17 avril 2013

ACTU : Différend frontalier (Burkina Faso/Niger) : la CIJ détermine le tracé de la frontière entre les deux Etats dans le secteur allant de la borne astronomique de Tong-Tong au début de la boucle de Botou

Catherine MAIA

La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu le 16 avril 2013 son arrêt en l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/Niger).

Dans son arrêt, qui est définitif, sans recours et obligatoire pour les Parties, la Cour,

1) dit, à l’unanimité, qu’elle ne peut accueillir les demandes formulées aux points 1 et 3 des conclusions finales du Burkina Faso ;

2) décide, à l’unanimité, que, de la borne astronomique de Tong-Tong, située au point de coordonnées géographiques 14° 24' 53,2" de latitude nord et 00° 12' 51,7" de longitude est, à la borne astronomique de Tao, dont les coordonnées doivent être déterminées par les Parties, comme indiqué au paragraphe 72 du présent arrêt, le tracé de la frontière entre le Burkina Faso et la République du Niger prend la forme d’un segment de droite ;

3) décide, à l’unanimité, que, à partir de la borne astronomique de Tao, le tracé de la frontière suit la ligne qui figure sur la carte au 1/200 000 éditée en 1960 par l’Institut géographique national (IGN) de France (dénommée ci-après la «ligne IGN»), jusqu’à son intersection avec la ligne médiane de la rivière Sirba au point de coordonnées géographiques 13° 21' 15,9" de latitude nord et 01° 17' 07,2" de longitude est ;

4) décide, à l’unanimité, que, de ce dernier point, le tracé de la frontière suit la ligne médiane de la rivière Sirba, en amont, jusqu’à son intersection avec la ligne IGN, au point de coordonnées géographiques 13° 20' 01,8" de latitude nord et 01° 07' 29,3" de longitude est ; de ce point, le tracé de la frontière suit la ligne IGN en remontant vers le nord-ouest jusqu’au point, de coordonnées géographiques 13° 22' 28,9" de latitude nord et 00° 59' 34,8" de longitude est, où la ligne IGN se dirige vers le sud ; à ce point, le tracé de la frontière quitte la ligne IGN pour se prolonger en direction plein ouest, sous la forme d’un segment de droite, jusqu’au point, de coordonnées géographiques 13° 22' 28,9" de latitude nord et 00° 59' 30,9" de longitude est, où il atteint le méridien passant par l’intersection du parallèle de Say avec la rive droite de la rivière Sirba ; puis il longe ce méridien en direction du sud jusqu’à ladite intersection, au point de coordonnées géographiques 13° 06' 12,08" de latitude nord et 00° 59' 30,9" de longitude est ;

5) décide, à l’unanimité, que de ce dernier point au point situé au début de la boucle de Botou, de coordonnées géographiques 12° 36' 19,2" de latitude nord et 01° 52' 06,9" de longitude est, le tracé de la frontière prend la forme d’un segment de droite ;

6) décide, à l’unanimité, qu’elle désignera ultérieurement, par ordonnance, trois experts conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du compromis du 24 février 2009.


1. Contexte procédural, historique et factuel de l’affaire

La Cour rappelle que, par une lettre de notification conjointe datée du 12 mai 2010, le Burkina Faso et le Niger ont fait tenir au greffier un compromis par lequel ils étaient convenus de soumettre à la Cour le différend frontalier qui les opposait sur un secteur de leur frontière commune. A cette lettre étaient joints le protocole d’échange des instruments de ratification dudit compromis et un échange de notes en dates des 29 octobre et 2 novembre 2009 consacrant l’entente entre les deux Etats sur les résultats des travaux de la commission mixte d’abornement concernant les secteurs abornés de la frontière allant, au nord, des hauteurs de N’Gouma à la borne astronomique de Tong-Tong et, au sud, du début de la boucle de Botou jusqu’à la rivière Mékrou. La Cour rappelle en outre qu’elle était priée, aux termes de l’article 2 dudit compromis, de déterminer le tracé de la frontière entre le Burkina Faso et le Niger dans le secteur allant de la borne astronomique de Tong-Tong au début de la boucle de Botou et de donner acte aux Parties de leur entente sur les résultats des travaux de la commission technique mixte d’abornement de la frontière. Avant de répondre à la demande des Parties, la Cour expose brièvement le contexte historique et factuel du différend entre ces deux anciennes colonies qui relevaient de l’Afrique occidentale française jusqu’à leur accession à l’indépendance en 1960.

2. La demande relative aux deux secteurs allant, au nord, des hauteurs de N’Gouma à la borne astronomique de Tong-Tong et, au sud, du début de la boucle de Botou à la rivière Mékrou

La Cour indique que, lorsqu’elle est saisie par voie de compromis, toute demande formulée par une partie dans ses conclusions finales ne peut relever de sa compétence que si elle demeure dans les limites définies par les dispositions dudit compromis. Or, elle estime que la demande formulée par le Burkina Faso aux points 1 et 3 de ses conclusions finales ne cadre pas exactement avec les termes du compromis, dans la mesure où le Burkina Faso ne la prie pas de «donner acte aux Parties de leur entente» concernant la délimitation de la frontière dans les deux secteurs abornés, mais plutôt de délimiter elle-même la frontière selon un tracé qui correspondrait aux conclusions de la commission technique mixte. Si la Cour a le pouvoir d’interpréter les conclusions finales des Parties de manière à les maintenir dans les limites de sa compétence résultant du compromis, cela n’est cependant pas suffisant pour accueillir une telle demande ; encore faut-il que l’objet de celle-ci se rattache à la fonction judiciaire de la Cour qui est de régler, conformément au droit international, les différends qui lui sont soumis. Or, en l’espèce, aucune des Parties n’a jamais prétendu qu’il subsistait entre elles un différend relativement à la délimitation de la frontière dans les deux secteurs en cause à la date d’introduction de l’instance - ni d’ailleurs qu’un tel différend serait apparu par la suite. La Cour estime dès lors que la demande du Burkina Faso outrepasse les limites de sa fonction judiciaire.

3. Le tracé de la portion de la frontière demeurant en litige

A. Le droit applicable

La Cour observe que l’article 6 du compromis, intitulé «Droit applicable», met en exergue, parmi les règles de droit international applicables au différend, «le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation et l’accord du 28 mars 1987». Elle note que les deux premiers articles de cet accord précisent quels actes et documents de l’administration coloniale française doivent être utilisés pour déterminer la ligne de délimitation existant au moment de l’accession des deux pays à l’indépendance. Elle observe à cet égard qu’il résulte de l’accord de 1987 que l’arrêté du 31 août 1927 pris par le gouverneur général par intérim de l’AOF aux fins de «fix[er] les limites des colonies de la Haute-Volta et du Niger», tel qu’il a été précisé par son erratum du 5 octobre 1927, constitue l’instrument à appliquer pour la délimitation de la frontière. Elle observe en outre que l’accord de 1987 envisage l’hypothèse d’une «insuffisance de l’arrêté et de son erratum» et stipule que, dans ce cas, «le tracé sera celui figurant sur la carte [au] 1/200 000[ème] de l’Institut géographique national de France, édition 1960».

B. Le tracé de la frontière

1. Le tracé de la frontière entre les bornes astronomiques de Tong-Tong et de Tao

La Cour est d’avis qu’il y a lieu de retenir la ligne droite reliant les deux bornes comme constituant la frontière entre le Burkina Faso et le Niger dans le secteur en cause, les fonctionnaires de l’administration coloniale ayant interprété l’arrêté de cette manière.

2. Le tracé de la frontière entre la borne astronomique de Tao et la rivière Sirba à Bossébangou

La Cour relève que l’arrêté ne permet pas de déterminer de quelle manière il convient de relier la borne astronomique de Tao à «la rivière Sirba à Bossébangou». Il convient donc de recourir au tracé figurant sur la carte IGN de 1960. La Cour déclare par ailleurs ne pouvoir accueillir les demandes du Niger tendant à s’écarter légèrement dudit tracé au niveau des localités de Petelkolé et d’Oussaltane, au motif qu’elles auraient été administrées par le Niger au cours de la période coloniale. Selon la Cour, une fois qu’il a été conclu à l’insuffisance de l’arrêté, et dans la mesure de cette insuffisance, les effectivités ne peuvent plus jouer de rôle en l’espèce. 

3. Le tracé de la frontière dans la région de Bossébangou

La Cour estime que, conformément à la description qu’en fait l’arrêté, la ligne frontière, après avoir atteint, en se dirigeant vers Bossébangou, la ligne médiane de la rivière Sirba, au point dénommé point SB sur les croquis nos 1, 2, 3 et 4, suit cette ligne, en amont, jusqu’à son intersection avec la ligne IGN, au point dénommé point A sur les croquis nos 3 et 4. A partir de ce point, l’arrêté étant insuffisant pour définir avec précision le tracé de la ligne frontière, celui-ci suit la ligne IGN en remontant vers le nord-ouest jusqu’au point, dénommé point B sur le croquis no 3, où la ligne IGN change notablement de direction pour se diriger plein sud en suivant un segment de droite. Ce point d’inflexion B étant situé quelque 200 mètres à l’est du méridien passant par l’intersection du parallèle de Say avec la rivière Sirba, la ligne IGN ne coupe pas la rivière au parallèle de Say. Or, relève la Cour, l’arrêté requiert expressément que la ligne frontière coupe la Sirba au niveau de ce parallèle. La ligne frontière doit donc s’écarter de la ligne IGN à partir du point B et, au lieu de s’y infléchir, se prolonger en direction plein ouest, sous la forme d’un segment de droite, jusqu’au point où elle atteint le méridien passant par l’intersection du parallèle de Say avec la rive droite de la rivière Sirba, dénommé point C sur les croquis nos 3 et 4. Conformément à la description qu’en fait l’erratum, la ligne frontière longe ensuite ce méridien en direction du sud jusqu’à ladite intersection, au point dénommé point I sur les croquis nos 3 et 4.

4. Le tracé de la partie sud de la frontière

La Cour observe que, d’après l’arrêté, «[d]e ce point la frontière, suivant une direction Est-Sud-Est, se prolonge en ligne droite jusqu’à un point situé à 1200 mètres Ouest du village de Tchenguiliba». Elle estime que l’arrêté est précis dans cette partie de la frontière en ce qu’il établit la ligne frontière par un segment de droite entre le point d’intersection du parallèle de Say avec la Sirba et le point situé à 1200 mètres ouest du village de Tchenguiliba, point qui marque le début du secteur sud de la partie déjà abornée de la frontière.

4. Désignation d’experts

La Cour décide que, eu égard aux circonstances de la présente espèce, elle procédera plus tard, par voie d’ordonnance, à la désignation d’experts sollicitée par les Parties au paragraphe 4 de l’article 7 du compromis aux fins de la démarcation de leur frontière dans la zone contestée.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Tomka, président, M. Sepúlveda-Amor, vice-président ; MM. Owada, Abraham, Keith, Bennouna, Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, M. Bhandari, juges ; MM. Mahiou, Daudet, juges ad hoc ; M. Couvreur, greffier.

M. le juge Bennouna joint une déclaration à l’arrêt ; MM. les juges Cançado Trindade et Yusuf, ainsi que MM. les juges ad hoc Mahiou et Daudet, joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle.

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Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé n°2013/1». Le présent communiqué de presse, le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci sont disponibles sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».

Note : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents officiels.

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du Secrétariat des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international, dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect administratif. Les langues officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour mondiale», elle est la seule juridiction universelle à compétence générale.

Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à La Haye et dans sa proche banlieue, comme par exemple le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale internationale (CPI, la première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui n’appartient pas au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe judiciaire indépendant composé de juges libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (CPA, institution indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement, conformément à la Convention de La Haye de 1899).


Annexes au communiqué de presse 2013/08
  • Croquis n°1 : Prétentions des Parties et ligne figurant sur la carte IGN de 1960
  • Croquis n°2 : Tracé de la frontière de la borne astronomique de Tao au point où elle «attein[t] la rivière Sirba à Bossébangou
  • Croquis n°3 : Tracé de la frontière depuis le point où elle «attein[t] la rivière Sirba à Bossébangou» jusqu’à l’intersection de la rivière Sirba avec le parallèle de Say
  • Croquis n°4 : Tracé de la frontière tel que déterminé par la Cour












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Source : Communiqué de presse de la CIJ 2013/08, 16 avril 2013

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