8 mars 2024

ACTU : Défié par les groupes armés, le Mali défie à son tour la Cédéao

Catherine MAIA, Sadikou OGOULYI

Ces dernières années, en raison de la détérioration de la situation sécuritaire et de l’instabilité politique auxquelles il est confronté, le Sahel est devenu l’une des zones les plus mouvementées du globe, théâtre d’affrontements aussi bien directs entre armées régulières et groupes dissidents, qu’indirects entre puissances étrangères. Parmi les États composant cette zone – correspondant aux membres du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) –, la situation sécuritaire du Mali demeure particulièrement préoccupante. Deuxième pays le plus grand d’Afrique de l’Ouest après le Niger, avec une superficie de 1.240.190 km2 et une population estimée à plus de 22 millions d’habitants (2022), le Mali (jadis le Soudan français) est un membre de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) en proie à une grave instabilité due à la présence sur son territoire de divers groupes armés. Malgré les efforts des autorités nationales et de la communauté internationale pour stabiliser la situation, les progrès sont lents et d’importants défis subsistent en matière de gouvernance, de développement et de sécurité, faisant de ce pays un théâtre d’affrontements et un espace de rivalités avec d’importantes implications géopolitiques.

Un théâtre d’affrontements entre armée régulière et groupes dissidents

La situation conflictuelle au Mali implique aussi bien des acteurs internes qu’externes. Sur le plan interne, trois acteurs principaux peuvent être identifiés : les troupes régulières, les groupes rebelles et les groupes terroristes. Sur le plan externe, une multitude d’acteurs intervient, dont les principaux sont la France, la Russie, l’Algérie, ou encore la Cédéao. L’État malien est en lutte permanente contre les groupes rebelles séparatistes, notamment les Touaregs, et contre les groupes terroristes au nord. Il est aussi en conflit avec la France et la Cédéao depuis le coup d’État de 2021.

Les groupes rebelles sont, à leur tour, en conflit avec l’État en vue de faire sécession. Le 30 octobre 1957, soit avant l’indépendance du Mali en 1960, ces groupes avaient exprimé à travers des pétitions adressées au chef d’État français, le général de Gaulle, leurs velléités séparatistes, réitérées ensuite le 30 mai 1958. Regroupées au sein de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), la plus en vue de ces factions rebelles est le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). En 2012, ce mouvement s’est renforcé à la faveur du retour des réfugiés touaregs ayant profité du chaos engendré par l’intervention de l’OTAN en Libye pour emporter avec eux des armes lourdes et sophistiquées. Opportunément, il s’est allié à certains groupes terroristes pour prendre le contrôle de quelques grandes villes au nord du Mali, comme Kidal, Gao et Tombouctou.

La situation, déjà déplorable, s’est empirée lorsque les groupes djihadistes Ansar-dine, Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) et le Mouvement pour l’unification et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) ont réussi à écraser le MNLA à Gao et à Tombouctou en juin 2012. À cet égard, il est notable que si les groupes rebelles et les groupes djihadistes partageaient une intention commune de conduire à la sécession du nord du pays, ces derniers avaient également pour but d’y installer un État islamique pour y appliquer la charia.

Un espace de rivalités entre des acteurs externes aux intérêts divergents

Depuis la proclamation de son indépendance le 22 septembre 1960, le Mali a traversé des phases d’instabilité politique ponctuées par cinq coups d’État : le 19 novembre 1968, le 26 mars 1991, le 22 mars 2012, le 18 août 2020 et le 24 mai 2021. Si, avant la fin de la Guerre froide, la paupérisation du pays, en dépit de l’abondance de son sous-sol, était l’argument principalement avancé pour justifier le renversement de gouvernements démocratiques en exercice, c’est désormais la détérioration continuelle de la situation sécuritaire du pays et de la région qui est mise en avant.

Sous la présidence de Modibo Kéita (1960 à 1968) commencent les bonnes relations entre le Mali et l’ex-URSS, à mesure que s’accentuent les défiances à l’égard de la France. Au gré d’un rapprochement avec l’ex-URSS, qui avait soutenu le processus d’indépendance, le Gouvernement malien oriente la vie socio-économique du pays sur le modèle socialiste communiste, tandis qu’il demande, le 20 janvier 1961, le retrait des troupes françaises du territoire national, rendant ainsi caducs les accords franco-maliens du 22 juin 1960.

À la suite d’un coup d’État en 1968, le lieutenant Moussa Traoré s’empare du pouvoir près de 23 ans (1968-1991). Il dirige le pays de manière autoritaire, avec un système de parti unique (l’Union démocratique du peuple malien - UDPM), et maintient une politique économique socialiste menant à des difficultés d’approvisionnement et à une inflation des prix.

Durant la décennie de 1990, tandis qu’une vague de démocratisation s’empare de la plupart des États africains, Moussa Traoré est à son tour renversé le 26 mars 1991 par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré, en raison d’un mécontentement généralisé à l'égard de sa mauvaise gestion économique et de sa répression politique croissante. Sa chute enclenche un processus de démocratisation, avec l’organisation d’élections libres et inclusives, et permet à la France de redevenir un partenaire privilégié.

La stabilité retrouvée ne dure toutefois que deux décennies. En 2012, le Mali connaît un troisième coup d’État justifié par le laxisme du Gouvernement dans la lutte contre l’insécurité marquée par les attaques du MNLA. Afin de stopper l'avancée des groupes rebelles islamistes et terroristes dans le nord du pays, l’opération Serval est déployée en 2013 sur demande des autorités maliennes. Cette opération est menée par les forces armées françaises avec le soutien de certains pays africains, notamment le Tchad, le Niger, le Sénégal, le Burkina Faso et le Nigéria, ainsi que d'autres partenaires internationaux. Elle est alors considérée comme un succès dans la mesure où elle permet de repousser les groupes terroristes et de faciliter le processus politique visant à résoudre la crise dans le pays, évitant ainsi la chute de la capitale Bamako et restaurant une relative stabilité dans le nord du Mali, confortée grâce à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), déployée la même année pour stabiliser la situation.

À la suite d’une cuisante défaite de l’armée malienne à Kidal, ville dont le contrôle tombe aux mains des groupes rebelles touaregs, en 2014, l’opération Serval est remplacée par l’opération Barkhane, plus importante en termes de moyens et d’effectifs, toujours dans le but de lutter contre le terrorisme dans la région du Sahel. La même année, est créé le G5 Sahel, un cadre institutionnel de coordination et de coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité.

Si en 2015, un accord de paix (Accord d’Alger) est signé entre le Mali et la CMA, grâce à la médiation de l’Algérie, son non-respect entraîne une nouvelle dégradation de la situation sécuritaire, justification centrale avancée pour expliquer les deux coups d’État intervenus entre 2020 et 2021 au Mali, suivis par le Burkina Faso en 2022 et le Niger en 2023.

Sous l’actuel régime militaire malien, les soupçons de complicité entre la France et les groupes dissidents qui se sont répandus au sein de la population sont venus dégrader des relations diplomatiques entre les deux États, déjà entachés par l’ombre du passé colonial, la confiance laissant place à la méfiance, voire à la défiance. Tout comme les troupes françaises ont été rapatriées en 2022 et remplacées par celles de la milice privée russe Wagner sur demande du Mali, la MINUSMA a pris fin en 2023, après une décennie de présence dans le pays.

Les implications géopolitiques liées à la situation sécuritaire au Mali


À la suite de condamnations politiques et de sanctions économiques prises contre le régime militaire au Mali, mais aussi au Burkina Faso et au Niger, ces trois États ont décidé, le 28 janvier 2024, de se retirer de la Cédéao. Une situation avec de lourdes implications aux plans national, régional et international.

Sur le plan national, d’abord, le renforcement des capacités techniques et militaires des forces armées maliennes, grâce à l’appui de la Russie et la substitution des troupes françaises par les milices privées de Wagner, a sans doute permis de reprendre le contrôle des grandes villes du nord du pays. Toutefois, le Gouvernement malien ne doit pas ignorer que les Touaregs séparatistes sont et demeurent des Maliens. Après l’annonce du Gouvernement malien, le 25 janvier 2024, de mettre fin avec effet immédiat à l’Accord d’Alger, qui prévoit une grande autonomie pour les régions du Nord en contrepartie de leur engagement à déposer les armes, un nouveau processus de réconciliation nationale s’est imposé. À cet égard, une solution politique avec les groupes rebelles serait plus convenable pour la reconstruction de l’unité nationale, le retour à la stabilité et donc au développement. Il serait d’ailleurs préférable pour l’État malien d’avoir ces groupes rebelles à ses côtés dans la lutte contre l’extrémisme violent en extension dans la région, plutôt que de les pousser dans les mains des groupes djihadistes en quête de renforts et de légitimité.

Sur le plan régional, ensuite, le rapprochement du Mali, du Niger et du Burkina Faso, illustré par la mise en place en 2023 d’une Alliance des États sahéliens, pacte de défense mutuelle renforcé par l’annonce en mars 2024 de la création d’une force armée anti-djihadiste, semble réaliste au regard de la détermination des acteurs. Toutefois, cette initiative risque d’être contre-productive sur le long terme, compte tenu du nombre restreint de ses membres et de leurs moyens limités face à une situation sécuritaire critique et généralisée. En outre, le retrait des trois États de la Cédéao, bien qu’ayant reçu un écho favorable auprès d’une partie de la population, pourrait venir compliquer davantage la situation socio-économique de ces territoires enclavés sur le plan de la libre circulation des personnes et des biens, et sonner la désintégration de la communauté économique régionale la plus évoluée en Afrique. En outre, le retour à l’ordre constitutionnel apparaît de plus en plus compromis dans ces trois États, les régimes de transition en place devant faire face à la corruption, la mauvaise gestion, le poids des sanctions, l’insécurité et la menace terroriste.

Sur le plan international, enfin, avec la fin de la MINUSMA, il ne sera plus possible de documenter objectivement les violations des droits humains résultant des affrontements entre l’armée et les groupes rebelles et/ou terroristes. Pire, loin de dicter aux États le choix de leurs partenaires stratégiques, la substitution de la France par la Russie dans le Sahel et les différentes campagnes de désinformation et de propagande de part et d’autre rappellent la triste époque de la Guerre froide ayant laissé de lourdes séquelles en Afrique.

 



Le chef du Gouvernement de transition du Mali, le colonel Assimi Goïta (à droite), et le chef de la délégation de la Cédéao, le président ghanéen Nana Akufo-Addo (à gauche), le 29 septembre 2022 au Mali

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