15 septembre 2024

ACTU : La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance à l'épreuve de la récurrence des changements anticonstitutionnels en Afrique de l’Ouest

Sadikou OGOULYI, Olivia ANAGONOU, Catherine MAIA

« Préoccupés par les changements anticonstitutionnels de gouvernement qui constituent l’une des causes d’insécurité, d’instabilité, de crise et même de violents affrontements en Afrique », les États membres de l’Union africaine (UA) ont adopté, en 2007, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (la Charte), entrée en vigueur en 2012. Ce 15 septembre 2024, Journée internationale de la démocratie, offre l’occasion de donner un aperçu de ce système politique à l’épreuve des changements anticonstitutionnels survenus ces dernières années sur le continent africain, particulièrement en Afrique de l’Ouest, au Mali (2020 et 2021), en Guinée (2021), au Burkina Faso (2022 à deux reprises) et au Niger (2023), tous États parties à la Charte africaine de la démocratie. Compte tenu des motifs invoqués par les militaires, les coups d'État ont, dans une certaine mesure, obtenu l'adhésion des populations, bien qu’ils soient condamnés par les institutions régionales, pour lesquelles la démocratie demeure un idéal politique.
 
Les raisons des récents changements anticonstitutionnels en Afrique de l’Ouest : une profonde mutation

Depuis leur accession à la souveraineté internationale, peu sont les États africains qui ont échappé à un gouvernement militaire. Spécialement dans les pays du Sahel, là où l’armée n’a pas hissé un général, un colonel, un commandant ou un capitaine au pouvoir, celle-ci est restée une véritable alliée du pouvoir politique.

Si les premiers changements anticonstitutionnels ont été foncièrement motivés par des considérations politiques, ces dix dernières années ont vu éclore une nouvelle vague de putschs à la faveur de l’insécurité grandissante dans la région sahélienne. Ces « coups d’État 3.0 », pour reprendre l’expression de Marc-André Boisvert, font ainsi suite à une difficulté manifeste des politiques à juguler la crise sécuritaire, qui obstrue le chemin du développement des États concernés.

Face à une crise que les interventions nationales et internationales n’ont pas réussi à endiguer, les forces de défense et de sécurité se sont positionnées comme l’institution habilitée à reprendre les choses en main après des années de tergiversations et d’errements politiques.

Au Mali, que ce soit en 2012 ou en 2021, du capitaine Amadou Haya Sanogo au colonel Assimi Goïta, les griefs faits aux autorités civiles concernaient leur incapacité à doter l’armée de moyens adéquats pour accomplir sa mission de défense de l’intégrité territoriale.

Le cas burkinabé n’a pas échappé à cette dynamique. L’insécurité à laquelle la population a été soumise a eu raison du régime du président Roch Marc Christian Kaboré, en janvier 2022. Le capitaine Ibrahim Traoré est ainsi venu répondre à des mois de grogne de la population et d’une certaine partie de l’armée au sujet d’une situation sécuritaire qui n’a cessé de se dégrader.

L’effet de contagion de ces coups de force s’est poursuivi au Niger où, dans la nuit du 26 au 27 juillet 2023, le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie a annoncé mettre fin au régime du président Mohamed Bazoum, en raison notamment de la « la dégradation continue de la situation sécuritaire, la mauvaise gouvernance économique et sociale ». Il a alors avancé que cette intervention était nécessaire, afin d’éviter « la destruction progressive et inévitable », d’un pays où opèrent les réseaux terroristes Al-Qaïda, État islamique et Boko Haram.

De toute évidence, « le terrorisme a rendu secondaire l’agenda démocratique » dans la région en devenant le principal alibi des militaires. Mais est-ce le seul alibi ? Les régimes militaires font de plus en plus allusion aux « coups d’État constitutionnels » pour justifier par un raisonnement analogique leur forfait. Cette expression met en lumière le sempiternel duel entre limitation du mandat et troisième mandat. La première est l’incarnation par excellence de l’alternance démocratique au pouvoir. Le second n’est rien d’autre qu’« une magie. C’est l’art de se dribbler soi-même tout en gardant le ballon », pour emprunter les mots du Premier ministre malien par intérim, Abdoulaye Maïga.

À la fin de leur second mandat, sous prétexte de projets à terminer ou pour exaucer un vœu du peuple, les présidents en exercice décident d’engager une révision constitutionnelle, afin de briguer un mandat supplémentaire. Une telle décision va à l’encontre de la Charte, dont l’article 10 insiste sur « le consensus national, et le cas échéant, le référendum » dans tout processus de révision de la Constitution. On peut évoquer, à titre illustratif, les cas récents de Faure Gnassingbé au Togo et Paul Kagamé au Rwanda. Dans la plupart des cas, les résultats de ces élections sont suivis de vagues de contestations et de manifestations farouchement réprimées.

La problématique du troisième mandat apparaît ainsi comme un « facteur supplémentaire d’instabilité politique en Afrique ». Selon le Professeur Roger Koudé, il s’agit « d’une imposture intellectuelle et démocratique, souvent aux allures de véritables coups d’État constitutionnels ». D’ailleurs, à en croire les récentes déclarations de l’ancien chef de la diplomatie béninois, « un coup d'État institutionnel favorise un coup d’État militaire ». Qu’en pensent la population et les institutions régionales ?
 
Regards croisés sur les changements anticonstitutionnels : populations locales et institutions régionales

S’il y a autre chose à retenir des déclarations de l’ancien chef de la diplomatie béninois c’est que les coups d'État – qu’ils soient institutionnels ou militaires – devraient être indifféremment sanctionnés. L’article 23 de la Charte s’inscrit dans cette logique, en reconnaissant que « tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique » « constitue un changement anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de la part de l’Union [africaine] ».

C’est en s’appuyant sur cet instrument que des organisations régionales, dont l’UA et la CEDEAO, ont aussitôt condamné ces putschs et pris des sanctions à l’encontre de leurs auteurs. Toutefois, ces mesures sont jugées parfois disproportionnées, voire sélectives. En effet, le tâtonnement desdites institutions à réagir promptement contre les manipulations constitutionnelles, qui contraste avec leur fermeté dans la condamnation et la sanction des putschs au Sahel, a parfois fait émerger au sein de la population un sentiment de deux poids, deux mesures.

Perçues comme des syndicats des chefs d’État ou des instruments du néocolonialisme à la solde de puissances étrangères, ces institutions régionales ne jouissent plus, voire pas, de la confiance du peuple, d’où des scènes de « liesses populaires acclamant les juntes ». Ces manifestations de joie, émanant de segments significatifs de la population, s'expliquent en partie par l'espoir renouvelé qu'ils placent dans un nouveau régime, perçu comme capable de rétablir la souveraineté politique et de relancer un développement économique freiné par la mauvaise gouvernance des anciens régimes démocratiques.

Ce problème de mauvaise gouvernance a, de fait, entraîné une véritable crise de confiance des populations locales vis-à-vis du système démocratique. Dès lors, les institutions qui cherchent à promouvoir un tel système sont perçues avec défiance. Une défiance qui complique la tâche des dirigeants aspirant, selon les termes de la Charte, à « enraciner dans le continent une culture d’alternance politique fondée sur la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes, conduites par des organes électoraux nationaux, indépendants, compétents et impartiaux », et pose la question de la pertinence du système démocratique en Afrique.
 
La question de la pertinence du système démocratique dans le contexte africain actuel

La démocratie continue d'être considérée comme un système politique importé de l’Occident. À cet égard, le discours de la Baule de François Mitterrand de 1990 est généralement perçu comme le point de départ du processus de démocratisation en Afrique. La question de la pertinence, voire de l’adaptation de ce système aux cultures et aspirations des peuples africains, fait encore polémique au regard du contexte actuel où la démocratie semble avoir échoué après plusieurs décennies de mise en œuvre.

Si la démocratie a longtemps été critiquée, les changements anticonstitutionnels ne sont pas non plus à l'abri des critiques. Pour preuve, ils ne semblent pas recevoir une carte blanche et une adhésion totale de la part des populations, conscientes qu’ils présentent aussi des dérives. En effet, depuis la prise du pouvoir par les militaires, on observe plusieurs atteintes aux droits humains, notamment à la liberté de presse, de manifestation ou d’expression.

Ainsi, au Burkina Faso, depuis la signature du décret de mobilisation générale en 2023, au moins une douzaine de journalistes, d’activistes de la société civile et de membres de partis d’opposition ont été enrôlés comme volontaires pour la défense de la patrie. Entre le 9 et le 12 août 2024, la communauté internationale a d’ailleurs assisté, médusée, à la réquisition de sept magistrats qui avaient pourtant lancé des procédures judiciaires à l’encontre des partisans de la junte.

Pour ce qui est de la liberté de la presse, les médias n’ont cessé de se faire censurer au Burkina Faso, en Guinée, au Mali et au Niger depuis l’arrivée au pouvoir des militaires. En l’espace de trois ans, plus d’une dizaine de médias nationaux et internationaux ont été suspendus dans lesdits États, temporairement ou définitivement, à l’instar de RFI et France 24, considérés comme des vecteurs de désinformation.

Si les différents changements anticonstitutionnels survenus dans ces États ont pu avoir l’assentiment populaire, c’est d’abord parce qu’ils ont été considérés comme une délivrance pour des peuples en proie à une économie opaque et un pouvoir autoritaire. Cependant, ces coups de libération sont devenus des coups d’oppression. Aussi apparaît-il aujourd’hui comme crucial de renforcer l’adhésion populaire aux institutions et instruments régionaux de promotion de la démocratie, à l’instar de la Charte.

Cette adhésion populaire à la Charte africaine de la démocratie permettra, en effet, la réduction des tensions et des conflits récurrents liés aux élections, qui sous-tendent les renversements politiques. En outre, les citoyens seront mieux informés sur leurs droits et obligations, participeront de façon plus active à la vie politique et contribueront à l’enracinement de la culture démocratique sur le continent africain. À l’instar des populations, les États parties devront prendre pleinement conscience de l’importance de cette charte et de son application effective en vertu du principe pacta sunt servanda.

En définitive, s’il est constant que le système démocratique n’est pas toujours le mieux adapté aux pays africains en considération de leurs histoires et aspirations, il demeure un mécanisme permettant au peuple d’exercer le pouvoir à travers ses élus. C’est dans cette optique que les gouvernants africains devraient travailler à adapter le système démocratique aux réalités intrinsèques du continent, afin que celui-ci puisse répondre aux besoins spécifiques des populations. In fine, c’est en renforçant les institutions, en promouvant l’inclusion, en respectant les particularités locales et en vulgarisant les instruments comme la Charte africaine de la démocratie, que le continent pourra véritablement faire perdurer un cercle vertueux favorable au respect des droits humains, à la paix et au développement.



Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire