21 juin 2022

ACTU : Dans l'affaire Merhi et Oneissi, prononcé de deux condamnations à perpétuité par contumace pour l’assassinat de Rafic Hariri : le chant du cygne du Tribunal spécial pour le Liban ?

Catherine MAIA, Elias Nabil HASSOUN

Le 16 juin, le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a prononcé deux condamnations à l’encontre d’individus impliqués dans l’attentat à la bombe perpétré à Beyrouth le 14 février 2005, qui a fait 226 blessés et causé la mort de 22 personnes, dont l’ancien premier ministre Rafic Hariri.

Ce verdict est à saluer en ce qu’il s’inscrit dans l’objectif de lutte contre l’impunité de la justice internationale pénale. Toutefois, à l’instar de ce qui s’est produit lors des précédents verdicts, il s’agit de condamnations par contumace de deux personnes qui ne seront probablement jamais livrées au TSL pour purger leurs peines.

En effet, bien que le TSL ne fasse pas mention de l’appartenance des condamnés au Hezbollah, ce parti politique chiite refuse de reconnaître cette juridiction et, par conséquence, de lui remettre tout suspect, une posture qu’il a adopté dès la première condamnation à perpétuité prononcée en 2020 pour ce crime de terrorisme.

Volte-face du TSL

Dans le cadre de l’affaire Le Procureur c. Ayyash et autres (STL-18-10), la Chambre de première instance avait jugé le 18 août 2020, à l’unanimité, Salim Jamil Ayyash coupable, au-delà de tout doute raisonnable, de l’homicide intentionnel et prémédité de Rafic Hariri et de 21 autres personnes, au moyen d’explosifs. Le 11 décembre 2020, il avait condamné l’accusé, à nouveau à l’unanimité, à cinq peines confondues d’emprisonnement à vie, soit la peine la plus sévère prévue par le Statut du TSL. À cette occasion, elle avait émis un mandat d’arrêt international, ainsi qu’une demande de transfèrement et de détention à l’encontre de M. Ayyash, restés sans effet jusqu’à ce jour. Dans cette affaire, la Chambre de première instance avait également conclu que les autres suspects – MM. Hassan Habib Merhi, Hussein Hassan Oneissi et Assad Hassan Sabra – n’étaient coupables d’aucun des chefs d’accusation visés dans l’acte d’accusation joint, faute de preuves.

L’inculpation de ces quatre individus faisait suite à une investigation poussée réalisée par la commission d’enquête internationale indépendante créée par la Résolution 1595 (2005) du Conseil de sécurité en vue d’aider les autorités libanaises à mener des investigations sur tous les aspects de l’attentat terroriste de 2005. Il s’agissait, en particulier, d’en identifier les auteurs, commanditaires, organisateurs et complices. Les rapports successifs de cette commission ont ainsi permis au juge de la mise en état du TSL de confirmer les actes d’accusations respectivement contre MM. Ayyash, Badreddine, Oneissi et Sabra, en juin 2011, et contre M. Merhi, en juillet 2013.

Le 12 janvier 2021, le Procureur du TSL a décidé de faire appel des acquittements de MM. Hassan Habib Merhi et Hussein Hassan Oneissi, alléguant des erreurs de droit invalidant le jugement et des erreurs de fait entraînant un déni de justice. Dans l’affaire Le Procureur c. Merhi et Oneissi (STL-11-01), le 10 mars 2022, la Chambre d’appel a finalement infirmé, à l’unanimité, les acquittements prononcés à l’égard des deux suspects et les a déclarés coupables, au-delà de tout doute raisonnable, des crimes suivants : complot en vue de commettre un acte de terrorisme (chef d’accusation 1) ; complicité de perpétration d’un acte de terrorisme (chef d’accusation 6) ; complicité d’homicide intentionnel (chefs d’accusation 7 et 8) ; et complicité de tentative d’homicide intentionnel (chef d’accusation 9). Le 16 juin, elle a condamné, à l’unanimité, à l’emprisonnement à vie MM. Hassan Habib Merhi et Hussein Hassan Oneissi pour tous les chefs d’accusation pour lesquels ils étaient reconnus coupables, tout en ordonnant la confusion des peines.


Chant du cygne du TSL ?

Si cet arrêt de condamnation de la Chambre d’appel vient mettre fin à la procédure engagée dans l’affaire Le Procureur c. Merhi et Oneissi, il pourrait également être le chant du cygne du TSL.

Pour rappel, conformément à la Résolution 1664 (2006) du Conseil de sécurité, la création de ce tribunal pénal internationalisé faisait suite à l’assassinat de Rafic Hariri dans un attentat kamikaze spectaculaire en 2005 avec une camionnette remplie d’explosifs au passage de son convoi blindé à Beyrouth. Cette attaque avait aussitôt déclenché des manifestations massives dans le pays, conduisant à chasser les troupes syriennes qui occupaient le territoire depuis près de 30 ans.

L’accord entre l’ONU et le Gouvernement libanais n’ayant pas pu être ratifié par le Parlement libanais en raison de divisions partisanes, ses dispositions ont été reprises par la Résolution 1757 (2007) du Conseil agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Cette résolution a ainsi permis au TSL de commencer à fonctionner en 2009, avec un siège se trouvant dans la banlieue de La Haye, aux Pays-Bas, et un bureau à Beyrouth, au Liban. 

Composé de juges internationaux et libanais, ce Tribunal est chargé de juger, en application du droit pénal libanais, les personnes présumées responsables de l’assassinat de Rafiq Hariri, et de la mort de 21 autres personnes le 14 février 2005 à Beyrouth au Liban, ainsi que d'attentats connexes. À la différence des autres tribunaux pénaux internationalisé et de la Cour pénale internationale (CPI), il est le seul à traiter l’acte de terrorisme comme un crime international distinct. Il est également le seul, en raison des difficultés à appréhender les individus inculpés, à pouvoir juger in absentia, ce qui présente l'avantage pour les victimes de pouvoir être entendues en audience publique par des juges et pas uniquement par des enquêteurs dans un procès par défaut où l'accusé absent est défendu par des avocats.

Depuis décembre 2020, le TSL connaît une grave crise financière. Le Liban, aujourd’hui en banqueroute, ne parvient plus à fournir sa part de 49% du budget, tandis que les contributions volontaires devant constituer 51% du budget proviennent de pays de plus en plus réticents à payer pour une juridiction dont le bilan est très mince. Après 13 années de fonctionnement, qui auraient coûté jusqu’à un milliard de dollars, le TSL n'a jugé que quatre suspects de rang intermédiaire, tous par contumace, dont l’un, Assad Sabra, a été acquitté. C’est dire, à l’instar de la juridiction permanente de la CPI dont le traité fondateur fêtera ses 20 ans le 1er juillet prochain, combien les attentes sont encore fortes pour renforcer le principe de la responsabilité pénale individuelle.

Elles le sont particulièrement dans la société libanaise, ce qui a aussitôt conduit le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, à appeler au respect des condamnations prononcées par le TSL, alors que tous les condamnés demeurent aujourd’hui en fuite. Répondant à cet appel, le 21 juin 2022, le ministre de la Justice, Henri Khoury, a proclamé que son ministère prendra les mesures nécessaires pour l’application desdites condamnations dès leur notification officielle par le Tribunal. Il faut espérer que ces paroles seront suivies par des actes pour que la justice rendue au nom des victimes de l’attaque du 14 février 2005 et de leurs familles ne perde pas sa crédibilité.


@AFP

Catherine MAIA, Elias Nabil HASSOUN, «Dans l'affaire Merhi et Oneissi, prononcé de deux condamnations à perpétuité par contumace pour l’assassinat de Rafic Hariri : le chant du cygne du Tribunal spécial pour le Liban ?», Multipol, 21/06/2022


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