par l’Assemblée générale en vertu de l’article 96 §1 de la Charte des Nations Unies. Par ailleurs, elle considère qu’il n’y a pas, en l’espèce, de raisons décisives pouvant la conduire à opposer un refus à la demande d’avis.
Sur ce point, toutefois, on notera que le juge Tomka, dans sa déclaration, rejoint la juge Donoghue, dans son opinion dissidente, estimant que la Cour aurait dû décliner sa compétence dès lors qu'est en cause d’un différend bilatéral sur la souveraineté territoriale de l’un d’eux (le Royaume-Uni). Sur ce point, la Cour a habilement contourné ce problème en qualifiant la procédure consultative de question de décolonisation - question pour laquelle l’Assemblée générale a un intérêt de longue date - plutôt que de souveraineté.
Ensuite, la Cour estime qu’il est important d’examiner les circonstances factuelles de la séparation de l’archipel de Maurice et du déplacement des Chagossiens hors de celui-ci. À cet égard, elle rappelle que Royaume-Uni a administré l’Île Maurice en tant que colonie entre 1814 et 1965. Tandis qu'un processus global de décolonisation était en cours sous les auspices de l’ONU, des discussions ont eu lieu entre : d’une part, le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique, conduisant à la création d’une base militaire sur Diego Garcia, la principale île de l’archipel des Chagos ; d’autre part, le Gouvernement du Royaume-Uni et les représentants de la colonie de Maurice, débouchant sur l’accord de Lancaster House en vertu duquel les représentants de Maurice acceptaient le principe du détachement des Chagos en échange, notamment, d’une indemnité d’un montant de trois millions de livres sterling et de la restitution de l’archipel à Maurice lorsqu’il ne serait plus nécessaire d’y maintenir une base militaire.
Concernant la première question de savoir si le processus de décolonisation de Maurice a été validement mené à bien au regard du droit international, la CIJ précise que, en raison de son contenu et des conditions de son adoption, la Résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale a un caractère déclaratoire de la nature coutumière du droit à l’autodétermination, lequel constitue un principe fondamental du droit international.
Sur ce point, après avoir rappelé les circonstances dans lesquelles la colonie de Maurice a accepté le détachement de l’archipel des Chagos de son territoire, la Cour considère que ce détachement n’a pas été fondé sur l’expression libre et authentique de la volonté du peuple concerné, encore à l’époque sous administration coloniale. Elle estime, par ailleurs, que «les peuples des territoires non autonomes sont habilités à exercer leur droit à l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire, dont l’intégrité doit être respectée par la puissance administrante» (§160). Ainsi, les obligations découlant du droit international et reflétées dans les diverses résolutions adoptées par l’Assemblée générale au cours du processus de décolonisation de Maurice imposent au Royaume-Uni, en tant que puissance administrante, de respecter l’intégrité territoriale de ce pays, y compris l’archipel des Chagos.
Concernant la deuxième question portant sur les conséquences en droit international du maintien de l’archipel des Chagos sous administration britannique, la CIJ estime qu’il s’agit ici d’un fait illicite à caractère continu engageant la responsabilité internationale du Royaume-Uni et impliquant aussi l’illégalité du maintien de la base militaire américaine sur l’île de Diego Garcia. Le respect du droit à l’autodétermination étant une obligation erga omnes, tous les États ont un intérêt juridique à ce que ce droit soit protégé. À cet égard, il appartiendra à l’Assemblée générale de se prononcer sur les modalités nécessaires au parachèvement de la décolonisation de Maurice, y compris afin de permettre la réinstallation dans l’archipel des Chagos des nationaux mauriciens, tous les États membres devant coopérer avec l’ONU pour la mise en œuvre de ces modalités.
Au cours des débats, le Royaume-Uni a reconnu que les méthodes d'expulsion utilisées à la suite de la conclusion avec les États-Unis d’Amérique de l'accord visant à installer la plus grande base navale américaine de l’Océan indien, étaient « honteuses » et « injustes », ce qui n’a pas empêché, en 2016, le premier ministre britannique, Theresa May, de reconduire pour 20 ans le bail consenti aux Américains, empêchant ainsi le retour des Chagossiens.
Il est intéressant de relever que, derrière la quasi-unanimité affichée par la Cour, presque tous les juges (11 sur 14) ont ressenti la nécessité de préciser leur position par la voie d’opinions et de déclarations, ce qui révèle le caractère sensible de l’affaire.
Ainsi, dans son opinion individuelle, le juge brésilien Cançado Trindade estime notamment que l’avis consultatif comprend certaines insuffisances ayant trait à l’absence d’une prise de position de la Cour quant au caractère impératif du droit des peuples à l’autodétermination : «the right to self-determination has the character of jus cogens», élément qui est revenu dans plusieurs autres des opinions individuelles exprimées.
De même, le juge jamaïquain Robinson consacre de longs développements au jus cogens. Selon lui, si la CIJ avait qualifié d'impératif le droit à l’autodétermination des peuples, elle aurait dû conclure que si le traité entre le Royaume-Uni et les États-Unis pour des installations militaires à Diego Garcia entrait en contradiction avec le jus cogens, celui-ci serait nul en vertu de l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.
Outre leurs opinions individuelles, les juges brésilien et jamaïcain ont signé une déclaration commune dans laquelle ils mettent de nouveau l’accent sur l’évitement de la Cour quant à la question de l’impérativité du droit qui est au cœur de l’affaire. Tous deux estiment que «the Court should have pronounced on the jus cogens character of the right of peoples to self-determination».
Dans la même veine, la juge ougandaise Sebutinde affirme : «the Court fails in the Opinion to recognize that the right to self-determination has evolved into a peremptory norm of international law (jus cogens), from which no derogation is permitted and the breach of which has consequences not just for the administering Power concerned, but also for all States».
À la suite de l’avis de la CIJ, le premier ministre mauricien, Pravind Jugnauth, a appelé le Royaume-Uni à rouvrir les négociations et réitéré qu’il ne réclamait pas le départ des Américains.
Tout en saluant la victoire, l'ambassadeur de Maurice aux Nations Unies, Jagdish Koonjul, a, pour sa part, temporisé : «Nous avons d’excellentes relations avec le Royaume-Uni et nous avons aussi le même type de relations avec les États-Unis, et tout au long de cette procédure, nous avons été clairs que ce n’était pas un sujet d’hostilités entre nos pays, que c’est entre deux pays amis et, de ce fait, nous espérons que nous serons capables de travailler ensemble».
A lire :
- Marko Milanovic, «ICJ Delivers Chagos Advisory Opinion, UK Loses Badly», EJIL Talk!, 25 February 2019
- Régis Bismuth, «Les effets de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 dans l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice», Le Club des juristes, 28 février 2019
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