Le 23 juin 2017, à New York, le Conseil de sécurité a adopté à l'unanimité la Résolution 2359 approuvant le déploiement d'une force armée conjointe (FC-G5S) des pays du G5 Sahel[1] dans la région sahélo-saharienne pour combattre le terrorisme et le crime transfrontalier. Forts de ce mandat international, les chefs d’Etats des pays membres de la plus jeune organisation sous-régionale africaine, en présence du président français, Emmanuel Macron, se sont penchés sur le dossier de financement de la nouvelle force comme préoccupation majeure lors du dernier sommet extraordinaire des Etats du G5 Sahel, le 2 juillet 2017, à Bamako. De fait, la question centrale était de savoir comment mobiliser un budget de 423 millions d'euros pour rendre opérationnelle, dans les plus brefs délais, la nouvelle force conjointe régionale.
A travers une lecture analytique de la Résolution 2359 du Conseil de sécurité, il convient de discuter des enjeux stratégiques de cet événement politique et diplomatique majeur, tant pour les pays de la sous-région sahélienne que pour la communauté internationale, laquelle, par cette décision prise par la plus haute autorité mondiale chargée de préserver la paix et la sécurité, a manifesté son engagement dans le combat contre le terrorisme et le crime transfrontalier dans la région sahélienne.
Dans cette optique, la Résolution 2359 du Conseil de sécurité inspire les remarques suivantes.
1. D'abord, la Résolution 2359 a été globalement très positive, puisqu’elle endosse l'objectif fondamental de la force armée du G5 Sahel, à savoir combattre le terrorisme et le crime transfrontalier au Sahel, tout en lui accordant un mandat à caractère international. Ainsi, le Conseil de sécurité accueille-t-il avec satisfaction le concept stratégique des opérations de la FC-G5S (§ 2). On décèle toutefois une certaine tergiversation au sujet des moyens de financement, quand il est prescrit aux Etats du G5 Sahel – pays pauvres parmi les plus pauvres d'Afrique – « de donner à la force nouvellement créée, les ressources nécessaires pour son fonctionnement », contrebalancé par un appel à ce que les partenaires bilatéraux et multilatéraux apportent davantage leur appui sur le plan logistique, opérationnel et financier dans le cadre d'une conférence des donateurs afin d'assurer la coordination de l’aide internationale à la nouvelle Ffrce (§ 6).
2. Dans le contexte mondial actuel, la force armée du G5 Sahel ne pouvait pas espérer avoir objectivement plus d’engagement de la part du Conseil de sécurité sur cette question du financement, puisque le Conseil ne peut engager un appui financier direct que dans deux cas de figure.
a. Le premier cas concerne l'usage de la force armée pour l’application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, relatif à l'action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'actes d'agression. Dans ce cas, l'emploi de la force armée est décidé par le Conseil de sécurité lui-même avec l’objectif de créer une force armée du G5 Sahel qui soit assujettie à un commandement collégial relevant des états-majors des armées des Etats membres du G5 Sahel.
b. Le second cas concerne l'intervention militaire dans le cadre des opérations onusiennes de maintien de la paix (OMP). Ce concept, qui a été inventé par l'ONU en 1956 à l'occasion de la crise de Suez, a constitué une réponse ad hoc à une situation non prévue par la Charte et un palliatif à l'usage de la force. L'absence d'assise juridique explicite des OMP a conduit d'aucuns à parler d'un mythique « chapitre VI et demi » comme fondement juridique de ces opérations. Les OMP sont placées sous l'autorité du Conseil de sécurité, dont une résolution décide la création d'une force de maintien de la paix et en fixe le mandat. Le secrétaire général de l'ONU est responsable devant le Conseil de sécurité de la conduite de l'intervention militaire. Il nomme, avec l'accord du Conseil, le commandant en chef auquel s'ajoute, pour les opérations de grande ampleur ayant des composantes civiles, un représentant spécial. C'est à eux que le secrétaire général de l'ONU délègue le commandement opérationnel (militaire et politique) sur le terrain. Le commandant en chef désigne lui-même les membres de son état-major parmi les officiers des contingents nationaux mis à sa disposition.
3. Depuis la fin de la Guerre froide, l'ONU a été très sollicitée pour lancer ce type d'interventions. Elle a déployé ces cinq dernières années trois fois plus d'opérations que pendant les 40 années précédentes.
4. Au 30 juin 2017, le nombre total des personnels de l'ONU affectés aux 16 opérations de maintien de la paix actuellement en cours sur le terrain, était de 112.294 employés, fournis par 128 pays. Le statut international de ces personnels leur assure une totale indépendance à l'égard des États contributeurs.
5. Le budget spécial des OMP, qui n’a cessé de croître – passant de 3,6 milliards de dollars à 5 milliards de dollars (sans le Kosovo) en 2006, puis à 7 milliards de dollars en 2016 – est alimenté sur la base d'un barème spécial dégressif établissant quatre catégories de contributeurs. En réalité, ce budget est financé presque uniquement par les pays industrialisés, qui versent leurs contributions avec de plus en plus de retard[2]. Le budget approuvé des opérations de maintien de la paix pour l'exercice 2016-2017 a été d'environ 7,87 milliards de dollars. Il représente moins de 1% du total des dépenses militaires mondiales estimées à 1747 milliards de dollars en 2013.
6. Les montants des budgets alloués aux missions de l'ONU pour le maintien de la paix à travers le monde peuvent varier considérablement : 56.582.500 $ pour la MINURSO (450 employés), 933.411.000 $ pour la MINUSMA (14.043 employés) et 1.235.723.100 $ pour la MONUSCO en RDC (22.199 employés).
7. Cela étant dit, il est clair que l'approche de la Résolution 2359 du Conseil de sécurité pour endosser la mission de la force armée du G5 Sahel est substantiellement différente des deux canevas classiques connu jusqu'à présent, à savoir (a) l'usage de la force armée pour l’application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et (b) l'intervention militaire dans le cadre des opérations onusiennes de maintien de la paix. Cette résolution constituera peut-être l'ébauche d'une nouvelle approche d'engagement plus souple et plus « réaliste » de la part du Conseil de sécurité en matière de lutte contre le terrorisme et son corolaire le crime transfrontalier dans le cadre du chapitre VIII sur les accords régionaux.
8. Pour mieux tirer profit des avantages de la Résolution 2359, il est recommandé d’instaurer une coordination dynamique entre les diplomaties des pays du G5 Sahel dans le sens de faire valoir la concrétisation de l'engagement énoncé par la résolution dans son paragraphe 6. Au plan national, il conviendrait de faire dépendre la tutelle du G5 Sahel des ministères des Affaires étrangères. Dans cette perspective, la Mauritanie est sensée être le premier Etat membre du G5 Sahel à prendre l'initiative pour mieux harmoniser et optimiser son action diplomatique, puisque qu'elle abrite le siège du Secrétariat permanent du G5 Sahel.
9. Il faudrait aussi impliquer davantage les ministères de la Défense des pays du G5 Sahel dans la coordination du dossier de la force armée conjointe, pour mieux évaluer la contribution de chaque pays, la spécification des moyens à mobiliser et leurs coûts, dans le cadre d'une étude globale sur le financement de la force, dont la Mauritanie pourra proposer la réalisation avec les autres pays du G5 Sahel, notamment avant le prochain examen du dossier devant le Conseil de sécurité à New York en septembre prochain.
10. Les membres du G5 Sahel sont tenus d'œuvrer ensemble sur le plan diplomatique, afin que la conférence des donateurs se déroule avant la fin de l’année 2017 et que les engagements de financement pour la nouvelle force conjointe puissent être planifiés et exécutés sans tarder au titre de l’année 2018.
11. Il faudrait aussi optimaliser l'exploitation du paragraphe 7 de la résolution, lequel prie le secrétaire général des Nations Unies d’établir un rapport périodique adressé au Conseil de sécurité sur l’état d’avancement du chantier de la force du G5 Sahel, en étroite collaboration avec ses Etats membres. A cette fin, il est recommandé de mettre à contribution les ministères des Affaires étrangères et les missions diplomatiques des pays du G5 Sahel à New York, à Addis-Abeba, à Genève, à Bruxelles et à Paris, ainsi que le Secrétariat permanent du G5 à Nouakchott, pour assurer un suivi régulier de l’évolution du dossier de la force.
12. Enfin, il faudrait que les pays du G5 Sahel s'organisent pour prendre en compte, lors de l'opérationnalisation de la force armée, les aspects spécifiques en matière de droits de l’Homme, tels que mentionnés au paragraphe 7 de la Résolution 2359, notamment, la coordination de l’assistance humanitaire, la protection des civils, en particulier les enfants engagés par les groupes terroristes et criminels, l’équilibre hommes/femmes et les questions de conduite et de discipline.
Quelle que soit, par ailleurs, la bataille diplomatique à livrer pour la mobilisation des financements nécessaires pour la force armée conjointe du G5 Sahel, il est clair que l’adoption, à l'unanimité, de la Résolution 2359 par le Conseil de sécurité, approuvant le déploiement de cette force pour combattre le terrorisme et le crime transfrontalier au Sahel, constitue en soi une reconnaissance politique et diplomatique sans ambages des efforts importants en matière de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme, que les Etats de la sous-région du Sahel ont déployés durant ces dernières années.
Ainsi, la volonté politique et la pertinence de la vision stratégique de la Mauritanie, qui a été le pays initiateur du G5 Sahel, sont aujourd'hui reconnues et confortées par la reconnaissance internationale apportée par la Résolution 2359 du Conseil de sécurité.
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[1] Crée le 19 décembre 2014 par une convention signée à Nouakchott, le G5 Sahel (Groupe des 5 pays du Sahel) regroupe le Burkina Faso, le Niger, le Mali, la Mauritanie et le Tchad.
[2] La création par l'Assemblée générale de l’ONU, en 1992, d'un fonds de réserve de 150 milliards de dollars pour le maintien de la paix, n'a pas permis jusqu'à présent de régler le déficit budgétaire chronique qui pèse sur l'accomplissement des missions de maintien de la paix à travers le monde.
Chapitre " VI et demi" belle et adaptée trouvaille.Le chapitre VII ne serait pas indiqué en tout lieu et toute circonstance.Trop lourd et parfois disproportionné à mettre en oeuvre.
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