7 octobre 2020

OUVRAGE : SFDI, Extraterritorialités et droit international

SOCIÉTÉ FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL

Quel défi les intrépides organisatrices du colloque d’Angers se sont lancé ! Un sujet immense, pour ne pas dire impossible, tentaculaire, d’une brulante actualité, évolutif et que l’on pouvait croire intraitable. Pourtant, le pari est tenu. Bien sûr, tout n’est pas dit et, comme Alina Miron et Bérangère Taxil le précisent dès l’avant-propos, il ne s’agissait pas de dresser un catalogue exhaustif des hypothèses dans lesquelles des problèmes d’extraterritorialité se posent. Mais un tableau général présentant toutes les facettes de ce thème multiforme a été dressé et tel est, me semble-t-il, la vocation des colloques de la SFDI dont la publication annuelle, combinée avec celle des journées d’étude, constitue progressivement une véritable encyclopédie du droit international – malheureusement trop mal connue en dehors du monde francophone. Et pas seulement pour des raisons de langue, également faute de publication en ligne – mais je ne désespère pas que l’on y vienne enfin... Ce sera, j’espère, un prochain chantier pour les précieuses éditions Pedone et mon successeur. 

Les juristes aiment définir et les actes du colloque d’Angers ne démentent pas cette réputation : un très grand nombre des contributions consacrent de longs développements à la définition de l’ / des extraterritorialité(s). Et ce n’est pas superflu : elle diffère non seulement selon les auteurs, mais aussi selon les domaines ou le degré de licéité (ou d’illicéité), ou de légitimité, qu’on leur reconnaît, ou en fonction de leur objet (ou de leur objectif – ce n’est pas forcément la même chose), sans parler de la vision différente que peuvent en avoir les privatistes et les publicistes, les universitaires et les praticiens, auxquels les organisatrices ont lancé des invitations selon une clé de répartition savamment équitable. Mais mettons les pieds dans le plat (comme l’a fait l’un des intervenants) : le terme « extraterritorialité » n’a, à vrai dire, qu’une utilité toute relative pour décrire, analyser et comprendre l’ensemble des phénomènes qui ont fait l’objet du colloque d’Angers. En tout cas, si on prend le mot à la lettre, l’extra-territorialité, qui n’est pas forcément un « péché », est loin d’être une nouveauté. La bonne vieille théorie des compétences en tenait – en tient – pleinement compte : le territoire a toujours constitué un titre permettant à l’Etat d’exercer ses compétences mais il n’a jamais été le seul : tel est aussi le cas de la nationalité, des exigences du service public (marginalement) et, surtout, de la conventionalité (ou, plus largement, de l’existence d’une règle permissive – ou prohibitive – de droit international) – si essentielle par exemple en matière de lutte contre la corruption, comme cela ressort de plusieurs communications reproduites dans ce volume. Et, contrairement, aux sottises que la doctrine volontariste fait dire au Lotus, il n’a jamais non plus été vrai que « tout ce qui n’est pas interdit par le droit international est permis » : une telle affirmation est totalement incompatible avec l’agencement de la société internationale : certes, les Etats sont souverains, mais ils sont aussi égaux et, dès lors, la souveraineté de tous borne nécessairement la liberté d’action de chacun, qui ne peut s’exercer que si elle ne porte pas atteinte aux compétences, égales, des autres Etats. 

En revanche, il y a une vérité « lotussienne » – reflétée dans certaines des contributions à ce volume – et qui demeure pleinement exacte : « la limitation primordiale qu’impose le droit international à l’Etat est celle d’exclure – sauf l’existence d’une règle permissive contraire – tout exercice de la puissance sur le territoire d’un autre Etat. Dans ce sens, la juridiction est certainement territoriale : elle ne pourrait être exercée hors du territoire, sinon en vertu d’une règle permissive découlant du droit international coutumier ou d’une convention » . Mais c’est simplement reconnaître que l’Etat jouit du – et conserve le – monopole de la contrainte sur son territoire (sauf, il est vrai, en cas de mesures coercitives impliquant le recours à la force armée décidée par le Conseil de sécurité) et que l’on ne peut pas faire n’importe quoi dans les espaces qui ne sont soumis à la souveraineté d’aucun Etat. C’est en ce sens que l’on parle souvent de « souveraineté territoriale » – une expression à juste titre peu utilisée dans ce volume (quatre fois en tout) car elle est erronée : la souveraineté est ou n’est pas, mais elle ne peut être qualifiée : il n’y a pas plus de souveraineté territoriale que de « souveraineté culturelle » ou « pénale » ou « économique » – l’Etat n’a, en vertu du droit international, que des compétences dans tous ces domaines et il ne peut les exercer, en vertu de sa souveraineté, que parce qu’il dispose de titres à cette fin. 
Alain PELLET
(extrait de la préface)


TABLE DES MATIÈRES

Préface, Alain Pellet
Avant-propos, A
lina Miron, Bérangère Taxil
Sommaire 


I. CONCEPTS ET APPROCHES : REPENSER L’EXTRATERRITORIALITÉ
Alina Miron, Bérangère Taxil, Les extraterritorialités, entre unilatéralisme et multilatéralisme. L’imperium sans le dominium
Mathias Audit, Yann Kerbrat, Regards croisés sur l’extraterritorialité droit international public/droit international privé
II. EXTRATERRITORIALITÉS ET UNILATÉRALISME 

Les mesures coercitives extraterritoriales comme outils de politique extérieure

Charlotte Beaucillon, Panorama de la pratique contemporaine des sanctions extraterritoriales  
Antonios Tzanakopoulos, Les sanctions extraterritoriales : les réactions des Etats affectés  
Florence Roussel, Les stratégies des pouvoirs publics face aux sanctions extraterritoriales américaines
L’extraterritorialité comme outil de politique économique
Régis Bismuth, Au-delà de l’extraterritorialité, une compétence économique 

Francesco Martucci, L’extraterritorialité dans le droit de la concurrence ; Etats-Unis et Union européenne 
Laurent Cohen-Tanugi, L’application extraterritoriale des droits nationaux : vers une convergence transatlantique
III. EXTRATERRITORIALITÉS ET TRANSNATIONALISME EXTRATERRITORIALITÉ ET CORRUPTION 
Patrick Jacob, L’élargissement des compétences des Etats en matière de lutte contre la corruption  
Nicola Bonucci, La définition internationale d’une compétence extraterritoriale en matière de corruption et de détournement de fonds publics  
Astrid Mignon Colombet, La justice négociée transnationale, clé de voute d’une extraterritorialité ordonnée ? 
Extraterritorialité et droits humains
Thibaut Fleury Graff, Extraterritorialité et juridiction en matière de droits de l’homme « juridiction, juridiction, quand tu nous tiens, on peut bien dire : "adieu prudence !" »  
Marie Nioche, Responsabilité sociétale des entreprises et compétence civile extraterritoriale  
Emilie Lenain, Les fondements juridiques des opérations extraterritoriales d’interception menées par les Etats membres de l’Union européenne  
Jeremy Drisch, Compétence pénale italienne et interception de passeurs de migrants lors d’opérations internationales en haute mer
Extraterritorialité et numérique
Valère Ndior, L’extraterritorialité des législations relatives à la protection des données personnelles  
Karen Eltis, L’extraterritorialité, le numérique et la justice : nommer des juges numériques transfrontaliers pour énoncer les règles du jeu ? Une étude préliminaire  
Denys-Sacha Robin, La portée extraterritoriale des projets de taxation des grandes entreprises du numérique
Conclusion générale, Hervé Ascensio 


SFDI, Extraterritorialités et droit international, Paris, Pedone, 2020 (360 pp.)

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