Dans le cadre de la présentation de son rapport sur la situation au Soudan au Conseil de sécurité le 13 juillet, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur de nouvelles allégations de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité dans la région du Darfour. Cette annonce intervient alors que le pays a de nouveau sombré dans une spirale de violences depuis trois mois en raison d’un conflit entre deux généraux s'affrontant pour le pouvoir.
Dans sa déclaration au Conseil de sécurité, le Procureur de la CPI a commencé par rappeler que le mandat de son Bureau à l’égard de la situation au Darfour était clair. En effet, bien que le Soudan ne soit pas partie au Statut de Rome, le Conseil de sécurité a, par sa Résolution 1593 (2005) du 31 mars 2005, déféré à la CPI la situation au Darfour, où la violence avait été considérée comme une menace pour la paix et la sécurité internationales. Dès lors, la CPI peut exercer sa compétence à l'égard des crimes visés par le Statut de Rome et commis sur le territoire du Darfour au Soudan à compter du 1er juillet 2002, date d'entrée en vigueur du Statut de Rome.
Il s’agit là d’un mandat permanent concernant les violations alléguées commises au Soudan et relevant de la compétence de la Cour, a expliqué le Procureur : « En ce qui concerne le rôle de mon Bureau, (…) le mandat qui lui a été confié par la Résolution 1593 du Conseil de sécurité se poursuit en ce qui concerne les violations du droit international qui relèvent de sa compétence, notamment le crime de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Toutes les personnes soupçonnées de commettre ces crimes seront poursuivies. Si au terme de l’examen qui aura été fait par des juges de la CPI il est déterminé qu’elles doivent être jugées, nous mettrons tout en œuvre pour qu’elles le soient par des juges indépendants et impartiaux ».
Face à une préoccupante escalade des exactions depuis le 15 avril de cette année, le Procureur de la CPI a tenu à mettre en garde sur les dangers de l’inaction le Conseil de sécurité et, plus amplement, de la communauté internationale : « Disons-le clairement, le risque est grand, ainsi qu’en attestent les signalements toujours plus nombreux qui nous parviennent, de voir ce Conseil et la communauté internationale dans son ensemble, permettre que l’histoire, celle-là même qui l’a contraint en 2005 à déférer la situation du Darfour à la CPI, ne se répète ». « Cet exposé de la situation n’est en rien exagéré ou voué à attiser la polémique. Il est le résultat d'une évaluation objective réalisée à partir d'une multitude de sources. (…) Nous ne sommes pas au bord d'une catastrophe humaine, mais bien dans ses prémisses. Elle est en train de se produire ».
Face à une préoccupante escalade des exactions depuis le 15 avril de cette année, le Procureur de la CPI a tenu à mettre en garde sur les dangers de l’inaction le Conseil de sécurité et, plus amplement, de la communauté internationale : « Disons-le clairement, le risque est grand, ainsi qu’en attestent les signalements toujours plus nombreux qui nous parviennent, de voir ce Conseil et la communauté internationale dans son ensemble, permettre que l’histoire, celle-là même qui l’a contraint en 2005 à déférer la situation du Darfour à la CPI, ne se répète ». « Cet exposé de la situation n’est en rien exagéré ou voué à attiser la polémique. Il est le résultat d'une évaluation objective réalisée à partir d'une multitude de sources. (…) Nous ne sommes pas au bord d'une catastrophe humaine, mais bien dans ses prémisses. Elle est en train de se produire ».
La priorité aux violences sexuelles et aux crimes commis contre les enfants
Depuis trois mois, le chef de l’armée soudanaise, Abdel Fattah al-Burhane, un proche allié de l’Égypte, est en guerre ouverte contre son ancien numéro deux, le général Mohamed Hamdan Daglo, à la tête du groupe paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR). De violents combats entre les deux camps ont d'abord éclaté à Khartoum, avant de se propager dans une grande partie du reste du pays, y compris au Darfour. Selon l’ONU, ce conflit pour les rênes du pouvoir, qui a entraîné une grave crise humanitaire, aurait provoqué la mort près de 3 000 personnes et la fuite de plus de 2,5 millions de déplacés et réfugiés.
Face à l’ampleur des violences, le Procureur de la CPI a tenu à appeler les factions belligérantes au Soudan à respecter leurs obligations en vertu du droit international humanitaire, ce qui englobe la protection des civils et des biens civils : « Il est impératif que les personnes impliquées dans les hostilités reconnaissent, même si c’est avec retard, qu'elles sont tenues de respecter leurs obligations en vertu du droit humanitaire international ».
Ce respect est d’autant plus urgent que le rapport présenté par le Bureau du Procureur au Conseil de sécurité précise que, dans le contexte des hostilités actuelles, il y a eu un « large éventail de communications » concernant des allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis au Soudan depuis le début des combats en avril, y compris des « campagnes présumées de viols collectifs » et des crimes sexuels et sexistes.
En conséquence, si les enquêtes menées portent également sur des allégations de pillages et d’exécutions judiciaires et extrajudiciaires, d’incendies de maisons, commises au Darfour-Ouest et au Darfour-Nord, le Procureur a laissé des « instructions claires » à son Bureau pour donner la priorité aux violences sexuelles et liées au genre, ainsi qu’aux crimes commis contre les enfants, lesquels figurent parmi les plus vulnérables lors d’un conflit.
L’importance de rendre des comptes pour les exactions commises
Tandis que les corps d’au moins 87 personnes de l'ethnie Masalit, qui auraient été tuées en juin dernier au Soudan par les forces paramilitaires et leurs milices alliées, ont été enterrés dans une fosse commune au Darfour, selon le rapport établi par Karim Khan, le risque de nouveaux crimes est très nettement accru par le dédain flagrant et de longue date manifesté par les acteurs concernés, y compris par le gouvernement soudanais, envers leurs obligations.
Pour rappel, le Darfour, vaste région de l’ouest du Soudan, est ravagé par une guerre civile ayant débuté en 2003 entre le régime à majorité arabe d’Omar el-Béchir et les insurgés issus de minorités ethniques dénonçant des discriminations à leur encontre. Omar el-Béchir avait alors envoyé contre la rébellion la milice armée des Janjawids, laquelle a ensuite donné naissance aux FSR.
Selon le Procureur de la CPI, l’absence de justice pour les exactions au Darfour depuis deux décennies, a été un terrain fertile à l’actuel cycle de violences. Même avant les récents combats, on pouvait observer un manque de coopération de la part des autorités soudanaises, insiste son rapport. Preuve en est, à ce jour, la seule personne à avoir comparu devant la CPI est Ali Muhammad Ali Abd-Al-Rahman, l’ancien chef de la milice des Janjawids, également connu sous son nom de guerre d’Ali Kosheib.
Quant à l’ancien chef d’État, Omar el-Béchir, renversé par un coup d’État de l'armée en 2019 après quatre mois de manifestations populaires, et aux anciens ministres Ahmad Muhammad Harun et Abdel Raheem Muhammed Hussein – accusés de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, ainsi que de génocide dans le cas d’Omar el-Béchir –, ceux-ci font l’objet de mandats d’arrêt de la CPI depuis plus de dix ans. Or, la situation actuelle dans le pays ne laisse guère présager leur transfèrement au siège de la Cour à La Haye : « L'escalade des hostilités violentes, y compris les crimes présumés, et l'état actuel des institutions soudanaises, soulignent davantage l'incapacité du gouvernement soudanais à donner concrètement et véritablement la priorité à la justice et à la responsabilité », indique le rapport du Bureau du Procureur.
La CPI n’ayant pas compétence pour juger in abstencia, autrement dit, en l’absence des accusés dans la salle d'audience, la question de la coopération des autorités nationales demeure cruciale. C’est certainement là un défi majeur, comme le reconnait le Procureur : « mon Bureau est contraint d’examiner les moyens susceptibles de lui permettre de travailler plus efficacement, de manière à ne pas permettre que les erreurs du passé, l'obstruction, la non-coopération viennent saper les efforts entrepris pour que justice soit faite ou réduisent à néant l’action de ce Conseil [de sécurité] et les espoirs placés en lui ».
Les reproches énoncés ont toutefois été rejetées par le Soudan, qui a assuré avoir renforcé sa coopération avec la CPI depuis les « révolutions » de 2018 et 2021. En ce sens, le délégué du Soudan a rappelé qu’en vertu du droit national, la coopération avec la CPI exige l’achèvement préalable du processus de ratification du Statut de Rome, proposant, dans cette attente, de s’appuyer sur le principe de complémentarité des tribunaux nationaux.
Quoi qu’il en soit, il est indéniable que le contexte des violences au Darfour exige de lutter contre l’impunité. « Et cela ne vaut pas seulement pour les actes commis au Soudan. Toute personne qui aide, encourage ou ordonne, depuis un autre territoire, des crimes susceptibles d'être commis au Darfour sera également poursuivie », a indiqué le Procureur.
Si ce dernier a précisé qu’il « ne demanderai[t] pas la délivrance de mandats qui n’ont aucune chance d’aboutir à une condamnation », il a également affirmé sa détermination « à ce que la justice ne soit pas seulement un sujet de discussion dans cette enceinte [du Conseil d sécurité], mais qu'elle devienne enfin une réalité pour les civils et les personnes vulnérables dont les droits ont été bafoués ». C’est dans ce but qu’il a annoncé la mise en place d'un portail en ligne sécurisé où les individus peuvent soumettre des informations ou des allégations de crimes et de violations des droits.
Déclaration du Procureur de la CPI, Karim A. A. Khan KC, au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies
à propos de la situation au Darfour, en application de la Résolution 1593 (2005)
à propos de la situation au Darfour, en application de la Résolution 1593 (2005)
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