Catherine MAIA, Débora SURRECO CARRILHO
Le 20 décembre 2024, six missions diplomatiques situées dans un quartier résidentiel de Kiev ont subi des dommages matériels significatifs à la suite de frappes de missiles balistiques attribuées à la Fédération de Russie. Les missions concernées comprennent celles de l’Albanie, de l’Argentine, de l’Autorité palestinienne, de la Macédoine du Nord, du Portugal et du Monténégro, dont plusieurs se trouvent dans le même immeuble. Outre des dégâts matériels, une personne a perdu la vie et au moins onze autres ont été blessées lors de ces frappes, qui constituent un manquement manifeste à l’inviolabilité des locaux diplomatiques, un principe essentiel pour garantir le bon fonctionnement des relations internationales et assurer la sécurité des agents diplomatiques.
Missiles Iskander contre système Patriot : un « duel de hautes technologies »
Lors de sa conférence de presse télévisée annuelle du 19 décembre, le président russe, Vladimir Poutine, avait évoqué un « duel de hautes technologies », suggérant qu’il serait intéressant de mettre à l’épreuve l’efficacité des missiles russes face aux systèmes de défense antiaérienne occidentaux, notamment le système américain Patriot (Phased Array Tracking Radar to Intercept on Target), pour voir « ce qui se passe ». Cette provocation peut être perçue comme entrant en contradiction avec l’obligation pour les États de régler pacifiquement leurs différends, une obligation qui constitue un corollaire de l’interdiction du recours à la force armée, ces deux principes étant consacrés à l'article 2 de la Charte des Nations Unies.
Dès le lendemain, mettant à exécution sa menace à peine voilée, la capitale ukrainienne, régulièrement visée par des missiles et des drones explosifs, a été ciblée par des frappes émanant de cinq missiles balistiques de type Iskander-M/KN-23. Bien que les systèmes de défense ukrainiens, équipés des Patriots fournis par les États-Unis, aient intercepté avec succès tous les missiles, l’explosion d’une ogive non détruite a causé des dégâts matériels à proximité d’un immeuble de bureaux. Alors que les dégâts d’ampleur sont rares à Kiev, cet incident vient souligner, côté russe, une stratégie de pression militaire et psychologique contre une expansion de l’OTAN ces deux dernières décennies, tout en testant les capacités de défense occidentales, côté ukrainien, une victoire tactique, rendue possible par l’appui militaire occidental confirmant la robustesse de la défense antiaérienne de la capitale, mais aussi les risques persistants que représentent les armes balistiques avancées.
Par ailleurs, le ciblage répétitif de Kiev, une capitale qui abritait plus de trois millions d’habitants avant le début de l’invasion russe en février 2022, soulève des questions relatives au respect des principes fondamentaux du droit international humanitaire. Selon le principe de proportionnalité, sont interdites les attaques dont les dommages collatéraux pourraient être excessifs par rapport à l’avantage militaire attendu. Or, l’utilisation de missiles balistiques tels que les Iskander en milieu urbain présente un risque élevé pour les populations civiles et peut constituer une violation des Conventions de Genève de 1949 et de leurs Protocoles additionnels. De plus, selon le principe de distinction, les parties à un conflit doivent différencier en tout temps entre les cibles militaires et les biens civils. À cet égard, des manquements sont aussi à relever du côté ukrainien, dont une illustration a été, le 21 décembre, l’attaque massive de drones ayant frappé Kazan, capitale du Tatarstan en Russie, à plus de 1 000 kilomètres de la ligne de front, touchant des sites industriels et des immeubles résidentiels. De telles attaques intentionnelles de cibles civiles constituent des crimes de guerre clairement établis par le droit international humanitaire. Ils sont aussi consacrés par le Statut de Rome établissant la Cour pénale internationale, juridiction ayant ouvert une enquête sur la situation en Ukraine depuis mars 2022, devant conduire à établir les responsabilités pénales individuelles tant côté russe que côté ukrainien.
La protection des ambassades : un pilier des relations internationales
Les récentes frappes russes mettent en lumière les enjeux liés à la protection des ambassades et leur statut particulier en droit international où elles bénéficient d’une protection renforcée, destinée à garantir la continuité des relations diplomatiques, en temps de paix comme en temps de guerre.
La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, pilier des relations internationales, consacre le principe de l’inviolabilité des locaux diplomatiques. Ceux-ci comprennent, selon l’article 1(i) de ladite Convention, « des bâtiments ou des parties de bâtiments et du terrain attenant qui, quel qu’en soit le propriétaire, sont utilisés aux fins de la mission, y compris la résidence du chef de la mission ». Plus précisément, selon l’article 22, l’inviolabilité des locaux diplomatiques interdit toute intrusion, perquisition, saisie ou réquisition, sauf avec le consentement explicite du chef de mission, de même que l’obligation pour l’État hôte (État accréditaire) de protéger ces locaux contre tout dommage, trouble ou atteinte à leur dignité.
Ces garanties s’appliquent également en temps de conflit armé. En droit international humanitaire, en vertu des articles 48 et 52, § 2, du Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève de 1949, les locaux diplomatiques sont assimilés à des biens civils et ne peuvent en aucun cas être visés par des attaques militaires. Toute attaque ciblant ces lieux constitue une violation du principe de distinction entre cibles civiles et militaires, un des fondements du droit des conflits armés.
L’attaque ayant endommagé plusieurs missions diplomatiques à Kiev constitue une violation grave, qui pourrait être qualifiée de crime de guerre et, dès lors, engager la responsabilité internationale de la Russie. Outre ces implications juridiques, cet incident a également des répercussions diplomatiques immédiates entre les pays dont les ambassades ont été touchées et la Russie.
Ainsi, le Portugal a vivement réagi. Le ministre des Affaires étrangères, Paulo Rangel, a dénoncé ces actes comme étant « absolument inacceptables » et exigé des explications de la Russie. En l’absence de l’ambassadeur russe, le chargé d’affaires a été convoqué pour recevoir une protestation formelle. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a également condamné cette attaque, qualifiée d’« odieuse », soulignant que le mépris de Vladimir Poutine pour le droit international atteignait « de nouveaux sommets ».
Cet événement n’est pas sans rappeler d’autres violations récentes,
survenues en avril 2024, telles que le bombardement israélien de l’ambassade
iranienne à Damas
(Syrie) ou l’assaut équatorien contre l’ambassade mexicaine à Quito
(Équateur). Ces précédents mettent en exergue l’importance de réitérer l’inviolabilité
des missions diplomatiques, principe plus que jamais essentiel à la stabilité
des relations internationales, ainsi que l’urgence d’une réponse concertée pour
garantir la protection de ces locaux et prévenir une escalade supplémentaire du
conflit en Ukraine.
Photo AFP/ROMAN PILIPEY
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