7 juin 2022

NOTE : Première Conférence des États parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires : de l’importance pour le Portugal ne de pas rester à l’écart

Catherine MAIA, Jean-Marie COLLIN, Sergio DUARTE

Du 21 au 23 juin 2022, les Nations Unies vont organiser à Vienne (Autriche) la toute première Conférence des États parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). Le Portugal, contrairement à la majorité des États du monde, et spécialement des États de la communauté lusophone, est opposé à cette conférence, de sorte qu’il laissera son siège vide. Or, compte tenu de la guerre actuelle en Ukraine et des menaces nucléaires proférées par le président russe, Vladimir Poutine, il serait important que le Portugal change de posture en participant à cette importante réunion multilatérale en tant qu'État observateur.

Nous ne prétendons pas que le désarmement nucléaire est un objectif facile à atteindre, mais nous sommes également conscients que ne rien faire équivaut à accepter la possibilité d'une catastrophe mondiale, car aucune arme n'a un pouvoir de destruction plus grand que l'arme nucléaire. Toute détonation nucléaire aurait, à l’échelle de la planète, des conséquences humanitaires, environnementales et économiques désastreuses contre lesquelles aucun État ne pourrait se protéger. Face à ce danger, entre 2010 et 2016, des États se sont réunis, soit au sein des Nations Unies soit lors de conférences intergouvernementales, afin de créer un nouvel instrument juridique visant à interdire globalement les armes nucléaires.

Le 7 juillet 2017, le TIAN a été adopté sous l’égide des Nations Unies. Venant compléter les engagements du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) de 1968, et assurer en particulier la mise en œuvre de son article VI sur le désarmement, ce traité est le premier à interdire la possession, la fabrication, l’usage, la menace d’utilisation (autrement dit la dissuasion nucléaire), le commerce et le financement des armes nucléaires. Il fait également de l'aide aux victimes des armes nucléaires et de la réhabilitation des zones touchées par les essais nucléaires des priorités centrales. À cette occasion, Setsuko Thurlow, une survivante d'Hiroshima, a proclamé : « J'attends ce jour depuis sept décennies. Et je suis ravie qu'il soit enfin arrivé. C'est le début de la fin des armes nucléaires. (…) Les armes nucléaires ont toujours été immorales. Maintenant, elles sont également illégales. Ensemble, allons de l'avant et changeons le monde ».

Le TIAN, qui représente un changement de paradigme dans le domaine du désarmement nucléaire, est entré en vigueur le 22 janvier 2022 et compte actuellement 61 États parties. Il a été signé par six des neuf États membres de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), à savoir : l'Angola (2018), le Brésil (2017), le Cap-Vert (2017), le Mozambique (2020), Sao Tomé-et-Principe (2017), le Timor-Leste (2018) ; et a été ratifié par la Guinée-Bissau en 2021. Seuls le Portugal et la Guinée équatoriale restent tiers à ce traité.

Le Portugal est membre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) depuis 1949. De par son adhésion, il accepte la politique de dissuasion nucléaire défendue par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni et fondée sur l'équilibre de la terreur comme garantie de la stabilité et de la paix mondiale. Toutefois, accepter cette politique ne signifie pas renoncer au dialogue au sein des Nations Unies en vue de renforcer la sécurité collective. C’est pourquoi de nombreux pays européens – dont l’Allemagne, la Finlande, la Norvège, la Suisse et la Suède – participeront à la première Conférence des États parties au TIAN en tant qu'observateurs, un statut leur permettant de s'exprimer sans prendre part au processus décisionnel. Notons, par ailleurs, que l’Autriche, l’Irlande, Malte et le Saint-Siège seront également présents en tant que membres, puisqu’ils ont ratifié le TNP, de même que diverses organisations gouvernementales et non gouvernementales.

À cet égard, l'ancien ministre portugais de la Défense nationale, Nuno Severiano Teixeira, avec 55 autres personnalités politiques et militaires de pays de l’OTAN, ont co-signé une lettre ouverte en date du 21 septembre 2020 dans laquelle il est proclamé : « Jusqu'à présent, nos pays ont choisi de ne pas se joindre à la majorité mondiale pour soutenir ce traité [TIAN]. Mais nos dirigeants devraient reconsidérer leurs positions. Nous ne pouvons pas nous permettre de tergiverser face à cette menace existentielle pour l'humanité. Nous devons faire preuve de courage et d'audace – et adhérer au traité ».

Compte tenu des dangers auxquels l'humanité est confrontée en raison de la simple existence de tels armements, compte tenu également des tensions que le dérèglement climatique ne fera qu’accroitre dans le monde entier, cette première rencontre multilatérale offre l'occasion de s'engager sur une voie qui nous éloigne enfin de la menace nucléaire. Le Portugal ne doit pas rester à l'écart de l'histoire, mais l'accompagner en confirmant sa présence en tant qu'État observateur, conformément à l'objectif de désarmement général, simultané et contrôlé préconisé à l'article 7 de sa Constitution.

  • Catherine MAIA, Jean-Marie COLLIN, Sergio DUARTE, «Première Conférence des États parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires : de l’importance pour le Portugal ne de pas rester à l’écart», Multipol, 07/06/2022


 


Catherine MAIA, professeure de droit international, Université Lusófona de Porto (Portugal), Sciences Po Paris, Université Catholique de Lyon (France)

Jean-Marie COLLIN, expert et porte-parole pour la France de la Campagne Internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN), prix Nobel de la paix 2017

Sergio DUARTE, ancien diplomate brésilien Ancien Haut Représentant des Nations Unies pour les affaires de désarmement


Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire